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Date : 20-03-2003

Rapport et avis sur les situations médicales sans absolue confidentialité dans l’univers carcéral

Conseil National du Sida - 12 janvier 1993

Mise en ligne : 7 avril 2003

Texte de l'article :

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Les recommandations du Conseil national du sida se divisent en trois grandes catégories : d’abord des actions visant à favoriser la confidentialité en poursuivant les efforts déjà entamés d’humanisation des lieux de détention ; ensuite des actions spécifiques de formation et d’information visant à rappeler aux différents acteurs de l’univers carcéral la nécessité et l’intérêt de préserver la confidentialité ; enfin une mesure d’intérêt général visant à simplifier et à améliorer la pratique médicale en milieu carcéral

A) Confidentialité et humanisation
L’humanisation des lieux de détention et le respect de la confidentialité sont liés. L’une et l’autre passent par l’amélioration des conditions de vie et de travail en milieu carcéral, pour les détenus comme pour les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire et tous les autres intervenants en milieu carcéral. Les situations de rupture de la confidentialité que le Conseil national du sida a identifiées sont bien souvent liées à la situation de pénurie chronique qui caractérise les services médicaux pénitentiaires et, à bien des égards, l’univers carcéral tout entier. Dénoncer le trop-plein chronique des prisons françaises - au 16 mai 1992, 54 307 détenus pour 44 782 places dans les prisons françaises (Le Monde, 16 mai 1992) - est devenu un lieu commun : mais il est clair que cette situation rend difficilement possible le respect de la confidentialité. Les moyens en personnel et en matériel attribués par l’État aux prisons françaises doivent donc être augmentés.

Le Conseil national du sida formule les propositions suivantes :

Cinq propositions concernant l’infection à VIH

1/ La forte corrélation entre séropositivité et toxicomanie dans l’univers carcéral rend nécessaire une réflexion approfondie sur ce sujet. Même s’il est impossible à l’administration pénitentiaire d’en reconnaître officiellement l’existence, il est probable que de la drogue circule dans les lieux de détention. Pour éviter des contaminations supplémentaires, le Conseil national du sida souhaite que l’administration pénitentiaire prenne acte de cette éventualité, et procède, comme cela se fait dans certains pays étrangers, à la distribution gratuite de produits de stérilisation (sous la forme d’eau de Javel diluée par exemple).

2/ De la même manière, le Conseil national du sida estime que la position officielle de l’administration pénitentiaire, qui tend à nier la possibilité de l’existence de pratiques sexuelles dans l’univers carcéral, peut faire courir le risque de contaminations supplémentaires. La situation actuelle est caractérisée par l’incertitude : le bilan effectué par l’administration pénitentiaire pour l’année 1991 indique que rares sont encore les établissements où les préservatifs sont laissés à la disposition des détenus à l’infirmerie, et que dans un quart des établissements les préservatifs ne sont pas disponibles du tout. Le Conseil souhaite que des préservatifs soient systématiquement mis à la disposition des détenus qui souhaiteraient pouvoir s’en procurer (pour les permissions et les libérations, mais aussi au sein des lieux de détention), et qu’en outre soit gratuitement remise aux détenus, au moment de leur incarcération, une trousse de toilette contenant des objets d’hygiène (brosse à dents, dentifrice, etc) ainsi que des préservatifs.

3/ Parce que la toxicomanie et la sexualité en prison ne peuvent être réduites à la distribution de préservatifs et d’eau de Javel diluée, le Conseil national du sida souhaite qu’une vaste réflexion sur le sujet soit mise en oeuvre par les différents acteurs de l’univers pénitentiaire.

4/ Le développement prévisible du nombre des détenus séropositifs et malades dans les années à venir oblige à poser dès maintenant le problème du renforcement des structures d’accueil en psychiatrie. Le sida va entraîner une demande grandissante, qu’il faut prévoir, et que la structure actuelle des Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ne suffit pas à satisfaire.

5/ Le Conseil national du sida attire solennellement l’attention des autorités de tutelle sur le sort des détenus d’origine étrangère faisant l’objet d’une interdiction de séjour : au moment de leur libération, soit ils sont expulsés du territoire et envoyés dans des pays où ils ne peuvent trouver des traitements adéquats, soit ils restent en France clandestinement, sans pouvoir bénéficier d’un suivi médical et psychologique satisfaisant (s’ils sont déjà traités par AZT, ils peuvent être assignés à résidence sur le territoire français). Dans les deux cas, ils sont frappés d’une " double peine " qui n’honore pas la France : la prison est le seul lieu où ils peuvent recevoir des soins. Le Conseil souhaite qu’une réflexion soit engagée sur les modalités d’une prise en charge par la collectivité des détenus séropositifs et malades libérés, sans distinction de statut social ou de nationalité.

Quatre propositions générales

6/ Puisque la prison se révèle, pour de nombreux détenus notamment dans les maisons d’arrêt, le lieu de la première rencontre de soins, et devant la réapparition de la tuberculose, il est particulièrement important de doter les services médicaux des moyens adéquats en personnels médicaux et infirmiers.

7/ Pour éviter les ruptures de confidentialité dues à l’absence de secrétariat médical dans les infirmeries des lieux de détention, il convient de dégager des crédits affectés à des postes de secrétariat médical. Dans l’hypothèse où ces postes ne pourraient être pourvus faute de candidats, il convient de développer les formations destinées aux agents des personnels de surveillance désireux de remplir ces fonctions, en insistant toutefois sur l’obligation du respect du secret médical pour éviter les conflits engendrés par une double loyauté (fonction pénitentiaire et fonction soignante).

8/ De la même façon, puisque l’on demande à la prison de remplir auprès de nombreux détenus une fonction de socialisation que la société est incapable d’accomplir, il importe de donner à l’institution pénitentiaire les moyens d’accomplir cette mission : cela suppose notamment de renforcer les effectifs des services socio-éducatifs.

9/ Assurer les soins et le suivi des détenus à la sortie apparaît essentiel. Comme le note le Conseil de l’Europe dans un rapport récent, "l’important est d’assurer à la population incarcérée, après le retour à la vie normale, la prévention et les soins qui ont été amorcés en prison". (Conseil de l’Europe, L’impact de l’épidémie du sida sur les services de santé et leur planification en Europe, Strasbourg, 1992, p. 30) Trop souvent, la sortie ne constitue qu’une parenthèse entre deux incarcérations. Sans méconnaître les difficultés d’un suivi à l’extérieur, et de la préparation de la sortie, le Conseil souhaite que des actions spécifiques soient engagées pour préparer les sorties. Plus largement, il conviendrait de poursuivre les réflexions entamées par les organismes compétents sur l’incarcération des toxicomanes, qui sans résoudre la question de leur toxicomanie grève lourdement le budget de l’Administration pénitentiaire.

B) Formation et information
Le Conseil national du sida recommande la poursuite, dans les cas où elles existent déjà, ou la mise en place généralisée d’actions de formation des différents acteurs de l’univers pénitentiaire.

Le Conseil national du sida formule les propositions suivantes :

10/ Magistrats et avocats
Le Conseil national du sida recommande que le garde des Sceaux, ministre de la justice, rappelle aux magistrats l’importance de la préservation de la confidentialité en matière de sérologie des prévenus et des condamnés. En particulier, le Conseil souhaite qu’il soit demandé aux magistrats instructeurs de ne plus porter l’indication de la sérologie sur les notices individuelles. Le Conseil recommande également que les bâtonniers de l’Ordre des avocats rappellent à leurs confrères la nécessité de préserver la confidentialité en matière de séropositivité, sauf souhait exprès de leurs clients.

11/ Personnels de surveillance
Dans le cas des personnels de surveillance, il est particulièrement nécessaire de veiller à la mise en place et au développement des actions de formation concernant le VIH, d’un point de vue médical mais aussi éthique. Des actions ont été entreprises en ce sens, à la fois dans le cadre de l’École nationale de laAdministration pénitentiaire installée à Fleury-Mérogis, et dans le cadre des sessions de formation permanente des personnels en place. Mais un sondage de mars 1991 (enquête du Centre régional d’Aquitaine d’éducation pour la santé) suggère que 71 % des personnels pénitentiaires sont en faveur d’une affectation des détenus des séropositifs dans un quartier spécialisé lors de la détention et 66 % dans un service spécialisé lors d’une hospitalisation (Le Quotidien du Médecin, 12 mars 1991). Cette attitude négative souligne la nécessité de poursuivre et d’accroître ces actions de formation et d’information : elles ont pour résultat tangible de transformer les représentations mentales de ces personnels, qui peuvent ainsi devenir d’indispensables relais d’information.

12/ Détenus
Le Conseil national du sida souhaite que les actions de formation et d’information en direction des détenus soient poursuivies et développées. Elles constituent le meilleur moyen de limiter les risques de discrimination et de stigmatisation des détenus séropositifs et malades de la part des autres détenus.

13/ Personnels de santé
Le Conseil national du sida recommande que le ministre de la santé et le Conseil national de l’Ordre des médecins rappellent aux médecins amenés à intervenir dans les prisons au titre des conventions passées entre les centres de détention et l’administration hospitalière, l’importance du maintien de la confidentialité. Le Conseil souhaite également que le garde des Sceaux, ministre de la justice, rappelle aux chefs d’établissement l’importance de la confidentialité en matière médicale.

C) Mesure d’intérêt général
Le Conseil national du sida estime urgent et nécessaire, pour faciliter l’action des personnels de santé et faire disparaître les ambiguïtés existant sur leurs missions et leurs tâches, que les pouvoirs publics achèvent de faire passer sous le contrôle administratif et financier exclusif du ministère de la santé la médecine en milieu carcéral, et les personnels de santé intervenant en milieu pénitentiaire.