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Lettre n°01 Une voix derrière le mur... de prison (09/07)

Mise en ligne : 10 septembre 2007

Dernière modification : 3 octobre 2008

Texte de l'article :

Une voix derrière le mur... de prison

Je suis prisonnier et je me nomme Didier. En souvenir d’une amie d’enfance décédée du SIDA en 1992, j’ai décidé de signer mes « lettres mensuelles » du nom de Diede. Elle était la seule à me nommer de ce surnom. Une manière pour moi de me souvenir d’elle et de le lui faire par je ne sais quel chemin mystique, qu’elle est toujours présente dans mes pensées.

Très souvent, quand un prisonnier s’adresse à la société en général, à une personne en particulier, c’est comme un réflexe, on se demande et on lui demande « mais pourquoi tu es ou tu as été en prison, toi ? ». Bien que je n’aie rien à cacher, ma réponse sera claire, nette et sans appel, « cela ne concerne que moi, la Justice et les parties civiles. » Là n’est pas le sujet de cette lettre. Et puis, ne dit-on pas que « la curiosité est un vilain défaut » ? Si, alors... Bien entendu, je comprends très bien celles et ceux qui préfèrent avant tout savoir à qui ils s’adressent, mais dans ce cas-là, « la messe est dite », peut-être à une prochaine fois, à la revoyure, tchao, bye bye, d’un clic de souris, au revoir.

Vous êtes toujours là ? Génial, je suis vraiment heureux ! Qui suis-je ? J’ai quarante deux ans (pour le moment !) et je suis incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé depuis le 5 juin 2005. Je n’ai plus toutes mes dents (mais on m’en a mis des fausses, des pas vraies, des qui font que je peux ouvrir la bouche quand je souris à quelqu’un), bicause, j’ai été consommateur d’héroïne pendant une bonne quinzaine d’années. Ma « Dame blanche » a été ma fidèle compagne (je ne dis bien « a été »), une vraie rencontre amoureuse, je ne vous dirais pas, tout simplement parce qu’en ce qui me concerne, ça n’a pas été le cas. Si j’en ai pris, c’était justement parce que c’était bon. En ce qui concerne mézigue (moi), je ne suis pas maso, bien que chacun d’entre nous ait le droit d’être ce qu’il veut. Et je dois vous avouer que s’il n’y avait pas eu le revers de la médaille, j’en prendrai encore. Bref, j’ai arrêté de consommer il y a presque quinze ans maintenant et ayant trouvé de nouvelles sensations, bien moins coûteuses, je ne m’en porte pas plus mal.

En 1987, alors que je suis incarcéré depuis plus de deux ans, j’apprends, après avoir fait un zona, que je suis séropositif au VIH. Je vous passe les détails quant à la manière dont on vous annonce une maladie mortelle en prison, mais ça donne à peu près ceci : « monsieur, vous avez le virus du VIH. Tenez bon. »
Contaminé certainement en 1985, parce que deux ans auparavant, j’étais aussi en prison. Sinon, c’était avant 1983, mais à partir de là, on ne compte plus, on ne connaissait même pas l’existence de « cette saloperie de merde de virus à la con. » En 1990 (je crois me souvenir ?), je prends mon premier traitement antirétroviral, et encore en prison. En 1999 (Ô miracle, je suis un homme libre depuis 1995), je déclare une maladie opportuniste du VIH, la tuberculose, je passe donc du statut de séropositif à celui de malade du SIDA. Cela m’a toujours un peu amusé cette classification, parce que quand on a le virus VIH, que l’on soit séropositif ou malade du SIDA, on est dans la mouise et l’avenir ne s’annonce pas franchement de tout repos. Depuis que j’ai été mis sous traitement antirétroviral (des monothérapies, des bithérapies, des trithérapies, des multithérapies), j’en ai avalé des cachets et des gélules, des saladiers entiers, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Ma vie ne tient pas à un fil, mais plutôt à tous ces médicaments, je devrais dire ! Mais bon, comme on se le disait avec une de mes ex-petites amies, « je ne vais pas en faire une maladie. » Pas trop le genre du personnage de s’apitoyer sur son sort. Soyons positif, heu... soyons optimiste. Pour terminer sur mon état de santé, j’ai aussi le virus de l’hépatite C (le VIH se faisait un peu chier tout seul, alors je lui ai présenté quelqu’un), un cancer de la peau joliment nommé « maladie de Bowen » (sûrement le blaze [nom] de son découvreur ou du premier joyeux luron qui se l’est chopé) et il y a un an et demi, j’ai tenté l’expérience de l’infarctus du myocarde et de la péricardite. Pas terrible, je ne vous le conseille pas. Si, si, j’insiste vraiment et sérieusement ! A part ça, tout va bien, excepté le fait que je suis en prison et que le moral, du coup, est en berne pour un bon bout de temps.

Maintenant que je vous ai tout dit, délinquant, toxicomane et taulard à répétition, venons en à la véritable raison de cette Lettre mensuelle. Pourquoi, je vous le demande, il me vient l’idée d’en écrire une sur le site de Ban Public, association qui, soit dit en passant, me soutient depuis le début de cette incarcération et dont l’une des membres, Charlotte, est une amie, que dis-je, une AMIE (y a pas de raison que je ne dise pas ici que je lui dois beaucoup, entre autre le fait que je suis entrain de vous écrire). Une vraie, pas ses ami(e)s de circonstances avec qui l’on passe une soirée, non, de celles sur qui on peut compter dans les moments les plus critiques et quand je dis « critiques », c’est bien dans tous les sens du terme. Anne et une autre amie en font également partie (à elles également, je leurs dois d’être encore là, vivant et avec de l’espoir). Donc, je disais « pourquoi ai-je envie d’écrire cette Lettre mensuelle ? ». La raison est simple : je veux sortir de prison, au sens « figuré » du terme, m’évader par les mots, quoi ! Faire valoir et faire reconnaître mon droit d’exister, de m’exprimer librement, clairement et simplement, sur ce que je vois, je revois, je prévois, je perçois, de derrière mes barreaux d’aciers trempés et au travers du tube cathodique (la télévision, des fois qu’aurais entravé que dalle à ce vocabulaire), de la société « moderne » (il me vient l’envie de rire comme une envie de pisser, tiens !), mais je veux, aussi, surtout, également, parler de la prison, de ce que les personnes peuvent vivre enfermées dans une cellule de 9m² au mieux (à 3), au pire de 7m² (tout seul). Avec des mots, difficiles d’expliquer ce que l’on peut ressentir dans ce lieu grisâtre, mais je vais essayer. Sortir de prison, pour moi, et vous y faire entrer, vous, par l’intermédiaire de ce que l’on appelle « l’écriture ». Personne moralisatrice, fasciste et homophobe, s’abstenir. Le dialogue se veut, ici, être dans le respect de chacun et l’échange.

Par définition, la prison est un monde fermé, à multi tour, mais c’est aussi un monde méconnu de la société. Or, la prison fait partie de celle-ci. J’ai tendance à imaginer la prison comme étant le trou du cul de la société. C’est vrai, à part se torcher le cul, y en a pas beaucoup qui vont voir ce qui s’y passe ! Que l’on pose la question « à quoi sert la prison ? » on répond illico presto « à mettre les délinquants et les criminels dedans. » Sans oublier de rajouter « et jetez la clé ». Qu’est-ce qui pousse la société (et l’opinion publique qui s’y trouve) et que gagne-t-elle à mettre de plus en plus de gens en prison ? Une simple réponse suffit : « camoufler son échec. » C’est pas moi qui le dit (mais je le pense, l’affirme, le confirme), se sont quelques uns de nos grands philosophes. La perpétuité réelle n’existe pas, alors on invente la peine incompressible. Il n’y a plus de place dans les prisons françaises, le taux d’occupation se lève à près de 130%, alors on supprime la grâce présidentielle et l’on diminue la responsabilité pénale à l’âge de 16 ans. Quand on entre en prison, on en sort avec moins de ce que l’on avait en entrant. Quand je vais au parloir, c’est toujours les mêmes qui s’y rendent et il n’y en a pas beaucoup. Quelques dizaines seulement pour plusieurs centaines de prisonniers.

Chères lectrices, chers lecteurs, j’essaie de faire le mariol avec un vocabulaire du style « cool, j’écris pour un site web », mais en vérité, je n’en mène pas vraiment large. A vrai dire, on me mettrait une olive dans le cul, j’en ferai très certainement au moins un bon litre d’huile. Parce qu’être enfermé 24 heures/ 24, il n’y a rien à en tirer, aucune fierté devant les copines et les copains, aucune expérience mystique du style « j’ai rencontré Dieu en prison, j’ai trouvé le droit chemin, celui de la spiritualité. » Non, la vérité, la vraie vérité vraie, la seule, l’unique, l’incontournable, c’est juste que j’avais envie de parler, d’évacuer le trop plein de... frustration, d’inhumanité, de solitude, quoi ! Je vous dis à la prochaine « si vous le voulez bien ».

Diede, détenu à la maison d’arrêt de la Santé
Lettre de Diede : Une voix derrière le mur... de prison