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N°12 - « Intervenir en prison est un combat continu »

Mise en ligne : 9 janvier 2003

Dernière modification : 18 septembre 2007

Texte de l'article :

Responsable des CDAG au conseil général des Bouches-du-Rhône, le Dr Chantal Vernay-Vaïsse a mis en place, très tôt, des consultations dans les prisons locales. Une opération qui connaît néanmoins des limites.

Comment intervenez-vous en prison ?
Depuis 1988, date à laquelle le conseil général m’a recrutée pour réorganiser l’ensemble du dispositif, nous essayons d’offrir des prestations identiques en ville et en prison. Le VIH n’est donc pas séparé des hépatites ou des MST, et l’anonymat est de mise. Pourtant, si nous attribuons à la personne un numéro, comme cela se pratique à l’extérieur, l’organisation pénitentiaire nous oblige à conserver son nom quelque part. Nos dossiers sont cependant rangés dans un casier, dont nous seuls avons la clé. Nous avons créé des consultations de counseling et nous proposons aux nouveaux arrivants un dépistage du VIH, comme des VHB, VHC et MST. Nous les informons que s’ils refusent, ils pourront en bénéficier plus tard. Dans chaque prison, nous avons mis en place une boîte aux lettres pour que les détenus puissent demander un rendez-vous. L’entrée en détention n’étant pas forcément le meilleur moment pour parler de dépistage, nous avons tenté d’organiser des consultations un mois après ou à la sortie, mais sans succès. Les détenus n’étant pas libres de circuler, il est difficile de les faire venir.

Comment sont transmis les résultats ?
Les détenus sont convoqués. Que les résultats soient positifs ou négatifs, ils sont transmis oralement, afin que les compagnons de cellule ne puissent pas en prendre connaissance. Les patients sont informés qu’ils pourront avoir des doubles du dossier à leur sortie ou après dans les CDAG. Ils ont le choix d’informer ou non l’UCSA des résultats. En cas de séropositivité et s’ils restent en prison, nous leur conseillons de les transmettre au service médical.

Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Tout d’abord, il y a ce problème d’anonymat. Ensuite, la notion de volontariat est un peu écornée puisque l’entretien d’entrée est systématique : tous ont droit au counseling. Cela me gêne sur le plan éthique, mais vu les facteurs de risques, il est impossible de ne pas le faire. Autre problème : le manque de locaux. Aux Baumettes, où nous faisons quatre consultations par semaine, cela se passe assez bien. Néanmoins, au quartier des femmes, c’est l’infirmerie qui nous héberge et cela peut perturber son organisation. En revanche, nous avons un gros problème à la maison d’arrêt de Luynes : depuis six mois, nous y avons cessé notre activité faute de locaux et de surveillants, alors que le conseil général a donné les moyens nécessaires. Quand on sait qu’on y accueille des mineurs ! Enfin, nous éprouvons aussi des difficultés à faire du counseling auprès des délinquants sexuels, de plus en plus nombreux. Dimension à laquelle nous allons devoir travailler.

Quelles autres limites rencontre la prévention ?
Dès 1988, nous avons amené des préservatifs en prison. Aujourd’hui, ils sont également accessibles au service médical. Mais leur mise à disposition ne peut pas être faite de façon ostentatoire, car elle est vécue comme déplacée. En gros, les détenus disent : « Je ne peux pas avoir de rapports sexuels ; vous me donnez des capotes ; vous me prenez pour quoi ? » Pourtant, il en faut. Concernant le matériel d’injection, alors qu’il est rare et partagé, seule de l’eau de Javel peut être proposée. Enfin, je trouve anormal que les détenus ne puissent pas disposer de boîtes personnelles fermant à clé pour y ranger leur rasoir et autre matériel hygiènique.

Tous les établissements ne bénéficient pas de l’intervention d’un CDAG. Qu’en pensez-vous ?
Le CDAG est un espace anonyme et ouvert. Il s’y dit des choses qui ne peuvent se dire ailleurs. Dans nos consultations, les détenus parlent de leur sexualité, du fait qu’ils se sont shootés en prison, etc. Le feraient-ils avec les UCSA ? Pas sûr. De plus, les UCSA n’ont pas forcément de temps à consacrer au counseling puisqu’elles travaillent sur toutes les pathologies. Nous, nous sommes là pour cela et y sommes formés. En outre, dans les maisons d’arrêt, il y a un fort turnover. Etre présent avec les mêmes équipes dedans et dehors est donc très intéressant. Mais s’il convient de développer l’accès aux CDAG, encore faut-il que le personnel soit très motivé, car intervenir en prison est un combat continu. Quoi qu’il en soit, le plus urgent reste l’amélioration des conditions de détention : que chacun ait sa douche, des parloirs intimes... Aujourd’hui, on accepte des conditions de sexualité dignes d’animaux !

Propos recueillis par F. R.