15410 articles - 12266 brèves
> Divers

Divers

Les grâces collectives du 14 juillet ou le degré zéro de la politique pénale, en France

Mise en ligne : 22 juillet 2005

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

Tribune demandée par Jack Lang- www.jacklang.net, député (PS) du Pas-de-Calais, pour le site de son association « Inventons demain ».

Les grâces collectives du 14 juillet
ou le degré zéro de la politique pénale, en France

par Pierre V. Tournier

Sauf surprise, le Président de la République devrait annoncer la signature par ses soins d’un nouveau décret de grâce collective à l’occasion de la fête nationale. Cette décision est évidemment attendue par les personnes détenues et leurs proches qui verront leur peine réduite de quelques jours ou de quelques mois. Elle l’est aussi par les fonctionnaires pénitentiaires confrontés à des conditions de travail rendues toujours plus difficiles du fait de la surpopulation des prisons.
Au 1er juillet 2005, la population sous écrou s’élevait à 62 438 personnes (métropole et outre-mer). En excluant les 1 185 condamnés placés sous surveillance électronique et les 328 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale de 60 925 détenus pour 51 129 places disponibles, soit 119 détenus pour 100 places. 13 établissements ou quartiers ont une densité supérieure ou égale à 200 %, 51 ont une densité comprise entre 150 et 200 %. Quand de tels niveaux sont atteints, on peut parler de conditions de détention « inhumaines et dégradantes ».

Doit-on alors augmenter la capacité pénitentiaire en construisant encore et toujours de nouvelles prisons ? En attendant de disposer de ces nouvelles places, si coûteuses, doit-on recourir aux grâces collectives avec pour objectif avoué de « passer l’été » sans trop de casse dans les détentions ?
 
Quand ces mesures de clémence sont décidées sur fond de « débat » entre le Ministre de l’Intérieur, le Garde de Sceaux et la majorité parlementaire UMP pour savoir qui sera le plus dur, le plus intraitable, en matière de lutte contre la récidive, la chose devient absurde. 
Chacun pourtant reconnaît que ces grâces collectives sont injustes (les détenus en bénéficient ou pas en fonction de la date de leur condamnation) ; elles sont évidemment contre-productives en terme de réinsertion, incompréhensibles par nos concitoyens qui les confondent avec de réelles mesures d’aménagement individualisées des peines qui, elles, ont fait leurs preuves contre la récidive : semi-liberté, placement à l’extérieur, libération conditionnelle ...

Oui, une autre politique est possible. Elle n’est pas le fruit de quelques esprits irresponsables, plus préoccupés du « confort » des détenus que des victimes (des « intellectuels mondains » comme dirait M. Estrosi). Cette autre politique est déclinée dans les recommandations, adoptées à l’unanimité par le comité des ministres du Conseil de l’Europe : recommandation du 30 septembre 1999 sur l’inflation carcérale, du 29 novembre 2000 sur les alternatives à la détention, du 24 septembre 2003 sur la libération conditionnelle, du 9 octobre 2003, sur les longues peines. Considérant qu’en règle générale, « l’extension du parc pénitentiaire n’est pas propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement », le Conseil de l’Europe préconise le recours aux alternatives à la détention à toutes les étapes du processus pénal : de la décriminalisation de certaines infractions ou de leur requalification de façon à éviter qu’elles appellent des peines privatives de liberté, au développement des mesures qui réduisent la durée effective de détention et en premier lieu la libération conditionnelle. Cette dernière devrait être appliquée à la plupart des sortants de prison (seulement 10% actuellement en France, l’un des taux les plus faibles d’Europe).

Ces orientations ont été réaffirmées publiquement lors de la conférence des directeurs des administrations pénitentiaires et des services de la probation des 46 Etats membre du Conseil de l’Europe, qui s’est tenue à Rome, en novembre dernier. Directeurs et experts furent d’ailleurs reçus par le Pape Jean-Paul II qui, par ce geste, avait souhaité apporter son soutien moral à de telles orientations. 

Faut-il rappeler que la loi du 15 juin 2000 (dite loi Guigou) sur la présomption d’innocence s’inscrivait pleinement dans cette logique ? Mais quelle régression depuis ! Les orientations défendues, depuis mai 2002 par la majorité UMP, assurent une véritable relance de l’inflation carcérale. Croit-on lutter contre la récidive et protéger les victimes potentielles de délits et de crimes en incarcérant chaque année des dizaines de milliers de personnes dans des conditions telles que tout travail de préparation à la sortie et d’aide à l’insertion est rendu impossible pour les personnels de surveillance, les conseillers d’insertion ou les intervenants extérieurs ? Apprendre, en prison, à vivre en citoyen respectueux des lois n’est pas une mince affaire. Le projet devient complètement absurde dans une prison incontrôlable.

Il serait grand temps de rompre avec la démagogie sécuritaire et de changer de cap, et ce afin de mieux assurer la sécurité de toutes et tous, dans le respect de nos valeurs républicaines. 

Voir les 25 propositions du Club « DES MAINTENANT » pour lutter contre la récidive des infractions pénales. 
Contact pierre-victor.tournier@wanadoo.fr