15410 articles - 12266 brèves

Didier Tallineau (décédé le 5 décembre 2006)

lettre ouverte au garde des Sceaux dénonçant la politique d’étouffement de la suspension de peine menée depuis 4 ans

Mise en ligne : 14 décembre 2006

Le Pôle suspension de peine, dont le SM est membre, a rendu public le 7 décembre une lettre ouverte au garde des Sceaux dénonçant la politique d’étouffement de la suspension de peine menée depuis 4 ans.

Texte de l'article :

Lettre ouverte

« Le garde des sceaux et la suspension de peine pour raisons médicales : une politique attentatoire aux droits fondamentaux »

Monsieur Le Garde des Sceaux,

La mort en détention de Didier Tallineau, gravement malade, dont l’état avait été déclaré par plusieurs experts incompatibles avec la détention, est emblématique de la gestion par vous-même et vos services du dossier de la suspension de peine pour raisons médicales. Cette mesure a été introduite en un article 720-1-1 du code pénal en 2002 la suspension de peine pour raisons médicales pour les détenus dont le pronostic vital est engagé ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec la détention. Votre immixtion ainsi que celle de votre prédécesseur dans le dossier Tallineau pour obtenir de la justice la réincarcération d’un malade sont d’autant plus inadmissibles qu’elles s’accompagnent d’une totale inertie, voire d’une hostilité à assurer une application effective et égalitaire de cette suspension de peine dont la logique est d’assurer aux condamnés gravement malades un suivi médical ou une fin de vie dans la dignité, hors les murs.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi en mars 2002, des suspensions de peine ont été accordées au compte goutte, sans que vos services soient jusqu’à présent, en dépit de nos demandes et réunions multiples, en mesure de donner des indications chiffrées précises sur le nombre de demandes formées, de rejets et d’octrois de la mesure ni de recenser et analyser les motifs de refus. Au mépris des engagements pris par votre ministère lors d’une table ronde interministérielle tenue le 25 janvier 2005 avec le Pôle Suspension de peine, aucun groupe de travail n’a été mis en place sur l’hébergement et l’accueil des condamnés susceptibles de bénéficier d’une suspension de peine ou sur la formation des experts médicaux. Vous avez été dans l’incapacité d’impulser une étude épidémiologique des malades en prison, susceptibles de bénéficier d’une mesure de suspension de peine.
De façon plus globale, vous vous contentez d’affirmer, en dépit des rapports internationaux, européens et nationaux accablants pour la France que les conditions carcérales des détenus malades et la prise en charge médicale dans les établissements pénitentiaires français sont tout à fait satisfaisantes.
Vous n’hésitez pas à proposer un détournement de la fonction initiale des Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI), prévues en principe pour de courts séjours , qui ne sauraient suppléer les prises en charge et suivis médicaux à l’extérieur, qu’autorise et préconise la loi du 4 mars 2002. Ainsi, vous avez déclaré lors de l’inauguration de l’UHSI de Bordeaux en mai 2006 que : “Pour les détenus les plus gravement malades, nous avons soutenu la création des Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales. Pour les détenus les plus gravement malades, ces unités ont vocation à accueillir dans huit centres hospitaliers universitaires (CHU), les personnes détenus devant subir une hospitalisation programmée supérieure à une durée de 48 heures.”
Entre interventionnisme dans le fonctionnement de la justice pour la réincarcération des détenus gravement malades, indifférence au développement de solutions satisfaisantes d’hébergement favorisées par l’Etat, annonces dilatoires de constitution de groupes de travail, durcissement de la loi en décembre 2005, régression condamnée par la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’homme), votre action ne répond pas, loin s’en faut, aux exigences européennes de traitement digne et humain des personnes incarcérées découlant de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
Nous vous demandons solennellement de mettre fin à une telle politique qui contribue à faire de notre système pénitentiaire la “honte de la République”, comme l’indiquaient nos parlementaires en 2000.

Paris le 7 décembre 2006
Le Pôle “Suspension de peine”

Contacts Presse : Délou Bouvier : 06 75 61 81 66
Nathalie Vallet :06 61 70 50 27
Valérie Laurent-Pavlovsky : 06 11 96 45 64