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Lettre 178, 25 novembre 1935

Mise en ligne : 26 mai 2005

Texte de l'article :

25 novembre 1935.

Très chère,

J’ai reçu tes deux lettres. Je suis plus tranquille que lorsque je recommençai à t’écrire, même si écrire me coûte beaucoup de peine et me laisse pour quelques heures (ou pour quelques jours) dans un état d’irritabilité peu agréable. Tania m’a fait parvenir une partie de ce que tu lui as écrit et m’a transmis d’autres nouvelles. Elle m’a raconté, très amusée, que Delio a pensé à oindre avec de la vaseline un éléphant dont il avait senti probablement avec ses doigts que la peau était rugueuse ; il ne me semble pas à moi très extraordinaire qu’un enfant pense à oindre un éléphant avec de la vaseline, bien que je ne pense pas qu’alors que j’étais enfant il pouvait me venir de telles idées. Tania m’a aussi fait savoir que julien veut savoir tout ce qui se rapporte à. moi : je pense que cela doit être en relation avec le fait d’avoir vu mon portrait dans un parc de culture [1]. Très chère, lorsque je pense à toutes ces choses et au fait que votre vie depuis tant d’années (presque un quart de mon existence et plus d’un quart de la tienne) se déroule ainsi détachée de la mienne, je ne me sens pas très gai. Et cependant il faut résister, tenir dur, essayer d’acquérir de la force. Et puis ce qui est arrivé n’était en rien imprévisible ; toi qui te rappelle tant de choses du passé, te rappelles-tu quand je te disais que « j’allais à la guerre » ? Ce n’était peut-être pas dit sérieusement par moi, mais c’était vrai et c’est ainsi que je le pensais réellement. Et je t’aimais beaucoup, beaucoup. Sois forte et fais tout ton possible pour aller mieux. Je t’embrasse tendrement avec nos enfants.

ANTOINE.

Notes:

[1Une grande photographie de Gramsci était exposée dans une rue centrale de Moscou avec celles d’autres antifascistes emprisonnés en divers pays