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Pour l’abolition des quartiers disciplinaires

Mise en ligne : 24 décembre 2006

Dernière modification : 8 mai 2012

Le placement au quartier disciplinaire, tel que pratiqué aujourd’hui en France,apparaît en profonde contradiction avec les principes de respect des droits fondamentaux. Tant du point de vue du contenu de la sanction elle-même que de la procédure qui l’entoure et des possibilités de recours.

Texte de l'article :

La prison est un lieu d’enfermement et de privation de libertés. Cette sanction, souvent perçue comme la sanction de référence, devraient le plus souvent être une sanction de dernier recours. En effet, alors même que l’une des missions de l’administration pénitentiaire est de "réinsérer", la peine privative de liberté commence par exclure la personne de la société. Non seulement la personne est exclue de la société mais la prison est aussi un lieu où le droit est le plus souvent absent : droit du travail, droit de se rassembler et d’élire des représentants par exemple.
La vie en prison est régulée par un système de sanctions disciplinaires, auxquelles ont recours les directeurs d’établissements, dès lors qu’un comportement remet en cause le bon ordre ou la sécurité. La procédure disciplinaire n’a que certains attributs du droit ; des aspects restent en effet insatisfaisants, comme l’impossibilité pour la personne mise en cause de faire citer des témoins ou le manque de précision dans la qualification des faits imputés aux personnes mises en cause. Quoi qu’il en soit et quelles que puissent être les évolutions en matière de garanties lors de la procédure, le placement au quartier disciplinaire constitue une atteinte aux droits fondamentaux de la personne ; aucun acte ne peut justifier une telle sanction.

 

Ban public dénonce une telle pratique et demande l’abolition des quartiers disciplinaires.

Le placement au quartier disciplinaire et le placement à l’isolement doivent être abolis conjointement, au risque de voir utiliser l’un, en lieu et place de l’autre. Ce document est donc le 2e des 2 documents proposés sur cette question.

 

 

1 Les textes et organes garantissant le respect des droits de l’Homme

 1 1 Au niveau international
 
 1 2 Au niveau national

2 La législation en France

 2 1 La définition des fautes
 
2 2 Le déroulement de la procédure conduisant au prononcé de la sanction

 2 3 Les possibilités de recours

3 La réalité du placement en cellule disciplinaire : quelle logique dans la sanction ?

4 Vers l’abolition des quartiers disciplinaires

 

1 Les textes et organes garantissant le respect des droits de l’Homme

 

1 1 Au niveau international

 

 Les principaux textes internationaux qui énoncent les principes fondamentaux, en matière de respect des droits de l’Homme, sont la Déclaration universelle des droits de l’Homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948, et la Convention européenne des droits de l’Homme. On retrouve dans la déclaration de 1948 les principes fondamentaux de la déclaration de 1789. L’article 5 de la déclaration de 1948 pose un principe inviolable : " Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants". L’article 8, quant à lui, pose l’obligation d’un recours : "Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi".
 La Convention européenne des droits de l’Homme a été ouverte à la signature le 4 novembre 1950, date à laquelle la France l’a signée ; elle l’a ratifiée le 3 mai 1974, alors qu’elle était entrée en vigueur le 3 septembre 1953. A ce jour, il est à noter que, ni le protocole n°12 (entré en vigueur le 1er avril 2005, interdisant de manière générale toute forme de discrimination), ni le protocole n°13 (entré en vigueur le 1er juillet 2003, qui abolit la peine de mort en toutes circonstances, même pour les actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre), n’ont encore été ratifiés par la France. L’article 3 de la convention pose l’interdiction de la torture : "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". L’article 6 fixe les conditions d’un procès équitable, en particulier : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi". L’article 13 affirme le droit à un recours effectif : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles".

Au niveau européen, en matière de respect des droits de l’Homme par les gouvernements, deux organes du conseil de l’Europe ont vocation à jouer un rôle : la CEDH (Cour européenne des droits de l’Homme) et le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). En matière strictement pénitentiaire, le conseil de l’Europe édite les règles pénitentiaires européennes ; ces règles sont des recommandations qui ne sont donc pas contraignantes par nature, mais dont l’acceptation constitue un engagement politique et diplomatique fort.
 
a) La CEDH agit après avoir été saisie et formule des arrêts à l’encontre des états mis en cause. En matière disciplinaire, la CEDH a rendu un arrêt le 3 avril 2001 (affaire Keenan contre Royaume-Uni) où elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention. Le manque de surveillance et d’information psychiatrique sur la situation du fils de la requérante a révèlé une déficience dans la prise en charge médicale d’un détenu connu comme étant un sujet à risque. L’imposition d’une peine disciplinaire, dans ces conditions, constitue bien un traitement inhumain et dégradant.

 

b) Le CPT agit sur la base de la convention européenne pour la prévention de la torture et de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette convention, ouverte à la signature des états membres du Conseil de l’Europe le 26 novembre 1987, est entrée en vigueur le 1er février 1989. La France l’a ratifiée le 9 janvier 1989. La Convention prévoit l’établissement d’un comité international qui est habilité à visiter tous les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté par une autorité publique. Le Comité, composé de personnalités indépendantes, peut formuler des recommandations et suggérer des améliorations en vue de renforcer, le cas échéant, la protection des personnes visitées contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. C’est un mécanisme de caractère préventif et non judiciaire. Le CPT édite des normes, dont la dernière révision date de 2006. Il a effectué 9 visites en France depuis 1991 (dont 8 dans les prisons).

 

Le CPT, dans son rapport au gouvernement de la république française relatif à la visite effectuée du 27 octobre au 8 novembre 1991, note qu’il a constaté la situation de personnes détenues placées en cellule disciplinaire et privées de lecture.
Dans son rapport relatif à sa visite effectuée du 3 au 7 juillet 1994, il a constaté l’état de cellules disciplinaires où "l’éclairage naturel et artificiel était tout juste suffisant, et la ventilation déficiente".
Dans son rapport relatif à sa visite effectuée du 6 au 18 octobre 1996, il a à nouveau constaté l’état de cellules où "l’accès à la lumière naturelle était limité, voire très limité". Il note également que des "cellules étaient sales et en mauvais état d’entretien". En outre, le rapport fait état de l’existence de "deux cellules [dans l’un des établissements visités], l’une dite de "force", l’autre de "sécurité", équipées uniquement d’un matelas posé à même le sol et d’un W-C". Le comité a constaté qu’ "aucun des établissements pénitentiaires visités n’offraient aux détenus placés en cellule disciplinaire des aménagements satisfaisants pour l’exercice en plein air". Enfin, "les conditions dans lesquelles les détenus pouvaient s’entretenir avec le médecin ne permettaient pas de préserver la confidentialité médicale".
Dans son rapport relatif à sa visite effectuée du 14 au 26 mai 2000, il a constaté que "l’accès à la lumière naturelle était partout médiocre" et que dans l’un des établissements visités "les cellules disciplinaires étaient petites et mal éclairées (à la fois, l’accès à la lumière naturelle était limité et l’éclairage artificiel était médiocre), et en mauvais état d’entretien (vitres brisées, murs repoussants de saleté)".
Dans son rapport relatif à sa visite effectuée du 11 au 17 juin 2003, il a constaté que dans l’un des établissements visités "l’accès à la lumière naturelle était médiocre" ; dans ce même établissement, "la délégation a observé au quartier disciplinaire, l’existence d’une cellule dite de force, privée de tout équipement à l’exception de toilettes. Les seules explications de membres du personnel qu’elle ait pu recueillir sur ce point était qu’il s’agissait d’un lieu destiné « aux incorrigibles »".
Dans son rapport relatif à sa visite effectuée du 13 au 20 décembre 2004, il a constaté dans l’un des établissements que les cellules disciplinaires "mis à part les dimensions (de 7,5 à 9,5 m²) étaient déplorables. Situées près d’un couloir semi-souterrain sur lequel donne leur fenêtre, elles n’avaient qu’un accès très médiocre - si ce n’était aucun - à la lumière naturelle, ne disposaient que d’un éclairage artificiel inadéquat et d’un équipement très rudimentaire."

Il n’est pas tolérable que, visite après visite, les délégations fassent des constats similaires, en particulier quant aux conditions matérielles dans lesquelles la sanction est exécutée. Derrière ces rapports, sûrement suivis d’améliorations ponctuelles, il y a des personnes qui subissent des situations particulièrement insupportables. Un délai de quelques années pour mettre en œuvre une recommandation du CPT correspond à combien de personnes qui supportent une situation souvent intolérable ? Il ne peut d’ailleurs être opposé que les risques encourus en matière de bon ordre ou de sécurité sont une raison justifiant le recours à des moyens coercitifs allant jusqu’à des traitements inhumains ou dégradants ; cela remettrait en cause entre autre l’article 3 de la convention européenne des droits de l’Homme.

c) Les règles pénitentiaires européennes

Les premières normes pénitentiaires européennes datent de 1973 ; le comité des ministres du Conseil de l’Europe adoptait le 19 janvier 1973 une résolution sur l’ "ensemble des règles minima pour le traitement des détenus" (s’inspirant alors d’une résolution des Nations Unies, sur le même sujet, adoptée en 1955). En 1987, ces règles pénitentiaires ont été révisées, afin "de prendre en compte les besoins et les aspirations des administrations pénitentiaires, des détenus et du personnel pénitentiaire au moyen d’une approche systématique en matière de gestion et de traitement qui soit positive, réaliste et conforme aux normes contemporaines", comme l’indiquait le rapport explicatif. Enfin, dans cette même perspective, elles ont été révisées, pour aboutir à l’adoption, le 11 janvier 2006, d’une nouvelle recommandation dans ce domaine.
En matière de régime disciplinaire, les règles 56-2 et 57-1 posent des principes de base : "dans toute la mesure du possible, les autorités pénitentiaires doivent recourir à des mécanismes de restauration et de médiation pour résoudre leurs différends avec les détenus et les disputes entre ces derniers. Seul un comportement susceptible de faire peser une menace sur le bon ordre, la sûreté et la sécurité peut être défini comme une infraction disciplinaire". En outre, la règle 60-4 précise : "la sanction ne peut pas consister en une interdiction totale des contacts avec la famille".

1 2 Au niveau national

 

A l’échelle nationale, un arrêté du ministre des Affaires étrangères, publié au Journal officiel du 27 mars 1947, donne naissance à la Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et devoirs des États et des droits de l’Homme qui rapidement devient la commission consultative des droits de l’Homme puis se voit attribuée le qualificatif de "nationale". Le rôle de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) est de transmettre des avis au gouvernement, pour contribuer à perfectionner la législation, mais la commission ne se substitue ni au Conseil d’État, ni au Parlement. Elle a, par exemple, donné son avis sur le droit disciplinaire en prison dans son étude sur le respect des droits de l’Homme dans la prison (adoptée par l’assemblée plénière du 11 mars 2004) : "Elle est d’avis que l’octroi des réductions de peine devrait répondre au seul critère de la resocialisation" et non pas à l’historique disciplinaire durant la détention ; en outre, "la CNCDH préconise que le régime disciplinaire soit mis en conformité avec les principes d’indépendance et d’impartialité des organes de jugement" et elle estime que "la durée maximale de maintien en cellule disciplinaire fixée à l’article D. 251-3 (...) de 45 jours s’agissant des détenus majeurs et de 15 jours pour ce qui est des mineurs de plus de seize ans (...) apparaît tout à fait excessive au regard de l’exigence de proportionnalité des peines".

Il existe donc des textes et des organes de contrôle, garantissant, au moins en théorie, le respect des droits de l’Homme dans les lieux de privation de liberté. Toutefois, il est évident que la marge de progression en matière de respect des droits fondamentaux est considérable. La surpopulation en maison d’arrêt, la vétusté de certains locaux sont potentiellement source d’actes de torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants ; la mise en cellule disciplinaire peut également constituer un acte de ce type.

2 La législation en France

2 1 La définition des fautes

 

 Il existe pas moins de 35 fautes, réparties en 3 degrés, dont le premier regroupe les fautes les plus graves (CPP articles D249-1 à D249-3).
"Les points suivants doivent être déterminés soit par la loi, soit par un règlement de l’autorité compétente : la conduite qui constitue une infraction disciplinaire, le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées", peut-on lire dans les règles pénitentiaires européennes dans leur version de 1987 (règle 35 a et b). Or, c’est par le décret du 2 avril 1996, relatif au régime disciplinaire des détenus et modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale que les fautes et sanctions seront définies, soit près de 10 ans après les recommandations de 1987 !

Et encore, peut-on se satisfaire de définitions comme celles-ci : "participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement" (article D249-1 CPP, faute du 1er degré) et "participer à des actions collectives de nature à perturber l’ordre de l’établissement, hors le cas prévu au 2° de l’article D. 249-1" (article D249-2 CPP, faute du 2e degré), sachant qu’au 2° de l’article D 249-1, il n’y a aucune précision que celle citée ci-dessus ? Autrement dit, "compromettre" est une faute du 1er degré et "perturber" est une faute du 2e degré... Il y a également parmi les fautes du 1er degré : "De causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement" et parmi celles du 2e degré : "De causer délibérément un dommage aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement, hors le cas prévu au 7º de l’article D. 249-1" ; "graves dommages" constitue une faute du 1er degré et "dommages" une faute du 2e degré ; certes c’est une gradation, mais qu’entend-on par "graves" ?

 

2 2 Le déroulement de la procédure conduisant au prononcé de la sanction

 

 Le CPP indique la marche à suivre qui conduit au prononcé de la sanction, dans son article D250-1 : "en cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire (...), un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l’agent présent lors de l’incident ou informé de ce dernier. A la suite de ce compte rendu d’incident, un rapport est établi par un chef de service pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d’établissement. Ce rapport comporte tout élément d’information utile sur les circonstances des faits reprochés au détenu et la personnalité de celui-ci. Le chef d’établissement apprécie, au vu du rapport et après s’être fait communiquer, le cas échéant, tout élément d’information complémentaire, l’opportunité de poursuivre la procédure". Si la procédure se poursuit, la commission de discipline se réunit ; elle comprend : le chef d’établissement ou son délégué, président, deux membres du personnel de surveillance dont un appartenant au grade de surveillant. Les membres du personnel sont désignés par le chef d’établissement. Ils ont voix consultative.

 La façon dont se déroulent les commissions de discipline laisse perplexe quant au respect des conditions d’un procès équitable. Le cumul par là-même entité de la fonction d’accusation et de la fonction de jugement n’est pas propice au respect du principe du procès contradictoire. En outre l’entité qui détient la fonction d’accusation est aussi celle qui, dans nombre de cas de fautes énumérées dans les articles D249-1, D249-2 et D249-3, est l’objet de cette faute. Par ailleurs, la personne mise en cause n’a pas la possibilité de faire citer des témoins de son choix. Il est rarement discuté de la culpabilité de la personne mise en cause. L’imputabilité des faits étant le plus souvent préalablement établie, les débats se concentrent essentiellement sur le choix de la sanction.
Par ailleurs, le placement au quartier disciplinaire est possible, à titre préventif et sans que la commission se soit réunie, dans le cas où les faits sont des fautes du 1er ou du 2e degré. Or, la règle 36-3 des règles pénitentiaires européennes de 1987 indique : "aucun détenu ne peut être puni sans être informé de l’infraction qu’on lui reproche et sans qu’il ait eu la possibilité de présenter sa défense". 30 ans plus tard, le placement préventif au quartier disciplinaire reste d’usage courant !

 

2 3 Les possibilités de recours

 Non seulement sous la pression de la communauté internationale, mais aussi suite à des actions individuelles, la procédure relative aux possibilités de recours a évolué. L’arrêt Marie rendu par le conseil d’Etat le 27 février 1995 constitue un revirement de jurisprudence qui réduit considérablement l’étendue de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. Jusqu’alors, le Conseil d’État considérait que les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des détenus constituaient des mesures d’ordre intérieur qui ne pouvaient être discutées devant le juge administratif. M. Marie contestait le bien-fondé d’une sanction de huit jours de cellule disciplinaire avec sursis qui lui avait été infligée pour avoir formé une réclamation jugée injustifiée à l’encontre du fonctionnement du service médical de l’établissement. Le Conseil d’État a considéré que la réclamation formée par le détenu, qui ne parvenait pas à recevoir les soins nécessaires, ne comportait ni outrage, ni menace, ni imputation calomnieuse et ne correspondait pas à un cas de multiplication de réclamations injustifiées, hypothèses dans lesquelles une sanction disciplinaire est encourue. Il en a déduit que les faits reprochés à M. Marie n’étaient pas de nature à justifier une sanction et a annulé la décision. Le Conseil d’État n’a toutefois pas entendu abandonner entièrement la notion de mesure d’ordre intérieur.
 
 La loi du 12 avril 2000 sur les relations entre administrations et usagers, entrée en vigueur le 1er novembre 2000, offre aux personnes détenues la possibilité de se faire assister d’un avocat ou d’être représentées par un mandataire lors du passage en commission de discipline. Cette loi leur permet également d’avoir accès au dossier de la procédure engagée. Les garanties de représentation sont donc non négligeables. Cependant, le dispositif demeure insuffisant au regard des principes du procès équitable : la non parité de l’organe de jugement, l’impossibilité pour la personne mise en cause de faire citer des témoins, le temps de préparation de la défense souvent limité et l’absence de formation des avocats en droit pénitentiaire, sont autant de défaut de garanties pour l’accusé.
 
3 La réalité du placement en cellule disciplinaire : quelle logique dans la sanction ?

 

La menace de mise en cellule disciplinaire qui, par exemple, induit (sauf cas très particulier) la privation de visites, est fortement contraignante puisqu’elle implique aussi indirectement la famille. La personne se trouve confrontée à une alternative difficile : l’acceptation servile de l’autorité ("Les détenus doivent obéissance aux fonctionnaires ou agents ayant autorité dans l’établissement pénitentiaire en tout ce qu’ils leur prescrivent pour l’exécution des règlements" (D 243)), voire parfois d’abus de celle-ci, et le risque de se voir infliger la mise au quartier disciplinaire. Sans même évoquer d’abus d’autorité (comme, en 2004, la note de la MA d’Osny informant d’un prélèvement génétique par voie buccale pour le renseignement du FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) et indiquant qu’un refus du prélèvement entraînerait une sanction disciplinaire), il ne peut être ignoré que certaines demandes, certes effectuées dans le cadre de l’application des règlements, sont parfois formulées sans donner d’explication. Le contexte de surpopulation pour les MA, la présence en prison de personnes qui auraient avant tout besoin de soins et plus globalement les effets pathogènes de la prison induisent des états d’anxiété que le personnel a le devoir de prendre en compte, ce qui n’est pas souvent le cas. Comment, dans ces conditions, ne pas réagir parfois avec vivacité quand on est incarcéré ? N’est-ce pas garder toute sa lucidité et sa capacité de réaction ? En outre, la réponse apporter sous forme de mise en cellule disciplinaire est de nature à entretenir, sinon à engendrer, une tendance à se montrer rétif à l’autorité.

S’agissant des autres fautes disciplinaires (les dommages aux locaux, les vols ou tentatives de vols, le trafic de substances illicites par exemple) elles révèlent de façon évidente les problèmes qui naissent intrinsèquement de la mise en présence, dans un lieu fermé, de personnes souvent confrontées à l’oisiveté, avec en général peu de ressources financières. Il ne s’agit pas de justifier ces fautes, mais de prendre en compte la globalité d’un système dont les dérives sont contre-productives en terme de réintégration.

Quelle que soit la nature des fautes disciplinaires, que celles-ci soient une forme de refus de l’autorité ou non, la mise en cellule disciplinaire est une réponse coercitive puissante. Non seulement cette réponse n’est pas de nature à développer le sens de l’exercice de la citoyenneté, où l’on attend de chaque acte qu’il soit mesuré et respectueux, mais elle est aussi en soi une atteinte violente à l’intégrité physique et psychique de la personne. La mise en cellule disciplinaire "consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu’il doit occuper seul". Cette cellule, avec double porte, est aménagée avec le strict minimum nécessaire, en terme de mobilier et de sanitaires. La personne est privée de ses affaires personnelles. L’accès à la radio ou à la télévision est impossible. "La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d’achats en cantine (...) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités." Il reste "une promenade d’une heure par jour dans une cour individuelle" et le droit à la correspondance écrite sans restriction. En outre, et ce n’est pas négligeable, la mise en cellule disciplinaire entraîne des conséquences sur les réductions de peine.

Parmi les sanctions encourues autre que la mise en cellule disciplinaire, il y a le confinement en cellule individuelle ordinaire ou encore "La mise à pied d’un emploi pour une durée maximum de huit jours lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l’occasion du travail." D251-1. Même si la faute a eu lieu au cours du travail elle n’est pas nécessairement en lien direct avec celui-ci ; comment voir dans ce système de sanction une quelconque vertu ? Le respect d’un certain nombre de règles doit être fondé sur la reconnaissance de ces règles comme étant justes, et non pas sur la crainte de la sanction résultant de l’infraction à ces règles. Par ailleurs, il existe des formes de sanctions déguisées telles que le placement à l’isolement ou le transfert.
Ces différentes sanctions ne sont pas de nature à développer le sens de la citoyenneté, notamment parce que le lien entre la faute et le contenu de la sanction est loin d’être évident et que l’arbitraire tient une grande place dans le prononcé de la sanction.
 
4 Vers l’abolition des quartiers disciplinaires

 A la lecture des textes (déclaration universelle des droits de l’Homme, convention européenne des droits de l’Homme, règles pénitentiaires européennes, convention européenne pour la prévention de la torture et de peines ou traitements inhumains ou dégradants, recommandations de la commission nationale consultative des droits de l’Homme) ou de la jurisprudence (cour européenne des droits de l’Homme ou conseil d’Etat), la mise en cellule disciplinaire telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France apparaît en profonde contradiction avec les principes de respect des droits fondamentaux. Tant du point de vue du contenu de la sanction elle-même que de la procédure qui l’entoure et des possibilités de recours. L’application stricte des principes reconnus comme étant les seuls susceptibles d’assurer le respect des droits de l’Homme et de permettre à la peine privative de liberté d’être un temps de préparation à une réintégration pleine et entière dans la communauté conduit à écarter le recours à un système disciplinaire arbitraire et extrêmement coercitif. La mise en place de mécanismes de médiation est de nature à prévenir le recours au droit disciplinaire. Le droit commun doit entrer en prison, avec toutes les garanties qu’il apporte. La personne détenue est punie d’une peine privative de liberté d’aller et venir et en principe privative d’aucun autre droit, en particulier celui d’être un sujet de droit à part entière. Enfin, il faut cesser d’associer exclusivement le concept de sécurité à la sécurité publique liée à la commission d’infractions pénales ; il existe également une sécurité en matière de respect des droits de l’Homme et de droits de la défense. Une véritable sécurité peut-elle exister au détriment d’une autre ?

 

Ban Public

(Décembre 2006)