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Prison : le cercle familial à l’ombre des murs

Mise en ligne : 14 mai 2008

Texte de l'article :

Prison : le cercle familial à l’ombre des murs
Gwénola Ricordeau
Docteur en sciences sociales, université de Paris IV-Sorbonne et enseignante contractuelle, université Charles-de-Gaulle, Lille III

La question pénitentiaire fait régulièrement l’objet d’une intense médiatisation. Comment ne pas être perplexe face à la systématique invisibilité d’une catégorie de la population, pourtant directement concernée par le monde carcéral : les proches de détenu(e)s ?

Les proches des détenu(e)s constituent un « angle mort » de la sociologie française - qu’elle porte sur la famille, la prison ou la délinquance. En effet, la criminologie s’est toujours davantage intéressée aux délinquants qu’aux victimes. Et les conditions de la vie carcérale la préoccupent davantage que celles de la libération - sauf lorsqu’elle se risque à prévoir la récidive. Mais les proches de détenu(e)s ont été largement oubliés par les politiques publiques et sont ignoré(e)s par le système judiciaire, sauf avant la sentence et au moment de la libération. Pourtant, c’est dans les relations familiales que naît la délinquance.

Les hommes sont généralement plus soutenus que les femmes et ces dernières soutiennent davantage leurs proches que les hommes. À délit/crime similaire et à durée de peine égale, l’incarcération stigmatise davantage les femmes, qu’elle ancre souvent dans une marginalisation déjà entamée auparavant et liée notamment à la consommation de stupéfiants et/ou à la prostitution. Selon leur genre, les proches réagissent différemment à l’incarcération. Ainsi, cela traduit une identification des femmes et leur assignation à des fonctions affectives, autorisant le soutien inconditionnel aux proches. La fonction paternelle, quant à elle, est identifiée au jugement. S’y réfère donc le registre émotionnel de l’orgueil et de la fierté.

L’individualité de la peine en question
Parmi les conséquences de l’incarcération d’un proche, outre des symptômes physiques et le « choc carcéral » ressenti par les détenu(e)s et leurs proches, sont souvent cités des sentiments comme la honte ou la culpabilité, entraînant des comportements de mortification et de pénitence, en particulier chez les femmes. De plus, l’ignorance par les proches des réalités de la vie carcérale suscite fantasmes et inquiétudes, assignant dès lors à la personne incarcérée une position de bouc émissaire ou de fétiche.

La formule selon laquelle, en prison, « on est nourri, logé, blanchi » - aux frais du contribuable - permet parfois d’éluder la question de la pauvreté en prison. Or, les proches sont souvent les premiers à supporter le coût d’une incarcération. Non seulement la vie en prison coûte cher, mais l’incarcération se traduit généralement par une diminution des ressources et l’apparition de nouvelles charges pour les proches, comme l’avocat et les visites, par exemple.

Les traumatismes causés par l’incarcération d’un proche et les configurations possibles de réorganisation de la famille sont variés : ils dépendent d’une interaction entre, d’une part, le délit/crime entraînant l’incarcération et, d’autre part, les ressources propres à l’individu, c’est-à-dire les origines sociales, le niveau d’études, etc., et à son entourage. Ces ressources sociales et culturelles permettent plus ou moins de s’accommoder de la nouvelle nature des liens et, à la sortie, de surmonter les handicaps sociaux liés à l’incarcération : le coût social de l’incarcération varie selon les individus.

Considérant la nature et l’étendue des effets de l’emprisonnement d’un proche, on s’étonne que la sociologie se désintéresse de cette violation du principe de personnalité de la peine. Surprise similaire lorsqu’on songe aux souffrances engendrées par l’absence, la stigmatisation, voire la culpabilité des enfants dont les parents sont détenus, largement éludées par les politiques familiales. L’analyse de la solidarité familiale à l’épreuve de la prison remet nécessairement en cause la notion d’individualité de la peine : lorsqu’une peine est prononcée, et en l’occurrence une peine d’enfermement, c’est bien plus qu’une personne qui est affectée.

Gwénola Ricordeau est l’auteur d’une thèse intitulée « Les relations familiales à l’épreuve de l’incarcération/ Solidarités et sentiments à l’ombre des murs », soutenue le 1er décembre 2005 à l’université Paris IV-Sorbonne, sous la direction de M. le Professeur François Chazel.

Source : Le Mensuel