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Projet de Jean-François Dudoué : la réinsertion par la culture

Mise en ligne : 15 février 2003

Dernière modification : 21 mars 2003

Texte de l'article :

Châlons-en-Champagne, le 14 février 2003

Objet : Projet de réinsertion

Si je me permets de vous écrire aujourd’hui, c’est afin de vous présenter quelques réflexions et un projet.

Des réflexions tout d’abord :

En effet, depuis mon incarcération, et comme tous ceux qui ont eu à y vivre, j’ai pu me rendre compte que ce système ne répondait pas au projet global qui lui a été assigné, à savoir : amendement, réinsertion et re-socialisation.

Une personne incarcérée se voit rapidement placée dans un monde parallèle, perdant ainsi tout contact avec les palpitations de la vie, mais également avec une grande part d’affection, de sentiments familiaux. Tous ceux qui l’ont vécu mais aussi et surtout tous ceux qui l’ont étudié citent unanimement la déshumanisation qu’inflige ce système avec toutes ses conséquences .

La prison est une grande machine qui broie. Vouloir s’en sortir, se battre pour "redevenir" un homme, un être humain est loin de représenter des gages constructifs ; bien au contraire, c’est pour ce système une volonté de vouloir nuire, un refus de subir la punition, non face à la société mais face à ce système très frileux dans la volonté de se remettre en question.

Mais la prison a peut-être quelque chose de bon : elle permet, sous la contrainte, de pouvoir entreprendre une introspection, de nous permettre de prendre le temps de regarder notre vie, mais aussi la vie de notre société.

A. Un projet, aussi :

Partant de ce constat, je me suis dit que l’on pouvait, dans ce créneau, aider, suggérer, apporter matière à réfléchir, rester par ce biais connecté à des réflexions, sociales (alcool au volant, drogue ...), de vie (économie, justice, religions ...) ou encore relatives aux problèmes de notre planète (pollution, etc. ...). Tout ceci permettrait de réaliser des reportages photos ou vidéos.

A.1. qui pourraient être diffusés et servir de support dans les maisons d’arrêt, des Centres pour peine, des Centrales. Cela pourrait prendre la forme, parfois, de petites conférences, de rencontres, un moyen de faire comprendre que nous faisons encore partie de la société.

Des reportages photos ou filmés, réalisés par un détenu, avec sa façon de voir, ses mots, ses réflexions ; la création de livres-photos ou de vidéos par des détenus. Le tout au croisement entre "Grand reporter", "Connaissance du monde", "Go", "Ça m’intéresse", etc. .... pour les sujets.

A.2. En fait, un "Cinéma des prisons".

Matériel requis, budget :

Depuis quelques années, bon nombre de prisons sont équipées d’ordinateurs. Le numérique peut donc être utilisé. Ainsi le coût d’investissement en matériel va se trouver amoindri. De plus, des Centres pour peine peuvent être sélectionnés afin de traiter photos ou vidéos ; d’autres Centres travaillant la reliure, etc. Certains sujets ont parfois été traités.

Cette démarche peut se révéler créatrice d’une activité dans un premier temps spécifique à la Pénitentiaire, mais pourquoi pas ne pas envisager la vente des livres, des vidéos ? ( Cet argent pouvant servir à l’achat ou au renouvellement du matériel, voire à apporter une aide à un projet de réinsertion). Peut-être un jour, cet argent pourrait-il venir en complément des 0,1% du budget 2000 de la Pénitentiaire consacré à la réinsertion ....

Le matériel de base serait constitué de :

 - appareil-photo et/ou vidéo
 - PC portable
 - logiciel de traitement
 - internet pour l’envoi d’images et de textes.
 - magnétoscope

B. Qui ? Comment ? Exemple :

Qui ? Il est évident qu’étant initiateur de ce projet, je me porte volontaire pour être le premier à effectuer ces reportages. Je suis de nature calme, tempérée, réfléchie. Depuis mon incarcération, je suis des cours de philosophie, d’espagnol ; j’ai suivi aussi des cours d’histoire et de géographie, le tout au niveau de la Terminale. J’ai eu à exercer des responsabilités, tant sociales que de management ou financières. Je pense être à même d’initier et de mettre en ½uvre ce projet.

B.1. Des professeurs, amis, famille pourront apporter leurs avis sur ma personne et la confiance qu’ils me portent.

Comment ? Exemple :

Muret, sa situation géographique en Haute-Garonne me place près du Chemin de Saint Jacques de Compostelle. Ce serait un bon sujet en guise d’essai. Qui était-il ? Pourquoi cette route est-elle empreinte de mysticisme ? Histoire. Que cherchent les hommes et les femmes qui le parcourent encore de nos jours ? Religion ...

Muret ne se trouve pas loin non plus des Pyrénées Atlantiques. Sujet : planète. La réalité un an après le naufrage du "Prestige".

Non loin encore de Muret, le Gard, les crues : pourquoi ? comment ?

Autant de sujets d’actualité qui sont perçus comme lointains par les détenus. Comment se sentiraient-ils concernés, en effet, par deux minutes consacrées au Journal Télévisé ? Mais un détenu, un gars comme eux, lui, a été voir : c’est différent... Ce pourrait être l’occasion de créer des groupes de réflexion ; on centraliserait les questions afin d’y apporter des réponses.

Il est également vrai que je ne pourrai assumer les frais : transport, logement, repas et divers mais aussi que tout travail mérite salaire.

Je ne me permettrais pas de vous dire : « Vous ne le regretterez pas » ! Bien loin des titres à sensation, je préfère me taire et le prouver par mes actes, mes démarches.

Souhaitant que vous portiez un intérêt à ma demande, je vous en remercie par avance et, me tenant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire,
je vous prie de recevoir Madame, Monsieur, l’expression de mes respectueuses salutations.

Jean-François Dudoué.
Maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne
1, boulevard Anatole France
51O22 CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE CEDEX