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Billets d’humeur

Pour que Radio Libertaire reste la plus rebelle des radios...

Mise en ligne : 16 octobre 2003

Texte de l'article :

A mes camarades libertaires, aux animateurs/rices de Ras-les-murs,
Aux auditeurs/rices , aux correspondantEs de Ras-les-murs, dedans et dehors.

« Pour que Radio Libertaire reste la plus rebelle des radios… »

Cela fait presque deux ans que je participe, avec plaisir et bonheur (je l’espère) pour les auditeurs/rices, à l’émission de Ras-les-murs : personne ne contestera que je m’y suis investie pleinement. Aujourd’hui, je vous annonce avec tristesse ma décision d’arrêter. J’en ai averti les autres membres avant l’émission, leur demandant simplement de pouvoir lire cette lettre à l’antenne. Je les remercie donc de leur confiance, et je suis sûre qu’aucune plage musicale ne m’interrompra… Je plaisante, ce n’est pas dans les mœurs de la maison. Parce que si Radio Libertaire est « la radio sans dieu, ni maître, ni pub », elle se doit aussi d’être sans censure lorsqu’une une militante vient sincèrement parler pouvoir, organisation et action politique. Autre chose en préambule : si je me permets aujourd’hui d’évoquer ces questions à l’antenne, c’est que je n’ai jamais obtenu de réponses satisfaisantes lors des réunions de l’équipe de Ras-les-murs.
Les personnes qui constituent l’équipe de Ras-les-murs se disent anarchistes, ou du moins libertaires. Pourtant, le mot « mandatement » (et a fortiori, son contrôle et sa révocabilité), les expressions de « groupe affinitaire », « responsabilité collective », etc. n’ont jamais été mis en œuvre, permettant l’existence d’une structure de pouvoir dans l’émission.
« L’anarchie ne signifie pas le bordel », je suis d’accord, et je suis la première à vouloir organiser, partager le travail, etc. Encore faut-il que le partage des tâches ne soit pas un piège, cantonnant certains (et souvent certaines, dans nos milieux militants soi-disant antisexistes) dans des tâches plus ingrates, les empêchant d’acquérir d’autres compétences et de réaliser d’autres choses. On remarque tous que, dans les groupes, ce sont toujours les mêmes qui font le ménage, le secrétariat, etc. Certes, il s’agit là d’une tendance assez naturelle des groupes, le résultat étant la condamnation de certainEs à être les faire-valoir des autres, et ce sans usage du fouet ! mais en abusant de leur gentillesse et parfois de leur désir de se trouver une « place », un « rôle », quelque part…
Parmi ces moyens (puisqu’il semble nécessaire de le rappeler) de contrer cette tendance : l’attention collective à ce que les corvées ne reviennent pas toujours aux mêmes. Parce qu’il est facile, entraînéEs par l’habitude, d’éviter de se poser la question de pourquoi ce sont toujours les mêmes qui font les boulots ingrats, répétitifs, peu valorisants ... en bref, ce que jamais personne n’a envie de faire. Ce qui est pernicieux, c’est l’usage, de l’autre côté, des compétences de certainEs pour se satisfaire de cet état de fait : parce qu’on parle bien, parce qu’on a une belle plume, alors à nous les beaux rôles ! et puis, dans ces cas là, c’est trop facile de dire qu’on est pas manuel, qu’on a pas l’esprit technique, ou qu’un ordinateur, rien que de le regarder, ça donne des boutons… et c’est d’autant plus facile que l’humilité naturelle de ceux qui ne se sentent pas « de compétences » les tient éloignés de la sphère du pouvoir. Il faut briser cette logique.
Or, à Ras-les-murs, chaque membre de l’équipe a une place bien précise, immuable : pour l’un, la conduite de l’émission, la réalisation du billet d’humeur, la préparation des plages musicales et des entretiens avec les invitéEs, etc., pour les autres, réalisation, sans aucune coordination, d’une revue de presse hebdomadaire et participation, à l’arrache, à l’interview des invitéEs. Je vis cette situation comme étant sclérosante pour les uns comme pour les autres, et je ne peux m’y retrouver. Il me semble désormais évident que la passivité des membres de l’équipe a entériné l’existence d’une structure de pouvoir. Je me sens, autant que les autres, responsable de cet échec. J’ai honte d’entendre parler à Ras-les-murs qu’une personne est nommée, en l’absence de Jacques, « responsable de l’émission », alors que pour moi, la responsabilité ne peut être que collective. C’est cette structure de pouvoir qui fait que l’émission ne peut avoir lieu que lorsque certaines personnes sont présentes, expliquant la longueur des « vacances de Ras-les-murs ». Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est en raison de problèmes techniques. Non ! C’est la même logique qui conditionne la tenue des réunions à la présence de ces mêmes personnes.
La maîtrise de l’information (c’est à dire sa non-circulation), est aussi une forme de pouvoir. J’ai de trop nombreuses fois appris incidemment (ou en même temps que les auditeurs/rices) la rencontre de personnes de l’équipe avec unE futur invitéE, l’enregistrement d’un entretien : mon intention n’est pas d’être partout, mais il y ait un échange d’infos minimum, base d’un travail en équipe et de la confiance (comme d’être informé, avant qu’il ne soit trop tard, des activités notoires d’indic d’un correspondant de l’émission…). La concertation n’existant par exemple pas sur les personnes qui sont invitées à l’émission (ce qui serait sans doute difficile à mettre en place dans la pratique), on pourrait au moins discuter d’un mandatement de la personne chargée des invitations, sur une base claire et révocable.
Voyant comment nous reproduisons ce qui nous opprime, on se dit que le pouvoir a de beaux jours devant lui… Je me marre donc franchement quand j’entends les membres du Groupe Berneri critiquer l’attitude autoritaire de certaines personnalités de Radio Libertaire… Oui, définitivement : « le pouvoir est maudit ».
Revenons à ce que Ras-les-murs est censé être : un groupe affinitaire. Cela suppose une confiance réciproque et la possibilité de formuler des critiques qui ne soient pas perçues comme des attaques personnelles, mais bien comme des questionnements collectifs. C’est d’ailleurs parce que j’y crois encore un peu que j’ai décidé de formuler publiquement mes désaccords, que j’espère constructifs, et que chacun reconnaîtra pour ne pas être un règlement de comptes personnel. Il aurait été beaucoup plus simple pour moi d’inventer d’autres raisons à mon départ. Mais j’ai été déçue que les réunions de l’équipe n’aient jamais fait une évoluer le fonctionnement dans une voie vraiment anarchiste, alors même que la question a été posée à plusieurs reprises, et que j’ai essayé, pour ma part, de me remettre en question. Venons-en donc à ce qui m’a été reproché par les membres de Ras-les-murs.
Mon intérêt pour les prisonniers politiques. Bizarrement, quand c’est l’ABC ou l’APA (dont je fais partie) qui font coïncider anarchisme et défense des prisonniers politiques, ça passe, mais pas quand c’est moi toute seule. Le problème, de taille, semble-t-il, a été mon amitié avec un prisonnier breton, Alain Solé. Je m’en suis justifiée à plusieurs reprises : notre rencontre ne s’est pas faite sur des bases politiques, mais humaines, car le monde de la prison est un petit monde, bref... Par amitié pour Alain, j’ai aidé à plusieurs reprises l’émission de messages aux prisonniers bretons sur Radio Breizh. Je m’y suis toujours déclarée anarchiste et mes amitiés avec les indépendantistes libertaires (oui, il y en a) m’y ont d’ailleurs valu des inimitiés, mais passons. On m’a aussi reproché de trop parler à l’antenne des « basques », alors que je n’ai fait qu’évoquer les luttes des prisonnierEs et de leurs proches quand celles-ci avaient à voir avec la prison : le rapprochement, les conditions de détention et de parloir, etc. Comme c’est d’ailleurs le cas en ce moment, avec leur refus des promenades et des parloirs pendant 15 jours. Et c’est quand même à l’occasion de la traque d’un nationaliste qu’a été le plus joliment illustré, ces derniers temps, la valeur de l’hospitalité !
Quand on me dit que les seulEs prisonnierEs politiques qu’il faut défendre à Ras-les-murs, ce sont les prisonnierEs anarchistes, je m’étonne. Yves Peirat est sorti, et à part quelques kepons en taule pour des bastons qu’ont mal tournées et qui voudraient jamais que la FA les défendent, on va les trouver où les taulardEs qui se disent « anars » ? J’oubliais que c’est toujours facile de trouver des gars (ou des nanas) qui, en taule, pauméEs, ont besoin de se créer une famille, et qui sont prêts à se dire « anars » Mais de la même façon que je refuse d’être le « petit soldat » de quiconque, je trouve crapuleux d’utiliser des détenuEs comme des faire-valoir. Et puis, force est de constater que, depuis dix ans, seuls des prisonniers de droit commun se sont évadés en France, et pour moi, l’évasion reste la plus belle nique qu’on puisse faire à la taule. Alors, définitivement non, je ne voue pas de culte aux prisonnierEs politiques !
Désolée de rentrer dans certains détails, mais ceux qui suivent sont révélateurs... Lorsque Laurent Jacqua, incarcéré actuellement à Moulins, et son épouse n’ont pas souhaité que cette dernière viennent à Ras-les-murs présenter le bouquin de Laurent, La Guillotine carcérale, et ce en raison d’une vieille brouille entre lui et une membre de l’équipe, cette histoire aurait du en rester là, aux dires mêmes de la personne de l’équipe concernée. Il se trouve qu’au cours de mes travaux de sociologue, j’avais rencontré Laurent quelques mois auparavant. Lorsqu’il a été transféré en région parisienne suite à la mutinerie de Clairvaux en février et placé pour de longs mois en QI, je l’ai naturellement salué, à la fin de l’émission, sans d’ailleurs donner son nom de famille : je saluais alors le rebelle que j’estime, le poto et ce moment de grâce volé à l’AP au fond d’une des centrales les plus sécuritaires de France, et exprimais ma solidarité avec un gars en train de payer sa révolte en se mangeant du QI, et pour moi qui n’aies pas fait de prison, ben, excusez, mais comparé avec tout ça, son embrouille avec une personne de Ras-les-murs me semblait bien dérisoire... J’ai été critiqué pour ces saluts amicaux, et dans le même temps, on ne s’embarrassait pas de lire à l’antenne des textes de Laurent (en particulier suite à son tabassage à Bois d’Arcy). Il s’agit quand même de ne pas se tromper d’ennemi, et pour ma part, je l’ai identifié.
Ma relation avec l’Envolée et les « totos de Montreuil ». Les auditeurs de Ras-les-murs connaissent bien l’Envolée, saluée dès que l’occasion se présente par Ras-les-murs, qui ne se prive pas de rappeler qu’il n’y a « pas concurrence »… Or l’été dernier, j’ai fait scandale en participant à l’Envolée. Ras-les-murs était en « vacances », mais pas moi. Alors, comme l’Envolée était en sous-effectif, je suis allée à deux ou trois émissions, commettant ainsi en toute innocence un crime de lèse-ras-les-murs … Mais je ne me repends pas. Pire : j’étais aussi l’invitée de vendredi dernier pour parler de la brochure que j’ai réalisée, des relations familiales, du parloir, etc. Je préfère pour ma part participer à une émission abolitionniste que de servir la soupe à des raclures de la justice ou à des lécheurs de l’AP (en clair : beaucoup de sociologues-collabos).
J’ai toujours critiqué l’illusion de l’apolitisme, et donc émis, à plusieurs reprises et à l’antenne, des réserves à l’égard de l’enthousiasme manifesté par des membres de Ras-les-murs pour le Collectif des femmes de prisonniers de Bordeaux. Ses membres ne sont pas abolitionnistes, et qui plus est, sont notoirement racistes. Mais elles ont l’avantage d’être subordonnées à l’OIP. Je n’ai aucune sympathie pour cette organisation, dont le fondateur, Patrick Marest a certes été également à l’origine de Ras-les-murs. L’OIP, à défaut de bander pour les taulardEs, fait son beurre dessus. Ras-les-murs étend maintenant sa protection à Vasseur, qui après avoir tapiné pour l’Administration Pénitentiaire, le fait maintenant pour l’OIP (avec tout mon respect pour les prostituéEs dont le cœur est bien plus gros que celui de cette dame). Toujours à cause du respect dû à l’OIP, Ban Public, un site d’information sur la prison, dont le fondateur n’a jamais caché son animosité envers les responsables de l’OIP a été tenu pour suspect. S’il s’agit de faire front commun contre les prisons, comment peut on faire alliance avec ceux qui vivent de la taule ?
J’ai toujours été claire sur ce que j’ai été faire « en prison » : visiteuse, puis « famille », et je continue à aller voir au parloir des amis incarcérés. Sociologue, au cours de mes recherches, je me suis rendue en détention. En tant qu’anarchiste, je refuse formellement les compromissions avec l’Etat et a fortiori l’Administration Pénitentiaire. Servir la soupe pendant l’émission à des ennemis objectifs ne m’intéresse pas.
Prochainement, Tournier, Président de l’Association Française de Criminologie sera l’invité de Ras-les-murs. En tant que sociologue, il m’est arrivé de le rencontrer… mais aussi en tant que militante, lorsque, pendant une commémoration de l’abolition de la peine de mort en France, je faisais partie de la poignée d’enragéEs venuEs rappeler, notamment à l’AFC, que nos potos continuent à crever en taule… Bref. Les positions défendues par Tournier sont certes réformistes dans le paysage criminologique français. Mais je ne pense pas qu’il soit dans les objectifs de Radio Libertaire de faire de la « radio de révérence », et je ne m’y fourvoierais personnellement pas, ne me compromettant déjà pas à la « sociologie de révérence »…
Si je n’ai pas été coupée (non, je déconne !) ou si vous m’avez lu jusque là (pour ceux des auditeurs trop éloignés de Paname pour capter l’émission à qui j’ai envoyé ce texte), vous avez compris que si j’ai accepté de participer à Ras-les-murs, c’est parce que je pense nécessaire de construire une réflexion politique sur l’enfermement, mais aussi sur nos pratiques collectives. Ceux qui ont participé au Collectif pour en finir avec les prisons savent que j’y avais défendu ce point de vue avant d’en partir. Bon, c’est une autre histoire.
Je ne dénigre pas mon plaisir à « parler dans le poste », car je pense que la radio est un outil formidable, et qu’on se doit de faire de notre mieux pour ceux/celles qui sont dedans. Alors moi, j’en ai ras-le-bol de participer à une émission qui ne commence jamais à l’heure et/ou dans le bordel, j’en ai marre que par le fait de l’inattention des uns, certaines infos soient répétées d’une semaine à l’autre, j’en ai marre qu’on égrène toutes les semaines les morts, les suicidés dans les taules… il y en a trois en moyenne par semaine, ça fait quoi de les énumérer ? Personnellement, j’arrive pas à encaisser ces morts, ça me donne envie de hurler à chaque fois. On fait du misérabilisme ou de la politique ? parce que s’il s’agit de faire chialer, autant le dire. L’absence de mise en perspective politique de certainEs animateurs/rices me consterne. Je ne fais pas partie de la FA, et pourtant « j’inscris mon combat dans celui plus global pour une société sans classe ni Etat » (c’est le générique de l’émission et je suis entièrement d’accord avec). Dire des conneries, ça arrive à tout le monde. Débattre, c’est normal. Mais présenter des infos brutes, moi, ça m’intéresse pas : on fait une émission sur Radio Libertaire, pas une revue de presse sur Rance Info !
Le seul truc qui me fout les glandes pendant que je me fais chier à écrire cette lettre, c’est de savoir qu’il y a des frangins et des frangines qui sont en train de tourner dans les cours de promenade, qui crèvent dans les mitards et les QI… Ouais, j’ai vraiment les glandes d’en arriver là, mais, c’est aussi parce que j’y « ai cru ».
Alors voici résumées les raisons de mon départ :
- Sur la forme : le fonctionnement non libertaire, les niveaux trop différents d’investissement des personnes dans la préparation de l’émission et le manque de politisation des propos.
- Sur le fond :
- ma détermination à établir des liens avec les autres groupes abolitionnistes, plutôt qu’avec les associations droits de l’hommistes (comme l’OIP), les éléments du système judiciaire (les magistrats, par exemple) ou les ex-« détenus cinq étoiles » (du Groupe Mialet).
- ma volonté de cohérence entre mes activités politiques, personnelles (qui m’amènent à aller voir au parloir un certain nombre de détenus) et professionnelles (où je refuse de me compromettre avec l’AP et des sociologues acquis au pouvoir).
- ma solidarité avec les luttes des prisonnierEs, qu’ils soient politiques ou non, lorsqu’il s’agit de revendiquer une amélioration des conditions de détention ou de dénoncer des injustices. Je refuse de contester aux militantEs nationalistes toute qualité, parce que sinon, il faudra aussi passer au moulinet les mandats de dépôt de chaque correspondantE de Ras-les-murs.
Je vais continuer à consacrer mon temps et mon énergie à la lutte contre la taule et pour les taulardEs, car je suis incapable de faire autrement. Des propos malveillants à mon sujet m’ayant été rapportés, je rajoute ceci : ce n’est ni parce que je suis une keuf, ni parce que mon compagnon est décédé en prison que je milite, mais parce que j’ai des convictions. Comprend qui peut ou qui veut, comme on dit ici. J’espère sincèrement tous vous retrouver à l’avenir dans des luttes communes.
Gwénola
P.S. : des saluts à ceux/celles de mes amiEs auditeurs et auditrices que je n’ai jamais saluéEs car ils/elles sont dehors. Mes saluts chaleureux aux femmes de parloir, aux prisonniers et prisonnières, à ceux/celles qui luttent et ceux/celles qui n’en ont plus la force. Si ce n’était pas d’abord pour eux/elles que j’ai participé à Ras-les-murs, je n’aurais pas pris la peine d’écrire ce texte.