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Lettre 067 Prison de Turi, 17 novembre 1930

Mise en ligne : 1er mars 2005

Dernière modification : 10 avril 2005

Texte de l'article :

Prison de Turi, 17 novembre 1930

Très chère Thérésine,

J’ai reçu ta lettre du 11 avec la photographie des enfants. Ils sont très sympathiques et très gracieux et ils sont aussi sains et robustes, je crois. Je suis émerveillé de constater comment François a forci ; tu m’avais envoyé il y a quelque temps l’une de ses photographies où il apparaissait maigre et fragile ; à présent il paraît nettement fort, svelte et vif. J’en suis très content et je te serais reconnaissant si tu envoyais la même photographie à Tatiana qui l’enverra à Julie : j’ai envoyé moi-même d’autres photographies (qui étaient techniquement mal réussies) et Julie m’écrivit que Délio et julien s’y intéressèrent beaucoup et posèrent à leur sujet tant et tant de questions.

J’ai été fort en souci parce que depuis plus d’un mois je ne recevais plus de nouvelles de ma mère : Charles ne m’a plus écrit depuis son voyage à Turi (en tout cas je n’ai pas reçu de lettre de lui) ; Nannaro, lui, malgré toutes ses promesses ne m’a jamais écrit (en ce qui le concerne il est probable que les lettres ne m’ont jamais été remises). Tu devrais te décider à m’écrire plus souvent et à me donner plus particulièrement des nouvelles de tes enfants. Cela m’intéresse beaucoup. Ce que tu me dis de François qui écrit « de longues lettres à sa manière » et qui vous amusent, me plaît : cela veut dire qu’il a de l’imagination, qu’il a quelque chose à dire et qu’il s’efforce de donner une représentation à ce qui s’agite dans sa tête. Qui sait s’il ressemblera à nous deux : tu te souviens combien nous étions passionnés de lecture et de rédaction ? Il me semble que sur tes dix ans, n’ayant plus de livres nouveaux, tu as lu toi aussi les Codes en entier. Mimi, au contraire, ne me paraît pas d’imagination très vive ; elle a l’expression étonnée de ceux qui ont déjà trop à faire en admirant le monde pour qu’il leur reste du temps pour rêver et imaginer. La petite me paraît surtout contente d’être protégée par ses aînés et de pouvoir ainsi se fier avec indifférence à l’appareil photographique et à son aspect de loup-garou. Il me semble même qu’elle a un certain air de défi avec sa tête penchée sur le côté. Je me trompe ? Naturellement une photographie raidit un mouvement naturel et il est possible de mal interpréter une attitude, même si elle est émouvante comme sur la photographie de tes enfants.

Donne-moi aussi des nouvelles de maman et de son véritable état de santé. Vaines ton apathie, ne te laisse pas gagner par l’atmosphère monotone du bureau, de sa clientèle et des sottes et lassantes plaisanteries de celle-ci. Retrouve ta vivacité d’antan (non au sens physique du mot parce que, je crois, tu n’as jamais été vive dans ce sens-là) mais ta vivacité intellectuelle, afin de pouvoir bien diriger tes enfants quand ils ne sont pas en classe au lieu de les abandonner à eux-mêmes, comme cela arrive trop souvent et plus particulièrement dans les familles soi-disant « bien ».

Je t’embrasse affectueusement.

ANTOINE