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Position de l’Aumonerie catholique (27/06/03)

Mise en ligne : 9 décembre 2003

Texte de l'article :

L’AUMONERIE CATHOLIQUE DES PRISONS

ET LA SURPOPULATION CARCERALE

"La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe constitutionnel" (Conseil constitutionnel)

 Paroles de personnes détenues à l’épreuve de la promiscuité

"Le premier choc, c’est la promiscuité : la promiscuité, à l’intérieur des cellules, est encore plus terrible quand le gars est enfermé pour viol - On mélange tout le monde : pointeurs, dealers, voleurs et honnêtes gens - Ne disposant d’aucune intimité ni de la possibilité de s’isoler, il vit constamment sous le regard des autres qui l’observent par curiosité et désœuvrement. Même si on s’entend avec quelqu’un, vient un moment où la vie commune en cellule devient insupportable. Les codétenus vivent dans une ambiance hypocrite et de suspicion où il n’y a pas, ou trop peu de confiance possible. Il faudrait différencier les détenus selon les délits, faire absolument la différence entre crimes crapuleux et crimes malheureux, et ne pas mettre ensemble leurs auteurs."

"La solitude du détenu dans une cellule est souvent accablante, même s’il s’y trouve à plusieurs. A l’intérieur de celle-ci, l’ambiance est parfois bonne et facile à vivre. Par contre, dans d’autres cellules, la vie est invivable tant la tension est grandissante. Les sarcasmes d’autres détenus, ainsi que leurs jugements, sont très pénibles à vivre pour certains." 

"Neuf m2 de cellule dont un W-C., table, lits pour 2, parfois 3 personnes. Cohabiter avec les autres que l’on a pas choisis, qui souffrent aussi est certainement une difficile épreuve. La plupart sont incapables de faire la part des choses, plus d’intimité même pour déféquer, le courrier qui est lu par les autres, les motifs d’arrestation livrés à tous ; impossible de rester "entier", de ne pas être empiété par les autres et de ne pas empiéter soi-même."

La surpopulation 

L’entassement cellulaire engendre l’insupportable tension de la promiscuité et la perte de toute intimité qui rendent illusoire tout travail de réinsertion. L’emprisonnement de prévenus qui ne menacent sérieusement personne est-il si indispensable ? Des aménagements pour des condamnés dont la société n’a plus rien à craindre pourraient être plus nombreux et plus systématiques et les victimes auraient quelque espoir d’être indemnisées un jour ! Et que font en prison tous ces étrangers seulement coupables de situation irrégulière et dont les conditions de détention sont les plus difficiles : ils sont abandonnés à leur sort et à leur solitude dans la plus grande indigence.

La "surpopulation" carcérale, aggravée par l’alourdissement des peines pour des délits comparables, a pour conséquence :

- elle retentit gravement sur les conditions de travail des personnels de surveillance, et elle empêche le développement des activités socio-éducatives et des mesures qui préparent la réinsertion des prisonniers.

- elle engendre la détérioration des conditions de salubrité des cellules et des établissements ,

- elle favorise l’apparition et le développement de la violence au sein des établissements, à laquelle les groupes les plus vulnérables sont les plus exposés : délinquants juvéniles, criminels sexuels, délinquants occasionnels …

Il y a en prison des tas de gens qui n’y ont pas leur place :

- Les prévenus : d’après le Code de procédure pénale, la détention provisoire devrait être exceptionnelle ; elle nous paraît utilisée pour beaucoup de personnes qui ne sont d’aucun danger pour la société, pour peu qu’elles soient astreintes à quelques mesures de contrôle judiciaire ou éducatif.

- La prison doit garder un nombre de plus en plus important de personnes qui présentent des troubles psychologiques, voire psychiatriques, sérieux que la prison n’est pas équipée à gérer. Ils rendent la vie difficile pour les personnels de surveillance et les autres personnes détenues. Nous sommes témoins de situations intolérables qui rendent la vie carcérale trop éprouvante pour ceux qui doivent la subir. Dans ces conditions, les dérapages sont souvent difficilement évitables.

- La prison est davantage l’outil de gestion du sentiment d’insécurité que la réponse à l’insécurité effective : la sur-représentation des jeunes des banlieues dans les maisons d’arrêt traduit plus l’impossibilité de notre société de les intégrer qu’elle n’exprime la réponse à leur dangerosité : ils paient le prix fort de l’échec des politiques d’insertion. L’enfermement auquel ils échappent beaucoup moins que les autres les ancre surtout dans le sentiment qu’ils sont irrémédiablement rejetés et dans leur révolte qu’on risque de rendre dangereuse, parce que sans issue : pour eux, la prison est d’abord la motivation et l’école de leur vengeance à venir. Ils sont en prison la proie facile de tous les manipulateurs.

- Des personnes qui subissent des courtes peines, par exemple pour des infractions au code de la route :

- L’enfermement pour de courtes peines empêche les condamnés de payer leurs dettes à la société, aucun poste de travail sérieux ne pouvant leur être offert en détention, ne serait-ce qu’en raison de leur courte incarcération. Ces gens sortent de prison plus démunis qu’ils ne l’étaient quand ils y sont entrés.

- Comment, dans ces conditions, indemniser les victimes, payer ses amendes ? Comment quelqu’un condamné à quelques mois de prison pour non paiement d’une pension alimentaire va-t-il pouvoir s’en acquitter un jour ?

- Soit une courte peine arrête un processus de formation en cours, soit la personne perd son travail et, avec la prison, presque toute chance d’en trouver un autre à sa sortie.

Conclusion

Les règles sécuritaires de la prison sont conçues pour des gens qui peuvent être dangereux, pas pour les paumés ou les délinquants accidentels.

Jeunes qui s’adaptent trop bien aux mœurs de la prison mais n’en supportent pas les règles et le font savoir bruyamment ; personnes chargées d’un délit inavouable qui n’arrivent pas à se faire oublier et subissent de la part des autres des brimades insupportables ; personnes psychologiquement abîmés avec lesquelles personne ne sait quoi faire … Tous ces gens sont là, enfermés ensemble : ça engendre une violence toujours en risque d’exploser et dont sont surtout victimes les personnes vulnérables et ceux qui n’ont pas "vocation" à devenir ou à rester délinquants …

 Sanctionner sans enfermer, c’est possible : sursis avec mise à l’épreuve - T.I.G. - bracelet électronique… A propos des T.I.G., une campagne d’information de l’opinion et une forte stimulation de toutes les associations de la réinsertion et du bénévolat pourraient être engagées, parallèlement à une incitation aux magistrats à y recourir plus largement. 

27.06.03