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Date : 2-09-2016

Recommandation R(99)22 sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale

Publication originale : 30 septembre 1999

Dernière modification : 2 septembre 2016

CONSEIL DE L’EUROPE COMITÉ DES MINISTRES
(adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999,
lors de la 681e réunion des Délégués)

Texte de l'article :

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Considérant que le surpeuplement des prisons et la croissance de la population carcérale constituent un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale sous l’angle tant des droits de l’homme que de la gestion efficace des établissements pénitentiaires ;

Considérant que la gestion efficace de la population carcérale est subordonnée à certaines circonstances telles que la situation globale de la criminalité, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, l’éventail des peines prévues par les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, l’usage de la détention provisoire, l’efficience et l’efficacité des organes de la justice pénale et, en particulier, l’attitude du public vis-à-vis de la criminalité et de sa répression ;

Affirmant que les mesures destinées à lutter contre le surpeuplement des prisons et à réduire la taille de la population carcérale devraient s’inscrire dans une politique pénale cohérente et rationnelle axée sur la prévention du crime et des comportements criminels, l’application effective de la loi, la sécurité et la protection du public, l’individualisation des sanctions et des mesures et la réintégration sociale des délinquants ;

Considérant que ces mesures devraient être conformes aux principes fondamentaux des Etats démocratiques régis par le principe de la prééminence du droit, et inspirés par l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme, conformément à la Convention européenne des Droits et de l’Homme et à la jurisprudence des organes chargés de veiller à son application ;

Reconnaissant, en outre, que ces mesures requièrent l’appui des responsables politiques et administratifs, des juges, des procureurs et du grand public, ainsi qu’une information équilibrée sur les fonctions de la sanction, sur l’efficacité relative des sanctions et mesures privatives et non privatives de liberté et sur la réalité des prisons ;

Tenant compte de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

Reconnaissant l’importance de la Recommandation n° R (80) 11 concernant la détention provisoire, de la Recommandation n° R (87) 3 relative aux Règles pénitentiaires européennes, de la Recommandation n° R (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, de la Recommandation n° R (92) 16 relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, et de la Recommandation n° R (92) 17 relative à la cohérence dans le prononcé des peines,


Recommande aux gouvernements des Etats membres :

- de prendre toutes les mesures appropriées, lorsqu’ils revoient leur législation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’appliquer les principes énoncés dans l’Annexe à la présente Recommandation ;

- d’encourager la diffusion la plus large possible de la présente Recommandation et du rapport sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, établi par le Comité européen pour les problèmes criminels.

 

Annexe à la Recommandation n° R (99) 22

I.  Principes de base

1. La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate.

2. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité.

3. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible.

4. Les Etat membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté.

5. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines.

II. Faire face à la pénurie de places dans les prisons

6. Il convient, pour éviter des niveaux de surpeuplement excessifs, de fixer, pour les établissements pénitentiaires, une capacité maximale.

7. En présence d’une situation de surpeuplement, il y a lieu d’accorder une importance particulière à la notion de dignité humaine, à la volonté des administrations pénitentiaires d’appliquer un traitement humain et positif, à la pleine reconnaissance des rôles du personnel, et à la mise en œuvre d’une gestion moderne et efficace. Conformément aux Règles pénitentiaires européennes, une attention particulière devrait être accordée à l’espace dont disposent les détenus, à l’hygiène et aux installations sanitaires, à une nourriture suffisante et convenablement préparée et présentée, aux soins médicaux et aux possibilités de faire de l’exercice en plein air.

8. Il convient, en vue de contrebalancer certaines des conséquences négatives du surpeuplement des prisons, de faciliter dans la mesure du possible le contact des détenus avec leurs familles et de faire appel le plus possible au soutien de la communauté.

9. Un usage aussi large que possible devrait être fait des modalités spécifiques d’exécution des peines privatives de liberté, notamment des régimes de semi-liberté et des régimes ouverts, des congés pénitentiaires ou des placements extra muros en vue de contribuer au traitement des détenus et à leur réinsertion, au maintien du lien avec leur famille ou avec d’autres membres de la communauté, ainsi qu’à l’atténuation des tensions dans les établissements pénitentiaires.

III. Mesures à mettre en œuvre avant le procès pénal

 Eviter l’action pénale – Réduire le recours à la détention provisoire

10. Des mesures appropriées devraient être prises en vue de l’application intégrale des principes énoncés dans la Recommandation n° (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, ce qui implique, en particulier, que les Etats membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe de l’opportunité des poursuites (ou des mesures ayant le même objectif) et recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriés, en vue d’éviter une procédure pénale complète.

11. L’application de la détention provisoire et sa durée devraient être réduites au minimum compatible avec les intérêts de la justice. Les Etats membres devraient, à cet effet, s’assurer que leur législation et leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence de ses organes de contrôle et se laisser guider par les principes énoncés dans la Recommandation n° R (80) 11 concernant la détention provisoire s’agissant, en particulier, des motifs permettant d’ordonner la mise en détention provisoire.

12. Il convient de faire un usage aussi large que possible des alternatives à la détention provisoire, telles que l’obligation, pour le suspect, de résider à une adresse spécifiée, l’interdiction de quitter ou de gagner un lieu déterminé sans autorisation, la mise en liberté sous caution, ou le contrôle et le soutien d’un organisme spécifié par l’autorité judiciaire. A cet égard, il convient d’être attentif aux possibilités de contrôler au moyen de systèmes de surveillance électroniques l’obligation de demeurer dans un lieu stipulé.

13. Il s’impose, pour soutenir le recours efficace et humain à la détention provisoire, de dégager les ressources financières et humaines nécessaires et, le cas échéant, de mettre au point les moyens procéduraux et les techniques de gestion appropriés.

IV. Mesures à mettre en œuvre au stade du procès pénal

Le système de sanctions et de mesures – La longueur des peines

14. Il y a lieu de s’efforcer de réduire le recours aux peines de longue durée qui mettent fortement à contribution le système pénitentiaire, et de remplacer les courtes peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté.

15. S’agissant de prévoir des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté qui pourraient se substituer à la privation de liberté, il convient d’envisager les mesures suivantes :

- suspension, assortie de conditions, de l’exécution d’une peine d’emprisonnement,

- probation en tant que sanction autonome, sans prononcé d’une peine d’emprisonnement,

- surveillance intensive,

- travail d’intérêt général (travail non rémunéré au profit de la collectivité),

- ordonnances de traitement / traitement contractuel pour des catégories spécifiques de délinquants,

- médiation victime-délinquant / dédommagement des victimes,

- restrictions de la liberté de déplacement par le biais, par exemple, d’une assignation à résidence ou d’un contrôle électronique.

16. Les sanctions et les mesures communautaires ne devraient être appliquées qu’en conformité avec les garanties et les conditions stipulées dans les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.

17. Il convient d’adopter, dans la législation et la pratique, des combinaisons de sanctions et de mesures privatives et non privatives de liberté, telles que les peines privatives de liberté sans sursis, suivies d’un travail d’intérêt général, d’une surveillance (intensive) au sein de la communauté, d’une assignation à résidence sous surveillance électronique ou, dans les cas appropriés, de l’obligation de se soumettre à un traitement.

Le prononcé des peines et le rôle des procureurs et des juges

18. Dans l’application de la loi, les procureurs et les juges devraient s’efforcer de tenir compte des ressources disponibles, notamment sur le plan de la capacité carcérale. A cet égard une attention permanente devrait être accordée à l’évaluation systématique des incidences, sur l’évolution de la population carcérale, des structures existantes et des politiques envisagées en matière de prononcé des peines.

19. Les procureurs et les juges devraient être impliqués dans le processus de conception des politiques pénales par rapport au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’obtenir leur soutien et d’éviter les pratiques de prononcé des peines susceptibles de provoquer des effets pervers.

20. Des principes de base du prononcé des peines devraient être énoncés par le législateur ou d’autres autorités compétentes en vue, notamment, de réduire le recours à l’emprisonnement, d’étendre le recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, et d’utiliser des mesures de diversion telles que la médiation ou l’indemnisation de la victime.

21. Une attention particulière devrait être accordée au rôle que les circonstances aggravantes et atténuantes ainsi que les condamnations antérieures jouent dans la détermination du quantum approprié de la peine.

V. Mesures à mettre en œuvre au-delà du procès pénal

La mise en œuvre des sanctions et mesures appliquées dans la communauté – L’exécution des peines privatives de liberté

22. Pour faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des alternatives crédibles aux peines d’emprisonnement de courte durée, il convient d’assurer leur mise en œuvre efficiente, notamment :

- en mettant en place l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs sur leur efficacité ;

- en mettant au point et en appliquant des techniques fiables de prévision et d’évaluation des risques ainsi que des stratégies de supervision, afin d’identifier le risque de récidive du délinquant et de garantir la protection et la sécurité du public.

23. Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties). 

24. La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté.

25. Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable.

26. Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables.

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