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Lettre 147 Prison de Turi, 12 septembre 1932

Mise en ligne : 28 avril 2005

Texte de l'article :

 Prison de Turi, 12 septembre 1932

Très chère Tania,

J’ai reçu les deux cartes et les deux lettres du 8 et du 10. Cette dernière surtout, je te le confesse, m’a mis en colère. Lorsqu’il s’agit de médecins et de médicaments, tu ne donnes plus de limites à tes projets et -à tes imaginations, alors que je t’ai recommandé tant de fois de te modérer et de ne pas exagérer dans le zèle.

Lorsque j’étais au collège (un petit collège communal à Saint-Lussurgiu, où trois soi-disant professeurs assuraient, très sûrs d’eux, sans crainte et sans pudeur, l’enseignement de cinq classes), j’étais logé chez une paysanne (je payais cinq lires par mois pour la chambre, les draps et le manger d’une table très frugale) qui avait une vieille mère un peu extravagante, mais non folle qui était justement ma cuisinière et ma gouvernante et qui, chaque matin, lorsqu’elle me revoyait, me demandait qui j’étais et comment j’avais pu dormir chez eux, etc. Mais cela est une autre histoire. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est que la fille voulait se débarrasser de la mère ; elle voulait que la municipalité l’envoyât à ses frais dans un hôpital provincial et elle la traitait de manière dure et criminelle. afin de la contraindre à commettre quelque grave excès qui aurait permis d’affirmer qu’elle était dangereuse. La vieille disait toujours à sa fille qui lui donnait du « vous » ainsi qu’il est d’usage chez nous : « Tutoie-moi et traite-moi bien ! » je ne sais vraiment si cette anecdote peut se rapporter à toi. En tout cas, moi aussi, je suis obligé de te dire d’être moins aux petits soins avec moi. Ce sera la meilleure façon de me prouver ton affection, à laquelle je tiens beaucoup. En résumé, tu dois, à la lettre, faire seulement ce que je t’écris et ne pas y ajouter des condiments de ton invention qui, parfois, peuvent faire aller de travers la bouchée ; tu ne dois pas laisser aller ton imagination, ne pas faire d’hypothèses incongrues, etc. Au reste, je vais un peu mieux et j’espère aller mieux toujours plus et cela, tu ne crois pas ? est la seule chose importante de toute cette histoire.

Je t’embrasse affectueusement.

ANTOINE