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Recommandation R(98)7 sur aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire

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Date : 12-05-2018

Recommandation R(98)7 sur aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire - Motifs

Mise en ligne : 9 mai 2003

Dernière modification : 28 juin 2006

Texte de l'article :

English

CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

EXPOSE DES MOTIFS
Recommandation Rec(1998)7 sur aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire

(adoptée par le Comité des Ministres le 8 avril 1998, lors de la 627e réunion des Délégués des Ministres)

CONSIDERATIONS GENERALES (COMMENTAIRE DU PREAMBULE)

D’une manière générale, la déontologie médicale peut être définie comme « une éthique spéciale adaptée aux conditions d’exercice d’une profession, en l’occurrence la médecine. [...] La déontologie doit garantir le bon exercice d’une pratique professionnelle compte tenu de son insertion au sein d’une société elle-même globalement régulée par la morale, les lois, le droit » [1].

La déontologie médicale a été progressivement codifiée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, entre autres sous l’égide de l’Association médicale mondiale (AMM) [2]. Toutefois, il existe de grandes variations entre les pays européens, et, actuellement, les sanctions accompagnant une violation des règles de déontologie médicale sont très diverses. En outre, il convient de rappeler que, malgré les diversités observées parmi les codes de déontologie nationaux actuellement en vigueur, l’esprit de la déontologie médicale trouve déjà ses racines dans des textes très anciens, tel le « serment d’Hippocrate » qui est resté la référence déontologique essentielle jusqu’au XXe siècle.

Il est fondamental d’insister sur le fait que, malgré la spécificité de l’activité médicale en milieu pénitentiaire, les grands principes de déontologie et d’éthique médicale reconnus dans les textes de portée internationale doivent être également pris en considération dans l’exercice de la médecine en prison [3].

Sur le plan européen, les textes de référence suivants devraient être pris en considération comme sources fondamentales dans ce domaine : la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, la Charte sociale européenne de 1961, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants de 1987, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine de 1997, les Recommandations du Comité du Ministres no R (90) 3 sur la recherche médicale sur l’être humain, no R (93) 6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes de santé en prison, no R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes, ainsi que les Recommandations 1235 (1994) relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme, et 1257 (1995) relative aux conditions de détention dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, préparées par l’Assemblée parlementaire.

Compte tenu des conditions spécifiques à la prison impliquant la prise en considération de critères de sécurité, il faut constater que l’exercice de la médecine en milieu pénitentiaire représente une « activité à risques », puisque critères médicaux et critères de sécurité peuvent parfois entrer en opposition.

Dans ce contexte, l’affirmation d’une déontologie médicale solide et l’identification des enjeux éthiques essentiels pour assurer une prise en charge médicale appropriée des personnes séjournant en prison nécessitent l’élaboration et la promotion de principes et de recommandations susceptibles de garantir la réalisation d’une activité médicale adéquate dans le cadre particulier de la prison.

Déjà mentionnés dans le 3e Rapport général d’activités du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, les principes suivants se sont peu à peu dégagés pour définir les critères essentiels sur lesquels devraient reposer les soins aux personnes détenues, à savoir : l’accès au médecin, l’équivalence des soins, le consentement du patient et la confidentialité, l’indépendance professionnelle [4].

Le respect de ces principes apparaît aujourd’hui comme fondamental pour permettre une réalisation adéquate des soins médicaux en prison, raison pour laquelle ces principes font l’objet de la présente recommandation. En outre, certaines situations concrètes et spécifiques au milieu carcéral sont développées dans cette recommandation, de manière à identifier les enjeux éthiques qui doivent déterminer les choix et les priorités du personnel de santé exerçant son activité en prison.

COMMENTAIRE SUR LES RECOMMANDATIONS DE L’ANNEXE

I. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire

A. Accès au médecin

1. A l’entrée à la prison, chaque détenu devrait pouvoir être vu sans délai par un membre du service de santé de l’établissement pénitentiaire. L’entretien et l’examen médical d’admission, qui pourraient inclure également une évaluation de la santé mentale du détenu, devraient être effectués par un médecin (voir paragraphe 29 de la Recommandation no R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes) ; il faut toutefois tenir compte du personnel à disposition, et le premier contact du détenu entrant avec le service médical peut parfois se réaliser par l’intermédiaire d’un(e) infirmier(ère) diplômé(e) sous la responsabilité d’un médecin, auprès duquel il/elle peut transmettre toute demande de consultation ou de prise en charge nécessitant l’intervention d’un médecin diplômé. En cours de détention, tout détenu devrait pouvoir avoir accès, à tout moment, à un médecin ou à un(e) infirmier(ère) qualifié(e), sans délai exagéré.

2. Les établissements qui accueillent un nombre restreint de détenus pourraient, notamment si ceux-ci sont majoritairement jeunes et en bonne santé, avoir à leur disposition un personnel de santé à temps partiel composé de médecins et d’infirmiers qualifiés, ainsi que de tous autres professionnels de la santé. En revanche, les grands établissements pénitentiaires devraient disposer d’un personnel de santé à plein temps secondé, le cas échéant, surtout en dehors des heures de consultation, d’un personnel supplémentaire à temps partiel. Le personnel de santé travaillant en prison devrait pouvoir retourner périodiquement dans le système de santé de la collectivité.

3. Les services de santé pénitentiaires devraient disposer d’une structure susceptible d’assurer des consultations médicales ambulatoires et des soins d’urgence. A cet égard, chaque établissement pénitentiaire devrait disposer sur place en permanence d’une personne formée et capable de donner les premiers soins, et un médecin devrait pouvoir être appelé à tout moment en dehors des heures ouvrables de consultation. L’accès aux soins en cas d’urgence médicale ne devrait souffrir d’aucun délai résultant de critères non médicaux. Les détenus devraient aussi bénéficier de soins médicaux prodigués au sein de la communauté, dans le cadre d’une stratégie générale de traitement consistant à les intégrer davantage dans la communauté. A cette fin, il pourrait être nécessaire de charger des conseillers externes d’assister le médecin de l’établissement pénitentiaire, ou de transférer le détenu dans un lieu extérieur où il puisse disposer de soins médicaux adéquats.

4. L’accès à un médecin devrait être assuré à tout moment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui peut nécessiter, suivant la taille de l’établissement concerné, l’intervention d’un personnel à temps partiel. Il faut que les premiers secours puissent être dispensés à tout moment. En cas d’urgence, il y a lieu d’alerter la direction de l’établissement. La participation active et l’engagement du personnel pénitentiaire sont de toute première importance. Il conviendrait que les soins d’urgence soient inscrits à son programme de formation.

5. Eu égard au grand nombre de problèmes psychiatriques parmi les prisonniers, il est capital que non seulement les grands établissements pénitentiaires mais aussi les petites prisons isolées disposent d’une équipe psychiatrique multidisciplinaire composée de psychiatres, de psychologues, de psychothérapeutes, d’ergothérapeutes et de conseillers. Les psychiatres travaillant à plein temps dans les grands établissements pénitentiaires pourraient régulièrement visiter les petites prisons.

6. La présence d’un dentiste qualifié devrait être garantie pour assurer au minimum les urgences dentaires, ainsi que les soins qui peuvent être programmés en tenant compte de la longueur de la peine de prison et du régime de détention des détenus. D’une manière générale, il faut considérer que les prestations réalisées par un dentiste qualifié en prison devraient être susceptibles de répondre aux besoins de la population carcérale, notamment des détenus toxicomanes dont l’état de dentition est souvent très mauvais.

7. Il est fondamental que l’administration pénitentiaire coopère étroitement avec les centres locaux de consultation pour toxicomanes publics et privés, surtout au moment de la libération du détenu et lorsque les modalités d’une aide postpénitentiaire sont réglées. Il est très utile de disposer d’un agent de liaison chargé de prendre toute disposition nécessaire pour qu’une telle coopération ait lieu pour chaque cas de toxicomanie.

8. En cas de diagnostic de grossesse chez une détenue, il incombe aux autorités pénitentiaires, compte tenu de l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve la future mère, de veiller à ce qu’elle soit correctement suivie par le service médical de la prison ou un service externe. Quelle que soit la pratique suivie - libérer les femmes enceintes et les réincarcérer après leur accouchement pour qu’elle purgent l’intégralité de leur peine ou, au contraire, les maintenir en prison pour ne pas interrompre leur détention - il conviendrait que les soins avant, pendant et après l’accouchement soient toujours dispensés par un hôpital externe. Un accouchement ne devrait jamais avoir lieu en prison.

9. Le transfert des détenus dans un établissement hospitalier devrait répondre aux conditions requises par leur état de santé, tant au niveau des modalités de transport que par rapport à la rapidité du transfert. Lorsque des soins hospitaliers sont réalisés dans une unité sécurisée au sein d’un hôpital civil, il est important qu’une bonne collaboration existe entre cette unité hospitalière et les services de santé des établissements pénitentiaires qui adressent les détenus : cette garantie sera notamment remplie lorsque le personnel médical et infirmier travaillant dans l’unité hospitalière fera également partie de l’effectif du personnel de santé de la prison.

B. Equivalence des soins

10. Le service de santé pénitentiaire devrait pouvoir dispenser des soins médicaux généraux et dentaires ainsi que mettre en Ïuvre des programmes de prévention (en vue du dépistage précoce du cancer, par exemple) dans des conditions comparables à celles dont bénéficie la population en milieu libre. Le concours de spécialistes (médecins, phytothérapeutes, etc.) devrait être garanti selon le même principe d’équivalence des soins. Hormis les situations expressément prévues par la loi, la décision de recourir à un second avis médical appartient au médecin responsable de la santé des personnes détenues : lorsqu’un second avis est nécessaire, il appartient au service de santé de la prison de faire appel à un médecin externe compétent.

11. Pour garantir le principe d’équivalence des soins, les autorités compétentes devraient veiller à ce que le personnel médical, infirmier et technique, ainsi que les locaux, installations et matériel mis à disposition des services de santé dans les prisons soient adaptés et suffisants ; en outre, l’organisation du service de santé dans un établissement pénitentiaire devrait être fonctionnelle et s’inspirer de l’organisation des structures sanitaires à disposition de la population en milieu libre, tout en tenant compte des aspects spécifiques de la prison. Dans cette perspective, un dossier médical devrait être établi pour chaque patient et contenir l’ensemble des informations susceptibles de garantir une prise en charge médicale appropriée (renseignements anamnestiques, diagnostic(s), traitement(s), examens et consultations spécialisés, etc.). Une bonne organisation du service de santé en prison est une garantie essentielle pour que les soins réalisés en prison répondent au principe d’équivalence par rapport à la communauté en général.

12. Dans la plupart des pays européens, la prestation de soins de santé dans les établissements pénitentiaires relève du ministère de la Justice (ou, dans certains cas, du ministère de l’Intérieur) et les services médicaux sont organisés par l’administration pénitentiaire. Seuls quelques pays ont placé ces soins de santé sous la responsabilité du ministère de la Santé.

Aucun modèle unique de prestation de soins de santé et d’arrangements institutionnels connexes n’est suggéré dans la recommandation. Celle-ci souligne, toutefois, que le ministère de la Santé devrait avoir une responsabilité plus étendue dans des domaines tels que l’évaluation de l’hygiène, l’appréciation de l’adéquation des soins de santé et leur organisation dans les établissements pénitentiaires.

Pour garantir des soins optimaux aux détenus et mettre en Ïuvre le principe de l’équivalence des soins de santé entre les établissements pénitentiaires et la communauté, les différents ministères et services concernés devraient entreprendre d’élaborer une politique intégrée de santé pour le système pénitentiaire. Cette politique demanderait une coopération étroite et une définition claire des responsabilités.

C. Consentement du malade et secret médical

13. Ce chapitre aborde un aspect essentiel de l’éthique médicale puisque tant le consentement à l’acte médical que la confidentialité représentent des concepts et des valeurs assez unanimement reconnus de nos jours, tant sur les plans déontologique et éthique que sur le plan juridique. En effet, la liberté du consentement à l’acte médical et la confidentialité sont non seulement des droits fondamentaux de la personne humaine, mais constituent aussi le « ciment » de la confiance nécessaire à la relation entre un médecin et un malade, spécialement en milieu carcéral où le libre choix du médecin n’est le plus souvent pas possible pour les personnes détenues. Non seulement le médecin et le personnel soignant pénitentiaire devraient réaliser des consultations dans le respect de la confidentialité, mais ils devraient aussi veiller à ce que les dossiers médicaux des détenus malades soient conservés en un lieu pouvant garantir la protection de la confidentialité des documents médicaux. Par exemple, les dossiers médicaux peuvent être conservés dans un local où seul le personnel médical et infirmier a accès, ou ils peuvent être déposés dans une armoire fermée à clé, à la seule disposition du personnel de santé.

14. L’élaboration d’un consentement « libre et éclairé » à l’acte médical présuppose l’existence de la capacité de discernement, qui devrait toujours être soigneusement examinée en fonction de la situation considérée (in concreto), notamment chez les personnes présentant une pathologie psychiatrique ou souffrant d’une maladie susceptible d’altérer leurs possibilités de compréhension et de décision. Si nécessaire, le médecin exerçant en milieu pénitentiaire peut s’entourer de l’avis d’un médecin psychiatre lorsqu’il a un doute raisonnable concernant la capacité de discernement d’un malade.

Lorsque la capacité de discernement existe, le consentement du patient à l’acte médical doit être :

- libre : la liberté du consentement signifie principalement une prise de décision hors de toute contrainte ou pression extérieure ; le médecin devrait prendre soin de s’assurer que l’obtention du consentement de la part de son malade n’est pas subordonnée à un bénéfice quelconque, de nature personnelle ou médicale, et sans relation directe avec la situation considérée ;

- éclairé : le patient ne peut manifester sa volonté que dans la mesure où il dispose de tous les éléments de connaissance qui lui permettent de prendre sa décision ; dans cette perspective, le patient doit bénéficier d’une information détaillée concernant le diagnostic et le pronostic de la maladie ; le traitement de celle-ci, y compris les risques découlant du traitement proposé ; les éventuelles alternatives thérapeutiques, y compris les risques en relation avec une abstention de traitement.

15. Ce paragraphe aborde deux autres aspects importants du consentement du patient à l’acte médical. Tout d’abord, le consentement à l’acte médical devrait aussi être recherché chez un patient souffrant d’une affection psychiatrique dans la mesure où celle-ci s’accompagne d’une conservation de la capacité de discernement ; par ailleurs, l’obtention du consentement du patient, notamment en cas de pathologie psychiatrique, est essentielle pour constituer une « alliance thérapeutique » susceptible de permettre une meilleure adhésion du patient au traitement médical proposé. Ensuite, il faut aussi tenir compte de la situation où un détenu capable de discernement refuse un acte médical après avoir reçu une information complète et détaillée : il s’agit dans ce cas d’un « non-consentement » éclairé, que tout patient est en droit de manifester ; cependant, une telle attitude peut parfois résulter d’un conflit relatif à des motifs non médicaux : c’est notamment le cas dans une grève de la faim par opposition d’un détenu à une décision de l’autorité judiciaire ou administrative ; dans ce type de problématique, le médecin se trouve amené à contrôler l’état de santé d’une personne sans pouvoir intervenir dans le processus à l’origine de la détérioration de la santé. Il convient dès lors d’indiquer de manière très détaillée dans le dossier médical du patient que celui-ci est effectivement capable de discernement et qu’il manifeste son refus après avoir bénéficié d’une information détaillée.

16. Dans le prolongement des développements précédents, il découle que toute dérogation au principe du consentement libre et éclairé d’une personne capable de discernement doit être fondée sur la loi et concerner uniquement des circonstances exceptionnelles applicables également à la population en général : c’est notamment le cas pour certaines maladies infectieuses, telle la tuberculose dont la fréquence est élevée en milieu carcéral pour diverses raisons (précarité sanitaire des personnes détenues, promiscuité, etc.) ou certaines maladies sexuellement transmissibles (syphilis, etc.). En outre, il faut réserver le cas de l’urgence médicale, pour laquelle le médecin est tenu de prendre toute mesure appropriée pour restituer l’état de santé de la personne malade lorsque celle-ci est incapable de discernement (par exemple à la suite d’un traumatisme avec coma secondaire) ; dans cette situation, le consentement du patient est présumé.

17. Ce paragraphe précise les conditions dans lesquelles s’exerce le droit d’un prisonnier d’obtenir un second avis médical. Il est intéressant de relever que ce droit se heurte souvent à des critères de nature économique, puisqu’il appartient logiquement au détenu ou à ses proches d’assumer les frais découlant du recours à un médecin extérieur au service médical de la prison ; dans les faits, bien que ce droit puisse être reconnu à tous les prisonniers, sa mise en application se heurte à l’inégalité de la situation économique de chacun d’entre eux.

18. Lorsqu’un prisonnier est transféré dans une autre prison, son dossier médical, ou un rapport médical circonstancié, devrait être transmis au médecin qui assurera la prise en charge médicale ultérieure. Il est important que le prisonnier soit informé du transfert des dossiers ou rapports médicaux le concernant, et il devrait avoir la possibilité de s’y opposer. Lorsque le prisonnier est libéré, toutes les informations médicales utiles devraient être communiquées au médecin traitant avec le consentement du patient concerné, afin d’assurer un suivi médical approprié.

D. Indépendance professionnelle

19. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient s’efforcer de soigner les détenus de manière curative et préventive comme ils le feraient à l’extérieur et de tenir compte, avant tout, dans leurs décisions cliniques, de l’état de santé de leurs patients. Si les besoins sanitaires d’un détenu appellent un traitement spécial, disponible uniquement dans un hôpital extérieur, ce qui nécessite un transfert hors de la prison, l’administration pénitentiaire ne doit influencer d’aucune façon la décision du médecin. Cependant, elle est seule compétente pour prendre les mesures de sécurité nécessaires au transport jusqu’à l’hôpital externe.

20. Le personnel médical et infirmier devrait pouvoir réaliser une activité professionnelle en prison fondée exclusivement sur des critères de nature médicale, malgré le fait qu’il doive aussi tenir compte des impératifs de sécurité propres à tout établissement pénitentiaire. L’indépendance du personnel de santé travaillant en milieu pénitentiaire peut être garantie par exemple par un rattachement aux services de santé de la communauté en général ou par la supervision d’une autorité sanitaire indépendante et reconnue (association professionnelle, organisme universitaire, etc.).

21. Cette indépendance professionnelle devrait être associée à un contrôle régulier de la qualité des prestations du service médical de la prison par une autorité sanitaire qualifiée. En outre, un financement suffisant devrait être affecté au service de santé de la prison afin de lui permettre de réaliser sa mission conformément aux objectifs qui lui ont été attribués. Le recours à une autorité indépendante et reconnue afin d’assurer une gestion adéquate des ressources financières affectées au service médical de la prison est aussi un élément important pour garantir des soins médicaux de qualité à l’égard des personnes détenues.

22. Pour disposer d’un choix suffisant de médecins compétents aptes à travailler dans un environnement carcéral, il importe que la rémunération ne soit pas inférieure à celle pratiquée dans d’autres secteurs de la santé publique. On évitera de la sorte que la qualité des soins dispensés dans les prisons ne se détériore.

II. Spécificité du rôle du médecin et des autres personnels de santé dans le contexte du milieu pénitentiaire

A. Conditions générales

23. La mission première du médecin exerçant en milieu pénitentiaire est celle de médecin traitant de l’ensemble des personnes détenues, en exerçant ce mandat dans le respect des principes définis aux paragraphes précédents. Il faut toutefois tenir compte de deux facteurs limitants importants dans cette mission : d’une part, l’absence de libre choix des détenus vis-à-vis de leur médecin traitant (sous réserve du recours à un second avis médical) et l’obligation contractuelle du médecin exerçant en milieu pénitentiaire d’assurer la prise en charge médicale de tous les détenus, sans exception, puisque son mandat relève d’une mission d’intérêt public ; d’autre part, les contraintes résultant des impératifs de sécurité spécifiques à la prison et des besoins éventuels de la procédure judiciaire introduisent une dimension « triangulaire » dans la relation habituellement bilatérale entre un médecin et un malade, puisque l’un et l’autre ont l’obligation de tenir compte des exigences posées par ce troisième partenaire (administration pénitentiaire, autorité judiciaire) également investi d’une mission d’intérêt public (déroulement adéquat de la procédure judiciaire conformément aux dispositions légales prévues à cet effet, exécution d’une peine privative de liberté dans des conditions de sécurité suffisantes par rapport à la dangerosité de certains détenus ou aux risques d’évasion, etc.).

Néanmoins, compte tenu du contexte particulier de la prison où un grand nombre de personnes se trouvent regroupées dans un espace géographiquement restreint, le médecin et les autres personnels de santé sont également investis d’une mission de santé publique, c’est-à-dire de veiller non seulement à la santé individuelle de chaque détenu, mais aussi à la santé de la collectivité carcérale : cette mission revêt une dimension d’autant plus importante que la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe font face actuellement à une surpopulation carcérale considérable avec les risques inhérents à une telle situation (violences entre détenus, risque de propagation de maladies transmissibles, etc.). Dans cette perspective, le personnel de santé doit donc également être attentif à l’hygiène, à l’alimentation, à l’espace vital minimal à disposition des personnes détenues, etc. ; si l’un ou l’autre de ces critères n’est pas rempli, il appartient au médecin de le signaler aux autorités compétentes, afin qu’elles remédient à la situation déficiente.

24. La direction de l’établissement est responsable en dernière instance de la santé et du bien-être de tous les détenus placés sous sa garde. A cette fin, elle peut solliciter les conseils de divers spécialistes, comme le personnel médico-sanitaire des services d’hygiène, les médecins des collectivités, les diététiciens et les experts en salubrité. Cependant, le médecin exerçant en milieu pénitentiaire est tenu de conseiller personnellement la direction de l’établissement afin de coordonner la politique sanitaire suivie dans ces domaines distincts.

25. Bien que les missions et compétences respectives du personnel de santé et du personnel pénitentiaire soient différentes, voire parfois en opposition, il importe de maintenir une collaboration et un dialogue constants entre ces deux structures, de manière à ce que le personnel de santé puisse apporter des conseils et des recommandations à l’administration pénitentiaire concernant la gestion de situations délicates relevant, directement ou indirectement, de la santé individuelle et/ou collective des détenus. Le personnel de santé peut également participer à la formation du personnel pénitentiaire afin que celui-ci acquière des connaissances générales dans le domaine de la santé et puisse adopter des attitudes adéquates dans les situations impliquant la prise en considération de paramètres touchant à la santé (comportement approprié face aux personnes détenues présentant une maladie transmissible, gestion adéquate des situations de crise survenant chez les détenus souffrant d’affection psychiatrique, etc.).

B. Information, prévention et éducation à la santé

26. Il conviendrait, dans le cadre de l’information donnée à chaque détenu au moment de son admission, de fournir toutes précisions relatives aux soins médicaux et à l’accès au médecin en termes compréhensibles pour tous. Cette information doit être complète et claire ; elle sera explicitée avec soin aux détenus illettrés, le cas échéant, à l’aide d’un matériel audiovisuel.

27 Etant donné que, au moment de leur admission, un grand nombre de détenus sont dans un piètre état de santé et n’ont fait l’objet d’aucun suivi médical, leur incarcération est une excellente occasion de recevoir, de la part du personnel soignant, des conseils individuels sur leurs problèmes médicaux. Cet état de fait justifie à lui seul l’élaboration d’un programme d’éducation à la santé dans tous les établissements pénitentiaires.

28. Des consultations privées devraient être proposées aux nouveaux détenus sur les maladies infectieuses susceptibles d’avoir été contractées avant leur incarcération. Dans cette perspective, les détenus devraient pouvoir se soumettre à un dépistage volontaire de maladies comme l’hépatite, les maladies sexuellement transmissibles, la tuberculose ou la contamination par le VIH. Ces programmes de dépistage devraient être obligatoirement suivis d’une consultation médicale pour informer les malades des résultats des tests et du traitement à suivre.

29. Ces programmes d’éducation et de dépistage ont pour but non seulement de sensibiliser les détenus à l’importance d’améliorer leur santé et, ce faisant, le respect de soi, mais aussi de les encourager à avoir le souci d’un mode de vie sain après leur libération, dans l’intérêt même de leur famille.

C. Spécificité des pathologies médicales et de la prévention en milieu pénitentiaire

30. Les services de santé pénitentiaires peuvent contribuer à la prévention de la violence à l’encontre des détenus, cela en procédant à un enregistrement systématique des lésions traumatiques ou, le cas échéant, en communiquant des informations générales régulières aux autorités compétentes concernant le problème de la violence en prison. Une telle approche participe directement à la promotion des droits de l’homme et s’inscrit parfaitement dans la finalité de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’intérêt d’une telle démarche réside non seulement dans l’aspect réparateur offert aux victimes de violences, mais aussi, et surtout, dans la dimension préventive qu’elle peut déployer vis-à-vis du recours non justifié à la violence.

31. Lorsqu’une personne détenue allègue de violences, le médecin exerçant en milieu pénitentiaire devrait procéder à un examen médical détaillé, à la suite duquel il consigne de manière exhaustive l’ensemble des lésions traumatiques constatées, ainsi que tous les examens complémentaires qu’il a été amené à pratiquer (radiographies, examens spécialisés, etc.) ; il note également le traitement éventuel qu’il a été amené à prescrire. Après un tel examen médical, deux suites peuvent être envisagées, à savoir :

- la transmission d’un rapport médical circonstancié à l’autorité compétente, avec le consentement de la victime ;

- l’enregistrement systématique de chaque constat médical établi à la suite d’allégations de violences, afin de communiquer régulièrement des données statistiques anonymes et complètes à l’autorité compétente.

32. Le médecin peut être amené, dans l’intérêt d’un détenu particulier et/ou de la communauté pénitentiaire en général, à signaler à l’administration pénitentiaire un incident grave qui représente un danger réel, dans une perspective visant la prévention de la violence et la protection des personnes ; dans cette éventualité, le consentement de la victime apparaît moins essentiel que l’intérêt public poursuivi. S’il le juge utile, le service de santé devrait collecter des données statistiques périodiques relatives aux lésions traumatiques relevées, afin de les communiquer à la direction de l’établissement et aux ministères concernés, conformément à la législation nationale en matière de protection des données. Une telle procédure pourrait contribuer à prévenir des comportements agressifs et des poussées de violence dans l’avenir.

De telles informations pourraient également être utilisées comme éléments de preuves dans des procédures ayant trait à d’éventuelles violences policières à l’encontre de personnes en garde à vue, et déployer ainsi un effet dissuasif à cet égard.

33. La direction et le personnel pénitentiaires sont souvent les premiers concernés par la détection des détenus présentant des troubles du comportement, caractérisés parfois par des attitudes hétéro-agressives et violentes résultant de troubles psychiatriques (pathologies psychotiques, état dépressif). Le médecin exerçant en milieu pénitentiaire et les autres personnels de santé peuvent jouer un rôle important en dispensant de manière régulière une formation et des conseils au personnel de surveillance, afin de faciliter la gestion d’éventuelles « situations de crise » impliquant des détenus souffrant de maladies mentales ; dans cette perspective, il faut à nouveau souligner l’aspect primordial d’une collaboration régulière entre le personnel de surveillance et le personnel de santé de la prison, car une approche concertée peut permettre un dépistage précoce et une meilleure prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques.

D. La formation professionnelle du personnel de santé pénitentiaire

34/35. Dans toute prison, le personnel de santé peut se trouver confronté à des situations professionnelles délicates sous l’angle de la déontologie médicale et des droits du patient (refus de traitement chez un détenu capable de discernement, conflit entre respect de la confidentialité et protection des intérêts de la communauté carcérale, etc.). Dans cette perspective, tant le médecin que les autres personnels de santé travaillant en prison ont besoin d’une formation professionnelle adéquate, qui tienne compte des spécificités de l’activité médicale en milieu carcéral (acquisition de notions en santé publique pour assurer une approche appropriée des problèmes sanitaires d’une collectivité où domine la surpopulation ; connaissances générales en psychiatrie et dans le domaine de la toxicomanie, de l’alcoolisme ou de la dépendance aux médicaments, etc.).

Le personnel de santé travaillant en prison devrait donc, en fonction des possibilités offertes, bénéficier d’une formation professionnelle continue en cours d’emploi et avoir accès à des programmes de perfectionnement (écoles professionnelles, universités, etc.). Cette formation pourrait inclure également l’acquisition de connaissances relatives au fonctionnement des prisons, aux réglementations pénitentiaires applicables et aux normes internationales en matière de gestion des établissements pénitentiaires et de traitement des délinquants. Une telle formation professionnelle pourrait permettre au personnel de santé pénitentiaire d’obtenir la reconnaissance de leur spécialité professionnelle par leurs instances respectives, renforçant ainsi leur identité de soignant en milieu pénitentiaire, ainsi que la qualité et la spécificité des prestations réalisées en prison. Ce qui vient d’être précisé s’applique tout particulièrement au personnel infirmier pénitentiaire qui, pendant longtemps, était recruté parmi les gardiens qui recevaient une formation sanitaire succincte, essentiellement lors de leur travail en prison. Aujourd’hui, la tendance est de réduire progressivement cette catégorie de personnel paramédical au profit d’un personnel infirmier qualifié, au bénéfice d’une formation professionnelle complète en soins généraux ou en psychiatrie.

III. L’organisation des soins de santé dans les prisons, notamment du point de vue de la gestion de certains problèmes courants

A. Maladies transmissibles, et en particulier infection par le VIH et sida, tuberculose, hépatites

36. Il arrive, et ce fait est bien connu, que des détenus aient des rapports sexuels entre eux. De même, il est notoire qu’une part importante des personnes incarcérées sont atteintes, au moment de leur admission, de maladies sexuellement transmissibles. Dans ces conditions, des mesures prophylactiques adéquates devraient être prises. Elles pourraient inclure, dans certains cas, la mise à disposition de préservatifs aux détenus, conformément à la législation et la pratique nationales.

37. En ce qui concerne l’infection au VIH et le sida, les mêmes principes devraient être appliqués et il convient à cet égard de se référer notamment à la Recommandation no R (93) 6 du Comité des Ministres concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida et les problèmes connexes de santé en prison. Etant donné les craintes et les réactions souvent irrationnelles observées face à cette maladie infectieuse, il est essentiel que le caractère volontaire du test de dépistage pour le VIH et la confidentialité du résultat de cet examen soient respectés ; toute exception au caractère volontaire du dépistage ne peut être réalisée que conformément à la loi.

38. Un patient souffrant d’une maladie infectieuse ne devrait être isolé que sur la base de critères d’ordre médical (risques de contagion) qui devraient être appliqués en prison de manière identique à ce qui prévaut dans la collectivité en général. Ce principe de non-discrimination est reconnu et affirmé dans plusieurs textes internationaux (voir introduction de la présente recommandation), et s’inscrit directement dans le cadre d’une protection et d’une promotion des droits de l’homme. L’isolement d’une personne présentant une maladie contagieuse devrait en outre se faire conformément à la loi, dans des conditions qui tiennent compte des caractéristiques spécifiques du milieu carcéral.

39. L’isolement des personnes séropositives pour le VIH ne devrait reposer que sur des critères d’ordre médical ; en particulier, un détenu séropositif pour le VIH qui ne présente aucune manifestation et/ou complication liée à cette infection virale (individu en bonne santé appelé communément « porteur sain ») devrait pouvoir avoir accès à toutes les activités et places de travail offertes dans les établissements pénitentiaires.

40. Les détenus séropositifs pour le VIH ou atteints de sida devraient bénéficier d’un contrôle médical régulier et avoir accès aux thérapies préventives (prophylaxie pour l’infection pulmonaire à pneumocystis carinii et la toxoplasmose cérébrale, vaccinations éventuelles). Il pourrait être préférable de confier la prise en charge médicale de tels patients à des consultants en matière de maladies infectieuses, en raison des connaissances hautement spécialisées requises pour le traitement de telles affections. Les patients sidéens sérieusement malades devraient pouvoir être pris en charge de manière appropriée par le service de santé de la prison, et pouvoir être transférés si nécessaire dans l’unité hospitalière à disposition des personnes détenues ; les fluctuations importantes observées dans l’évolution naturelle de cette maladie devraient être prises en considération pour permettre un aménagement et un choix du lieu où le détenu malade peut séjourner. Une telle attitude est la meilleure garantie pour prévenir toute discrimination à l’égard des personnes infectées par le VIH ou atteintes de sida, lorsque les choix sont fondés exclusivement sur des critères médicaux et/ou tiennent compte du souhait des personnes détenues. En outre, lorsqu’un détenu est atteint de sida à un stade avancé, il appartient au médecin exerçant en milieu pénitentiaire d’établir, d’entente avec le malade concerné, un rapport médical circonstancié à l’attention de l’autorité compétente, afin qu’elle puisse se prononcer sur l’aptitude du détenu malade à séjourner en milieu carcéral. Toutefois, si des détenus sont gravement atteints de maladies liées au sida, et qu’ils risquent de contracter d’autres infections, il pourrait être judicieux de les isoler. Ils devraient alors être informés, dans toute la mesure du possible, des motifs médicaux de cette mesure et de ses avantages probables.

41. Dans tous les cas de tuberculose, il conviendrait de recourir aux services médicaux du pneumologue local afin d’obtenir l’avis à long terme qu’exige cette maladie, conformément à la pratique en vigueur dans la communauté selon les dispositions pertinentes de la loi.

42. Les programmes de promotion et d’éducation à la santé destinés aux détenus devraient mettre l’accent sur l’intérêt d’une prévention efficace contre la propagation des hépatites B et C, en soulignant les risques de transmission par les seringues et les rapports sexuels. En ce qui concerne la prévention de l’hépatite B, les détenus et le personnel devraient être sensibilisés à l’importance des vaccinations.

B. Toxicomanie, alcoolisme et dépendance aux médicaments
Gestion de la pharmacie et distribution des traitements médicamenteux

43. Il existe, dans les différents Etats membres du Conseil de l’Europe, diverses approches concernant la prise en charge médicale des toxicomanes : qu’il s’agisse de thérapies ambulatoires ou de traitements résidentiels dans des institutions spécialisées, la gestion des toxico-dépendances recouvre des approches différentes, dont le recours dans chaque Etat déterminé est de surcroît modulé par le caractère plus ou moins répressif ou permissif de la législation en vigueur concernant la consommation des drogues. Partant de ce constat objectif, le principe essentiel qui devrait dès lors être appliqué pour la prise en charge médicale des détenus toxicomanes séjournant en prison est celui de l’équivalence par rapport aux pratiques thérapeutiques en vigueur dans le pays concerné. Ainsi donc, les soins dispensés aux détenus alcooliques et dépendants aux médicaments nécessitent d’être renforcés.

44. Les prisons abritent un nombre de toxicomanes nettement plus élevé qu’au sein de la société civile : ce phénomène résulte non seulement de la répression de la consommation et du trafic de drogues, mais surtout des infractions secondaires - principalement contre le patrimoine - commises par les toxicomanes afin de se procurer les revenus nécessaires à l’acquisition des drogues servant à leur propre consommation. Face à ce constat, il est essentiel d’offrir aux toxicomanes séjournant en prison une assistance médico-sociale adéquate, de manière à permettre à ceux d’entre eux qui effectuent des longues peines d’emprisonnement de s’intégrer dans des programmes d’accompagnement et de réinsertion qui se poursuivent après le séjour en prison, de manière à faciliter l’intégration de ces personnes au sein de la société et d’éviter un retour à la marginalisation, avec un risque important de récidive de consommation illégale de drogues. Dans cette perspective, les programmes psychothérapeutiques et d’assistance médico-sociale développés dans les établissements pénitentiaires devraient être conduits en lien étroit avec l’approche mise en place au sein de la société civile à l’égard des toxico-dépendants (drogues, alcool, médicaments).

45. Le traitement des symptômes de sevrage de la toxicomanie, de l’alcoolisme et de la dépendance aux médicaments dans les établissements pénitentiaires devrait s’effectuer de la même manière que dans le milieu extérieur à la prison. Par exemple, en ce qui concerne la dépendance aux stupéfiants, il est possible de recourir à des approches thérapeutiques « classiques » fondées sur un sevrage médicamenteux rapide des toxicomanes entrant en prison ou, à l’opposé, d’assurer la poursuite de traitements d’entretien (cure de maintenance) à la méthadone. C’est ainsi que, lorsqu’un détenu est au bénéfice d’un traitement d’entretien à la méthadone avant son incarcération et qu’il ne séjournera en prison que pour une courte période, il importe d’assurer la poursuite d’une thérapie appropriée au sein de l’établissement pénitentiaire, de manière à garantir la continuation d’une prise en charge adéquate après la libération du détenu, ce qui peut contribuer à diminuer le risque d’une récidive de consommation illégale de drogues.

46. Pour éviter les rechutes dans la toxicomanie, il peut être utile d’aménager dans certaines parties de la prison des zones « franches de stupéfiants » où les détenus acceptent de résister à la tentation de renouer avec leur consommation et leurs achats de substances illicites.

Dans ce cas, ils signent un « contrat » par lequel ils s’engagent à s’abstenir de tout usage de stupéfiants et à fournir volontairement des échantillons d’urine selon un calendrier aléatoire aux fins de vérifier leur prise de drogues. Si le résultat est négatif, on peut supposer que l’intéressé est soucieux d’éviter une rechute. Ces mesures devraient l’encourager à améliorer son mode de vie après sa libération.

47. La pleine intégration des services de conseils spécialisés des prisons et des services appropriés externes contribue à une transition en douceur de la prison à la vie extérieure, et permet d’assurer le suivi médical par des services externes.

48. Autrefois, la gestion de la pharmacie et la distribution des médicaments étaient souvent assurées en prison par des agents sans qualification reconnue et les médicaments prescrits n’étaient remis aux détenus malades « en main propre » que de manière exceptionnelle : ces derniers devaient plutôt se rendre au service médical de la prison pour recevoir leur traitement individuel, les prescriptions orales étant d’ordinaire remises sous forme liquide (médicaments dilués). Les comportements et les habitudes ont toutefois évolué dans de nombreux pays et, de plus en plus, seuls sont remis, dose par dose, aux malades concernés, les médicaments pouvant être dangereux lorsqu’ils sont consommés à doses excessives. Avec des détenus psychologiquement stables, la pratique consistant à remettre les doses de médicaments nécessaires directement aux malades intéressés donne parfois de bons résultats et est de nature à responsabiliser les patients, puisque ceux-ci, lorsqu’ils sortiront de prison, devront se faire établir une ordonnance par leur médecin et se rendre dans une pharmacie pour retirer les médicaments prescrits. Cette approche vise une fois encore à satisfaire le principe d’équivalence par rapport à la pratique au sein de la communauté en général, et participe de surcroît à une « responsabilisation » du patient vis-à-vis de sa maladie.

49. Etant donné la très grande quantité de médicaments actuellement disponibles sur le marché, le médecin exerçant en milieu pénitentiaire peut dresser une liste des médicaments généralement prescrits par le service médical, cela en consultation avec un conseiller en pharmacie, de manière à privilégier les critères d’efficacité thérapeutique et d’économie de moyens, tout en répondant de façon adéquate aux besoins de la collectivité carcérale en matière de santé. Il appartient au médecin et au personnel soignant de la prison de se maintenir régulièrement informés des nouveaux développements dans le domaine de la pharmacologie et des thérapies.

C. Personnes inaptes à la détention continue : handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme

50. Les détenus souffrant d’un handicap physique sévère et ceux qui ont atteint un âge avancé ne sont généralement pas nombreux dans les prisons. Toutefois, pour être conforme au paragraphe 1 des Règles pénitentiaires européennes, qui mentionne que « la privation de liberté doit avoir lieu dans des conditions matérielles et morales qui assurent le respect de la dignité humaine », des dispositions appropriées devraient être prises qui soient compatibles avec la situation personnelle de tels détenus (aménagement de locaux de manière conforme à l’utilisation d’un fauteuil roulant, aide à l’accomplissement des activités journalières habituelles, etc.). Lorsqu’une personne détenue est atteinte d’une affection médicale dont le pronostic est fatal à court terme, elle devrait pouvoir bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée à son état de santé, notamment par un transfert dans l’unité hospitalière destinée
aux personnes détenues.

51. En vue de l’examen de la possibilité d’accorder une grâce pour motif médical ou une libération anticipée, le médecin peut être amené à établir, avec le consentement du détenu malade, un rapport médical décrivant l’état de santé de celui-ci et destiné à l’autorité compétente. Une telle approche trouve une application à l’égard des détenus sidéens en phase terminale, conformément aux recommandations et directives internationales édictées dans ce domaine, telles que la Recommandation no R (93) 6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes de santé en prison, ou les directives de l’Organisation mondiale de la santé sur l’infection par le VIH et le sida en prison.

D. Symptômes psychiatriques

Troubles mentaux et troubles graves de la personnalité

Risque de suicide

52. Les symptômes psychiatriques et les troubles mentaux sont fréquents chez les détenus et peuvent représenter une réaction à la situation de privation de liberté, puisque celle-ci entraîne une rupture des contacts familiaux et peut déclencher une crainte vis-à-vis des autres détenus, majorée par une anxiété réactionnelle. La gestion de ces problèmes requiert des qualifications supplémentaires de la part du médecin et du personnel soignant pénitentiaires, que ceux-ci peuvent acquérir par une formation appropriée et par leur expérience. L’administration pénitentiaire et le ministère responsable de la santé mentale devraient coopérer à l’organisation des services psychiatriques mis en place à l’intention des détenus. En outre, il est important que le service médical de la prison puisse bénéficier de l’appui de médecins psychiatres et de psychologues, à temps partiel ou à plein temps, en fonction de l’importance de la population carcérale en charge. Le recours à des thérapies de groupe, mises en place par des intervenants compétents, joue aussi un rôle important. Ce dispositif est indispensable aussi pour dépister les personnes présentant une maladie mentale grave parmi les nombreux détenus dont l’existence est en crise et qui souffrent d’un niveau de stress inacceptable.

53. Dans les établissements pénitentiaires, différents services sont chargés des soins et de l’assistance aux détenus. On ne peut considérer que ces services sont entièrement séparés les uns des autres. C’est tout particulièrement vrai pour le service de santé mentale et les divers services sociaux des établissements pénitentiaires, qui ont des objectifs très similaires : ils doivent notamment aider les détenus à s’adapter à l’environnement carcéral et à résoudre leurs problèmes personnels et sociaux, et leur indiquer comment faire face aux nombreuses situations de stress qu’ils peuvent rencontrer pendant leur détention ainsi que, très souvent, avant leur libération (les détenus étant par exemple anxieux lorsqu’ils pensent à rétablir de bonnes relations familiales, à prendre les dispositions nécessaires concernant leur emploi et leur logement, etc.)

Etant donné que, en dehors de leurs sphères de compétences et d’expériences spécifiques, les services susmentionnés ont en commun d’importants objectifs concernant le traitement des détenus, ils devraient coordonner leurs activités afin d’offrir des conseils et une assistance cohérents. Néanmoins, cette coopération devrait respecter l’indépendance professionnelle des experts concernés.

54. En ce qui concerne les détenus condamnés pour infractions sexuelles, les problèmes connexes qu’ils posent sont d’une telle complexité qu’un traitement est très souvent sans effet. Il est fréquemment indispensable de recourir à la réclusion à long terme pour protéger la communauté extérieure. Il conviendrait que cette réclusion soit accompagnée d’un traitement adapté pendant et après leur séjour en établissement pénitentiaire.

55. Conformément au principe d’équivalence, tout détenu souffrant d’une maladie mentale devrait pouvoir bénéficier de soins médicaux appropriés, ambulatoires et/ou hospitaliers. En ce qui concerne les soins hospitaliers, deux options peuvent être envisagées en fonction des orientations de politique de santé, à savoir : d’une part, il est souvent avancé sur le plan éthique que les détenus malades mentaux devraient être hospitalisés en dehors du système pénitentiaire, c’est-à-dire dans un établissement médical appartenant au système de santé de la communauté en général, afin de privilégier l’accès à des soins psychiatriques hospitaliers appropriés ; d’autre part, l’existence d’une unité hospitalière psychiatrique au sein d’un établissement pénitentiaire permet aussi d’administrer les soins dans des conditions optimales de sécurité et d’intensifier les activités des services médicaux et sociaux à l’intérieur du système pénitentiaire.

56. Lorsqu’un détenu malade mental présente un comportement violent, et que le personnel soignant n’est plus à même de maîtriser cette personne, il peut être nécessaire de faire appel au personnel de sécurité, dans la mesure où l’intervention reste proportionnelle à l’objectif à atteindre, c’est-à-dire l’interruption du comportement violent et l’instauration d’une thérapie appropriée. Dans cette perspective, il peut être indiqué de placer un détenu malade mental agité dans une cellule d’isolement, avec une surveillance médicale et infirmière régulière, jusqu’au contrôle du comportement inadéquat.

57. Le recours à la contention physique ne peut être envisagé que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque aucun autre moyen thérapeutique n’est susceptible d’obtenir le résultat souhaité (principe de proportionnalité) ; le maintien d’un détenu en contention physique devrait être réalisé avec une surveillance médicale continue et pendant une durée minimale correspondant au temps nécessaire pour qu’une thérapie médicamenteuse déploie l’effet de sédation attendu ; la contention physique ne devrait jamais être utilisée à titre de sanction. Il convient toutefois de considérer ce type de mesure comme exceptionnel, puisque la prise en charge d’un patient malade mental implique que « dans toutes circonstances, la dignité du patient doit être respectée » (article 10 de la Recommandation no R (83) 2 du Comité des ministres sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux et placées comme patients involontaires). A cet égard, il faut rappeler que toute dérogation au principe du libre consentement à l’acte médical d’un détenu souffrant de maladie mentale doit être conforme à la loi et s’appliquer de la même manière que dans les cas prévus pour l’ensemble de la communauté.

58. Le placement d’une personne détenue souffrant de maladie mentale dans une cellule d’isolement peut s’appliquer par analogie à l’égard d’un prisonnier présentant un risque de suicide. L’intervention médicale devrait toujours être proportionnée à la gravité objective de la situation considérée, et il convient de prendre soin de mettre en place, si indiqué, une prise en charge thérapeutique à moyen, voire à long terme.

59. Il est fondamental que le médecin exerçant en milieu pénitentiaire soit dûment informé de la date de libération de son patient afin de pouvoir arranger des rendez-vous avec l’ensemble des services de soutien externes immédiatement après la sortie de prison. Il devrait faire en sorte que les pièces nécessaires soient communiquées aux fournisseurs de ces services avec le plein accord de l’intéressé.

E. Refus de traitement

Grève de la faim

60. Selon le principe visant à respecter le libre consentement à l’acte médical, tout détenu capable de discernement peut refuser un acte médical à but diagnostique ou thérapeutique. Dans de tels cas, les mesures suivantes pourraient être envisagées :

- indiquer dans le dossier médical, après une évaluation appropriée, que le patient est capable de discernement ;

- informer le patient des conséquences de son refus sur son état de santé et examiner les éventuelles alternatives thérapeutiques existantes ; à cette étape, où une information détaillée et complète devrait être fournie au patient, il faut s’assurer que celui-ci est à même de comprendre l’ensemble des données qui lui sont transmises : si l’information se heurte à des obstacles d’ordre linguistique, le médecin devrait recourir aux services d’un interprète ;

- consigner dans le dossier médical le refus du patient en présence d’un témoin (médecin, infirmière, par exemple) ;

- faire signer une décharge par le patient ; si celui-ci refuse, il convient d’en prendre note en présence d’un témoin et de le mentionner dans le dossier médical du patient ;

- rappeler au patient qu’il peut revenir en tout temps sur sa décision.

61. Le terme « grève de la faim » désigne communément une interruption volontaire de la prise alimentaire correspondant à un comportement auto-agressif adopté par un individu en opposition à une autorité judiciaire, pénitentiaire ou de police. Dans cette perspective, l’examen médical d’un détenu gréviste de la faim ne peut être effectué qu’avec le consentement de celui-ci. Une évaluation médicale initiale est toutefois indispensable pour identifier une éventuelle pathologie psychiatrique à l’origine de ce comportement auto-agressif, car, dans cette éventualité, le médecin devrait prendre toutes dispositions thérapeutiques appropriées susceptibles d’améliorer la pathologie mentale.

62. Si le détenu a entamé une grève de la faim et que l’évaluation médicale n’apporte aucun élément compatible avec une affection psychiatrique, le médecin devrait, avec le consentement de l’intéressé, procéder à un contrôle médical et paramédical régulier (contrôle du poids et des paramètres vitaux, prise de sang) afin d’informer le détenu de la détérioration progressive de son état de santé liée à l’interruption de sa prise alimentaire.

63. Si nécessaire, le médecin devrait faire transférer le détenu concerné en milieu hospitalier, afin de renforcer la surveillance médicale. En outre, lorsque le médecin estime que l’état de santé du patient s’aggrave de manière significative, il lui appartient de tenir l’autorité compétente informée de manière régulière de l’évolution de l’état de santé du détenu gréviste de la faim.

F. Violence en prison

Procédures et sanctions disciplinaires

Isolement disciplinaire ; contention physique

Régime de sécurité renforcée

64. Les violences entre détenus posent un problème permanent aux responsables et au personnel des établissements pénitentiaires. De nombreux facteurs contribuant à déclencher ces violences ont été identifiés, par exemple le surpeuplement, l’hétérogénéité culturelle, religieuse ou ethnique de la population carcérale, la présence de détenus posant des problèmes particuliers ou de catégories de détenus susceptibles de provoquer des réactions hostiles chez les autres détenus, etc. (notamment les détenus ayant commis des agressions sexuelles ou des agressions sur des enfants).

Bien qu’il existe de nombreux moyens de réduire l’agressivité des détenus (programmes psychosociaux spécifiques, amélioration de la communication, etc.), certains prisonniers, risquant tout particulièrement d’être victimes de violences de la part d’autres détenus, peuvent nécessiter une protection spéciale à court terme, voire à long terme. Il faut donc prendre les dispositions qui s’imposent pour assurer leur sécurité, par exemple en les plaçant en cellule individuelle, en créant des sections spéciales d’isolement ou en chargeant le personnel pénitentiaire d’exercer une surveillance plus étroite.

65. Le médecin et le personnel soignant pénitentiaires n’ont pas pour mission de maîtriser les détenus violents ou très agressifs et de déterminer les sanctions disciplinaires à infliger, en particulier l’isolement cellulaire. La responsabilité du maintien de l’ordre et de la discipline dans l’établissement pénitentiaire appartient au personnel de sécurité, et le rôle du personnel de santé pénitentiaire n’est en aucun cas d’autoriser ou d’approuver le recours éventuel à la force vis-à-vis des personnes détenues en prison, puisque cette mission et cette compétence reviennent au personnel de sécurité pénitentiaire.

66. En principe, la décision d’infliger à un détenu une sanction disciplinaire, y compris l’isolement disciplinaire, ou une mesure spécifique de sécurité (par exemple le transfert du détenu dans une unité spéciale de la prison) relève de la direction de l’établissement pénitentiaire. Les médecins ne devraient pas intervenir dans une telle décision.

Cependant, le médecin exerçant en prison devrait dispenser aux détenus qui font l’objet de telles mesures disciplinaires ou d’un régime de sécurité spécial les soins ou l’assistance médicale nécessaires, si les détenus concernés ou des membres du personnel de surveillance en font la demande.

G. Programmes de soins spécifiques

Programmes sociothérapeutiques

Liens familiaux et contacts avec le monde extérieur

Mère détenue avec enfant

67. La prison est souvent loin de jouer le rôle d’institution « de correction », et l’opinion publique ne la tient pas toujours en haute estime. En outre, la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe sont confrontés à une importante surpopulation carcérale dans leurs établissements pénitentiaires ; cet excès de détenus a tendance à transformer les prisons en milieu hostile, où de nombreux individus sont en contact avec des délinquants graves et se familiarisent avec le comportement criminel, situations qui portent en elles-mêmes les germes de la récidive. Dans ce contexte, les programmes sociothérapeutiques sont d’un grand intérêt dans un système pénal moderne. Des programmes organisés selon une approche communautaire peuvent atténuer le sentiment d’humiliation, de mépris de soi et de haine du détenu, le responsabiliser et le préparer à une réintégration appropriée dans la société civile.

Toutes ces mesures concourent à promouvoir et à maintenir un état de santé physique et psychique satisfaisant chez les personnes détenues, raison pour laquelle le personnel de santé pénitentiaire devrait, dans la mesure de ses compétences, s’associer à ce type de prise en charge sociothérapeutique. Un autre avantage direct de ces programmes réside dans le fait qu’ils font appel à la participation active et à l’engagement des surveillants. Etant donné que les médecins des établissements pénitentiaires connaissent souvent intimement les personnes dont ils ont la charge, ils semblent bien placés pour les encourager à participer activement à des programmes sociothérapeutiques ou à d’autres programmes spéciaux d’éducation. Ils devraient à cette fin se tenir au courant du contenu et du fonctionnement de ces programmes, et coopérer, de manière constructive, avec les services et les professionnels concernés.

68. La pratique suivie en matière de rapports sexuels entre les détenus et leur partenaire, qui varie d’un pays à l’autre, pose des questions difficiles. Bien souvent, ces mesures peuvent être propices au maintien des liens familiaux des détenus mariés et mieux à même de satisfaire les besoins sexuels des détenus condamnés à une peine de longue durée. Lorsque de telles mesures sont mises en Ïuvre, il convient que les détenus puissent rencontrer leur partenaire sexuel sans surveillance visuelle.

69. Le couple mère-enfant peut être considéré comme un groupe « particulièrement vulnérable » en prison, au même titre que les détenus gravement malades, handicapés ou d’un âge avancé. En conséquence, le médecin et les autres personnels de santé exerçant en prison devraient veiller à assurer de façon optimale les soins au couple mère-enfant, en tenant compte tout particulièrement de l’intérêt de l’enfant et des conditions de vie qui sont offertes à la mère et à l’enfant au sein de l’établissement pénitentiaire. Les enfants qui vivent avec leur mère en prison devraient pouvoir quitter librement l’établissement pour rendre visite à leur famille.

70. L’ouverture de crèches, de garderies et de jardins d’enfants permet de renforcer considérablement le lien maternel ; l’existence de telles institutions se révèle souvent utile pour la mère lorsqu’elle reprend sa place dans la famille après sa libération.

71. Bien qu’il existe de grandes variations au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe quant à l’âge auquel l’enfant séjournant en prison avec sa mère est séparé de celle-ci, il est toutefois recommandé qu’une telle décision soit prise par l’administration ou l’autorité compétente à la lumière d’avis pédopsychiatriques et médicosociaux adéquats.

H. Fouilles corporelles

Expertises médicales

Recherche médicale

72. La fouille corporelle est un acte effectué pour des raisons de sécurité et non à des fins médicales, raison pour laquelle la fouille corporelle de prisonniers ne peut pas être considérée comme un acte médical. En conséquence, ni le médecin, ni les autres personnels de santé de la prison ne devraient être impliqués dans ce type de procédure. Cette approche est conforme à la Déclaration de l’Association médicale mondiale (AMM) sur la fouille corporelle de prisonniers (1993).

Dans cette perspective, le médecin exerçant en milieu pénitentiaire ne devrait procéder à un examen intime que lorsqu’il existe une raison médicale objective nécessitant son intervention (femme enceinte, pathologie rectale ou anale, par exemple). De surcroît, l’examen intime, qui revêt dans ces circonstances la qualité d’une expertise, devrait, autant que possible, être effectué par un médecin autre que le médecin traitant du détenu concerné. Par contre, si un détenu demande à ce que le médecin procède à un examen intime pour convaincre le personnel de sécurité que son corps ne recèle aucun objet caché, le médecin devrait décliner une telle demande lorsqu’il n’existe pas de raison médicale objective.

73. En principe, il faudrait faire clairement la distinction entre le rôle d’un médecin exerçant en milieu pénitentiaire et celui d’un expert médical appelé à évaluer l’état physique ou mental d’un délinquant dans le cadre d’une procédure pénale, ou lorsqu’il faut par exemple décider d’une libération anticipée.

Le médecin exerçant en milieu pénitentiaire travaille dans un contexte où il lui est particulièrement difficile d’établir une relation de confiance avec ses patients incarcérés (impossibilité de choisir son médecin, relation « triangulaire » entre le médecin et son patient compte tenu du fait que le détenu dépend d’une autorité judiciaire ou administrative, etc.). Par sa nature même, l’objet de son travail diffère de celui de l’expert médical, que le délinquant considère souvent comme un agent du système pénal.

En raison du caractère particulier du contexte carcéral, il convient que le médecin d’un établissement pénitentiaire n’entretienne aucun doute quant à son rôle, qui consiste à assurer des soins de santé, et que les décisions médicales soient prises exclusivement dans l’intérêt de la santé et du bien-être des détenus. Cela signifie, par exemple, que des échantillons ne peuvent être prélevés et analysés qu’à des fins de diagnostic.

Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, un détenu peut souhaiter que son médecin accepte une mission d’expert médical ou psychiatrique dans une procédure judiciaire. Le médecin ne devrait accepter cette mission qu’à la demande formelle du détenu et après avoir informé ce dernier des éventuelles conséquences de la mission, ou à la suite de la demande d’un tribunal.

74. On rappelle, dans le présent paragraphe, des principes fondamentaux de la recherche médicale, énoncés dans les Recommandations no R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes (règle 27), no R (90) 3 sur la recherche médicale sur l’être humain (principe 7) et no R (93) 6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes de santé en prison (paragraphe 16).

Pour que ces principes soient correctement appliqués, il faut que les conditions suivantes soient respectées : consentement informé et écrit du détenu, étant entendu que le détenu ne devra pas être incité à se prêter à la recherche médicale dans l’optique d’éventuels privilèges ; possibilité de revenir sur ce consentement à tout moment ; approbation des procédés expérimentaux par un comité d’éthique approprié indépendant, à la fois du médecin chargé d’appliquer les procédés et des autorités pénitentiaires, conformément à la législation nationale

Notes:

[1Les mots de la bioéthique, par G. Hottois et M.-H. Parizeau, collection Sciences, éthiques, sociétés ; Université de Boeck, Bruxelles, 1993, p. 117 et suivantes

[2Parmi les textes les plus importants de l’AMM figurent : le Serment de Genève (1948), la Déclaration d’Helsinki (1975) et la Déclaration de Lisbonne sur les droits du malade (1981)

[3L’AMM a également établi des textes qui touchent plus spécifiquement la sphère d’activités du personnel de santé en milieu carcéral, tels que la Déclaration sur les fouilles corporelles de prisonniers (1993), la Résolution sur la participation du médecin à la peine capitale (1981), la Déclaration de Malte sur les grévistes de la faim (1991) et la Déclaration de Tokyo (1975)

[43e Rapport général d’activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992