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Programmation audivisuelle avec Anne Toussaint

Mise en ligne : 3 novembre 2003

Dernière modification : 31 mai 2005

Texte de l'article :

En 1990, les ministères de la Justice, de la Culture, du Travail et de la Formation et la Caisse des Dépôts et Consignations lancent un appel d’offre pour la création, en détention, de 8 Centres de ressources audiovisuelles (CReAV), co-financés à parité sur un temps expérimental de trois années.
Ainsi est né à la Maison d’Arrêt de « Champ sur Champ », piloté dès 1992 par la réalisatrice.Depuis 1998, elle a rejoint un autre CReAV, à la
Maison d’Arrêt de la Santé à Paris, lancé en 1991 par le réalisateur Alain Moreau.
Lettre d’information : Peu de réalisateurs se sont engagés dans un travail artistique en prison.
Qu’est-ce qui vous amène vers ce lieu à Metz et aujourd’hui à Paris ?
Anne Toussaint : En 1988 je suis entrée en prison pour le montage d’un film Tatoo zappé.
J’ai constaté l’omniprésence de la télévision, seule culture de l’image et participant du dispositif carcéral. En 1991, mon projet était d’emmener les
détenus dans un processus de création en développant la diffusion « d’autres images », des échanges avec l’extérieur pour faire émerger des écritures singulières.
Ainsi est né « Murs d’images », rencontres entre un public (personnes détenues ou non) des artistes et des oeuvres peu diffusées et un partenariat
avec la Maison de la Culture de Metz. De ce travail sont nées des créations dont : Vous ne verrez rien primé au festival mondial de la minute de Sao Paulo et une série de clips contre le sida diffusés en gare de Metz et sur FR3.
L.I. : Qu’est-ce qui est essentiel dans le travail artistique en milieu carcéral ?
A.T. : Mon projet artistique est le suivant : comment depuis ce lieu réduire la distance entre la prison et la société, interroger le sens de la peine. Ce qui m’intéresse c’est de gommer la dimension fantasmatique, les
représentations négatives qu’elle engendre sur l’image du « prisonnier
 » momentanément exclu. La création audiovisuelle est un outil de résistance par rapport à l’isolement, à l’enfermement une façon de réfléchir à sa place et à son rapport au monde. Ici on a le temps de penser l’image et de l’expérimenter.
Je m’intéresse particulièrement au travail de mémoire et de rupture avec l’extérieur, à la notion d’absence. Ainsi est née la dernière création à la Maison d’Arrêt de la Santé :
« Sans elle(s) » et « son » vidéoparloir pour le Festival « Les Ecrans documentaires en Val-de-Marne », co-financés par les ministères de la Culture et de la Justice et les Films A4.
L.I. : L’Association « Les Yeux de l’Ouïe », opérateur culturel à La Santé intervient-elle dans d’autres lieux et territoires ?
A.T. : Notre association n’est pas un « opérateur culturel du carcéral » Son action est de diffuser une culture de l’image au plus large public et parallèlement de développer des ateliers de pratiques artistiques,
sans frontières entre les différents milieux : rural, urbain, scolaire...
Diffuser ces productions à l’extérieur (festivals, collectivités territoriales, télévision) leur donne un statut différent.
L.I. : Quelles difficultés particulières rencontre-t-on pour développer une action audiovisuelle en prison ?
A.T. : L’audiovisuel est perçu avant tout comme un média d’information pour la population pénale, la création est donc plus difficile « à faire passer ». La démarche de création induit à la fois qualité artistique et temps, en dehors de toute considération de rentabilité.
Le processus filmique se heurte à une inversion du pouvoir : il ne s’agit plus du regard du surveillant sur le détenu, mais de celui du détenu
sur la prison.Ce qui lui confère un autre statut. N’est-ce point le rôle de l’art ? défendu par votre ministère ? Il est donc important de travailler en confiance et en intelligence avec les personnels pénitentiaires. Les partenariats extérieurs évitent de développer une « culture carcérale ». Toutefois il est difficile d’impliquer les collectivités territoriales aux enjeux de la culture en prison.
Deux points récurrents auxquels l’administration culturelle devrait nous apporter des solutions : le droit à l’image des personnes détenues et la question des droits de diffusion et leur coût. ARTE apporte un soutien à l’atelier de programmation exemplaire. Enfin, les orientations politiques consignées dans les protocoles interministériels devraient favoriser les délais de prise de décision et le suivi des projets. On peut souhaiter
également davantage de parité entre les financements culture et justice.

Renseignements :
Les Yeux de l’Ouïe
142 rue du Fg St-Denis - 75010 Paris
tél. :O1 42 09 42 99
mel : atous@club-internet.fr

Source : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/lettre/78.pdf