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Date : 2-11-2003

Ni thérapeute ni expert : Dans quel entre-deux s’autorise à jouer le psychologue ?

Mise en ligne : 21 novembre 2003

Le journal des psychologues, n°210, septembre 2003

Texte de l'article :

Le temps de l’incarcération n’est pas un temps vide qui ne se penserait que dans la perspective de la sortie. Aussi, dans ce cadre défini par le « projet d’exécution de peine « , quelle position le psychologue peut-il construire et défendre pour accompagner la personne incarcérée pendant le temps de sa peine ?

C’est dans les années 1863-1870 que la ville de Rennes voit la construction d’un bâtiment d’État destiné à accueillir une maison centrale de force pour femmes. Ce fut la première, en France, à être construite spécialement pour les femmes.

Complètement rénové depuis les années 1980, cet établissement a une capacité d’accueil de deux cent trente-trois places pour le centre de détention (personnes condamnées avec un reliquat de peine allant d’un an à la perpétuité), de cinquante-quatre places pour la maison d’arrêt (personnes prévenues ou condamnées dont le reliquat de peine ne dépasse pas un an), un quartier nurserie de quatre places et un quartier de semi-liberté de quatre places.

Son emplacement privilégié au pied de la gare de Rennes, proche du centre ville, son architecture particulière entourant un jardin pouvant rappeler un cloître où se marient la pierre et la brique, sa chapelle et « le jardin du curé », ses espaces verts bordés d’arbres, ses lieux de vie agrémentés de plantes et divisions aux planchers de bois cirés, confèrent à cet établissement une ambiance considérée comme « rassurante » par certaines détenues ou « endormante » par d’autres. Ici, les bruits considérés comme caractéristiques du monde carcéral (bruits de dés, de sondage des barreaux, etc.) se perdent dans l’espace.

Exécution ou accompagnement de la peine  ?

C’est au sein de cette détention particulière que se trouve mon bureau où je reçois les personnes dès leur arrivée dans l’établissement. Je les reçois ensuite à leur demande ou sur sollicitation institutionnelle. La première question qui me fut posée par une surveillante alors que je me présentais fut : « Vous êtes là pour nous ou pour les détenues ? », et ma réponse spontanée fut : « Ni pour les uns ni pour les autres. »

Dans la première moitié des années 1990, le projet d’exécution de peine (PEP) fut pensé comme un moyen de revaloriser le rôle du personnel de surveillance en lui donnant une place prépondérante dans l’accompagnement des personnes détenues par le biais des observations quotidiennes. Cette réflexion fait également suite à la présentation devant le Parlement du projet de loi sur la perpétuité réelle et les peines incompressibles concernant les crimes sur mineurs et au rapport Cartier (fin 1993), qui avait pour objectif d’émettre des propositions sur les moyens de prévenir la récidive des grands criminels. Le PEP est donc un outil élaboré afin de répondre aux deux missions dévolues à l’administration pénitentiaire : la sécurité et la réinsertion en reposant sur le principe d’individualisation des peines.

Trois objectifs ont donc été proposés :

 ? Donner plus de sens à la peine en impliquant la personne détenue dans un projet (acquisition de compétences, obtention de diplômes, participation à des activités socialisantes) et dans une réflexion à l’égard des actes qui ont motivé la condamnation.

 ? Accroître la connaissance partagée de la personne détenue par une approche pluridisciplinaire, ce qui, au niveau de l’institution, correspond à « une révolution culturelle » tant les différents services sont cloisonnés.

 ? Mieux coordonner l’individualisation de la peine afin de prendre en compte le parcours de la personne détenue pour mieux adapter les mesures d’aménagement de peine et de sortie.

 Le dispositif PEP peut répondre ainsi aux impératifs de sécurité (agression, prévention des suicides...) en ce qu’il contribue à une meilleure connaissance de la personne détenue et permet de créer une relation autre entre les professionnels et les détenus. Relation autre ne signifie pas confusion des genres, mais une appréhension différente, décalée des a priori habituels. Créer une relation intersubjective permet de désamorcer et d’éviter certains comportements violents qui pourraient avoir des conséquences dramatiques sur la vie des personnes.

Quant à la mission considérée comme plus valorisante (mais qui est étroitement liée à la première) de la réinsertion, la construction d’un parcours de vie en détention doit permettre (si l’on pense de façon linéaire) de mettre en place des bases concrètes pour un avenir plus socialisé. Derrière ces termes quelque peu hermétiques se posent, pour le psychologue, des enjeux déontologiques, éthiques, voire politiques.

La polysémie des termes « projet d’exécution de peine » évite la dimension subjective au profit d’une conception généraliste de l’être humain. Ces objectifs ainsi précisés supposent que toute personne « fonctionne » selon les mêmes processus : l’élaboration d’un projet construit, la réflexion par rapport à un passage à l’acte..., vont de façon très linéaire et mécaniste aboutir à préparer un projet dans une norme sociale ultérieure. Or, le rôle du psychologue dans cette institution particulière prend toute sa richesse lorsqu’il s’agit de faire advenir le sujet derrière ce corps prisonnier qui subit une peine, qui paie une dette sociale.

Le PEP vaut-il la peine ? Ce que l’on pourrait appeler le « parcours d’accompagnement de la peine (PAP) » apparaît beaucoup plus adapté à la réalité du terrain, et chaque catégorie professionnelle peut apporter sa contribution spécifique dans cet accompagnement de la personne. Le cadre du psychologue PEP est celui de la peine et du temps de la peine, contrairement à celui dans lequel intervient le psychologue en service médico-psychologique régional (SMPR), qui est celui du soin et de la question du processus du passage à l’acte.

Il y aurait une articulation entre les deux cadres dès lors qu’il y a une appropriation par la personne détenue, à la fois de la peine et du soin. Je reprendrai ici les propos de P. Plichard et A. Golse qui écrivent que la peine « est là pour réparer le symbolique, plus exactement pour le redire, après que délit ou crime l’ont dénié. Elle réinclut celui qu’elle frappe dans le symbolique social. La peine n’est pas faite pour s’insérer, se réinsérer au sens sociotechnique du terme. Elle est encore moins faite pour se soigner. Si la peine sert à quelque chose c’est par surcroît. C’est la prison qui permet ou qui empêche - si elle est trop pathogène - ce surcroît [1] . »

Le psychologue PEP travaille sur la clinique de l’actualité et c’est sur la question de l’actualité psychique qu’il est amené à débattre.

À la dualité, voire à l’ambiguïté, de la mission sécurité-réinsertion se situe comme en miroir l’élément clé du profil de poste du psychologue PEP tel que défini par l’administration : « Ni expert ni thérapeute ». Hiérarchiquement parlant, le psychologue PEF est directement rattaché au chef d’établissement. Ce qui le place quelque peu en satellite par rapport à l’organisation pyramidale usuelle et lui permet de conserver, relativement, un effet tiers, effet externe tout en étant dans une implication interne.

Secret professionnel et travail d’équipe

Le PEP, en tant que projet de l’institution, demande à travailler en équipe pluridisciplinaire. De ce fait, tous les professionnels (personnels de surveillance, chefs de détention, conseillers d’insertion, responsables des secteurs de formation et du travail, directeur, etc.), quelle que soit leur position hiérarchique, sont considérés comme des acteurs du dispositif d’accompagnement et sont amenés à partager leurs représentations de la personne détenue et de son parcours de vie en détention. Bien entendu, si le psychologue est sollicité « pour apporter un éclairage sur la personnalité de la personne détenue », son rôle est alors de transmettre quelque chose de la subjectivité tout en préservant l’intimité. L’intimité est ici directement touchée, là où le principe central de l’organisation du travail est de tout voir et tout savoir. Où s’arrête la surveillance et où commence le voyeurisme ? C’est peut-être également à ce niveau que la fonction tiers du psychologue peut jouer son rôle en faisant admettre à l’institution qu’elle ne peut être dans le fantasme de maîtrise et que préserver l’intimité est fondamental et garant de l’identité de la personne.

 Le paradoxe de l’institution carcérale réside dans la nécessaire relation des personnels avec les personnes détenues, relation toujours ambiguë, alternant entre défiance et écoute de la souffrance ou de la confidence.

Comment rester humain sans sombrer dans la complicité ? Comment continuer à penser pour mieux accompagner ?

Aussi, ni pour les uns ni pour les autres, le psychologue intervenant dans le cadre du PEP tente de mettre du lien entre les représentations parfois caricaturales, les a priori ou les bonnes volontés maternantes des professionnels et la part de subjectivité de la personne détenue. C’est aussi travailler autour de la question de l’altérité essentielle dans l’élaboration du passage à l’acte. C’est tenter que puisse se faire une réappropriation, voire une appropriation de soi.

Bien évidemment, en filigrane, se pose la question du secret professionnel, question incontournable et qui ne peut s’appréhender de façon rigide, au risque de restreindre la personne à une seule dimension. Se poser la question de l’intérêt du sujet me parait être une façon de réfléchir et de trouver des aménagements respectueux entre le respect abrupt, qui fait que justement on ne se pose pas de question, et l’indiscrétion. Se penser seul détenteur d’un secret met en relief le fantasme de toute-puissance et pose la question du sujet : comment faire en sorte de ne pas s’approprier la personne, soit en gardant le secret soit en s’appropriant sa parole ? L’une des réponses consiste alors peut-être dans la nécessaire connaissance par la personne détenue qu’il existe un partage d’informations entre les professionnels. La question qui doit se poser alors est d’évaluer ce qui est réellement en jeu, dans la perspective bien comprise du sujet La représentation que l’on se fait de l’intérêt du sujet n’est pas forcément son intérêt de sujet. Les objectifs impartis au PEP peuvent alors aider le professionnel (travailleur social, surveillant, psychologue, etc.) à poser les limites à sa parole. Se mettre à soi-même ses limites permet de prendre du recul avec les enjeux institutionnels. C’est garder son intégrité professionnelle, une certaine indépendance avec les enjeux de pouvoir, de séduction... inhérents à chaque institution. Il ne faut toutefois pas perdre de vue l’importance du regard pluridisciplinaire afin de pouvoir proposer à la personne un accompagnement le plus pertinent et cohérent possible. Un regard pluriel permet aussi de sortir d’une éventuelle relation d’emprise, de nature perverse qui nous rendrait alors complice « d’un secret de famille ». À l’inverse, le rôle du psychologue dans cette approche plurielle serait d’induire un brin de perplexité et de doute dans une vision trop unanime de la personne dont le risque serait de la rendre victime « d’une manipulation collective » et, par-là, de la nier dans son état de sujet.

Le temps de ta peine

Ainsi posées ces limites, ou au moins ces questionnements, le travail du psychologue est un travail d’interface dans l’actualité qui doit permettre au sujet d’être réellement partie prenante dans son parcours de vie actuel. Car le jeu est faussé dans l’illusion qu’il faille à tout prix préparer la sortie, comme si la prison ne devait être qu’une mise entre parenthèses et que ces effets ne pouvaient se mesurer qu’à l’extérieur. Le temps de l’incarcération n’est pas un temps vide qui ne se penserait que dans la perspective de la sortie, et a fortiori pour les longues peines. Il peut être un temps de reconstruction d’une identité, passant par des paliers successifs de narcissisation indispensable (apprentissage de la lecture, de l’écriture, obtention de diplômes ou de formations professionnelles valorisants, etc.). Ainsi aurais-je toujours en mémoire cette femme quittant l’établissement en pleurs, remerciant « la prison » de lui avoir permis de se découvrir ; elle qui avait été soumise sa vie durant à une dictature familiale puis conjugale. De chose, elle avait, au fil du temps passé en détention, appris suffisamment à lire et à écrire pour être autonome sur le plan administratif quotidien. De chose, elle avait découvert qu’elle avait un corps et un corps de femme dont elle pouvait s’occuper avec plaisir et sans honte (par le biais d’atelier de relaxation, de gym douce et de socio-esthétique).

Si le PEP vaut la peine, c’est bien dans des moments comme ceux-là qu’il peut se mesurer. Loin des lieux communs sur la prison, le discours des personnes détenues dans le huis clos des entretiens témoigne que cette construction de soi entant que sujet est possible. 

Le risque est de confondre l’acteur et le sujet : on peut être un bon acteur sur la scène sociale, c’est-à-dire répondre à la logique institutionnelle en s’inscrivant dans un parcours « sans faute » et échapper à la logique du sujet qui est aussi celle du rapport à l’autre. Le psychologue doit être celui qui tend vers la logique du sujet en la faisant entendre aux professionnels qui, de toute bonne foi, attendent de la personne détenue qu’elle se saisisse de ce qu’on lui propose, la plaçant implicitement dans « un contrat » unilatéral : « Je peux faire de toi ce que je veux si tu n’évolues pas comme je le souhaite. » Le propos du psychologue serait alors de restituer à chacun sa place.

Le temps de l’incarcération est un temps durant lequel il faut survivre, vivre un quotidien codifié dans le temps et l’espace, qui peut permettre à la personne de se trouver, de revaloriser une image de soi défaillante, même s’il lui faut passer par des phases de régression qui rendent les professionnels démunis, confrontés à un vécu propre d’incapacité qui peut susciter agressivité et rejet, alors qu’il s’agit en fait d’identifier et d’accompagner ces mouvements régressifs pour ce qu’ils sont C’est ici que le psychologue peut répondre à la demande institutionnelle de « l’éclairer sur la personnalité de la personne détenue ». Il lui revient de décoder des comportements qui peuvent être perçus selon un prisme réducteur dans lequel, le plus souvent, le professionnel se vit touché personnellement dans son intégrité professionnelle, voire individuelle.

Décoder, par exemple, certains comportements agressifs comme un passage à l’acte visant à annuler une permission de sortie prochaine par peur de la réalité extérieure, décoder certains actes d’automutilation comme une façon de s’éprouver dans un corps auquel on ne se sent plus appartenir...

La fonction de psychologue au sein d’un établissement pour peines impliqué dans la dynamique du PEP est une fonction en devenir et en constante évolution puisque les jours qui s’écoulent n’amènent que questionnements et interrogations qui demandent de rompre avec des évidences ou des a priori, sources d’enfermement et de sclérose.

Elle confronte quotidiennement aux limites qui font, au final, l’exercice professionnel. 

Catherine Mercier
Psychologue au centre pénitentiaire de Rennes

Notes:

[1« Psychiatrie en prison, une clinique aux limites », in, « Prisons entre oublis et réformes », n°5, Mana, Revue de sociologie et d’anthropologie, 1998