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N°34 - Un secret bien mal gardé

Mise en ligne : 23 septembre 2007

Texte de l'article :

Un secret bien mal gardé

Même détenu, la loi pose qu’un patient reste un patient. Tout doit donc être mis en œuvre afin que le secret médical soit garanti. Pourtant, force est de constater qu’en prison les conditions ne sont pas réunies à cet effet.

« La prison est un lieu non confidentiel. Le secret médical ne peut y être maintenu. Certes, il y a eu des progrès, mais il reste des failles et préserver le secret est difficile », affirmait Denis Lacoste, médecin chef de l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde), en juin 2006 lors de la Convention nationale des acteurs de la lutte contre le sida organisée par Sidaction. Une situation également dénoncée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme  [1] (CNCDH), qui souligne que « de multiples violations du secret médical sont régulièrement observées en milieu carcéral ». Notamment, « lorsque des surveillants ou des agents des forces de l’ordre sont postés dans le local de consultation proprement dit ou sur le seuil, la porte étant maintenue ouverte », pointe la CNCDH. Le Comité de prévention de la torture a d’ailleurs plusieurs fois épinglé la France et jugé cela « pas conforme à l’éthique médicale ». « En effet, des policiers refusent de sortir et restent même lors d’examens intimes, confirme le Dr Philippe Griguère, président du Collège des soignants intervenant en prison. Les médecins hospitaliers n’acceptent pas ces pratiques, mais leur situation est délicate car s’ils refusent, la personne ne sera pas soignée. » Cependant, au sein des UCSA, les consultations « permettent généralement de préserver le secret médical », constate la CNCDH. Toutefois, les surveillants ne sont jamais bien loin et peuvent parfois entendre des informations confidentielles. Sur le plan du VIH, il est également à déplorer que l’accès aux consultations de dépistage anonyme et gratuit ne puisse se réaliser en toute discrétion.

Pas de secret sans intimité. Une autre entorse au secret médical est la distribution de médicaments en cellule en présence de surveillants. Des médicaments aussi visibles des codétenus, l’encellulement individuel n’étant pas respecté, loin s’en faut. Comment dissimuler par exemple les nombreux cachets d’une multithérapie ? « Les conditions de détention font qu’il n’y a pas d’intimité. En prison, il est impossible de faire quoi que ce soit sans que les autres le sachent. Dans la mesure où il y a des fouilles, où le courrier peut être lu, l’intimité est atteinte et forcément aussi parfois le secret médical », observe le Dr Griguère. À cela s’ajoutent bien d’autres écueils inhérents au fait que la logique sécuritaire prime sur tout autre dimension et que, de surcroît, les moyens manquent. Toute demande de soins doit ainsi transiter par un surveillant ; faute de personnels, des détenus malades doivent recourir à l’aide de codétenus ; en l’absence d’interprètes, des médecins doivent utiliser les services d’autres détenus pour dialoguer avec leurs patients non francophones. Certains textes laissent aussi de plus en plus place à la notion de « secret partagé ». Ce que rejette le Dr Griguère : « Il n’y a pas de secret partagé possible, quand bien même il s’agirait de réinsertion, et en cas de demande de libération pour raison de santé, c’est à un expert de lever le diagnostic. » Et de préciser : « Dans l’intérêt du patient et s’il est d’accord, nous pouvons partager des éléments du secret avec des collaborateurs, mais à la condition que nous soyons sûrs qu’ils ne divulgueront pas l’information. Autant avec de vrais éducateurs formés au secret et du côté du soin, cela est envisageable, autant avec les travailleurs sociaux de la pénitentiaire, c’est difficile. » Ce qui génère d’ailleurs diverses tensions. Plus largement, reconnaît la CNCDH, « la méconnaissance réciproque des professions médicales et pénitentiaires peut être à l’origine de frictions, voire de conflits entre services. » Et de poursuivre : « L’observation stricte du secret médical par les médecins et les infirmiers est parfois vécue par les personnels pénitentiaires comme la manifestation d’une forme de corporatisme ou un signe d’hostilité à leur égard. » Former les personnels aux enjeux du secret médical pourrait donc apporter un plus à tous. Améliorer les conditions de détention tout comme les conditions d’exercice des professionnels également. Mais, au-delà, développer les permissions de sortir pour raison de santé, les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine serait sans nul doute la meilleure parade au risque de ruptures de confidentialité. 
 
Florence Raynal

Notes:

[1« Étude sur l’accès aux soins des personnes détenues », 19 janvier 2006