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Lettre 112 Prison de Turi, 22 février 1932

Mise en ligne : 7 avril 2005

Texte de l'article :

Prison de Turi, 22 février 1932.

Cher Delio,

Ton petit tableau très vivant avec des pinsons et des petits poissons m’a plu. Si les pinsons s’enfuient par moment de la petite cage, il ne faut pas les saisir par les ailes ou par les pattes : elles sont délicates et elles peuvent se casser et se déchirer. Il faut prendre tout leur corps à pleine main sans serrer. Étant enfant, j’ai élevé beaucoup d’oiseaux et même d’autres animaux, des faucons, des hiboux, des coucous, des pies, des corneilles, des chardonnerets, des canaris, des pinsons, des alouettes, etc., etc... J’ai élevé une couleuvre, une belette, des hérissons, des tortues. Voici comment j’ai vu des hérissons faire la récolte des pommes. Au début d’une nuit d’automne, mais où une lune lumineuse resplendissait, je me suis rendu avec un gamin de mes amis dans un champ plein d’arbres fruitiers et plus particulièrement de pommiers. Nous nous sommes cachés dans un fourré à contre-vent. Tout à coup les hérissons, cinq, deux gros et trois tout petits, ont débouché. En file indienne, ils se sont dirigés vers les pommiers, ils ont tournaillé parmi les herbes et puis ils se sont mis au travail. En s’aidant de leurs petits museaux et de leurs petites jambes ils faisaient rouler les pommes que le vent avait détachées des arbres et ils les rassemblaient dans un endroit propre, les unes très près des autres. Mais les pommes tombées à terre ne suffisaient pas. Le plus grand des hérissons leva le museau, regarda autour de lui, choisit un arbre fort courbé et il y grimpa suivi de sa femelle. Ils se posèrent sur une branche chargée de fruits et ils commencèrent à s’y balancer en mesure : leurs mouvements se communiquèrent à la branche qui oscilla toujours plus par secousses brusques et un grand nombre de pommes tombèrent à terre. Celles-ci transportées auprès des autres, les hérissons, grands et petits, les piquants hérissés, se roulèrent et s’étendirent sur les pommes qui demeurèrent prises sur les piquants : les jeunes hérissons avaient piqué peu de pommes, mais le père et la mère avaient réussi à enfiler sept ou huit pommes chacun. Alors qu’ils reprenaient le chemin de leur tanière, nous sortîmes de notre cachette, nous jetâmes les hérissons dans un petit sac et nous les ramenâmes à la maison. Il me revint le hérisson mâle et deux petits. Je les tins de nombreux mois en liberté dans notre cour. Ils donnaient la chasse à toutes les petites bêtes, aux blattes, aux hannetons, etc., et ils se nourrissaient de fruits et de feuilles de salade. Les feuilles fraîches leur plaisaient beaucoup, et c’est ainsi que je pus quelque peu les domestiquer. Ils avaient grand peur des chiens. Je m’amusais à amener dans la cour des couleuvres vivantes pour voir comment les hérissons les chassaient. Dès que le hérisson découvrait la couleuvre il se mettait lestement sur ses quatre petites jambes et chargeait avec beaucoup de courage. La couleuvre levait la tête, sortait sa langue et sifflait. Le hérisson laissait entendre un léger cri, il tenait la couleuvre dans ses pattes de devant, lui mordait la nuque, puis la dévorait morceau par morceau. Un jour mes hérissons disparurent - quelqu’un, c’est sûr, les avait pris pour les manger.

La tante Tania a acheté une belle et grande théière en porcelaine blanche... Elle porte aujourd’hui au cou la petite écharpe chaude parce qu’il fait très froid ; même en Italie il a beaucoup neigé. Tu devrais lui écrire qu’elle mange un peu plus, moi elle ne m’écoute pas. Je crois que tes pinsons mangent plus que Tatianichka. Je suis content que mes cartes postales t’aient plu. Une autre fois, je t’écrirai sur le bal des lièvres et sur d’autres animaux. Je veux te raconter d’autres choses que j’ai vues et entendues étant enfant : l’histoire du petit poulain, du renard et du cheval qui n’avait de queue que les jours de fête, l’histoire du passereau et du koulak, du koulak et du petit âne, de l’oiseau tisseur et de l’ours, etc. Te crois que tu connais l’histoire de Kim ; connais-tu aussi les contes de la jungle et particulièrement celui de la mangouste de Rikki-Tikki-Tawi ? julien est-il lui aussi un Oudarnik ? qu’a-t-il fait pour mériter cela ?

Je t’embrasse.
PAPA.

Embrasse pour moi julien et maman Julie.