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Lettre 016 Prison de Milan, 4 juillet 1927

Mise en ligne : 15 janvier 2005

Dernière modification : 16 mars 2005

Texte de l'article :

Prison de Milan, 4 juillet 1927

Cher Berti [1],

J’ai reçu ta lettre du 20 juin. Je te remercie de m’avoir écrit. Je ne sais si Ventura a reçu mes nombreuses lettres : depuis un grand moment je ne reçois aucune correspondance d’Ustica. En ce moment, je traverse une période de fatigue morale en relation avec des événements d’ordre familial. Je suis très nerveux et très irascible. Je n’arrive à me concentrer sur aucune question même si elle est aussi intéressante que celle que tu m’exposes dans ta lettre. Et puis j’ai perdu tout contact avec votre milieu et je ne sais pas imaginer quel est le caractère des transformations survenues parmi les déportés. L’une des plus importantes activités, selon moi, des maîtres de notre corps enseignant  [2] devrait être celle qui consisterait à enregistrer, à développer, à coordonner les expériences et les observations pédagogiques et didactiques ; c’est seulement de ce travail ininterrompu que peut naître le type d’école et le type de maître que le milieu réclame. Quel beau livre on pourrait écrire, et si. utile, sur ces expériences ! Puisque telle est mon opinion, il m’est difficile de te donner des conseils et plus encore de te servir une suite d’idées « géniales ». Je pense que la génialité doit être jetée à la poubelle et qu’au contraire doit être appliquée la méthode des expérimentations les plus minutieuses et de l’autocritique la moins passionnée et la plus objective.

Mon cher Berti, ne pense pas que je veuille te décourager et augmenter l’incertitude qui déjà existe en toi ainsi que tu me l’écris. Moi, je pense, comme cela en gros, que l’école devrait être de trois degrés (fondamentaux, afin que chaque degré puisse être divisé en cours) : le troisième degré devrait être celui des enseignants et fonctionner plutôt comme un cercle que comme une école, au sens commun du mot. Cela veut dire que chaque membre devrait donner sa contribution comme conférencier ou rapporteur sur un ensemble déterminé de. questions : scientifiques, historiques, philosophiques, mais spécialement didactiques et pédagogiques. Pour le cours de philosophie, je pense, toujours en gros, que l’exposition historique devrait être résumée et que l’on devrait au contraire insister sur un système philosophique concret, le système hégélien, le dépouillant et le critiquant sous tous ses aspects. Je ferais au contraire un cours de logique, je dirais même avec les barbara, baralipton  [3], etc., et de dialectique. Mais de tout cela nous pourrons en reparler, si tu m’écrivais encore.

Mon cher Berti, salue pour moi tous les amis et crois-moi cordialement ton

ANTOINE

Notes:

[1BERTI : dirigeant du Parti communiste italien, aujourd’hui député au Parlement. Avec Gramsci il fut déporté à Ustica

[2Les déportés politiques d’Ustica avaient organisé des cours de culture générale et politique. Les enseignants avaient été choisis parmi les déportés eux-mêmes

[3Termes de la philosophie scolastique