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Said-André Remli - contestation d’un placement à l’isolement d’office

Lettre de Said Remli contre les quartiers d’isolement

Mise en ligne : 26 novembre 2002

Dernière modification : 4 décembre 2002

Texte de l'article :

Le 20 novembre 2002

Bonjour,

Je viens de recevoir ton courrier et je t’en remercie. La veille, j’avais reçu une lettre de la Cour d’Administrative d’Appel de Paris dont la teneur va, je n’en doute pas, te réjouir ainsi que tous ceux qui vont dans notre sens.

Tu sais que depuis quelques temps déjà, j’ai été amené à engager un certain nombre de procédures pour tenter de faire évoluer un peu cette réalité carcérale qui perdure depuis trop longtemps.

L’une d’elle concernait la mise à l’isolement que j’ai décrit, dans la dite procédure, comme étant un acte de torture, un délit de forfaiture et abus de pouvoir.

Et bien, c’est une grande victoire que nous venons de remporter, sur le plan, juridique, un revirement jurisprudentiel important. Désormais, d’autres personnes incarcérées pourront se prévaloir de cette jurisprudence.

Il est désormais acquis, sous réserve d’une éventuelle confirmation par le Conseil d’Etat, que : « Le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue non une mesure d’ordre intérieur mais une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »

J’ai demandé à un ami avocat de me faire une copie de cet arrêt. Je te l’envoie dès réception pour que tu puisses en faire le meilleur usage possible.

Au delà de l’aspect juridique, cet arrêt signifie tout simplement que les tentatives de suicides pour essayer d’attirer l’attention de ceux qui possèdent un pouvoir décisionnaire et les suicides « réussis » qui plongent des familles dans une détresse sans nom, n’ont désormais plus de raison d’être.

Cet arrêt me touche d’autant plus qu’il y à eu un suicide, il y a quelques semaines de cela, dans la cellule où j’étais encore la semaine dernière. L’homme qui a mis fin à sa vie avait informé la direction de son intention de se suicider. En vain…

Il n’y a pas une seule prison, parmi celles par où j’ai transité tout au long de mon périple carcéral, où il n’y ait pas eu de suicides, pendant mon séjour dans ses murs.

Et dans la majorité des cas, c’était au quartier disciplinaire.

La Cour Administrative d’appel de Paris a rendu sa décision lors de sa séance du 21 octobre 2002, en formation plénière.

Si tu as des avocats parmi tes amis, ils pourront t’expliquer l’importance d’un arrêt rendu par la formation plénière, d’autant plus que cette affaire était la seule inscrite au rôle ce jour-là.

La lecture de cet arrêt s’est faite le 5 novembre 2002.

N° de l’arrêt : 01PA00075 – Président : M.RACINE ; Rapporteur : M.JARDIN ; Commissaire du gouvernement : M.DENOUVEAUX.

Autre élément « intéressant », c’est que le Commissaire du gouvernement a été dans le sens de mon argumentation.

Le plus étonnant, mais je m’en réjouis, c’est que la Cour a retenu l’intégralité de mes arguments.

 « M.Remli soutient que la mise à l’isolement qui constitue un moyen de torture ainsi que de pression et conduit à placer le détenu dans des conditions qui ne correspondent en rien à celles de la détention normale doit être considérée comme un acte faisant grief, ce qu’implique le droit international auquel l’article 55 de la Constitution confère une valeur supérieure au droit interne. »

Je ne vais pas te recopier l’intégralité de l’arrêt car il est composé de plusieurs pages, mais dès réception du courrier de l’avocat, je te le fais parvenir.

L’avocat qui m’a représenté est « Maître Christian NZALOUSSOU, docteur en droit, avocat à la Cour, 26 avenue Georges V 75008 Paris tél.01-47-20-26-66 fax.01-47-20-26-63 »

Je compte sur Ban Public pour véhiculer de la façon la plus large possible cette information car, pour ce qui concerne, dans ma situation actuelle, je ne peux pas faire grand chose pour le moment.

De nombreuses autres procédures sont en cours. Je ne pense pas qu’elle aboutiront toutes à une revirement jurisprudentiel mais, « dans le pire des cas », elles finiront auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme, ou auprès des instances de Genève, après épuisement des voies de recours internes.

Le fait que la Cour Administrative d’appel de Paris ait retenu le bien fondé de mon argumentation, notamment le fait que l’article 55 de la Constitution indique que le droit international prime sur le droit interne est quelque chose d’assez incroyable car je connais le presque intégralité des textes et traités internationaux ratifiés par la France.

Je suis réellement heureux de ce résultat car l’un des éléments qui va permettre à la réalité carcérale, à la politique carcérale qui sévit depuis plusieurs décennies, d’évoluer sur le fond.

Encore faudrait-il pour cela que plus de monde mette la main à la pâte…

Il faudrait aussi véhiculer sur le net la teneur des traités dont je parle plus haut tel « le pacte international relatif aux droits civils et politiques. », « la Convention européenne des Droits de l’Homme », « l’ensemble des principes pour la protection des personnes détenues ou incarcérées », « le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois », etc…

Je regrette de n’avoir pas fait d’études juridiques car je crois que l’on aurait pu obtenir des résultats plus rapide et plus conséquents…

Serge GOFFARD, de l’académie de Créteil m’a répondu. Donc tout va bien à ce nouveau bien que, lui et moi-même, déplorions le fait que j’ai été le seul à répondre à ses attentes, malgré les promesses qui m’ont été faites par mes codétenus de Saint Maur. Enfin…

Je te dis à bientôt et vous souhaite bonne continuation, à toi et autres membres de Ban Public.

Bien amicalement,
Said André

Said André REMLI
QI 05 – 8105
M.A. Route de la Ferté
71241 Varennes le Grand