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Lettre 081 Prison de Turi, 15 juin 1931

Mise en ligne : 15 mars 2005

Dernière modification : 16 mars 2005

Texte de l'article :

Prison de Turi, 15 juin 1931

Très chère Tatiana,

Je ne t’ai jamais raconté que le mari de Marguerite avait jamais eu la moindre raison d’être jaloux. Je t’ai seulement dit qu’il était jaloux et que cela me paraissait propre à diminuer sa force de caractère et sa capacité de travail, sans autre. Il ne m’est jamais apparu qu’il ait eu des raisons d’être jaloux si tant est qu’il y ait des raisons d’être jaloux (les raisons de ce genre seraient plutôt des raisons de se séparer, mais non d’être jaloux). Voici un fait qui démontre la vanité des caractères généraux de la population d’un pays : les Sardes, qui passent pour être des Méridionaux, ne sont pas « jaloux » comme cela se dit des Siciliens et des Calabrais. Les délits pour jalousie sont très rares alors que sont très fréquents les délits contre les séducteurs de jeunes filles. Les paysans se séparent pacifiquement s’ils ne sont pas d’accord et l’épouse infidèle est seulement chassée du logis. Il arrive souvent que le mari et l’épouse séparés en fait s’unissent de nouveau avec une autre femme ou un autre homme du même village. Il est vrai qu’en beaucoup de villages de la Sardaigne il existait avant la guerre (aujourd’hui, je ne sais plus) l’union d’essai, ce qui veut dire que le couple se mariait seulement après avoir eu un enfant ; en cas de stérilité chacun reprenait sa liberté (cela était toléré par l’Église). Tu vois quelles différences peuvent exister sur le plan sexuel qui a cependant tant d’importance parmi les éléments qui constituent les soi-disant « âmes » nationales. Je t’embrasse affectueusement.

ANTOINE