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Said-André Remli - contestation d’un placement à l’isolement d’office

Recours en CAA - Contre l’isolement

Mise en ligne : 5 décembre 2002

Texte de l'article :

A Messieurs le Président et Conseillers composant la Cour Administrative d’Appel de Paris

OBSERVATIONS EN REPLIQUE
REQUETE N°01PA-075

POUR :

Monsieur Saïd, André REMLI
Prison Centrale
36255 SAINT MAUR

Ayant pour Avocat :

Maître Christian NZALOUSSOU
Avocat
82, rue Manin – 75019 PARIS
Tél. 01 40 40 21 21
Fax. 01 40 40 21 25
Toque Palais E 361

CONTRE :

Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
13, place Vendôme
75042 PARIS CEDEX 01

PLAISE A LA COUR,

I – EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur Saïd REMLI expose qu’il est incarcéré depuis le 19 juin 1984, et purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Suite à un mouvement collectif de contestation des pensionnaires de la maison centrale de Cabourg où il était incarcéré, Monsieur REMLI a été transféré, le 27 août 1996, à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, puis a été affecté au centre pénitentiaire des Deux Moulins, avant d’être transféré le 14 octobre 1998 à la maison centrale de Saint Maur. Ce transfèrement a été suivi de placements en isolément successifs.

Une première décision de mise à l’isolement de Monsieur REMLI a été prise le 27 août 1996 par le directeur de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. Cette décision a été soumise au contrôle du Tribunal administratif de Versailles, ainsi que la décision de rejet implicite de la demande faite par Monsieur REMLI de bénéficier d’une thérapie psychanalytique.

Ces requêtes ont été rejetées par jugement du 22 janvier 1999 du Tribunal Administratif de VERSAILLES aux motifs que les mesures prises à l’encontre de Monsieur REMLI constituaient des mesures d’ordre intérieur insusceptibles d’être déférées au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Monsieur REMLI fera l’objet d’une autre décision de mise en isolement prise par le directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, le 18 juin 1998.

Saisi en urgence en contestation de la décision du 18 juin 1998, le juge des référés du Tribunal Administratif de VERSAILLES a renvoyé l’affaire à la formation collégiale par jugement du 12 mai 1999.

Monsieur REMLI a contesté la décision de mise en isolement tant au niveau de la forme que du fond.

Il relève notamment que la décision de transfert et d’isolement a été prise à son encontre du fait de sa participation au mouvement collectif de contestation au sein de l’établissement pénitentiaire.

Il soutient ainsi que la décision querellée ne pouvait qu’être une mesure disciplinaire puisque les faits qui lui étaient reprochés étaient constitutifs de fautes disciplinaires à divers degrés.

Par ailleurs, l’appelant invoque les conséquences liées à son transfèrement et à sa mise en isolement, notamment l’éloignement de ses proches qui ne pouvaient plus lui rendre visite, l’impossibilité pour lui de participer aux activités proposées au sein de la détention normale, plus particulièrement l’accès à une activité rémunérée ou aux salles de classe. Il fait enfin référence au droit internationale et à la convention européenne des droits de l’homme.

Le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de Monsieur REMLI au motif que la décision querellée est une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Ce jugement sera annulé et la Cour fera droit aux demandes de Monsieur REMLI. 

II – DISCUSSION.

A – Sur la recevabilité de la requête de Monsieur REMPLI.

La requête de Monsieur REMLI a été rejetée par le Tribunal administratif de Paris au motif que la décision contestée constituait une mesure d’ordre intérieur. Cette qualification est contestée en l’espèce en raison du contexte et des conditions d’intervention de la décision querellée. En effet, tant l’examen des motifs du recours au placement à l’isolement que les conséquences de cette décision sont de nature à justifier le contrôle du juge de l’excès de pouvoir.

1. Les exigences de l’article D.283-1 du code de procédure pénale.

Il convient de rappeler que selon l’article D.283-1 du code de procédure pénale (CPP) :

« Tout détenu se trouvant dans un établissement ou quartier en commun peut soit sur sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité, être placé à l’isolement.
La mise à l’isolement est ordonnée par le chef de l’établissement qui rend compte à bref délai au directeur régional et au juge de l’application des peines. Le chef de l’établissement fait en outre rapport à la commission de l’application des peines dès la première réunion suivant la mise à l’isolement ou le refus opposé à la demande d’isolement du détenu.
Le détenu peut faire parvenir au juge de l’application des peines soit directement, soit par l’intermédiaire de son conseil, toutes observations utiles en ce qui concerne la décision prise à son égard (…).
La durée de l’isolement ne peut être prolongée au-delà de trois mois sans qu’un nouveau rapport ait été fait devant la commission de l’application des peines et sans une décision du directeur régional, prononcé après l’avis du médecin. »

Il ressort ainsi de cet article que la mise à l’isolement peut intervenir, soit à la demande du détenu, soit à l’initiative de l’administration pénitentiaire. Dans ce dernier cas, elle doit donc être strictement justifiée par des motifs de sécurité ou de précaution [Cette mesure se rapproche d’ailleurs de la mise en cellule (article 726 CPP) qui constitue une mesure disciplinaire].

De toute évidence, aucune disposition du CPP n’indique que le placement à l’isolement est une mesure d’ordre intérieur, le premier alinéa de l’article D.283-2 se contentant de noter que « la mise à l’isolement ne constitue pas une sanction disciplinaire ». .

Au demeurant, le rapprochement entre « mise en cellule » (sanction disciplinaire selon le CPP) et « mise à l’isolement » (mesure non disciplinaire selon le CPP) postule pour l’exercice d’un contrôle par le juge administratif du placement à l’isolement afin de déterminer s’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une sanction disciplinaire déguisée. Une telle démarche, adoptée entre autre par la CAA de Paris dans le contentieux de la fonction publique, est aisément transposable ici pour les mesures dites d’isolement, dans le cadre même du droit applicable aux prisonniers (CE Ass., 17 février 1995, Marie req. n°97754).

Il nous paraît que dans cette démarche, le juge administratif doit prendre en considération, ainsi que nous l’avons déjà souligné, les conditions d’intervention de la mesure, ses modalités d’exécution et ses effets.
 
Ainsi, selon les circonstances dans lesquelles elle a été adoptée, la mise à l’isolement peut être soit une sanction disciplinaire (particulièrement dans l’hypothèse où elle est décidée par l’autorité administrative), soit une mesure d’ordre intérieur (particulièrement dans les cas où la mesure est sollicitée par le détenu). Cette ambivalence est largement envisageable en matière de décision pénitentiaire.

Dans une affaire Frérot [CAA 29 juin 2001, M. Frérot req. n° 97PA03555], la Cour administrative de Paris a bien évidemment envisagé l’hypothèse de la nature ambivalente d’une décision pénitentiaire qui était considérée par l’administration pénitentiaire comme une mesure d’ordre intérieur.

La Cour administrative d’appel de Paris a en effet jugé qu’une décision d’accès au parloir des détenus avec dispositif de séparation (justifiée par des mesures de sécurité) constitue, selon les circonstances propres à chaque espèce, soit une sanction disciplinaire, soit une mesure de sécurité obéissant à d’autres impératifs et considérations que la volonté de sanctionner a posteriori une infraction commise au cours ou à l’occasion d’une visite.
 
Dans cet arrêt, la CAA de Paris n’a pas exclu d’office l’examen de la mesure d’accès au parloir avec dispositif de séparation au motif qu’il s’agirait, par nature, d’une mesure d’ordre intérieur. Ce n’est donc qu’au terme d’un examen concret et minutieux de la mesure en cause que la Cour a décidé, après avoir jugé la requête recevable, que la mesure contestée « n’a ni privé le requérant de son droit de visite ni aggravé ses conditions de détention » [CAA 29 juin 2001, M. Frérot req. n° 97PA03555].

Cette approche concernant l’ambivalence de la nature de certaines décisions s’adapte aisément au cas qui est soumis à la Cour par le requérant. Examinons donc les motifs et les effets de l’acte contesté.

2. Les circonstances d’intervention de la décision de mise à l’isolement et ses conséquences.

Il est manifeste que dans le cas de la présente affaire, tant les conditions dans lesquelles sont intervenues les décisions de transfèrement et de mise à l’isolement que le but visé par ces décisions, postulent pour le contrôle du juge administratif.

D’abord, en ce qui concerne les conditions d’intervention de la mesure contestée, l’appelant relève qu’elle a été prise à la suite d’un mouvement de revendication des détenus concernant l’intimité dans les parloirs (Sur ce problème voir votre arrêt Frérot du 29 juin 2001 précité).

Ensuite, en ce qui concerne les motifs, la décision contestée fait état d’un « trouble à l’ordre public ou à la discipline dans l’établissement » par Monsieur REMLI. Le transfèrement et la mise à l’isolement constituaient des mesures en relation directe avec ces faits.

Juridiquement, il est reproché à Monsieur REMLI d’avoir violé, par sa participation au mouvement de contestation, l’interdiction faite au détenu « de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement » ou « d’inciter un codétenu à commettre l’un des manquements énumérés par le présent article. » (article D.249-1 du CPP).

Or, de tels faits sont sanctionnés disciplinairement, notamment par le confinement en cellule individuelle ordinaire tel que prévu par les dispositions des articles D.251 4° et D.251-2 CPP, ou encore « la privation d’activités de formation, culturelles, sportives et de loisirs pour une période maximum d’un mois lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours de ces activités. » (6° de l’article D.251-1 CPP).

De plus, le confinement en cellule ordinaire « emporte pendant toute sa durée, la privation de cantine (…), ainsi que la privation de toutes les activités à l’exception de la promenade et de l’assistance aux offices religieux. Elle n’entraîne aucune restriction au droit de correspondance des détenus ni aux visites. » (article D.251-2) Comme la mise à l’isolement, cette mesure tend à isoler le détenu fautif des autres détenus.

Or, la Cour pourra relever que Monsieur REMLI se plaint très justement de ce que le placement à l’isolement décidée par le directeur de la prison de Bois d’Arcy avait eu pour effet, entre autres, de l’exclure de « la moindre activité proposée au sein de la détention normale, notamment pour ce qui concerne l’accès à une activité rémunérée et l’accès aux salles de classe », ou encore l’interdiction de téléphoner à ses proches (Mémoire en date du 27 juin 1999 communiqué au TA de Versailles).

En outre, Monsieur REMLI fait constater que la mesure de transfèrement prise à son encontre avait eu pour effet d’éloigner le requérant du domicile de ses proches, de sorte que le droit de visite dont il devait bénéficier avait été vidé de sa substance.

En toute hypothèse, Monsieur REMLI n’était pas soumis à un régime ordinaire de détention en raison du prétendu trouble apporté à la prison..

Au demeurant, le régime ordinaire de la détention ne saurait consister à une interdiction de toute communication avec les codétenus ni celle de la participation à toute activité collective organisée par l’administration pénitentiaire, sans risque de requalification en acte faisant grief.

Cette réalité est d’ailleurs prise en compte par la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au Contrôle général des prisons, telle qu’adoptée par le Sénat le 26 avril 2001. Ce texte propose d’insérer ainsi des nouveaux articles 726-1 et 726-2 au code de procédure pénale.

Selon le nouvel article 726-1 de la proposition adoptée par le Sénat, « Sauf en cas d’extrême urgence ou de circonstances exceptionnelles, tout détenu à l’encontre duquel est engagée une procédure disciplinaire peut être assisté d’un avocat ou d’un mandataire de son choix selon des modalités compatibles avec les exigences de sécurité propres à un établissement pénitentiaire. »

Quant à l’article 726-2 de la proposition, il prévoit que : « Sauf en cas d’accord écrit de l’intéressé, le placement à l’isolement et le transfèrement d’un détenu sont décidés dans le respect de la procédure prévue à l’article 726-1.
Le détenu qui entend contester la décision de placement à l’isolement ou de transfèrement dont il est l’objet doit, dans un délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur régional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours. Le directeur régional dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée.
L’absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. »

De toute évidence, ces propositions résultent du bon sens et répondent à la réalité carcérale. Elles ont le mérite de reconnaître implicitement, mais nécessairement, que le placement à l’isolement décidé par les autorités pénitentiaires peut constituer une sanction disciplinaire déguisée ou une mesure faisant grief et, comme telle, susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir.

C’est dans le même sens que s’inscrit l’avant projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire lequel considère la mise à l’isolement comme une « limitation aux droits de la personne détenue », une « mesure de contrainte ». Ce qui va de soi. Ces indications montrent d’ailleurs que le détenu placé à l’isolement n’est pas soumis au régime ordinaire de détention.

On comprend d’ailleurs pourquoi le Garde des Sceaux, Ministre de la justice envisage dans l’avant-projet de loi précité, d’encadrer le placement à l’isolement et de considérer clairement deux régimes très distincts de la mise à l’isolement : « l’un qui comporte un encadrement juridique strict lorsque la mesure est décidée d’office par le directeur de l’établissement ; l’autre, d’une grande souplesse lorsqu’elle est sollicitée par le détenu lui-même, qui doit alors constamment avoir la faculté d’y mettre fin à tout moment. » Ce même texte approuve que toute décision de mise à l’isolement soit « susceptible d’un recours devant les juridictions administratives. »

L’intervention de ces nouvelles dispositions aura ainsi pour effet de mettre en phase la législation française avec le droit et la doctrine des organismes internationaux, dont le Comité Européen pour la Prévention de la Torture (CPT), qui considère que le placement à l’isolement ne constitue pas simplement une mesure d’ordre intérieur sans effet sur la situation du détenu, mais plutôt comme une ‘torture blanche’.

L’intervention de cette législation permettra aussi au droit français de s’inscrire dans l’évolution initiée par la Cour européenne des droits de l’homme.

En effet, dans une affaire concernant le Royaume-Uni, le juge européen vient, non seulement de déclarer recevable un recours concernant une mesure de placement à l’isolement ; ce qui est encore intéressant c’est que la CEDH vient de juger qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 3 (interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention [CEDH 3 avril 2001, Keenan c. Royaume-Uni n° 27229/95].

De toute évidence, le requérant considère qu’il est illusoire de considérer que la mise à l’isolement n’a aucun effet sur la situation juridique et pénale du détenu. On ne peut en effet oublier que le juge et la commission d’application des peines sont informés de la mise à l’isolement du détenu. Si aucune conséquence ne semble être directement tirée de cette information, Monsieur REMLI considère qu’il n’est pas exclu que de tels faits soient pris en compte lors de l’examen de sa situation pénale. Il constate, à ce propos, qu’il est proposable à une libération conditionnelle depuis le 19 juin 1999. Néanmoins son passage devant la juridiction régionale de la libération conditionnelle, le 02 juillet 2001, a été sanctionné par un refus, lequel a bien évidemment fait l’objet d’un recours en appel.

En tout état de cause, les circonstances dans lesquelles sont intervenues le transfèrement et la mise à l’isolement de Monsieur REMLI, l’examen des conséquences de ces mesures, montrent qu’il s’agit bien de sanction disciplinaire.

Quand bien même les mesures en cause ne seront pas retenues comme de sanctions disciplinaires déguisées, il est incontestable qu’elles constituent des mesures faisant griefs et susceptibles dès lors d’être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir. En conséquence, la compétence du juge administrative est acquise.

B. L’ILLEGALITE DE LA DECISION DE MISE A L’ISOLEMENT.

La décision de mise à l’isolement de Monsieur REMLI sera annulée en raison de son illégalité tant externe qu’interne.

1. Sur l’illégalité interne de la décision de mise en isolement.

a) La décision attaquée est caractérisée par une absence de motivation.

Faisant grief au requérant, cette décision doit en principe être motivée, peu importe qu’il s’agisse ou non d’une sanction disciplinaire.

Or aucune motivation ne sous-tend malheureusement la mesure prise.

Quand bien même on pouvait considérer les indications contenues dans la décision en cause comme une motivation, ce qui est bien évidemment contestable, il convient de relever qu’une telle motivation est insuffisante et équivaut à une absence de motivation.

De plus, la mise à l’isolement étant légalement limitée dans le temps à trois mois, son prolongement devait être justifié. Ce qui n’a jamais été fait.

En effet, Monsieur REMLI a été mis en isolement pendant 4 mois, selon les propres indications du Ministre de la justice, alors même que l’article D.283-1 limite une telle décision à trois (3) mois. Cette circonstance est de nature à entacher d’illégalité la décision de mise en isolement prise par le directeur de l’établissement.

En tout état de cause, la Cour sera conduite à relever que le placement à l’isolement de Monsieur REMLI et les conditions d’exécution de cette mesure sont contraires à la convention européenne des droits de l’homme.

b) Le placement à l’isolement de Monsieur REMLI ainsi que les conditions d’exécution de cette mesure sont contraires aux articles 3 et 13 de la CEDH.

· L’article 3 de la CEDH interdit les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Monsieur REMLI fait constater à juste titre qu’il a été soumis à une peine ou traitement inhumain ou dégradant, le placement à l’isolement étant d’ailleurs qualifiée de « torture blanche ».

Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice croit pouvoir obtenir le rejet de ce moyen en invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui aurait exclu la mise à l’isolement de la notion de traitement inhumain et dégradant. Il joint à son mémoire l’arrêt rendu par la Cour européenne dans l’affaire LEGRET [CEDH 25 mai 2000 Legret c/ France].

A l’appui de son raisonnement le Ministre de la Justice allègue que l’administration pénitentiaire peut même pratiquer un isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total sans qu’une telle mesure soit qualifiée de traitements humiliants ou dégradants.

Certes, le requérant ne conteste pas cette jurisprudence de la Cour européenne, il tient cependant à préciser que celle-ci ne peut être appliquée au cas d’espèce. Dans l’affaire soumise au juge administratif, il contient en effet de faire application de la dernière jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ainsi que le relève d’ailleurs le Garde des Sceaux, Ministre de la justice dans son mémoire en défense, constitue un traitement inhumain est celui qui cause de vives souffrances physiques ou morales à l’individu ; les peines et traitements dégradants étant ceux de nature à créer chez les victimes « des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propre à les humilier, à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale » [Cour européenne des droits de l’homme c/ R.U., 18 janvier 1978, n°159]. Il convient de préciser que la Cour européenne rattache à cette définition certaines situations ou des atteintes, même lorsque celles-ci n’entament pas véritablement l’intégrité des personnes.

Monsieur REMLI relève que lors de son transfèrement de la prison centrale des Moulins à la prison de Bois d’Arcy, il a été soumis à des coups et mauvais traitements de la part du personnel pénitencier. Associé à la mise en isolement qui devait s’ensuivre, ce traitement entre bien dans la définition de traitement humiliant et dégradant. La jurisprudence de la Cour est établie sur ce point.

Contrairement à la position défendue par le Ministre de la justice, la jurisprudence européenne considère que l’isolement cellulaire prolongé pourrait dans certaines circonstances tomber sous le coup de l’article 3 de la convention [Voir à ce propos : Décision de la Commission européenne des droits de l’homme D. 7572, 7586, 7587/76, Ensslin, Baader, Raspe c/ RFA, 8. Juillet 1978 ; D.R. 14/84 D.R. 26/35, D. 8463/78, Krocher et Muller c/ Suisse, 9 juillet 1981, D.R. 26/35.]

Pour retenir la violation de l’article 3 de la convention, il convient d’examiner le placement à l’isolement en relation avec les autres mesures intervenues concernant Monsieur REMLI.

Dans une affaire récente, la Cour européenne vient en effet de condamner le Royaume-Uni pour violation de l’article 3 de la convention dans une affaire concernant un détenu placé à l’isolement (CEDH 3 avril 2001 KEENAN c. Royaume-Uni).

Dans cet arrêt, il est intéressant de noter que la Cour a qualifié de sanction disciplinaire une mesure de placement à l’isolement.

Elle a aussi décidé que le placement à l’isolement d’un détenu, lequel n’avait d’ailleurs pas pu être examiné par un psychiatre en réponse à ses demandes, caractérise un traitement inhumain ou dégradant. Le traitement subi par le requérant dans l’affaire KEENAN peut en effet être rapproché de celui de Monsieur REMLI.

Monsieur REMLI a demandé le bénéfice d’une thérapie psychanalytique qui lui a été refusée, alors qu’il en a manifestement besoin. L’administration pénitentiaire, se prévalant à tort de la jurisprudence qui considère qu’un tel refus est une mesure d’ordre intérieur insusceptible d’être attaquée par voie de recours pour excès de pouvoir [voir TA Versailles REMLI c/ Le Garde des sceaux, req. n°97702 et n°972381], a trouvé comme seule réponse à la demande de Monsieur REMLI la mise en isolement du requérant. Or, il convient de constater que cette solution n’est pas conforme à l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire KEENAN précitée.

Dans ces circonstances, la Cour administrative d’appel de Paris sera conduite à constater la violation de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme.

· La violation de l’article 13 de la convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un recours effectif.

L’article 13 de la convention reconnaît à toute personne le droit à un « recours effectif devant une instance nationale ». Un tel recours est nécessaire à la préservation des droits et libertés de la personne humaine. Il paraît ainsi surprenant qu’un tel droit ne soit pas reconnu à un détenu faisant l’objet d’une mesure de placement à l’isolement au motif qu’il ne s’agirait là qu’une mesure d’ordre intérieur, laquelle ne peut être contestée devant le juge.

Monsieur REMLI rappelle qu’il a été placé à l’isolement et transféré dans plusieurs prisons. Durant ce transfèrement, il a été roué de coups sans justification aucune. En outre, alors que le requérant avait demandé à être soumis à une thérapie psychanalytique, un refus lui a été opposé par l’administration pénitentiaire, refus qui n’a pas été sanctionné par le juge de Versailles au motif qu’il s’agirait d’une mesure d’ordre intérieur. Ainsi, non seulement il n’y pas de recours effectif- la procédure mise en place excluant la possibilité même d’un recours, mais encore il n’y a pas du tout possibilité de faire valoir ses droits. La violation de l’article 13 de la convention est ainsi flagrante.

2. Sur l’illégalité externe de l’acte attaqué.

La décision contestée est aussi caractérisée par un vice de procédure. En prenant la mesure querellée, caractéristique entre autres d’une sanction déguisée, l’administration aurait dû respecter la procédure disciplinaire prévue à cet effet.

L’administration croit en effet devoir justifier la mise à l’isolement de Monsieur REMLI par la nécessité d’assurer l’ordre qui aurait été perturbé par le mouvement de « grève » des prisonniers revendiquant des parloirs intimes. Il ne saurait être contesté par l’administration pénitentiaire que les agissements reprochés à Monsieur REMLI constituent bien des fautes disciplinaires.

Or, la procédure disciplinaire est encadrée par les dispositions des articles D.250 et suivants du code de procédure pénale.

D’une part, ces articles prévoient que les sanctions disciplinaires sont prononcées en commission disciplinaire par le directeur de l’établissement. Le requérant fait remarquer que la mesure prise par le directeur de l’établissement pénitentiaire n’a pas respectée cette exigence.

D’autre part, l’article D.250-2 prévoit que le détenu faisant l’objet d’une procédure disciplinaire reçoit une convocation contenant un exposé des faits qui lui sont reprochés et une indication du délai dont il dispose pour préparer sa défense.

Aucune de ces exigences n’a été respectée par l’administration.

Il est manifeste qu’en recourrant à une mise à l’isolement l’administration pénitentiaire a pris une sanction déguisée, ce qui lui a permis au demeurant d’éviter les exigences de la procédure disciplinaire.

En conséquence, la Cour sera conduite à relever l’illégalité de la décision querellée et à en prononcer l’annulation.

C – SUR LA REPARATION DU DOMMAGE SUBI PAR MONSIEUR REMLI.

Dans la mesure où la Cour sera conduite à annuler pour excès de pouvoir la décision de placement à l’isolement, Monsieur REMLI est bien fondé à solliciter le paiement des dommages et intérêts, en raison du préjudice subi du fait d’un acte illégal.

PAR CES MOTIFS.

Et tous autres à produire, déduire ou suppléer par besoin d’office,

1- Recevoir Monsieur REMLI en sa requête, la déclarer bien fondée.
2- Annuler la décision de placement à l’isolement prise du 18 juin 1999 à l’encontre de Monsieur REMLI par le directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy.
3- Condamner l’Etat à verser à Monsieur REMLI 50 000 Francs (7622,45 euros) de dommages et intérêts en raison de l’acte illégal de mise en isolement.

SOUS TOUTES RESERVES.

Fait à Paris, le 27 novembre 2001.

 

BORDERAU DES PIECES COMMUNIQUEES.

1. Communiqué du greffier affaire KEENAN c/ ROYAUME-UNI.
2. CEDH 3 avril 2001, affaire Keenan c/ Royaume-Uni (texte publié en anglais).