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> Edito

"Ne jouons pas avec la prison"

Mise en ligne : 22 mars 2007

Dernière modification : 17 décembre 2007

Texte de l'article :

"Ne jouons pas avec la prison" : c’est en ces termes que Claude d’Harcourt, directeur de l’administration pénitentiaire, s’est exprimé le 21 mars 2007, dans la rubrique "tribune" de Metrofrance.com, un site d’information continue.

 

"Le terme de "honte" a souvent été prononcé pour parler de la prison. La honte "est un sentiment pénible provoqué par une faute commise, par une humiliation", indique le Larousse. Près de 23 000 surveillants partiraient ainsi le matin travailler "dans la honte" ?"

 

Le terme "honte" a bien été utilisé pour parler de la prison, par les sénateurs eux-mêmes dans le rapport qu’ils ont remis le 28 juin 2000. En février 2006, le Commissaire européen aux droits de l’Homme de l’époque, Alvaro Gil-Robles, a également rendu un rapport accablant sur l’état des prisons françaises. Qu’il s’agisse des sénateurs ou bien du Commissaire européen aux droits de l’Homme, leur sérieux ne fait aucun doute.

Il y a de quoi avoir honte quand des jeunes de 20 ans se suicident au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt où ils sont en détention provisoire ; ils sont sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire.

Il y a de quoi avoir honte quand l’administration pénitentiaire ne prend même pas la peine de répondre à la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), suite à une saisine du 11 avril 2003.

Il y a de quoi avoir honte quand des personnes meurent en prison parce qu’une suspension de peine pour raison médicale a été refusée (quiconque ait la responsabilité de ces décisions).

Il y a de quoi avoir honte à prétendre faire des règles pénitentiaires européennes (RPE) une charte d’action de l’administration pénitentiaire, alors que, pour une partie d’entre elles, elles sont une simple révision de celles de 1987. La direction de l’administration pénitentiaire crée une lettre d’information sur l’actualité des règles pénitentiaires européennes, dont le 1er numéro est daté de mars 2007, qui plus est, dans les 2 langues officielles du conseil de l’Europe. Mais, pour l’instant il s’agit toujours de la phase d’expérimentation ; moins d’un établissement sur 6 est concerné et les règles incompatibles avec le droit français ont été écartées, alors même que la France s’est moralement engagée en adoptant les RPE avec les autres pays.

Il y a de quoi avoir honte lorsque, pour assurer sa mission de réintégration des personnes dans la société, l’administration pénitentiaire met à disposition un conseiller d’insertion et de probation pour 134 personnes incarcérées, d’après le rapport d’août 2006 de l’inspection générale des services judiciaires (rapport rendu officiel début 2007 seulement).

Il y a de quoi avoir honte quand des personnes restent à l’isolement des années durant, totalement privées de contacts sociaux et de sollicitations sensorielles.

Il y a de quoi avoir honte quand une femme enceinte reste incarcérée.

Il y a de quoi avoir honte quand une mère est séparée de son enfant, lorsque celui-ci atteint l’âge de 18 mois.

Il y a de quoi avoir honte quand ce n’est qu’en février 2007 que l’administration pénitentiaire a saisi le ministère de l’intérieur pour étudier la question de l’installation de bureaux de vote dans les prisons, en vue de l’élection présidentielle d’avril 2007.

 

La question n’est pas de savoir si ce sont les surveillants en particulier qui vont travailler dans la honte.

 

"Chacun doit balayer devant sa porte et mesurer l’écart qui sépare le discours et l’action. Ceci vaut pour le service public. Mais cela concerne aussi ceux qui continuent de "laisser croire" à une société sans prison, à des prisons sans sécurité, à des détentions sans risque, à une réinsertion spontanée. Ceux dont les raisonnements prennent des détours inattendus voire pervers, qui tiennent de la politique du pire. Ceux enfin qui excellent à brouiller les repères. "

 

Bien sûr que l’on peut espérer une société sans prison, non pas une société sans crime (ce serait de l’angélisme), mais une société qui aurait la capacité à sanctionner le crime dans le respect des droits de l’Homme.

La réintégration des personnes n’est assurément pas spontanée ; mais ce n’est pas en faisant de la prison une zone dérogatoire au droit du travail que les personnes auront une vision positive du travail ; or la réintégration se fait souvent par le biais d’une activité salariée.

Que les détours des raisonnements soient qualifiés de "pervers" n’engage que la responsabilité de celui qui l’a écrit.

 

"Elles [les RPE] nous permettent de mêler principes et pratique. En prenant en compte la réalité telle qu’elle est. Et non la prison idéale dont certains rêvent. Ne jouons pas avec un sujet aussi sérieux."

 

La prison idéale n’existe pas car la privation de liberté ne peut être ni un idéal ni un rêve.

Il ne faut jamais oublier que ce sont environ 60 000 personnes qui sont incarcérées à un instant donné, et autant de familles affectées par l’incarcération d’un proche. Personne n’a donc envie de "jouer avec un sujet aussi sérieux".

 

La rédaction de Ban Public

(Mars 2007)