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Conseil de la Concurrence, décision n°2000-D-27 du 13 juin 2000

Non abus de position dominante de la société Eurest (Saisine de l’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise)

Publication originale : 13 juin 2000

Dernière modification : 26 juillet 2016

Texte de l'article :

BOCCRF
Bulletin officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes
 Sommaire N° 08 du 25 juillet 2000
Décision no 2000-D-27 du Conseil de la concurrence en date du 13 juin 2000 relative à une saisine de l’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise

NOR : ECOC0000265S

 Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
 Vu la lettre enregistrée le 6 juin 1997 sous le numéro F 962, par laquelle l’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Eurest France qu’elle estime anticoncurrentielles ;
 Vu l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ;
 Vu la décision no 97-D-88 du 9 décembre 1997 du Conseil de la concurrence relative à une saisine de l’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise portant sursis à statuer ;
 Vu la décision no 99-D-35 du 22 juin 1999 du Conseil de la concurrence relative à la même saisine portant sursis à statuer ;
 Vu le rapport d’enquête transmis le 29 janvier 1999 à la suite de la demande d’enquête faite le 26 décembre 1997 ;
 Vu les observations présentées par la société Eurest, l’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise et le commissaire du Gouvernement ;
 Vu les autres pièces du dossier ;
 Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 2 mai 2000 ;
 Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général,
 Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Le régime juridique de la cantine de la maison d’arrêt d’Osny


1. Le cadre général

 La maison d’arrêt d’Osny est gérée dans le cadre de l’alinéa 3 de l’article 2 de la loi no 87-432 du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire, qui dispose :
 « Art. 2. - L’Etat peut confier à une personne de droit public ou privé ou à un groupement de personnes de droit public ou privé une mission portant à la fois sur la conception, la construction et l’aménagement d’établissements pénitentiaires.
 « L’exécution de cette mission résulte d’une convention passée entre l’Etat et la personne ou le groupement de personnes selon un cahier de charges approuvé par décret en Conseil d’Etat. Cette personne ou ce groupement de personnes sont désignés à l’issue d’un appel d’offres avec concours.
 « Dans les établissements pénitentiaires, les fonctions autres que celles de direction, du greffe et de surveillance peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé selon une habilitation définie par décret en Conseil d’Etat. Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre de l’appel d’offres avec concours prévu à l’alinéa précédent. »
 Sur le fondement de ces dispositions, un marché de fonctionnement a été passé le 14 septembre 1989 pour la zone Nord de la France, qui comprend la maison d’arrêt d’Osny dans le Val-d’Oise, avec la société Spie-Batignolles, agissant en tant que mandataire du groupement d’entreprises conjoint constitué par Spie-Batignolles, Lyonnaise des Eaux et Eurest Collectivité cotraitants. La société Eurest Collectivité, chargée de la restauration en application de cette convention, assure également la gestion de la cantine de la maison d’arrêt d’Osny en vertu d’un mémoire technique qui est une pièce particulière dudit marché (art. 2 du CCATP).

2. Le code de procédure pénale

 Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale qui, à défaut de dispositions spécifiques, sont aussi applicables à la gestion déléguée, sont les suivantes :
 L’article 728-1 du code de procédure pénale :
 « Les valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l’établissement pénitentiaire, sont divisées en trois parts : la première sur laquelle seules les parties civiles et les créanciers peuvent faire valoir leurs droits ; la deuxième, affectée au pécule de libération, qui ne peut faire l’objet d’aucune voie d’exécution ; la troisième, laissée à la libre disposition des détenus. »
 L’article D-323 du même code :
 « La part disponible du compte nominatif peut être utilisée par le détenu, conformément aux règlements, pour efectuer des achats à l’intérieur de l’établissement pénitenciaire, ou même, sur autorisation spéciale, pour procéder à des versements au dehors. »
 L’article D-343 du même code :
 « A moins d’en être privés par mesure disciplinaire, les détenus ont la possibilité d’acheter, sur leur part disponible divers objets ou denrées en supplément de ceux qui leur sont octroyés.
 « Cette faculté s’exerce toutefois sous le contrôle du chef de l’établissement et dans les conditions prévues au règlement intérieur ; elle peut être limitée en cas d’abus. »
 L’article D-344 du même code :
 « Les prix pratiqués à la cantine doivent être portés à la connaissance des détenus.
 « Ces prix sont fixés périodiquement par le chef de l’établissement, s’il s’agit d’un membre du personnel de direction ou, sinon, par le directeur régional des services pénitentiaires. Sauf en ce qui concerne le pain et le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l’administration pour la manutention et la préparation. »
 L’article D. 345 du même code :
 « Les vivres vendues en cantine comprennent seulement les denrées d’usage courant qui peuvent être consommées sans faire l’objet d’aucune préparation, à moins que le règlement intérieur de l’établissement ait prévu l’installation de cuisine spéciale. »
 Et l’article D. 423 du même code :
 « L’envoi ou la remise de colis est interdit dans tous les établissements à l’égard de tous les détenus. »
 « (D. no 89-D-48, 26 janvier 1989, article 1er). Les seules exceptions qui peuvent être apportées à ce principe, par décision du chef d’établissement, concernent la remise de linge et de livres brochés n’ayant pas fait l’objet d’une saisie dans les trois derniers mois et ne contenant aucune menace précise contre la sécurité des personnes et celle des établissements. »

3. Le règlement intérieur de la maison d’arrêt d’Osny :

 Le règlement intérieur de la maison d’arrêt d’Osny, approuvé le 19 septembre 1996, prévoit les dispositions suivantes :

« Article 5.2 Cantine
Le détenu peut, lors de son incarcération, remplir un bon de cantine "arrivant" (dans la limite de ses moyens financiers). Ce bon propose tabac, timbres, sucre, chicorée, stylo, papier à lettres et enveloppes, qui lui sont distribués le lendemain si l’incarcération a lieu un jour autre que le samedi.
Des liasses de bons de cantine sont distribués gratuitement aux détenus.
Pour chaque commande, le bon de cantine doit comporter (sous peine de rejet) les nom, prénom, numéro d’écrou, numéro de cellule, date, signature de l’intéressé ; seules les quantités demandées doivent être indiquées (le chiffrage étant réalisé au service comptable). Pour pouvoir acheter en cantine, le détenu doit provisionner une somme dite "crédit de cantine" : il coche pour cela l’un des montants figurant sur le bon de cantine. Cette somme, exclusivement affectée au compte cantine, ne peut servir qu’aux achats en cantine.
Les détenus ont la possibilité de cantiner des réfrigérateurs.

« Article 5.3 Achats exceptionnels
Des achats "à l’extérieur" de produits non proposés sur les bons de cantine ordinaires peuvent être réalisés après autorisation du chef de l’établissement. »

4. Le marché du 14 septembre 1989

La cahier des charges relatif à la conception, la construction et l’aménagement d’établissements pénitentiaires approuvé par décret modifié en date du 7 août 1987 pris pour l’application de la loi précitée du 22 juin 1987, élément constitutif du marché précité du 14 septembre 1989, relatif notamment à la maison d’arrêt d’Osny, prévoit en son article 14 :
« Article 14 Cantine
1. Le cocontractant prend toutes dispositions utiles afin que les détenus aient la possibilité d’acheter sur la part disponible de leur pécule - à moins d’en être privés par mesure disciplinaire - divers denrées ou objets, en supplément de ceux qui leur sont octroyés.

2. La nature et le prix de vente des objets et denrées sont fixés préalablement et communiqués aux détenus. Les produits sont vendus au prix coûtant (prix d’achat des produits majorés des frais administratifs et de gestion ainsi que des pertes sur stock). La liste des denrées et objets vendus en cantine est soumise à l’accord préalable du chef d’établissement et ne comporte en aucun cas :
des produits pharmaceutiques ;
des produits alimentaires comportant de l’alcool (sauf bière et cidre, dont la distribution est réglementée) ou de la caféine (sauf mélanges contenant au moins 50 % de chicorée) ;
des produits susceptibles d’être utilisés dans une perspective d’agression, d’échange ou tout autre but permettant d’outrepasser un interdit édicté par le code de procédure pénale ou par le règlement intérieur de l’établissement (tels que couteaux, fléchettes, cordes, bijoux...).

3. Le cocontractant détermine et organise après accord du chef d’établissement le mode de distribution des produits et denrées cantinables. Une comptabilité séparée des opérations de cantine est tenus par le cocontractant dans chaque établissement.

Les détenus peuvent, occasionnellement, acheter des objets ne figurant pas parmi ceux habituellement en vente à l’établissement ; la sélection des articles susceptibles d’être vendus à la population pénale sans contrevenir aux règles de sécurité est soumise à l’accord préalable du chef d’établissement. »
 
Il est indiqué, dans le « guide des marchés de fonctionnement » destiné à l’administration gestionnaire :
« Vente aux détenus à prix coûtants de produits (consommables), de biens (durables) et services ;
 
Prix coûtants : prix d’achat des produits majorés des frais d’administratifs et de gestion ainsi que des pertes sur stocks ;
 
Des listes, approuvées et visées par le chef d’établissement préalablement à la vente, sont portées à la connaissance des détenus...

... Le chef d’établissement vise les modifications durables de la liste (modification tarifaire, ajout/supression de produits, changement de conditionnement ou de qualité) préalablement à leur entrée en effet. »

En définitive, compte tenu de ces divers textes, dans les prisons à gestion déléguée comme celle d’Osny, les prisonniers ne peuvent s’approvisionner que dans la cantine. Les prix de celle-ci doivent être fixés par le chef d’établissement et il s’agit de prix coûtants.

B. - Les modalités effectives de fonctionnement de la cantine de la maison d’arrêt d’Osny

1. La cantine de la maison d’arrêt relève de la zone nord

La gestion déléguée des maisons d’arrêt a été opérée en distinguant quatre zones :
la zone nord, pour laquelle la société Eurest est chargée de la restauration ;
la zone sud, pour laquelle la société Eurest est chargée de la restauration ;
la zone est, pour laquelle les sociétés Orly Restauration et Centre français de restauration sont chargées de la restauration ;
la zone ouest, pour laquelle la société Sodexo-Siges est chargée de la restauration ;

La société Eurest est l’un des « leaders » sur le marché français et européen de la restauration collective ; elle a été reprise en 1996 par le groupe britannique Compass.

2. Caractères d’une cantine de maison d’arrêt telle que celle d’Osny

Le fonctionnement de la cantine d’un établissement pénitentiaire s’apparente à celui d’un magasin de type supérette mais avec des traits spécifiques : conditionnement pour de petites quantités, prise en compte des contraintes de sécurité ; nécessité absolue d’éviter la rupture de stocks.

3. Principe de la fixation des prix dans la cantine de la maison d’arrêt d’Osny

Lors de l’enquête, Mme Martin, directrice de la maison d’arrêt d’Osny, a indiqué :
« La société Eurest nous soumet la liste des articles "achetés à l’extérieur" ou "exceptionnels", afin que nous contrôlions la nature des produits et leur prix. La société Eurest agit de même pour la cantine classique. Le panier du détenu consiste, quant à lui, en une sélection de vingt produits les plus demandés, effectuée par notre administration centrale, pour l’ensemble des établissements pénitentiaires, et qui nous permet de faire un suivi et un contrôle des prix pratiqués par la société privée et par les établissements eux-mêmes... »
 « Au niveau des prix de cantine, notre rôle est d’étudier les prix du panier du détenu de façon systématique chaque trimestre, et d’autre part, nous sommes informés de tout changement de tarif à la hausse ou à la baisse, de conditionnement et de produit. Notre intervention sur ces aspects est définie de façon précise dans les documents que je vous communique... » Il s’agit notamment du guide des marchés de fonctionnement qui prévoit un visa préalable du chef d’établissement.

M. Fecamp, gérant Eurest auprès de la maison d’arrêt d’Osny, a indiqué par procès-verbal :
 « Les prix de vente des articles de cantine sont fixés par Eurest sur site et proposés à l’administration pour approbation. Nous répercutons les hausses et les baisses de nos prix d’achat mais nous essayons d’amortir les hausses importantes de prix, compte tenu du contrôle exercé par la direction pénitentiaire d’Osny sur les produits sensibles. Celle-ci peut en effet s’opposer à nos propositions. »

4. Les caractéristiques de fonctionnement, d’approvisionnement et de fixation des prix

a) Fonctionnement général :
M. Fecamp a déclaré par procès-verbal : « La cantine de la maison d’arrêt d’Osny propose environ 350 produits alimentaires et non alimentaires (hi-fi, bazar, hygiène, tabac, timbres, presse, carte téléphonique et location de réfrigérateur) auxquels s’ajoutent les achats à l’extérieur, appelés « cantine exceptionnelle »... Nous employons cinq détenus et deux personnes de Eurest sous l’autorité du gérant. »

b) Approvisionnement :
M. Fecamp a déclaré par procès-verbal : « Au niveau de l’approvisionnement, Eurest dispose d’un service achat qui référence des fournisseurs communes aux missions de restauration collective classique de Eurest et à notre mission de restauration et de cantine pénitentiaire. 70 % de produits de cantine (le tabac représentant 35 % de ce volume), sont achetés auprès des fournisseurs référencés, qui nous facturent sur la base des conditions d’achat négociées au niveau national par Servirest, la société créée s’occupant du service achat cité plus haut.
« Les autres achats de cantine ainsi que les achats à l’extérieur sont réalisés par le personnel Eurest d’Osny auprès des grandes surfaces des alentours. Ces articles concernent par exemple la hi-fi, les tenues de sport, les produits afférents aux fêtes religieuses, la parapharmacie. »

Il résulte de l’instruction que la cantine d’Osny n’est pas approvisionnée exclusivement par des fournisseurs référencés Servirest mais qu’elle connaît en réalité trois circuits d’approvisionnement : 70 % des achats cantiniers sont effectués auprès des fournisseurs référencés ; le tabac relève d’un circuit spécifique, il est vendu au prix public et représente la moitié des achats ; le solde des produits est livré par des fournisseurs extérieurs et par les grandes surfaces.

c) Modalités effectives de fixation des prix de la cantine de la maison d’arrêt d’Osny :

1. Les déclarations lors de l’enquête

M. Fecamp a indiqué :
« Au niveau des ventes, les vingt produits du panier du détenu représentent 30 % du chiffre d’affaires de la cantine sur lesquels nous avons entre 5 et 10 % de marge. Cette marge est un coefficient de raccordement prenant en compte les frais de fonctionnement. Ceux-ci comprennent principalement les éléments suivants :
« Frais de personnel (20 à 30 % environ du prix de vente).
« Frais administratifs (papeterie, informatique, reprographie, frais de déplacement pour les achats extérieurs, amortissement du matériel informatique, de pesage, de conditionnement, tickets donnés aux détenus, assurance, taxe professionnelle et traitement des factures d’achats fournisseurs par notre contrôleur de gestion de la DR Eurest à Lille.
« Nous n’avons jamais compté de frais financiers dans ces prix de vente, inhérents aux délais achat/vente
« Les pertes sur stocks sont prises en compte dans les prix pratiqués et représentent 2 % de ce prix environ.
« Sur les 30 % d’autres produits que sont le tabac, la presse, les timbres et les cartes téléphone - et le Javel renouvellement - nous pratiquons une marge de frais égale à 0.
« Pour les 40 % restant, nous pratiquons une marge comprenant toujours les frais et aucune marge commerciale "classique", qui est plus importante et qui est de 30 % environ.
« L’administration pénitentiaire ne prend aucun frais de cantine à sa charge. La cantine réalise environ un tiers du chiffre d’affaires global restauration. »

2. Les éléments comptables

Il résulte de l’instruction que, sur la base des bilans comptables de la société Eurest, de 1990 à 1996, l’activité cumulée de la cantine de la maison d’arrêt d’Osny a produit un résultat comptable négatif de 1,231 million de francs représentant 5,4 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de ces sept années (soit 22 millions de francs) et se situe dans la moyenne des résultats des autres établissements. Ainsi, l’on peut observer que les ventes réalisées auprès des détenus ne couvrent pas l’ensemble des charges de la fonction cantine mais un réajustement s’est opéré en 1996.

Pour 1997, en revanche, le résultat comptable est positif. En effet, au regard des seuls coûts directs matière, les ventes dégagent une marge brute de 991 647 F en 1997, soit 26,16 % des ventes. De cette marge brute, il convient de déduire les frais de personnel et les frais divers qui entraînent pour 1997 un « résultat cantine » positif à hauteur de 2,1 % du chiffre d’affaires HT.

Le détail des charges prises en compte est le suivant :
les frais de personnel comprennent ceux du personnel Eurest (deux personnes et le gérant) ainsi que les indemnités des détenus (cinq personnes à Osny) ;
les frais divers comportent douze rubriques dont les plus importantes sont les frais de supervision et de structure qui représentent 51, 09 % du total en 1994 et 61,16 % en 1997. 

Bilans par année civile des cantines - zone nord 


Répartition globale des frais à la cantine d’Osny



 
Des résultats différents, mais avec des ordres de grandeur comparables, sont obtenus en se fondant sur la notion de « journée alimentaire détenus » (jad).

Répartition des frais par « jad », à la cantine d’Osny




3. Etude sur les produits vendus

Pour le calcul des prix de vente, le coefficient conseillé de 1,400, applicable sur les prix d’achat hors taxe et censé couvrir les charges, a été fréquemment dépassé ; cela s’expliquerait par la nécessité de compenser l’absence de marge sur les produits comme le tabac.

4. Etude comparative

Les résultats de la cantine de l’établissement d’Osny se situent dans la moyenne de la zone nord. En ce qui concerne les prix du panier, les prix pratiqués à la maison d’arrêt d’Osny de 1990 à 1995 étaient supérieurs à la moyenne de la zone nord puis ont enregistré une baisse dès 1996. Les tarifs d’Osny apparaissent également moins élevés que ceux pratiqués par la même société Eurest dans la zone sud malgré une légère remise à niveau en 1997. Au regard de la gestion des cantines par les trois autres sociétés, les prix de la maison d’arrêt du Val-d’Oise sont nettement plus élevés que ceux de la zone ouest (+ 12 et 10 %) et sont légèrement supérieurs à ceux de la zone est en 1996/1997 (+ 1,01 et 0,98 %). Au regard de la moyenne des prix, toutes zones confondues, les prix Eurest à Osny qui en 1994/1995 étaient inférieurs à cette moyenne, ont marqué un mouvement à la hausse, soit + 2,57 % en 1997. Toutefois, les prix Eurest d’Osny restent inférieurs en 1995, 1996, 1997 à ceux pratiqués dans les établissements à gestion classique.



C. - Les pratiques alléguées

L’Union fédérale des consommateurs du Val-d’Oise expose que la société Eurest France dispose d’une concession lui conférant l’exclusivité de la distribution de produits de consommation courante aux prisonniers de la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) dans le cadre d’une cantine, que cette société y pratiquerait des prix « surélevés » par rapport aux prix d’un supermarché situé à proximité et qu’elle ne ferait pas bénéficier les personnes incarcérées des conditions favorables résultant du fait qu’elle bénéficie d’un circuit d’approvisionnement lui permettant d’obtenir les produits à moindre coût ; elle soutient que cette pratique serait constitutive d’une violation des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,

Sur la compétence :
Considérant qu’en application des articles D. 323, D. 343, D. 344, D. 345 et D. 423 du code de procédure pénale, les prisonniers ne peuvent obtenir la disposition de denrées à usage courant qu’en les acquérant au prix coûtant fixé par l’administration à la cantine de la maison d’arrêt ; que ces dispositions demeurent applicables lorsque la gestion de la cantine a été confiée à une société privée comme c’est le cas pour la cantine de la maison d’arrêt d’Osny ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et a, d’ailleurs, été confirmé par le commissaire du Gouvernement dans ses observations, que la société Eurest, qui gère la cantine de la maison d’arrêt d’Osny, établit les prix de ladite cantine et que, si lesdits prix sont soumis à l’administration pénitentiaire, celle-ci n’en n’effectue qu’un suivi, ce qui ne peut être regardé comme l’exercice du pouvoir de fixation des prix tel qu’il est prévu par le code de procédure pénale ; que, dès lors, les pratiques considérées relèvent de la compétence du Conseil de la concurrence en application de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur le fond :
Considérant qu’il résulte des dispositions législatives et réglementaires susrappelées que les détenus ne peuvent s’approvisionner en nourriture et en biens de consommation courante que dans la cantine de l’établissement pénitentiaire dans lequel ils sont incarcérés ; que le marché de la distribution de biens de consommation aux détenus d’un établissement pénitentiaire est, compte tenu de l’interdiction qui leur est faite de recevoir de tels biens de l’extérieur, strictement limité au périmètre de l’établissement ; qu’il résulte également des textes applicables qu’une seule entreprise est autorisée à alimenter ce marché au sein de la maison d’arrêt d’Osny ; que cette entreprise se trouve ainsi placée en situation de monopole et, donc, en position dominante au sens de l’article 8 de l’ordonnance précitée ;

Considérant que, si, en règle générale, les abus de position dominante réprimés par le Conseil consistent, pour l’entreprise considérée, à empêcher des concurrents de pénétrer sur le marché ou à gêner l’activité de ceux qui s’y trouvent, le Conseil de la concurrence peut, dans certaines circonstances, s’assurer, sur la base de l’article 8, que les prix pratiqués par une entreprise en position dominante, et notamment par un monopole, ne sont pas manifestement excessifs ; qu’il en va notamment ainsi lorsqu’une entreprise détient un monopole qu’aucune autre entreprise n’est susceptible de venir contester et que le Gouvernement n’a pas fixé les prix sur le fondement de l’article 1er de l’ordonnance susvisée ;

Considérant que, selon la jurisprudence de la CJCE, une pratique de prix abusifs à l’égard de particuliers ou de professionnels, dans le cadre d’un monopole, peut être établie, s’il y existe une disproportion manifeste entre ce prix et la valeur du service correspondant (CJCE General Motors 13 novembre 1975 et CJCE 11 novembre 1986 British Leyland), ou si une telle anomalie manifeste apparaît à la suite d’une comparaison effectuée sur une base homogène dans le cadre d’une analyse des composants du prix pratiqué (CJCE 14 février 1978 UBC et CJCE 13 juillet 1989 Tournier) ; une telle pratique n’existera pas si la disproportion constatée comporte une justification (CJCE 8 juin 1971 Deutsche Grammophon et CJCE 13 juillet 1989 Tournier précité) ;

Considérant que la cantine d’un établissement pénitentiaire comme celle de la maison d’arrêt d’Osny s’apparente, du point de vue de l’analyse économique, à un magasin de type « supérette », mais avec des caractères particuliers tenant au problème de conditionnement en petites quantités, aux contraintes de sécurité et à la circonstance que le gérant de la cantine est en situation de monopole pour la vente de produits aux prisonniers ;

Considérant, d’une part, que les prix pratiqués dans cette cantine sont constitués des coûts d’achat, des frais de personnel, des frais divers locaux et d’une quote-part de frais de structure (supervision, comptabilité, informatique, assistance technique) ; que l’approvisionnement de la société Eurest pour la cantine d’Osny se fait par trois circuits, 70 % des achats étant effectués auprès de fournisseurs référencés, le solde des produits étant livré par les fournisseurs non référencés et par les grandes surfaces ; que les prix d’achat aux fournisseurs référencés sont répercutés dans les prix de vente en cantine ; que les achats aux fournisseurs non référencés correspondent à une situation dans laquelle le gérant obtient de meilleurs prix ailleurs et, qu’enfin, les autres achats se font auprès des grandes surfaces des environs de la cantine sur la base des tarifs au détail de ces grandes surfaces ; que la marge brute, de 1994 à 1996, a été, en moyenne, inférieure à 23 % et que, sur la même période, l’exploitation a été déficitaire ; que, dès lors, la méthode de l’analyse globale ne révèle aucune disproportion manifeste entre les prix indiqués par la cantine et la valeur des produits vendus ;

Considérant, d’autre part, que si la méthode comparative est appliquée, l’on constate, en premier lieu, que les prix pratiqués dans cette cantine sont inférieurs à ceux des cantines de maisons d’arrêt à gestion publique et sont dans la moyenne de ceux des cantines de maisons d’arrêt à gestion déléguée ; qu’en deuxième lieu, la comparaison avec les prix d’un supermarché proche n’est pas strictement opérante compte tenu des contraintes particulières qui pèsent sur les cantines ; que, d’ailleurs, le supermarché le plus proche de la prison a déclaré à la société Eurest ne pas être en mesure d’assurer la préparation des commandes et la livraison de celles-ci, faute d’être équipée à cet effet ; qu’en troisième lieu, le pourcentage de frais est, de 1994 à 1997, inférieur en moyenne dans cette cantine à la marge brute admise fiscalement pour une supérette fonctionnant dans le secteur concurrentiel ;

Considérant, enfin, que l’examen des composants des prix pratiqués fait apparaître que, d’une part, ceux-ci ont été clairement distingués ; que, d’autre part, en ce qui concerne la part des charges de structure incorporée aux prix de vente et qui correspondent à des frais extérieurs à la cantine et correspondent au fonctionnement de la société Eurest, cette part s’élève à 6,3 %, soit un montant qui n’apparaît pas disproportionné compte tenu des pourcentages habituellement constatés dans ce secteur ;

Considérant que, dans ces conditions, il n’est pas établi que les prix pratiqués aient été manifestement excessifs et que la société Eurest se soit livrée à un abus de sa position dominante,

Décide :
Article unique. - Il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Délibéré, sur le rapport oral de M. Guedj, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Cortesse, vice-président, et Mme Boutard-Labarde, remplaçant Mme Pasturel, vice-présidente, empêchée.

La secrétaire de séance, Sylvie Grando La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen 

© Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie- 25 août 2000