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Les mesures de sûreté dont la rétention de sûreté

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DC-2008-562

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CE, 26/11/2010, n°323694, et CE, 19/05/2010, n°323930 Jean-Paul A et section française de l’OIP c/ Ministre de la Justice

Rejet du recours contre le décret d’application de la loi sur la rétention de sûreté

“La rétention de sûreté n’est pas une peine”. Le Conseil d’Etat préfère se ranger derrière l’enclume constitutionnelle…

Publication originale : 26 novembre 2010

Dernière modification : 18 novembre 2016

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Texte de l'article :

par Serge SLAMA, maître de conférences en droit public à l’Université Evry-Val d’Essonne et rattaché au CREDOF -Paris 10 Nanterre et militant associatif.

Un particulier et la section française de l’OIP contestaient la légalité du décret d’application de la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté (décret n°2008-1129 du 4 novembre 2008).

Sur le terrain de la légalité externe, le Conseil d’Etat écarte d’abord le grief d’incompétence négative à l’encontre de l’article 706-53-21 du Code de procédure pénale (devenu l’article 706-53-22), du fait des restrictions apportées aux droits et libertés des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire, en se contentant de renvoyer à la décision du Conseil constitutionnel du 2 juillet 2010 (n° 2010-9 QPC du 02 juillet 2010 Section française de l’OIP - ADL du 2 juillet 2010). Bien que le Conseil d’Etat lui avait transmis cette disposition (CE, 19 mai 2010, n°323930 - ADL du 22 mai 2010), le juge constitutionnel avait estimé qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur cette disposition car elle avait déjà, par une simple mention, été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une précédente décision (Cons. Constit., n°2008-562 DC 21 février 2008 - ADL du 22 février 2008). Il examine tout de même ce moyen en se prononçant sur « la méconnaissance de l’habilitation donnée » par l’article 706-53-21 du CPP. Il résulte des dispositions de la loi du 25 février 2008 que si le « législateur a entendu mettre en place une mesure de sûreté dont il a défini les caractéristiques et le champ d’application » mais néanmoins il était possible au Premier ministre, par le décret contesté, de définir les conditions dans lesquelles s’exercent les droits des personnes retenues, « y compris en matière de visites et de correspondances », en apportant à l’exercice de ces droits les restrictions « strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public ». Dans ce cadre, il valide, en premier lieu, l’article R. 53-8-68 du CPP compte tenu de l’encadrement apporté (restriction des droits des personnes retenues dans un centre pour « les seuls motifs et sous les conditions et garanties expressément » prévus par l’article R. 53-8-66). Il précise que les dispositions du 5° et du 7° « n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser un contrôle général des correspondances et des communications téléphoniques, hormis celles échangées avec leur avocat, des personnes retenues » et que le 6° « n’a pas pour objet ou pour effet de permettre une fouille des personnes retenues avant ou après une visite, en dehors des motifs indiqués ». Il ajoute que ces restrictions pourront « faire l’objet d’un contrôle du juge administratif », le cas échéant, en référé. En second lieu, il estime le directeur des services pénitentiaires ne détient pas, des articles R. 53-8-72 et R. 53-8-73 du CPP, un pouvoir disciplinaire mais qu‘il s’agit de mesures de police qu’il peut prendre lorsque « le comportement de ces personnes met en péril le bon ordre du centre, la sûreté des individus, la sécurité des biens ou cause des désordres persistants », dans les conditions définies par le texte et sous le contrôle du juge.

Toujours sur le terrain de la légalité externe, le Conseil d’Etat estime ensuite que la procédure d’adoption des dispositions de l’article R. 53-8-59 du CPP, issues du décret, n’ont pas violé la loi du 6 janvier 1978 car elles « se bornent à prévoir, pour chaque personne retenue, la tenue d’un dossier individuel par le service administratif du greffe du centre socio-médico-judiciaire », accessible à des personnes limitativement énumérées et n’ont donc, par elles-mêmes, « ni pour objet ni pour effet d’autoriser un traitement automatisé de données à caractère personnel ».

 Au fond, le Conseil d’Etat écarte tous les griefs tenant à la méconnaissance de principes ou règles conventionnelles :

 - S’agissant de l’absence de caractère suspensif des recours contre les décisions prises par les juridictions de la rétention de sûreté, il estime que la loi du 25 février 2008 et le décret attaqué ont pu valablement le prévoir car n’y font obstacle « ni les dispositions du code de procédure pénale donnant un tel caractère aux appels et aux pourvois en cassation formés à l’encontre des décisions des juridictions répressives, ni aucun principe ».

 - S’agissant de l’atteinte à l’article 3 de la CEDH, il estime que le principe de la rétention de sûreté n’est pas, en soi, incompatible avec le principe du respect de la dignité de la personne compte tenu des garanties apportées par le législateur, qu’il énumère, et d’une réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel (la rétention de sûreté n’est décidée par la juridiction régionale qu’après avoir vérifié que la personne a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité).

 - S’agissant de l’atteinte à l’article 8 de la CEDH, le grief d’ingérence excessive dans les droits des personnes retenues au respect de leur vie privée est pareillement écarté pour, à peu près, les mêmes motifs. Il ajoute que les dispositions du décret attaqué ont précisé les droits des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté (visites, communications téléphoniques, correspondances, exercice d’activités culturelles, sportives et de loisir, pratiques d’activités religieuses ou philosophiques ou exercice d’un emploi) et ces activités ne peuvent être restreintes que pour « les seuls motifs liés aux exigences de l’ordre public ». Ainsi, le décret a, selon le Conseil d’Etat, procédé à la « conciliation de l’objectif de prévention de la récidive avec le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes retenues » et ces mesures restrictives ne pourront intervenir « que sous le contrôle du juge ».

 - S’agissant de l’atteinte à l’article 5§1 de la CEDH (liberté et sûreté) pour le placement en rétention de sûreté en cas de non respect des obligations prescrites dans le cadre de la surveillance de sûreté, il écarte le moyen d’atteinte au b) de cette disposition (« Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ») car il ressort de l’analyse des dispositions légales (article 706-53-19 du CPP) et réglementaires critiquées qu’elles « ont pour objet de prendre (…) des mesures en vue de l’application effective d’une surveillance destinée à éviter la commission de nouvelles infractions » dans le cas où une personne présente « à nouveau une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une des infractions [énumérées] ». Est ainsi validé l’article R. 53-8-52 du CPP qui précise que c’est le juge de l’application des peines ou le procureur de la République qui saisissent le président de la juridiction régionale afin qu’il ordonne s’il y a lieu le placement provisoire de la personne dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. On sait que la Cour de Strasbourg a, dans le même sens, admis le principe même de ce type de rétention de sûreté (Cour EDH, 5e Sect. 17 décembre 2009, M. [Mücke] c. Allemagne, Requête no 19359/04 - ADL du 22 décembre 2009).

 - S’agissant de l’article 7 de la CEDH, paraît en revanche plus contestable, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le rejet du moyen de contrariété compte tenu de l’application immédiate aux condamnés, quelle que soit la date de commission des faits ayant donné lieu à condamnation, des dispositions relatives à la surveillance de sûreté. En effet, dans l’arrêt Mücke, la Cour a expressément qualifié la détention de sureté - du droit pénal allemand - de « peine » au sens de l’article 7 (§ 133). Or, on sait que cette analyse diverge de celle menée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008 dans laquelle il affirmait que « la rétention de sûreté n’est ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition » (déc. préc, cons. 9). Comme la Cour de cassation sur le respect des droits de la défense en garde à vue (v. Cass, crim n° 5699 du 19 octobre 2010, 10-82.902 - ADL du 19 octobre 2010), ou prochainement sur l’absence d’indépendance du Parquet vis-à-vis de l’Exécutif (Cour EDH, 5e Sect. 23 novembre 2010, Moulin c. France, Req. n°37104/06 - ADL du 23 novembre 2010), le Conseil d’Etat se retrouve sur cette qualification entre « le marteau conventionnel et l’enclume constitutionnelle » (v. ADL du 19 octobre 2010). Néanmoins, fidèle à l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution, plus qu’à « l’autorité de la chose décidée » à Strasbourg (qui aura pourtant le dernier mot…), il adopte donc la position de son voisin du Palais royal en estimant que « le placement sous surveillance de sûreté ne constitue par lui-même ni une peine, ni une sanction » au sens des stipulations de l’article 7 de la CEDH. Il justifie cette position, comme le Conseil constitutionnel, en insistant sur le fait que le placement sous surveillance de sûreté repose « non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d’assises, mais sur sa particulière dangerosité, appréciée par la juridiction régionale à la date de sa décision, dont les effets sont limités dans le temps » et qu’il a pour « but d’empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d’un trouble grave de la personnalité ». Pour les mêmes motifs, il écarte également le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 15 du PIDCP et n’est pas compétent pour examiner la violation par la loi du 25 février 2008, de l’article 8 de la DDHC et des dispositions de l’article 112-1 du code pénal. Par ailleurs, on sait que malgré la qualification de « mesure de sûreté », le Conseil constitutionnel avait tout de même refusé l’application rétroactive des dispositions relatives à la rétention de sureté - « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction » (déc. préc., cons. 10). Or, la section française de l’OIP critiquait aussi, au regard de l’article 7 de la CEDH, les dispositions du dernier alinéa de l’article 706-53-19 du CPP qui permettent le placement en rétention de sûreté d’une personne en cas de manquement aux obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté. Là aussi, le Conseil d’Etat écarte le grief en relevant que la rétention de sûreté est « dans ce cas appliquée non à la suite de la condamnation de la personne par la cour d’assises mais en raison du non respect des obligations qui lui sont imposées au titre de la surveillance de sûreté ». Dans ce cas de figure, précise-t-il, ce sont des faits « commis postérieurement à la publication de la loi du 25 février 2008 » et alors que l’intéressé a été informé par le juge de l’application des peines « des conséquences susceptibles de résulter pour elle de la méconnaissance des obligations auxquelles elle est astreinte du fait de cette mesure ».

Enfin, en conclusion de cette longue décision, le juge administratif suprême écarte le moyen tiré de ce que l’extension de l’utilisation du dispositif de contrôle à distance par port d’un bracelet électronique d’un tel dispositif aux personnes faisant l’objet d’une mesure de surveillance de sûreté conduirait à méconnaître le principe de précaution car le requérant « ne produit aucune pièce de nature à étayer son allégation selon laquelle [ce] dispositif (…) présenterait un risque particulier pour la santé des personnes (…) ».

Nul doute que cette législation, critiquée notamment par le Comité contre la torture des nations unies (examen rapport présenté par la France, 44ème session des 27-29 avril 2010 à Genève), fera l’objet d’un contentieux qui aboutira, à terme, devant la Cour de Strasbourg. Nul doute que le « marteau » sera, alors, faire respecter son autorité sur celle de l’enclume…