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« Prison, les parias du Sidaction... »

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Date : 21-03-2006

Mise en ligne : 21 mars 2006

Dernière modification : 22 mars 2006

Texte de l'article :

« Prison, les parias du Sidaction... »

Chère Mme Line Renaud, cher Mr Obispo & Co,

Comment vous traduire ce qu’est la vie des 500 derniers sidéens que compte encore les prisons françaises ? (Source O.I.P « Dedans-Dehors n°51 »)
Comment vous raconter l’histoire de ces oubliés du Sidaction dont nul ne s’est préoccupé depuis plus de vingt ans ?
Comment décrire la souffrance de ceux qui sont mort en détention et que j’ai vu dépérir jour après jour ?
Comment vous dire se que j’ai ressenti lorsque par manque de soin j’ai failli mourir seul dans un quartier d’isolement ?
Comment vous faire entendre ma colère quant je vois que pas une seule association n’a réagi lorsque le gouvernement a durcit la loi sur la suspension de peine ?

Ne trouvant pas de mots assez fort je n’ai trouvé qu’un dessin à faire pour vous exprimer la terrible indifférence que nous subissons années après années, sidactions après sidactions, campagnes après campagnes.
Il illustre assez bien, je crois, le désarroi de notre condition de malades au sein du monde carcérale.

Aujourd’hui nul n’est sensé ignorer ce qui se passe dans nos prisons grâce, entre autre, au dernier rapport alarmant de Mr Alvaro Gil Robles. Vous ne pouvez donc plus ignorer les conditions dégradantes et indignes dans lesquelles on fait vivre les détenus. Imaginez alors le traitement réservé à ceux particulièrement fragilisés par une séropositivité ou un sida déclaré, c’est un véritable scandale qui a été trop longtemps passé sous silence.
 
Tous les ans, lors de chaque Sidaction, je vois parmi vous toute sorte de chanteurs, de présentateurs, de personnalités et d’hommes politiques arborer la rosette rouge pour la bonne cause, mais je ne vois là que charité de circonstance et promotion. Où est donc passé l’essence même de la lutte contre le sida quand je constate la ségrégation faite à l’égard des prisonniers par ceux-là même qui organisent et dirigent les associations et le Sidaction. 

Mobilisation, chansons, soutiens, concerts, beaux discours et paillettes nous sont proposés, mais à chaque fois il n’y a pas un mot, pas une pensée pour les « séro-prisonniers » que nous sommes. Il ne faut pas salir ou ternir une lutte contre le sida devenue bien « proprette », c’est une question de marketing. En effet le sujet prison n’est pas porteur et il ne faut surtout pas effrayer les donateurs. Alors silence sur les « taulards » séropositifs et leurs conditions de vie ou de mort imminente, peu importe leurs sorts, ce qui compte c’est de récolter des fonds !

Depuis le début des années 80 jusqu ‘à aujourd’hui des milliers de détenus sont mort du sida dans des conditions atroces dans les prisons françaises et tout le monde a fermé les yeux sur cette catégorie de malades qui semble embarrasser l’état et les institutions du « charity bisness ».

Cela fait des années que je me bas pour faire connaître les conditions de détention des malades du sida et c’est au nom de cette lutte que je m’adresse à vous, Mme Line Renaud, Mr Obispo et autres membres éminents du Sidaction, pour vous demander de vous élever contre le maintien des sidéens en prison.

Il est en effet inadmissible de laisser perdurer de telles situations et de garder le silence sur tous ces décès carcéraux indignes d’une démocratie.
Il est incompréhensible de ne pas utiliser votre pouvoir médiatique pour dénoncer et alerter l’opinion de l’horreur de ce que nous vivons.
Il est anormal que nous soyons exclus d’une part des dons que vous recevez et qui peuvent aider à soulager nos souffrances et nos privations.
Il est insupportable que vous n’ayez, au cours de ces vingt dernières années, évoqué que très rarement, voir pas du tout, la situation dramatique des malades du sida en prison. 
Il est impensable que vous puissiez continuer vos campagnes médiatiques en nous ignorant ou en faisant mine de ne rien savoir.
Je vous demande donc en tant que responsables du Sidaction et autres associations de prendre publiquement et officiellement position pour la libération des sidéens incarcérés.

De vous intéresser enfin au sort d’une population de malades complètement dénié depuis plus de 20 ans. 
Je vous demande de rompre le silence criminel de ce scandale trop longtemps étouffé et je vous invite à soutenir la cause que je défend, à savoir dénoncer l’incompatibilité de l’incarcération avec la maladie.
En effet, aujourd’hui en 2006, comment peut-on faire subir à un malade du sida des sanctions telles que les placements à l’isolement ou au mitard, mais aussi la surpopulation pénale, la vétusté, l’insalubrité de certain lieux de détention, le manque de soins, l’absence d’hygiène, les carences alimentaires, l’inexistence de soutien psychologique, les traitements inadaptés, le manque de repos, de confort, de chauffage, l’exposition quasiment permanente au stress, l’absence d’espoir pour les longues peines, le défaut de prévention des contaminations, la réelle double peine lié à la maladie etc....

On ne peut nier que toutes ces conditions intolérables sont autant de facteurs affaiblissant les malades, c’est ainsi que chez les plus faible d’entre nous la maladie peut se déclarer et entraîner la mort.
Au nom de quel principe, de quel droit, de quelle loi peut-on laisser ainsi dépérir des prisonniers sidéens en France ?

Rien ne peut justifier de tels traitements inhumains et dégradants, c’est pourtant ce que nous vivons quotidiennement et c’est dans ces conditions inacceptables que sont mort des milliers de détenus depuis des années sans que personne ne s’en inquiète, pas même vous qui étiez pourtant censés nous défendre et nous représenter. Au fond, nous les sidéens incarcérés, nous avons toujours étés considérés comme les parias du Sidaction, tout comme les lépreux que l’on exilait en d’autres temps...
Je suis l’un des derniers détenus survivant de ma génération, celle des malades des années 80, presque tous les autres sont mort dans la solitude et le désespoir des cachots de la République. Depuis des années je garde en mémoire leurs souffrances pour m’en servir un jour comme autant de réquisitoires contre ceux qui pensaient qu’il n’y aurait plus de témoin de cette tragédie et leur faire rendre compte.

Sachez qu’il me reste encore suffisamment d’énergie pour mener à bien ce combat qui aboutira, avec votre aide ou non, à l’abolition de la mort carcérale pour les détenus malades du sida, en espérant bien sûr que cela fasse jurisprudence pour tous les autres prisonniers malades.
 
Pour finir voilà un exemple concret de notre mise à l’écart, en effet le ministère de la santé avait dressé une liste d’effets secondaires liés à la seroposivité et la tri-therapie et en avait fait une campagne en 2004 dont le titre ironique était « on peut vivre en étant séropositif... » Voilà ce que disait l’affiche :

C’est vrai on peut vivre en étant séropositif...
On peut vivre avec les injections,
Les examens,
Les bilans à l’hôpital,
La fatigue chronique,
Le mal-être constant,
Avaler jusqu’à 30 gélules par jour à vie,
Un contrôle médical tous les trois mois,
Perdre sa libido,
Les effets secondaires,
Les douleurs au ventre,
Les nausées,
Une sexualité perturbée,
La dépression,
Les vertiges,
La perte d’appétit,
Les vomissements,
La lipodystrophie,
Les troubles digestifs,
La fièvre,
Les sueurs,
L’angoisse de la mort,
La peur !

En lisant cette terrible liste on peut aisément imaginer l’enfer de ce que peut vivre un malade du sida à l’extérieur, mais les concepteurs de cette campagne ont-ils pensés un seul instant à ce que pouvait vivre un séropositif en prison ?...

Mme Line Renaud, Mr Obispo & co, j’espère que vous répondrez favorablement à cet appel afin de réparer une injustice et d’améliorer le sort de ceux que vous avez trop longtemps oubliés et si vous n’y répondez pas, ne vous inquiétez pas, nous avons malheureusement l’habitude de mourir dans le silence des prisons ... 

Pire que la maladie est l’indifférence, pire que la mort est l’oubli...

Laurent JACQUA
M.C. POISSY
17 rue de l’Abbaye
78303 Poissy cedex

Mars 2006

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Le séro-prisonnier