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Maroc : En prison, les chances de survie des malades sont très minimes !

Mise en ligne : 26 mai 2004

Dernière modification : 1er septembre 2006

Texte de l'article :

Entretien avec Abderrahim Jamaï, secrétaire général de l’Observatoire marocain des prisons : « En prison, les chances de survie des malades sont très minimes ! » 

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12.05.2004 | 15h49 
 
Le secrétaire général de l’Observatoire marocain des prisons n’en finit pas de se battre au quotidien pour que les droits humains fassent leur entrée dans le monde carcéral. Abderrahim Jamaï égrène les défaillances des prisons marocaines et décrit les conditions déplorables de détention. Entretien avec un homme en colère.

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Le Matin : C’est la première fois que le CCDH a fait un rapport complet sur les prisons et les conditions de détention. Qu’est-ce qui a retenu l’attention du groupe de travail qui en est l’auteur ? Le CCDH a-t-il, à votre avis, pointé les défaillances des prisons ?

Abderrahim Jamaï : Le groupe de travail en charge de ce rapport sur les prisons et les conditions de détention en a listé toute une série et a mis le doigt sur les situations qu’il fallait dénoncer. Avec honnêteté, ce groupe a précisé que l’administration pénitentiaire n’a pas donné toutes les informations nécessaires sur le nombre des prisonniers au Maroc. Selon un bulletin de l’Administration pénitentiaire datant de 2002, il y a 77 831 personnes détenues y compris ceux en détention provisoire.

Le rapport du CCDH dévoile par exemple la proportion de surpopulation carcérale. A la prison de Al Hoceima, la surpopulation est de l’ordre de 640%, à la prison de Beni Mellal, elle est de 442%, à Laayoune le pourcentage est de 407% alors qu’à la prison de Berrechid, le surplus de détenus est de l’ordre de 320%, et à la prison civile de Kenitra, la surpopulation carcérale s’élève à 270%. Ces chiffres montrent que la situation est grave.

Le rapport souligne également qu’il y a un manque de respect de la dignité humaine dans les prisons marocaines. Le groupe de travail en charge de cette mission d’enquête a ainsi trouvé des détenus qui n’avaient pas de lits, couchant à même le sol ou sous les lits de fer. Le groupe a rencontré des prisonniers qui couchent dans des armoires et même dans les WC.

Il a été du reste clairement indiqué que le nombre de lits ne peut être qu’inférieur à 30 000 lits. Ce qui veut dire qu’il y a un lit pour trois détenus.

Tout cela est contraire aux règles minima de l’ONU, contraire aussi à la législation marocaine de 1999.

Les défaillances au quotidien dans une prison, c’est quoi concrètement ?

Il n’y a pas de lits comme je viens de le dire. Pas suffisamment de moyens médicaux. A travers toutes les prisons du Maroc, on compte par exemple deux chaises dentaires, à la prison de Oukacha, à Casablanca et à la prison de Salé.

Sans parler du fait que les médecins indépendants travaillant dans l’univers carcéral est une denrée rare car ils sont tous contractuels de l’administration pénitentiaire. L’ordre des médecins doit d’ailleurs penser à une nouvelle forme de collaboration pour que les détenus puissent être soignés.

Les maladies contagieuses, les MST, la gale et la tuberculose font rage dans les prisons marocaines et cela le rapport du CCDH l’a bien relevé. L’hygiène fait également grandement défaut

Mais qui est responsable d’une telle situation ?Est-ce l’Etat et l’administration pénitentiaire ? Ou est- ce une politique voulue et selon laquelle les prisonniers doivent être maltraités dans les prisons marocaines ?

Beaucoup d’éléments peuvent expliquer ce phénomène. D’abord, tout le monde sait qu’il y a un manque de moyens et un budget dérisoire allant aux prisons. Il y a également un manque de formation et surtout celle continue à l’adresse du personnel pénitentiaire et plus précisément les gardiens. Quand je dis formation, je pense à la loi régissant les prisons, aux règles minima concernant la situation des prisons et enfin à la formation en matière de droits humains.

A cela, il faut ajouter ce manque de transparence entre l’administration et l’environnement de la société civile. Les ONG ne peuvent pas avoir accès facilement aux établissements pénitentiaires. Les associations ne peuvent avoir ni les documents nécessaires à leur travail ni une facilité de contact avec les prisonniers ou avec les responsables de chaque prison.

Il faut tout de même reconnaître qu’il y a quelques années, des associations ont pu avoir accès aux prisons et même la possibilité d’écouter des détenus et des gardiens. Tout cela n’a plus lieu depuis le changement survenu à la tête de la direction de l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, les ONG sont face à un silence absolu. Il n’y a plus aucune collaboration avec l’administration pénitentiaire malgré l’insistance des associations.

L’administration doit savoir que les ONG peuvent contribuer à prévenir les drames et les catastrophes qui se produisent à l’intérieur des prisons. Je pense par exemple aux cas de suicide. Cet été, l’observatoire marocain des prisons a avisé l’administration par rapport à trois cas de suicide survenus sur la période d’un mois. Quant aux tentatives de suicide, elles sont souvent dues au comportement de l’administration.

Je pense aussi aux cas de maladies graves et qui pourraient être traitées en dehors de la prison. Malheureusement, le manque de moyens et le manque d’intérêt de l’administration vis-à-vis de ces personnes en détention ne donnent pas une grande chance de survie aux prisonniers malades. En prison, ceux qui souffrent d’une maladie grave sont en fait condamnés à mourir.

Lutter contre la surpopulation carcérale : une urgence

Et que dit la loi par rapport aux personnes âgées en détention ?

Si on avait appliqué la loi avec rigueur, les personnes âgées auraient bénéficié d’une grâce. Visiblement, les vieillards ne représentent pas de danger pour la population. De même que les grâces médicales peuvent être accordées aux personnes qui souffrent de maladies graves, lourdes et contagieuses. Soit on les soigne, soit on leur accorde la liberté pour qu’ils se fassent soigner. Il y a des maladies qui conduisent l’administration à procéder à l’isolement du prisonnier qui en souffre, instituant ainsi une sorte de prison dans la prison.

Le rapport du CCDH a-t-il dénoncé des cas de mauvais traitements ?

Le groupe de travail en charge de cette mission sur les prisons a pu contacter des prisonniers et recevoir directement leurs plaintes. Ces détenus dénoncent en effet des mauvais traitements. Certains parlent de torture.

D’autres se sont plaints de « famine ». Il existe des détenus qui ne mangent pas à leur faim. Plus grave encore, le rapport du CCDH évoque les cas de prisonniers victimes de racket ou sous l’emprise de la drogue, laquelle circule librement dans les prisons.

La nouvelle loi sur les prisons a -t-elle contribué à une amélioration quelconque dans les conditions de détention ?

La loi de 1999 a poussé l’administration à penser à la construction de nouveaux bâtiments. Mais d’après le rapport du conseil consultatif des droits de l’homme, les nouvelles prisons ne sont pas prêtes d’être une réalité. Il y a 8 projets de construction de prisons complètement arrêtés.

3 autres projets de prison devraient voir le déclenchement des travaux de construction en 2005, alors que 3 établissements pénitentiaires sont déjà en construction. Quand on dit que 14 prisons vont voir le jour, il faut nuancer le propos car seulement 3 sont réellement en construction.

Parlons par exemple des prisons agricoles comme El Ader, elles manquent absolument de tout : pas de moyens d’exploitation, pas d’encadrement technique, et plus grave encore, le produit de cette exploitation n’est pas mis à la disposition des prisonniers. Tout cela pour dire qu’il n’y a pas une stratégie pour donner à ces prisons une valeur pour être véritablement des centres de rééducation et de réinsertion d’une population qui a besoin d’une formation professionnelle.

Il ne faut pas oublier que la majorité des détenus a moins de 35 ans. Comment peut-on gérer valablement des centres de détention comme celui de Oukacha à Casablanca qui compte plus de 6000 prisonniers et la prison de Salé où plus de 3000 personnes sont détenues. Il est humainement impossible de diriger de telles prisons mais si on met à leur disposition des centaines d’encadrants. On rencontrera toujours les problèmes les plus aigus sur le plan humain, relations prisonniers-gardiens,etc.

Comment alors lutter contre la surpopulation carcérale ? Faut-il imaginer de nouvelles formes de sanctions comme les peines alternatives ?

Il y a là une responsabilité de notre politique judiciaire. Il y a là une responsabilité de nos tribunaux et de nos magistrats qui infligent des peines de prison souvent « comme ça ». Des milliers de personnes sont en détention provisoire pendant plusieurs mois voire des années. La lenteur des tribunaux est ici mise en cause ainsi que le manque d’intelligence dans l’application de la peine.

De même, il n’existe pas de peines alternatives. Le ministère de la Justice et l’administration pénitentiaire ne mettent pas en application des mesures prévues par la loi comme la liberté conditionnelle. Il s’agit ici de donner une valeur à l’étude des dossiers et de mettre fin au manque de transparence, sachant qu’il y a discrimination pour bénéficier des demandes de grâces. Toute mesure doit être proposée et déposée par l’administration.

C’est l’administration qui détient les moyens pour faire bénéficier les détenus de la grâce, de la liberté conditionnelle, etc. Il est important que soit mis en activité le juge d’application des peines qui existe chez nous mais qui n’exerce pas réellement.

Les comités régionaux en charge de la supervision de la situation carcérale qui sont en principe présidés par les gouverneurs et dont font partie des juges, des procureurs et des représentants d’ONG spécialisées dans le domaine, n’existent en fait que sur du papier. Il y a quelques mois, le ministre de la Justice a demandé aux ONG de lui présenter une liste de membres qui pourraient participer à ces comités régionaux que M. Bouzoubaa compte, semble-t-il, réactiver. 
 
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« L’administration pénitentiaire ne collabore plus avec l’OMP ! »

L’Observatoire Marocain des Prisons, l’OMP, est en train de finaliser son troisième rapport annuel sur la situation des établissements pénitentiaires et les conditions de détention.

« Nous sommes scandalisés par le comportement de l’administration pénitentiaire qui n’a pas voulu collaborer avec l’OMP », s’indigne le secrétaire général de cette ONG. Et de rappeler que l’OMP a mené des actions à caractère humanitaire en faveur des prisonniers malades, des femmes en détention et des enfants privés de liberté.

Depuis trois ans, l’Observatoire se bat sur tous les fronts pour mener sa mission première : défendre les droits des prisonniers et leur protéger contre toute injustice ou mesure illégale au cours de leur détention. « Il est également important pour nous de procéder à la sensibilisation de l’opinion publique sur la nécessité d’une bonne application de la législation relative aux établissements pénitentiaires et l’appel à son amélioration ».

Les dirigeants de l’OMP le disent non sans fierté : ils ont soulevé nombre de questions jusque-là tabous comme les abus commis par les gardiens de prison, les décès de détenus ou encore des cas de maltraitance de prisonniers. « Nous avons officiellement réclamé les résultats de l’enquête sur les incendies survenus dans les prisons d’El Jadida et Souk Al Arbâa. pourtant le ministre de la justice s’était engagé à rendre publics les résultats de cette enquête », fulmine A. Jamaï.

En attendant, l’OMP est tout à son nouveau projet : l’analyse des plaintes des prisonniers et l’écoute et la formation en matière de droits humains à l’adresse des gardiens des prisons. « Nous sommes en train de préparer un programme de formation pour les membres de l’Observatoire qui seront appelés à siéger dans les comités provinciaux de supervision de la situation des prisons ». 
 
Entretien réalisé par Narjis Rerhaye