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Propositions de Ban Public sur le traitement des infractions pénales et les conditions d’incarcération

Mise en ligne : 4 janvier 2007

Dernière modification : 8 mai 2012

Texte de l'article :

Ban Public rassemble des personnes aux parcours différents : des citoyens, sans lien particulier avec la prison mais préoccupés par cette question, des familles de personnes incarcérées, des personnes ayant connu la prison ou étant incarcérées, des juristes, des visiteurs de prison. Ce n’est pas une association catégorielle. La diversité des approches qui en résulte confère à l’association une richesse dans ses débats et, en quelque sorte, une légitimité dans ses prises de positions.

Depuis sa création en 1999, Ban Public n’a cessé de poursuivre ses objectifs :

créer une plate-forme d’information et de réflexion accessible et pédagogique ; le site Internet a pour objet l’échange et la production d’information pour les personnes détenues et pour leur famille et, plus globalement, la mise en relation de celles et ceux qui travaillent sur les prisons,

accroître la visibilité du problème de l’incarcération et sensibiliser le grand public à ces questions.

Au fil de ces années, Ban Public a formulé des propositions et reste dans cette dynamique de participation au débat public.

Une société respectueuse des droits de l’Homme est une société qui trouve le juste équilibre entre le rappel à la loi, le maintien de la sécurité publique, l’assurance pour chacun(e) de trouver sa place et la garantie des libertés individuelles.

 

Le traitement des infractions pénales (prononcé des peines et leur exécution)

 

La création de nouvelles qualifications pénales se substitue trop souvent au traitement effectif des problèmes ; la mise en place d’une logique de dépénalisation est indispensable.
La limitation du droit pénal est assurément un indicateur du degré de civilisation d’une société et du degré d’harmonie des individus entre eux. C’est donc logiquement ce vers quoi on doit tendre. Tendre vers "le zéro" en droit pénal est une utopie, mais se protéger de dérives inflationnistes est essentiel.
L’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
du 26 août 1789 précise que "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires".
Dépénaliser peut consister en 3 actions : abandonner la voie pénale, la modérer ou y substituer d’autres voies (renvoi vers une juridiction civile ou recours à la médiation par exemple). Dans ce dernier cas, il convient d’accompagner la mesure de la mise en place de moyens préventifs.

 

Le recours à la détention provisoire doit être exceptionnel. La fonction du juge des libertés et de la détention, créée par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, a montré ses limites et il est grand temps d’en tirer les conséquences qui s’imposent.
Le nombre de cas pour lesquels un maintien en détention est décidé lors du renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel est en diminution de 1984 à 2001 ; mais on observe une augmentation depuis 2002. Par ailleurs, pour les personnes condamnées en 1984, la durée moyenne de détention provisoire avant jugement était de 3,7 mois ; elle est de 5,5 mois en 2004. (Source : bulletin d’information du centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, CNRS, juin 2006). Dans ces conditions, il est nécessaire de reposer le problème des rôles de chacun au cours de la procédure de l’instruction.

Le droit à la vie pour chaque individu est inaliénable ; or, la peine perpétuelle postule la mort sociale d’un individu. Elle nie toute possibilité d’évolution de la personne, sans résoudre la question de la récidive. Cette peine, parfois présentée comme une protection pour la société face à un risque de récidive, revient à condamner la personne non pas pour les crimes commis, mais pour les crimes qu’elle pourrait commettre. Abolir la peine perpétuelle est ainsi une évidente nécessité.
L’abolition de la perpétuité ne doit cependant pas être l’occasion de prononcer de plus en plus de périodes de sûreté qui seraient, en outre, de plus en plus longues. Les périodes de sûreté nient, sur un temps donné a priori, toute possibilité d’évolution de la personne. Elles sont contraires au principe d’individualisation de la peine.
Elles doivent donc également être abolies.

 

Parallèlement à l’abolition de la peine perpétuelle et des périodes de sûreté, il convient de réviser l’échelle des peines, à la lumière des recommandations du conseil de l’Europe en la matière (une peine d’une durée supérieure ou égale à 5 ans est considérée comme une longue peine). Dans cet esprit, le recours à l’incarcération doit être considéré comme un moyen de dernier recours et les alternatives à l’incarcération doivent être développées, y compris pour les infractions les plus graves. Des personnes dont la maladie mentale les a conduites à commettre une infraction ont avant tout besoin de soins ; or, la prison n’est pas un lieu de soins. Les concepts de "prison asile" ou de "prison hôpital" sont des non-sens car ils associent des fonctions contradictoires.

 

En cas d’incarcération, il faut passer d’un système discrétionnaire à un système d’office concernant l’aménagement des peines, avec la libération conditionnelle (LC), avec levée d’écrou, comme dispositif principal, sans distinction entre les personnes en situation de récidive ou non. La libération conditionnelle est l’aménagement de peine qui donne les meilleurs résultats en matière de lutte contre la récidive. La recommandation du 24 septembre 2003, adoptée à l’unanimité du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, précise par ailleurs les critères d’octroi d’une LC ; en particulier : "l’absence de possibilité d’emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la LC. Des efforts devraient être déployés pour trouver d’autres formes d’activité. Le fait de ne pas disposer d’un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la LC. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d’hébergement". Grâce à l’application stricte de ces critères, la LC d’office est tout à fait praticable, à condition bien sûr de dégager les moyens nécessaires à l’accompagnement des personnes.

 

Durant la période d’incarcération, il est essentiel de développer l’octroi de permissions de sortir. Celles-ci sont un moyen de maintenir un niveau minimum de contact avec l’extérieur ; elles sont aussi une des conditions du maintien des liens familiaux, amicaux et sociaux, essentiels pour l’élaboration d’un projet de sortie. Les permissions de sortir doivent être rendues possibles dès le début de l’incarcération, quel que soit le statut pénal des personnes et quel que soit le type d’établissement.

 

Il faut limiter les nombreux empêchements à la réintégration dans la communauté qui résultent de l’emprisonnement. La privation des droits civiques, commerciaux, civiles et de famille s’oppose à l’objectif fondamental de réintégration ; ces droits sont pourtant constitutifs du tissu social. Dans sa fonction extrajudiciaire de divulgation, l’existence d’un casier judiciaire peut interdire toute chance de réintégration, notamment professionnelle ; or, l’intégration professionnelle est le biais le plus courant d’intégration dans la communauté.
 

Les conditions d’incarcération

 

Il est essentiel de repenser le temps passé en prison, afin que "la vie en prison [soit] alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison" (règle n° 5 des règles pénitentiaires européennes, version adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006).

 

Le principe de l’encellulement individuel ne doit souffrir aucune exception, sauf à la demande des personnes concernées. Ce principe est en effet inscrit dans la loi ; il est fondateur du droit à l’intimité et donc du respect de la personne humaine.

 

L’accès au travail est un droit comme l’indique le Pacte social et civil du 16 décembre 1966 des Nations Unies ratifié par la France en 1980 : "les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit." Ce droit ne doit pas s’arrêter aux murs des prisons.
Le droit du travail doit être respecté, au même titre qu’à l’extérieur ; il en va de la crédibilité de l’institution dans sa capacité à appliquer ses propres lois. Il en va également de la vision que les personnes incarcérées peuvent avoir du travail. Actuellement, il s’agit d’une vision globalement dégradée : offre insuffisante, travail sous-payé, répétitif, non qualifiant et dans des conditions d’hygiène et de sécurité non satisfaisantes.

 

Les droits civiques doivent être maintenus car ils sont un facteur d’intégration et d’apprentissage de la citoyenneté. Le droit de vote doit être effectif par une information systématique et accessible à tous. Dans la même logique, il convient de faciliter l’inscription sur les listes électorales, donc l’obtention de sa carte d’identité et les démarches pour voter par procuration.

Le droit à la formation et aux études doit être assuré car se former et étudier fondent un projet de réintégration future. Il doit être possible d’accéder à toutes les formations, quel qu’en soit le niveau et pour les personnes condamnées comme pour les personnes en détention provisoire. Cela peut être rendu possible, soit en adaptant les conditions d’octroi des libérations conditionnelles, des semi-libertés, des permissions de sortir et des placements extérieurs, soit en dispensant la formation au sein de l’établissement (sans pour autant que cela conduise à des changements d’affectation qui pourraient nuire au maintien des liens avec les proches). Dans cette logique, chaque établissement pourrait se voir rattacher à un lycée et à une université. Les formations par correspondance doivent être possibles dans tous les cas et avec possibilité de prise en charge des frais d’inscription. Les personnes incarcérées doivent être éligibles aux bourses de l’enseignement supérieur. L’accès à un ordinateur et à Internet doit être autorisé, sans condition relative aux caractéristiques techniques des matériels.

 

Dès lors que des droits sont reconnus aux personnes, celles-ci doivent pouvoir exercer des recours.

 

L’accès aux soins médicaux en prison doit être équivalent à l’accès aux soins en milieu libre. Des efforts considérables restent à faire pour développer les actions de prévention sur les risques liés au VIH et aux hépatites, sur la prise en charge de conduites addictives, sur l’accès aux soins dentaires ou relevant de certaines spécialités (gynécologie, obstétrique, dermatologie, orthophonie, ophtalmologie...). Le "capital santé" des personnes ne doit en aucun cas être dégradé au fil de l’incarcération et des changements d’affectation, qui souvent remettent en cause la continuité de certains soins.

 

L’accès à l’information, à l’expression, à la culture doit être assuré dans les conditions du droit commun, d’autant qu’il contribue à l’exercice de la citoyenneté. Un tel exercice passe également par la mise en place de processus de délégation et de consultations régulières sur tous les aspects de la vie carcérale.

Droit fondamental et facteur d’intégration sociale, le maintien des liens familiaux, amicaux et sociaux doit être assuré. En outre, la famille n’a pas à subir des conséquences supplémentaires à l’épreuve que constitue le fait d’avoir un proche incarcéré. En cas d’incarcération loin du lieu de résidence des personnes ayant un permis de visite, celles-ci doivent être financièrement aidées pour la prise en charge de leurs frais de déplacements (comme cela se pratique dans d’autres pays européens).

 

La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a rendu possible la suspension de peine,
"quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention".
Mais la modification introduite par la loi du 13 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales, restreint les possibilités d’obtention d’une suspension de peine pour raison médicale, puisque celle-ci n’est plus possible "s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction". Des critères de sécurité ne peuvent pas se substituer à des considérations humaines et à des urgences sanitaires. Il est temps d’abroger l’article 10 de la loi du 13 décembre 2005 et de revenir à l’esprit de la loi du 4 mars 2002. Il convient d’appliquer cette loi, non pas pour éviter que les personnes meurent en prison, mais bien pour leur permettre d’avoir une fin de vie dans des conditions humaines, dans le respect de leur parcours, de leurs relations aux autres, de leur culture, de leur spiritualité.
En outre, cette loi doit s’étendre aux personnes en détention provisoire. La remise en liberté doit être envisagée pour les personnes en détention provisoire dont il est établi qu’elles sont atteintes d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.

 

Le placement et le maintien à l’isolement, est un mode de gestion de la détention qui pose de nombreux problèmes, comme la restriction des contacts sociaux et sensoriels ou encore, la plupart du temps, l’impossibilité de participer aux activités de travail, de formation, sportives et culturelles. D’autres solutions, que l’isolement d’office, doivent être mises en oeuvre pour assurer l’ordre et la sécurité à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Si la personne demande à être isolée, pour sa propre protection, il est du devoir de l’administration d’assurer cette protection sans remettre en cause des droits fondamentaux. La fermeture des quartiers d’isolement s’impose donc.

 

Le placement au quartier disciplinaire, tel que pratiqué aujourd’hui en France, apparaît en profonde contradiction avec les principes de respect des droits fondamentaux. Tant du point de vue du contenu de la sanction elle-même que de la procédure qui l’entoure et des possibilités de recours. L’application stricte des principes reconnus comme étant les seuls susceptibles d’assurer le respect des droits de l’Homme et de permettre à la peine privative de liberté d’être un temps de préparation à une réintégration pleine et entière dans la communauté conduit à écarter le recours à un système disciplinaire arbitraire et extrêmement coercitif. La mise en place de mécanismes de médiation est de nature à prévenir le recours au droit disciplinaire. Le droit commun doit entrer en prison, avec toutes les garanties qu’il apporte. La fermeture des quartiers disciplinaires s’impose donc.

 

Les quartiers disciplinaires et les quartiers d’isolement doivent être fermés conjointement, au risque de voir utiliser l’un, en lieu et place de l’autre.
Dans la même logique, l’inscription au fichier des DPS ("détenus particulièrement signalés") doit faire l’objet d’une profonde réforme.

 

L’institution d’un organe de contrôle extérieur indépendant et permanent des établissements pénitentiaires est en cours. Pour répondre à la fois aux nécessités de la défense effective des libertés publiques et aux engagements internationaux de la France, le champ d’intervention de cet organe de contrôle doit être élargi à tous les lieux d’enfermement : locaux de garde à vue, dépôts judiciaires, centres de rétention administrative et zones d’attente, établissements fermés destinés à délivrer des soins psychiatriques (UMD et UHSA par exemple). Les réclamations individuelles des personnes privées de liberté doivent être recevables par cet organe. Il doit disposer de réels moyens, à la fois matériels et juridiques de façon à ce que son action soit efficiente. Il n’est pas concevable de confondre cette mission de contrôle avec celle de médiation, comme cela semble être la solution vers laquelle le gouvernement s’achemine.

 

Les règlements intérieurs des différents établissements pénitentiaires doivent être harmonisés. L’administration centrale doit fournir un règlement type, assurant que soient respectés, dans tous les établissements, tous les textes de lois et les recommandations internationales. A titre d’exemple, l’accès au téléphone est possible pour les personnes condamnées ; cela ne doit pas dépendre de l’établissement dans lequel elles sont incarcérées (maison d’arrêt ou établissement pour peine).

 

Réflexion à mener

Réfléchir à la notion de dangerosité paraît essentiel ; faire l’économie de cette réflexion et classer des personnes dans la catégorie des personnes "dangereuses", revient à les marginaliser de façon quasi définitive lorsqu’on connaît l’image habituellement véhiculée par ce concept et surtout ce à quoi cette image conduit. En particulier, enfermer les personnes à vie, y compris dans des établissements qui ne porteraient plus le nom de prison est une dérive qu’il faut éviter ; il s’agit, par exemple, des centres fermés de protection sociale (préconisés par M. Garraud dans son rapport "réponses à la dangerosité", octobre 2006).
Réfléchir à cette question doit se faire dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire, sans a priori, et à la lumière de ce qui est pratiqué dans d’autres pays.

 

La rédaction

Ban Public

(avril 2007)