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Date : 30-09-2007

Le syndicalisme dans la police et les prisons : impasse ou croisée des chemins ? (Barnabée Marie-Pierre - mémoire DEA Droit, 2001-2002)

Mise en ligne : 24 octobre 2007

Dernière modification : 27 septembre 2010

Texte de l'article :

Université de Lille II - Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Le syndicalisme dans la police et les prisons :
impasse ou croisée des chemins ?
Sous la direction de M. Derasse et de M. Lorgnier
Melle Marie-Pierre BARNABE
DEA de Droit et Justice Année 2001-2002

Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement :
M. Lorgnier et M. Derasse, Directeurs de mémoire pour leur aide et leurs conseils, Mesdames, Messieurs les Professeurs du DEA pour leurs enseignements.
M. Duflot, Directeur régional adjoint de l’Administration pénitentiaire, pour les documents prêtés et les autorisations qui m’ont permis de me rendre dans différentes Maisons d’arrêt afin de rencontrer les représentants syndicaux.
M. Van Elslander, Secrétaire régional, membre du jury, et les membres du syndicat Alliance-Police Nationale à Lille pour les documents prêtés et leur aide.
M. Ebstein, Moraisin, Ricq, Clément, Canivet, Dubois et le délégué régional du syndicat FO pour avoir si gentiment accepté de me recevoir et de répondre à mes questions, ainsi que pour tous les documents prêtés.
Melle Domitille Renard, qui a participé à l’élaboration du rapport de recherche.
M. Baptiste Henrion

Table des abréviations
ACMA : Agents du corps de maîtrise et d’application de la Police nationale
ADEFDROMIL : Association de défense des droits des militaires
ANFG : Association nationale des femmes de gendarmes
Art. : Article
CAP : Commission administrative paritaire
CTP : Comité technique paritaire
CFDT : Confédération française démocratique du travail
CFE-CGC : Confédération française de l’encadrement- Confédération générale des
cadres
CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens
CGT : Confédération générale du travail
DIF-SPN : Syndicat Différence- Syndicat de la Police nationale
FASP : Fédération autonome des syndicats de police
FNAP : Fédération nationale autonome de la police
FO : Force ouvrière
FPIP : Fédération professionnelle indépendante de la police
FSGP : Fédération du syndicat général de la police
GIR : Groupements d’intervention régionaux
JO : Journal officiel
MFG : Mouvement des femmes de gendarmes
Op. cit. : Opere Citato
RPR : Rassemblement pour la République
SCHFPN : Syndicat des hauts fonctionnaires de la police nationale
SGP : Syndicat général de la Police
SGPN : Syndicat des gradés de la police nationale
SGPATSI : Syndicat général des personnels administratifs, techniques, scientifiques et
infirmiers
SNAPATSI : Syndicat national Alliance des personnels administratifs, techniques,
scientifiques et infirmiers
SNEPAP : Syndicat national du personnel de l’administration pénitentiaire
SNIP : Syndicat national indépendant de la police
SNIPA : Syndicat national indépendant du personnel administratif
SNOP : Syndicat national des officiers de police
SNPPS : Syndicat national des personnels de la police scientifique
SNPT : Syndicat national des policiers en tenue
SNUEP : Syndicat national des enquêteurs de police
SNUIP : Syndicat national unitaire et indépendant de la police
SPCD : Syndicat du personnel de conception et de direction
UFAP : Union fédérale autonome pénitentiaire
UFPPF : Union fédérale des personnels pénitentiaires de France
UNPRG : Union nationale des personnels en retraite de la gendarmerie
UNSA-FGAF : Union nationale des syndicats autonomes- Fédération générale autonome des fonctionnaires
USP : Union syndicale pénitentiaire

Introduction
Les forces de l’ordre stricto sensu composées de la police et de la gendarmerie
regroupent quelque 120 000 policiers et 100 000 gendarmes. Il convient d’y ajouter
l’administration pénitentiaire qui compte 40 000 hommes, dont 85% de surveillants. Tous ces
hommes ont un rôle particulièrement important, car ils sont respectivement au début et au
terme du processus pénal.
En uniforme pour la plupart, ils exécutent et incarnent une des fonctions régaliennes de
l’Etat : la sécurité. Il s’agit alors de concilier les moyens de revendications, légitimes à tout
corps professionnel, avec une image d’autorité, de respect et de totale disponibilité.
En novembre et décembre 2001, les rues ont été envahies successivement par les
policiers, les gendarmes, les membres de l’administration pénitentiaire, pour exprimer des
revendications portant sur la nature et les modalités de leur travail, et sur la reconnaissance de
la spécificité de professions particulièrement exposées.
Cela semble traduire un véritable malaise dans un corps habituellement « muet ». Le
choix de manifestation spectaculaire, s’il n’est pas nouveau, prend depuis quelques années, de
plus en plus d’ampleur.
Ces professions ont acquis, au cours de l’histoire, un certain nombre d’avantages
pécuniaires en échange d’un devoir de réserve1 strict et de l’absence tant de droit de grève que
de garanties disciplinaires en cas de manquement. Cela est prévu dans un statut spécial censé
traduire la spécificité de leur mission dangereuse et qui demande une totale disponibilité.
Les policiers sont des fonctionnaires de l’Etat, chargés d’assurer la tranquillité et la
sécurité publiques, et soumis au statut général de la fonction publique2, puisque « nommés
dans un emploi permanent à temps complet et titularisés dans un grade de la hiérarchie des
administrations centrales de l’Etat, des services extérieurs en dépendant...3 ». Ce personnel,
qui va du gardien de la paix au personnel de laboratoire de la police scientifique, est le
premier maillon du processus pénal. Il ne comprend pas les gendarmes, soumis au statut
1 Cette notion est développée dans la deuxième partie.
2 Porté par les lois du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984.
3 Loi du 11 janvier 1984, art. 2.
7
militaire prévu par une loi du 13 juillet 1972, et qui n’ont droit ni de faire grève ni de se
syndiquer.
Le personnel de l’administration pénitentiaire comprend le personnel des prisons et
représente quant à lui le dernier maillon du processus pénal. Il va du directeur de prison au
surveillant pourtant chargé d’assurer le quotidien du détenu.
Le statut spécial interdit le droit de grève mais autorise les policiers et le personnel de
l’administration pénitentiaire à se syndiquer.
Pour les premiers, le statut dérogatoire est prévu par la loi d’orientation et de
programmation du 21 janvier 1995 sur la sécurité qui conserve un article de la loi du 28
septembre 1948 relatif au droit syndical et à la grève. Pour les seconds, il a été acquis
progressivement après de longues négociations qui ont débuté au lendemain de la seconde
guerre mondiale. C’est une ordonnance de 1958 qui leur interdit le droit de grève tout en leur
reconnaissant le libre exercice du droit syndical.
Se pose alors le problème de la légitimité de ce mode de revendication, utilisé
généralement par des professions qui n’ont aucun intérêt à rester silencieuses.
Les manifestations de rue, si elles ne sont pas des grèves à proprement parler,
contreviennent au devoir de réserve. Elles sont orchestrées par les syndicats qui cherchent à
marquer les esprits par des moyens d’expression toujours plus ostentatoires.
Le lexique des termes juridiques Dalloz définit les syndicats de fonctionnaires comme
« des groupements constitués par des personnes exerçant une même profession pour l’étude et
la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels
des personnes visées par les statuts ». L’activité exercée par ces syndicats doit pouvoir se
concilier avec le statut spécial et le devoir de réserve afin qu’ils soient à même de remplir leur
rôle. En effet, la police et l’administration pénitentiaire ont des conceptions différentes du
syndicalisme qui peuvent avoir des conséquences importantes sur les moyens utilisés et les
résultats obtenus.
Les syndicats sont nombreux, tant au sein de la police que de l’administration
pénitentiaire et représentent les diverses tendances qui existent dans ces professions. Les
récents mouvements des forces de l’ordre, et leur répétition dans l’administration
pénitentiaire, nous ont amené à comparer l’état actuel du syndicalisme dans la police et la
prison. En rencontrant les différents acteurs de la vie syndicale, sur le terrain, on dégagera la
8
nature réelle de chacun de ces courants. Le caractère technique de certains aspects du sujet le
rend quelque peu descriptif. L’étude des documents et des témoignages permet de dégager
dans une première partie, l’évolution de l’échiquier syndical chez les policiers et le personnel
de l’administration pénitentiaire et dans une seconde partie, la spécificité de l’exercice du
droit syndical qui a eu une influence indirecte mais certaine sur le corps des gendarmes.
9
1ère partie : L’évolution de l’échiquier syndical dans les
forces de police et de l’administration pénitentiaire
10
Le paysage syndical actuel est le fruit d’une longue évolution qui s’est accélérée au
lendemain de la seconde guerre mondiale (A). Elle s’est traduite différemment dans la police
et au sein de l’administration pénitentiaire, ce qui aboutit à des structures et des mentalités
différentes dans leurs syndicats (B).
A - HISTORIQUE DU SYDICALISME DE LA POLICE ET DE
L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE
Policiers et personnel pénitentiaire ont souffert pendant longtemps de la négation du
droit de se syndiquer mais ils n’ont pas renoncé pour autant à se regrouper. Ils se sont
organisés en amicales, puis en associations lorsque la loi du 1er juillet 1901 est entrée en
vigueur. Nous avons choisi de les traiter séparément car une fois le syndicalisme reconnu,
chacun des deux corps a choisi une conception un peu différente de ce nouveau droit, ce qui
ne manque pas de rejaillir sur la structure des syndicats .
1 - Le syndicalisme policier
De 1904 à 1909, les premières formes de revendications policières émanent du corps
des commissaires et gardiens de la paix. C’est surtout de 1903 à 1906 que commence à
s’institutionnaliser un associationnisme de défense corporatiste, au niveau de l’ensemble du
pays et touchant toutes les catégories, notamment sous forme d’amicales. Ce phénomène
apparaît tout d’abord à Bordeaux puis gagne Amiens, Tourcoing, Tours et Sète. Ces amicales
ont d’ailleurs de véritables buts revendicatifs : il s’agit entre autres de se réunir pour examiner
le fonctionnement des divers services et adresser des « réclamations ». C’est à partir de 1905
et 1906 que se constituent, sur le même schéma, non plus des amicales mais des associations4.
En 1909, sous l’impulsion de Paul Rigail (responsable du personnel parisien, francmaçon
proche du radicalisme) et Pierre Delhomme, gardiens de la paix, se crée un
mouvement clandestin : « le comité des réformistes » avec parution de son journal
corporatiste : « le gardien de la paix ». En décembre de la même année, un cahier revendicatif
4 Michel Bergès, Le syndicalisme policier en France : 1880-1940, l’Harmattan, Paris, 1995, p.143 s.
11
est élaboré : il réclame un régime horaire sur la base des 60 heures de travail par semaine et
l’octroi de deux jours de repos par mois. Ce sont les premiers pas du syndicalisme.
En juin 1912, est créée l’Association Générale Professionnelle (AGP) du personnel de
la préfecture de police. Si elle est reconnue comme telle, elle ne l’est pas comme syndicat5.
Avant le premier conflit mondial, l’union entre ces associations se réalise dans
l’adhésion à la fédération de fonctionnaires.
La guerre met en sommeil les organisations de personnels de police. Cependant, dès
l’Armistice, dans un contexte de renouveau syndical, face à une situation économique
difficile, les revendications se font à nouveau pressantes. Mais les policiers peuvent-ils être
considérés comme des travailleurs de l’Etat comme les autres ? Peuvent-ils s’organiser en
syndicats ? Peuvent-ils revendiquer le droit de grève ?
Après des discussions animées, la transformation en syndicats est finalement décidée
lors de la réunion des différentes associations de personnel de police du 15-16 février 1920.
La même année est votée la loi qui donne aux syndicats la capacité juridique de gérer
leurs biens. Seulement, après le dépôt des statuts à la Préfecture, le syndicat est dissout sur
injonction du Ministre de l’Intérieur ; le retrait des statuts est par la suite voté. La première
tentative légaliste a échoué. L’action revendicative n’en demeure pas moins aussi virulente.
Fin 1923, devant le refus d’appliquer aux policiers le régime de retraite de 1922, une
grande manifestation a lieu Place de l’Hôtel de Ville à Paris. Le 1er janvier 1925, l’association
professionnelle prend le titre de Syndicat Général de la profession de Police (SGP).
La transformation des amicales en syndicats et l’adhésion à la fédération de
fonctionnaires deviennent, à partir de ce moment-là, des causes de différenciation et de
scission. Le corporatisme des syndicats se renforce toujours plus.
L’arrivée au pouvoir en 1924 du Cartel des gauches se révèle favorable aux
organisations de policiers et de fonctionnaires en général. Le dialogue est noué et les syndicats
revendiquent moins. Le retour de la droite, de 1930 à 1936, freine ce mouvement. Le
gouvernement tente d’appliquer une politique d’économies après la crise de 1929 et se ferme
5 Site Internet de la Fédération des syndicats généraux de la Police : http://perso.wanadoo.fr/fsgpfo/
historique.htm
12
aux négociations. Le Front populaire, en 1936, renverse à nouveau cette tendance, tandis que
la guerre, déclenchée en 1939, met sous silence pendant un temps toutes les réclamations.
Jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, aucun évènement marquant ne se
produit.
Les policiers ont, au fil des années, imposé à l’Etat la transformation de leurs amicales
en syndicats. Si leurs chemins ont croisé ceux de l’administration pénitentiaire , ce n’est que
lors de leurs débuts, au temps où le besoin de reconnaissance était nécessaire.
2 - Le syndicalisme pénitentiaire
A la différence des policiers, par le statut de 1869 accordé par l’Empire libéral de
Napoléon III, les gardiens de prison deviennent des fonctionnaires « comme les autres ». A
cette même période débute une lutte au plan associatif (et plus tard syndical), notamment sur
la situation matérielle des gardiens, et sur l’amélioration des conditions de travail. Il y a, à
cette époque, une véritable prise de conscience de l’appartenance à la fonction publique.
Pourtant si la loi du 24 mars 1884 reconnaît le droit syndical (la Confédération
Générale du Travail naît en 1895), la jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseil
d’Etat exclut les fonctionnaires du bénéfice de cette loi.
La loi du 1er juillet 1901 autorise enfin les associations professionnelles de
fonctionnaires, qui permet, en 1905, la naissance de la Section Française de l’Internationale
sociale Ouvrière (SFIO) et de la première association de gardiens : l’Association Générale des
Agents du Service de Surveillance de l’Administration Pénitentiaire.
Avant que naisse la première association de gardiens, l’Association Générale des
Agents du service de surveillance de l’administration pénitentiaire, le 12 décembre 1905,
l’Amicale des gardiens de la paix (recrutés dans les mêmes conditions que les gardiens de
prison), accueille pendant un certain temps les gardiens de prison. Son journal « Sergent de
ville » leur offre une tribune à partir de 1903 ; la question de l’alignement des traitements des
uns et des autres est déjà posée à cette occasion. Une grande solidarité lie alors les deux
administrations.
La naissance de cette association provoque une véritable « levée de boucliers ». 2000
gardiens sur 3000 y adhèrent. Elle fait partie du Comité Central pour la défense du droit
13
syndical des salariés de l’Etat, des départements et des services publiques, fort de 400 000
adhérents et prônant une émancipation des petits fonctionnaires.
Tandis qu’en 1906, la Charte d’Amiens établit l’indépendance syndicale, le premier
journal de l’association, « l’Etoile pénitentiaire » commence de paraître ; rapidement un
nouveau titre s’impose : « le Réveil pénitentiaire ».
Mais Clémenceau entend se montrer ferme quant à l’exercice du droit de grève et
devant l’ampleur du phénomène associatif. Comme certains, il y voit une menace pour la
discipline sur laquelle l’institution repose. En 1907, l’Association Générale signe une lettre
ouverte au Comité Central pour la défense des droits syndicaux qui expose que l’ « Etat est un
patron comme les autres ». A la suite de cela, le Comité Central est disloqué. Fin 1907, le
premier congrès de l’Association se prononce à forte majorité pour le rattachement au
Ministère de la Justice. En 1908, le rapporteur du budget pénitentiaire, Chastenet, rappelle que
les gardiens sont avant tout des agents de la force publique, assimilés aux agents et à la troupe
armée. Il demande à ce qu’ils soient complètement militarisés6.
Le personnel de l’administration pénitentiaire dispose très vite de plusieurs
associations : - deux pour les gardiens :
- l’Association générale
- une amicale des gardiens de la Seine
- une pour le personnel administratif : la Mutuelle du personnel
administratif
- une pour les gradés : l’Union des gradés
Mais cisaillé par la guerre, le mouvement retombe ensuite, ou du moins se cantonne à
des questions purement corporatives.
Dès mai 1920, l’ensemble des associations composant la Fédération des fonctionnaires
finit par adhérer à la CGT. Au sein de cette dernière, le syndicat pénitentiaire dépend de la
Fédération de l’administration générale. A l’intérieur de cette fédération, il se situe toujours à
la pointe de l’action.
6 Site Internet du syndicat Force Ouvrière : www.snp-fo.net.
14
En 1920, se créent deux nouveaux syndicats, dont la Confédération Française des
travailleurs chrétiens (CFTC).
En 1936, le syndicalisme pénitentiaire est sauvé de la dérive et du corporatisme.
Aucune évolution majeure n’a lieu jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale.
En 1946, le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires dans le préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946.
En 1947, les Autonomes se séparent de la CGT et en 1948, la scission au niveau
national de la CGT et de FO se traduit dans l’administration pénitentiaire par l’émergence
progressive d’un syndicat FO.
Le « paysage » syndical se révèle complexe et de plus en plus disparate.
L’administration de son côté encourage ce mouvement qui lui permet de mieux maîtriser les
syndicats et crée un nouvel élan de réflexion.
Parti de rien, le système de défense de ces deux professions s’est imposé, de même que
les amicales et associations se sont organisées naturellement en syndicats. Cependant, la
solidarité des débuts n’a pas duré longtemps. Si le syndicalisme policier a su trouver une
stabilité, le mouvement syndical pénitentiaire commence à péricliter. Malgré les progrès
formidables du début, les mentalités et la structure même des syndicats pèsent sur leur
évolution.
15
B - DYNAMIQUE DU SYNDICALISME DE LA POLICE ET DE
L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE
Malgré une organisation matérielle commune, la stratégie des syndicats n’est pas la
même : certains préfèrent être rattachés à une confédération, et d’autres pas. Mais c’est en
partie la structure même du syndicat qui influe sur son devenir et a causé la désaffection de
certains adhérents qui délaissent les organisations traditionnelles.
1 - Articulation et organisation matérielle des syndicats
Les syndicats se sont diversifiés afin de mieux correspondre aux attentes de
leurs mandants et se sont organisés matériellement pour rendre leur action permanente et
efficace.
a) Articulation des syndicats
Les syndicats sont très nombreux.
Les fonctionnaires actifs des services de la Police nationale sont divisés en plusieurs
corps depuis la réforme de 1995 (qui a unifié les professions en trois groupes) au sein
desquels les principales forces syndicales sont réparties.
Le corps de conception et de direction de la Police est constitué par les commissaires
de police qui assurent les fonctions de « conception et de direction des services de la Police
nationale ». Ils assument à ce titre la « responsabilité opérationnelle et organique » et « ont
autorité sur l’ensemble des personnels affectés dans ces services »7. Ce corps est composé de
trois grades : commissaire de police, commissaire principal, commissaire divisionnaire.
Trois syndicats représentent ce corps : le SCHFPN8, le SPCD9 et SGP-FO10. Créé en
1925, le SCHFPN est largement majoritaire dans ce corps puisque selon le site internet de ce
syndicat, « 80% des commissaires et hauts fonctionnaires lui ont fait confiance pour mener à
7 Décret du 9 mai 1995, art. 2.
8 Syndicat des commissaires et Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale.
9 Syndicat du personnel de conception et de direction.
10 Syndicat Général de la Police - Force Ouvrière.
16
bien les négociations avec l’administration et faire aboutir des dossiers comme l’allocation de
service, la réforme des corps et carrières... ».
Le corps de commandement et d’encadrement de la Police nationale est constitué par
les officiers de police. Ceux-ci « secondent ou suppléent les commissaires de police dans
l’exercice de leurs fonctions, hormis les cas où la loi prévoit expressément l’intervention du
commissaire » et « assurent le commandement des fonctionnaires du corps de maîtrise et
d’application », pouvant être chargés « d’enquêtes, de missions d’information et de
surveillance dans les services actifs de police11 » et, « outre la discipline et la formation, ... de
missions ou de commandements particuliers ». Ce corps comprend trois grades : lieutenant de
police, capitaine de police et commandant de police12.
Les principales forces à l’intérieur de ce corps sont le SNOP13 et Synergie-Officiers,
suivies de la FPIP14, de la CFDT15, la CGT16 et de la CFTC17. Aux dernières élections
professionnelles de juin 2001, le SNOP a recueilli environ 60% des suffrages au niveau
national. Synergie-Officiers n’en a recueillis qu’environ 34%. Selon le secrétaire régional
Adjoint du Nord, la politique syndicale du SNOP est d’une part, de gérer le catégoriel (argent,
revalorisation, carrière, revendication salariale, promotion...) et d’autre part, de donner un avis
sur tous les thèmes concernant la profession : les mineurs, la police de proximité, les
statistiques de la délinquance, l’immigration, le fichier d’empreintes génétiques, la loi sur la
présomption d’innocence...
Le corps de maîtrise et d’application (ACMA) est enfin constitué par les gradés et les
gardiens. Ces derniers « participent aux missions qui incombent aux services actifs de police
et exercent celles qui leur sont conférées par le Code de procédure pénale » de même qu’ils
« peuvent assurer l’encadrement des policiers auxiliaires ». Les membres de ce corps se
répartissent eux aussi en trois grades : gardien de la paix, brigadier de police, brigadier-major.
11 Décret du 9 mai 1995, art.2.
12 Ce corps remplace les anciens corps des commandants et officiers d’une part, et des inspecteurs de police
d’autre part, dont les statuts ont été abrogés à compter du 1er septembre 1995, date d’entrée en vigueur du
nouveau statut.
13 Syndicat National des Officiers de Police.
14 Fédération professionnelle indépendante de la police, créée en 1973.
15 Confédération Française Démocratique du Travail.
16 Confédération Générale du Travail.
17 Confédération Française des Travailleurs Chrétiens.
17
Les deux principaux syndicats sont Alliance-Police Nationale et le SNPT18, suivis de
SGP-FO, la CFDT, la CGT et la SNIP19 pour les membres de la Compagnie Républicaine de
Sécurité (CRS).
Tous ces syndicats ont été créés assez récemment. Avant 1995, la configuration n’était
pas la même. Le syndicat FASP20, « ultra majoritaire » a été mis en redressement judiciaire à
la suite de difficultés financières (malgré que ses anciens adhérents s’en cachent...). Un
éclatement a alors eu lieu au niveau des syndicats et la FASP s’est divisée en SNPT, SNIP,
SNUEP21...
Face à la FASP, il y avait l’union des syndicats catégoriels : le syndicat indépendant de
la Police nationale, le Syndicat des Gradés de la Police Nationale (SGPN) et le syndicat des
Commandants et Officiers.
Le syndicat Alliance est né en 1995 de la fusion de deux organisations syndicales, le
Syndicat Indépendant de la Police Nationale (SIPN) et du Syndicat National des Enquêteurs
de la Police (SNE). Le SGPN a rejoint Alliance en 1997. Lors des élections professionnelles
de 2001, Alliance-Police Nationale est devenu le syndicat majoritaire de la Police nationale en
Ile-de-France. Selon les sources de ce syndicat, il est le second au niveau national en ce qui
concerne les ACMA. Mais tout dépend des régions : il est majoritaire en Bretagne et en
Picardie.
Le personnel administratif et le personnel de laboratoire sont rattachés à des syndicats,
dont certains leur sont spécifiques.
Au sein de l’administration pénitentiaire, les principales forces syndicales sont
l’UFAP22 et FO. Elles se répartissent entre FO-Personnel de surveillance, FO-Personnel
administratif, FO-Personnel de direction et FO-Personnel Technique. Seule FO a donc une
structure qui ressemble à celle des syndicats de police car elle épouse aussi la division en
corps de l’institution. Le fonctionnement n’est cependant pas le même, nous le verrons plus
18 Syndicat National des Policiers en Tenue.
19 Syndicat National Indépendant de la Police
20 FASP : Fédération autonome des syndicats de police.
21 Syndicat National des Enquêteurs de Police.
22 Union Fédérale Autonome Pénitentiaire
18
tard. Ce syndicat est suivi de la CGT et d’autres syndicats de moindre importance : le
SNEPAP-FEN23, la CGC24, la CFDT, l’USP25, l’UFPPF26.
L’UFAP, créée en 1987, est devenue en 1994 la première organisation syndicale de
l’Administration pénitentiaire. Elle représente les fonctionnaires de tous corps et de tous
grades : surveillants, personnel administratif, travailleurs sociaux... Cette union se prévaut de
trois idées fortes pour un « monde solidaire » :
- l’égalité des droits entre tous ceux qui contribuent au bon fonctionnement du service
public pénitentiaire.
- la solidarité entre toutes les catégories de personnels pour obtenir ensemble des
améliorations pour chacun.
- un changement de la politique pénitentiaire et de la gestion des ressources humaines
pour obtenir de meilleures conditions de travail.
Elle a pour signe distinctif d’être libre et autonome et de se constituer de syndicats
locaux (implantés dans chaque établissement pénitentiaire) pour mieux résoudre les
problèmes de chacun au niveau qui convient. Elle prétend pratiquer un « syndicalisme de
projet, de proposition, de revendication et de négociation27 ».
Le syndicat pénitentiaire FO a quant à lui été créé au milieu des années 50. Il
s’intitulait « Syndicat National CGT-FO des personnels pénitentiaires de France et d’Outre-
Mer ». Le premier dépôt réglementaire de son journal « l’Espoir pénitentiaire » à la Préfecture
de la Seine remonte à 1954 mais sa première publication comme périodique intervient à partir
de 1958. Le titre n’a jamais été modifié.
Tous ces syndicats se disent apolitiques mais les responsables syndicaux eux-mêmes
ne cachent pas que leurs adhérents ont leurs opinions et que dans les faits, certains syndicats
entretiennent des relations avec des partis politiques. Dans la police, le SNIP et le SNPT
(rattachés à l’UNSA28 ) sont plutôt proches du Parti Socialiste. En ce qui concerne Alliance,
son ancien secrétaire était de sensibilité RPR29, mais ce syndicat situé plutôt à droite n’en
« discute » pas moins avec tout le monde » car il se préoccupe d’abord des questions de
police. Chaque syndicat ne manque d’ailleurs pas de prétendre que c’est pour des raisons
23 Syndicat National du Personnel de l’Administration Pénitentiaire
24 Confédération Générale des Cadres.
25 Union Syndicale Pénitentiaire.
26 Union Fédérale des Personnels Pénitentiaires de France.
27 Propose recueillis sur le site internet de l’UFAP : www.freeflights.net/ufap/accueil.htm
28 Union Nationale des Syndicats Autonomes.
29 Rassemblement pour la République.
19
politiques que son « adversaire » a signé ou non les accords résultant des discussions qui ont
suivi les mouvements de décembre 2001.
Certains syndicats ont choisi de s’affilier à des confédérations, d’autres ont préféré
rester totalement indépendants.
Le rattachement à une confédération permet de bénéficier d’une reconnaissance
privilégiée comme instance de négociation auprès du ministère de la fonction publique.
Néanmoins, le danger est d’être noyé dans une grande organisation et dans une
politique syndicale nationale trop globale.
Les syndicats les plus importants, notamment dans la police, se tiennent à l’écart des
grandes confédérations de type FO ou CGT. En effet, ils considèrent qu’ils ont des
revendications professionnelles spécifiques, qu’une confédération générale ne pourrait
exprimer correctement dans une politique syndicale nécessairement plus générale. C’est le
problème rencontré par le syndicat FO de l’administration pénitentiaire, que nous étudierons
plus tard. Les syndicats les plus représentatifs sont donc autonomes.
Au sein de l’administration pénitentiaire, seule l’UFAP fait partie des « autonomes ».
Elle revendique clairement ce statut, étant née d’un regroupement de plusieurs
syndicats qui s’étaient séparés de la CGT pour ne pas avoir à reverser un certain pourcentage
de leurs ressources au Parti Communiste.
Pour autant, l’UFAP n’a pas renoncé à choisir un représentant crédible auprès du
ministère. Sans être affiliée à une confédération politisée, elle s’est reliée à l’UNSA, tout
comme les syndicats autonomes de la police peuvent être rattachés soit directement à
l’UNSA, soit à sa branche l’UNSA-Police ou encore à d’autres confédérations. Ainsi l’UNSA
regroupe-t-elle entre autres l’UFAP pour l’administration pénitentiaire, le SNOP et le
SNIPA30 pour la police. L’UNSA-Police rassemble en particulier le SNPT (à travers lequel
l’UNSA-Police est majoritaire), le syndicat DIF-SPN31, le SNIP et le syndicat Objectifs
(personnel administratif).
30 Syndicat National Indépendant du personnel administratif.
31 Syndicat « Différence », créé pour contrer le SGP resté seul en lice sur Paris lors de l’union des syndicats qui a
suivi la réforme de 1995.
20
La CFE-CGC32 réunit notamment Alliance et Synergie. Le SGP et FO ont quant à eux
fait alliance et se sont rattachés à la FSGP-FO mais cette union leur a valu une perte d’environ
5000 voix lors des dernières élections car les policiers n’ont pas reconnu le SGP33.
L’adhésion des syndicats autonomes à ces confédérations leur garantit plus
d’efficience au sein des instances de négociation avec l’administration centrale, tout en
préservant leur identité et leur liberté d’action. Au sein de l’UNSA, des débats houleux ont
parfois lieu mais lorsqu’une véritable convergence se forme, la représentation efficace est
assurée.
De l’autre côté, le syndicat FO-pénitentiaire revendique son autonomie, mais il est
difficile, nous semble-t-il, de concevoir une indépendance totale. De plus à la suite de
dissensions internes, après notamment l’arrivée de jeunes directeurs recrutés sur concours
externe à partir de 197734, le syndicat s’est divisé, comme nous l’avons vu, en différentes
sections selon les catégories de personnel. La conciliation de leurs intérêts particuliers au sein
d’un même corps de fonctionnaires est difficile à atteindre car les fonctions étant différentes,
les besoins sont distincts. Il faut malgré tout qu’ils agissent de concert avec la confédération à
laquelle ils sont rattachés. Il y a des points sur lesquels cela ne pose aucun problème comme le
nombre de personnels administratifs : tous réclament un organisme. Mais il en est d’autres où
les avis divergent : les revendications matérielles propres à chaque catégorie ou l’application
des 35 heures : alors certaines sections seulement signent les accords.
32 Confédération Française de l’Encadrement- CGC.
33 Selon le syndicat de police Alliance.
34 Jean-Charles Froment, La République des surveillants de prison, L.G.D.J. Paris, 1988, coll. Droit et Société,
p.396.
21
Le rattachement des syndicats de personnel de police au sein des
différentes fédérations après la réforme de 1995
FNAP35 UNSAFGAF
UNSAPolice36
FSGPFO37
CFECGC
CFDT38 CGT39 CFTC Indépen
dants
Concep
-tion et
direction
SCHFP
N
SPCD SGPFO
Comma
ndemen
t et
encadre
ment
SNOP SNUIP Synergie
CFDT CGT CFTC FPIP
ACMA -SNPT
-DIFSPN
-SNIP
SGPFO
Alliance
CFDT CGT CFTC FPIP
Personnel
adminis
tratif
SNIPA Objecti
-fs
SGPAT
SI
-Alli
ance-
SNAP
ATSI
-SIAP
CFDT CGT
Personnel
de
laboratoire
SNPPS DIFSPN
SGPAT
SI
Alliance-
SNAP
ATSI
CGT
(Se reporter à la table des abréviations pour la signification des sigles.)
Ainsi se présente la structure syndicale de police et d’administration pénitentiaire.
Mais qu’ils soient autonomes ou rattachés à une confédération, ces syndicats font tous l’objet
d’une réglementation portant sur leur organisation matérielle propre.
35 Direction collégiale.
36 Le secrétaire général est Joachim Masanet.
37 Le secrétaire général est Xavier Beugnet.
38 Fédération CFDT de la Police nationale. Le secrétaire national est Olivier Morice Morand.
39 Fédération générale des syndicats CGT de la Police nationale. Le secrétaire national est Pascal Martini.
22
b) Organisation matérielle des syndicats
Un syndicat ne peut exercer librement. Il a comme l’administration elle-même,
certaines obligations à respecter.
Le principal texte relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique est le
décret 82-447 du 28 mai 1982.
En ce qui concerne les locaux syndicaux, l’administration doit mettre à la disposition
des organisations syndicales les plus représentatives « un local commun aux différentes
organisations lorsque les effectifs du personnel d’un service ou d’un groupe de services
implantés dans un bâtiment ne sont pas supérieurs à cinquante agents ». Par contre « l’octroi
de locaux distincts est de droit » lorsque les effectifs sont supérieurs à cinquante agents. Les
locaux ainsi fournis sont normalement dans l’enceinte des bâtiments administratifs.
C’est ce que nous avons pu constater en allant rencontrer le syndicat FO à Loos ou
l’UFAP à la maison d’arrêt de Douai. Ces deux organisations sont installées dans l’enceinte
même de la prison. Cette proximité est un atout, tant pour les adhérents qui peuvent alors
facilement rencontrer leurs représentants syndicaux, que pour les syndicats eux-mêmes qui se
trouvent au sein de la structure carcérale et donc au coeur des problèmes susceptibles de se
produire.
Il est enfin précisé que les lieux dont disposent les syndicats « doivent comporter les
éléments indispensables à l’exercice de l’activité syndicale ». Les syndicats que nous avons pu
voir tant dans la police que dans l’administration pénitentiaire sont plutôt bien équipés :
photocopieurs, ordinateurs, scanners, fax, internet, téléphones portables... afin de mieux
communiquer et diffuser aux sections régionales et départementales par exemple, les
informations provenant du niveau national.
A ce sujet, la structure des syndicats s’organise de manière verticale. Au regard des
statuts et du règlement intérieur du syndicat de police Alliance (joints en annexe), l’organe
principal se situe au niveau national : « le bureau national est l’organe exécutif du syndicat ».
A une échelle inférieure se situent les bureaux régionaux, départementaux et locaux.
Le syndicat est bien implanté géographiquement afin d’assurer son efficacité à tous les
échelons.
Le bureau national assure l’exécution des résolutions prises lors du Congrès national.
23
Si des décisions urgentes sont nécessaires en dehors des réunions du Conseil
d’administration national, il est le seul habilité à agir.
Il diffuse l’information et assure la liaison tant avec les bureaux inférieurs au niveau
régional, départemental et local, qu’avec les directions centrales et les services centraux du
Ministère de l’Intérieur, de la Préfecture de Police et des autres services de la Police nationale.
Les réunions syndicales doivent se tenir « à l’intérieur des bâtiments administratifs en
dehors des heures de service ». Si elles ont lieu pendant les heures de service, seuls les agents
qui ne sont pas en service ou qui bénéficient d’une autorisation spéciale peuvent y assister.
Cependant dans les faits, un commissaire de police nous a indiqué que des réunions
informelles demeuraient possibles si elles ne préjudiciaient pas au bon fonctionnement du
service.
L’affichage des documents d’origine syndicale s’effectue sur des panneaux réservés à
cet usage.
La collecte des cotisations syndicales peut s’effectuer, soit avec une décharge soit en
dehors du service, dans les bâtiments administratifs seulement et en aucun cas dans ceux
ouverts au public.
La situation des représentants syndicaux est particulière. Ils sont placés, (comme la
plupart des syndicalistes que nous avons rencontrés), en position de détachement permanent
en application du décret 59-309 du 14 février 1959, ou bien ils bénéficient d’autorisations
spéciales d’absence ou de décharges d’activité en application du décret de 1982 relatif au droit
syndical dans la fonction publique.
Le représentant syndical de FO qui nous a reçu à Loos est dans le premier cas : il est
délégué régional permanent. Il n’est pas élu mais nommé une fois par an par le secrétaire
général. Au sein de la maison d’arrêt, il est surveillant. Seulement, pendant son « mandat »
d’un an, il se consacre aux intérêts des sections locales au niveau régional. Il nous explique
lui-même qu’il est le « porte-parole du secrétaire général et du bureau central ». Par contre le
délégué régional adjoint de l’UFAP à Douai est élu : son siège étant en jeu, c’est pour lui une
motivation de plus « pour bien faire son travail ».
24
En ce qui concerne les autorisations spéciales d’absence et de décharges d’activité, les
syndicats jouissent d’une enveloppe globale, c’est-à-dire un nombre de jours qu’ils accordent
à certains de leurs membres. Au commissariat de Roubaix, deux gardiens et un officier
bénéficient ainsi de détachements « ponctuels »40 qui couvrent toutefois toute l’année. Ces
agents sont donc comptés théoriquement dans l’effectif sans pour cela participer à
l’accomplissement pratique de ses tâches. Le commissaire se dit impuissant face à ce
problème car c’est l’administration qui décide.
Malgré cette organisation commune à la fonction publique, on peut remarquer depuis
quelques années une régression très marquée des syndicats traditionnels dans les prisons.
2 - La désaffection des adhérents envers les syndicats traditionnels
Des évolutions importantes ont modifié le paysage syndical depuis le milieu des
années 1980 et elles sont particulièrement visibles dans le milieu carcéral.
Dans ce corps de fonctionnaires, on remarque tout d’abord un phénomène global de
désyndicalisation, surtout chez les jeunes surveillants. Plusieurs interprétations sont avancées.
Monsieur Clément, directeur de la maison d’arrêt de Loos, constate que le citoyenneté
en France consiste à s’engager de moins en moins, que ce soit au niveau syndical ou politique.
Mais il explique aussi que les jeunes ne sont plus attirés par les représentants syndicaux peu
charismatiques, contrairement à ce qui se passe dans la police. Selon lui, les représentants de
FO à Loos sont de moins en moins nombreux et de plus en plus « mauvais » : les surveillants
se considèrent mal représentés et changent de syndicat pour adhérer à l’UFAP.
Pour Monsieur Duflot, directeur régional adjoint de l’administration pénitentiaire,
plusieurs facteurs sont en cause. Il s’agit tout d’abord d’une montée de l’individualisme. Il
rejoint sur ce point Monsieur Clément et ajoute que dans le débat « idéologique » sur la
prison, les syndicats pèsent relativement peu.
A son avis, enfin, ce qui fait (ou faisait) la force du syndicalisme policier est de gérer
la carrière des adhérents, ce qu’on ne retrouve pas dans les organisations pénitentiaires. Dans
la police « il y a des zones de force par corps, moins dans le pénitentiaire ».
40 Décret 82-447 du 28 mai 1982, art.14.
25
Pour ma part, au contraire, j’attirerais plus l’attention sur le fait que les syndicats euxmêmes
reconnaissent que l’on se syndique en rentrant dans l’administration pénitentiaire car
on sait que pour les mutations, qui sont étudiées en CAP41, et que les syndicats y font plutôt
« passer » le dossier d’un adhérent et le soutiennent.
Monsieur Canivet, délégué régional adjoint de l’UFAP, remarque lui aussi le déclin de
l’esprit de groupe et de la solidarité qui régnaient au début, et cette tendance actuelle,
purement individualiste. Il sait bien qu’après avoir obtenu leur mutation, les surveillants ne
cotiseront plus. Il constate également que certains adhèrent avant de passer en conseil de
discipline.
Jean-Charles Froment42 explique quant à lui les causes du déficit de légitimité
syndicale qui pourraient, semble-t-il, nous éclairer en partie sur le phénomène de
désyndicalisation. En effet, il y a un décalage entre les jeunes surveillants et les plus anciens
qui aboutit à un éclatement et à une perte de cohésion du corps des surveillants et à un
« ensemble de facteurs de démotivation : les jeunes diplômés ne peuvent pas espérer une
carrière à la hauteur de ce qu’ils escomptaient, les anciens sont concurrencés par les jeunes,
plus diplômés, et perdent tout espoir de progresser. Le service public n’apparaît plus, dès lors,
comme un cadre valorisant pour la carrière et on assiste à une perte de sens de la notion de
service public. Tout cela rejaillît inévitablement sur les organisations syndicales qui
n’apparaissent plus en mesure de lutter contre ce phénomène de démotivation des surveillants.
Les syndicats ne parviennent plus à proposer des services susceptibles de compenser les
problèmes liés à la carrière, ni à valoriser l’Administration pénitentiaire comme cadre pour le
déroulement de carrière ».
.
Corinne Héron-Mimouni, gardienne de prison, souligne également ce conflit43 subi au
quotidien par les surveillants : « Le conflit des générations révèle l’évolution de la
pénitentiaire - et vice versa. Les jeunes, parfois sans expérience, se heurtent aux « anciens »
qui ont connu la prison sous un autre jour [...] Ces désaccords ne doivent pas nuire à la
solidarité. Car aucune dissension ne doit compromettre la sécurité ».
41 Commission administrative paritaire.
42 J-C. Froment, op. cit., p. 404.
43 Corinne Héron-Mimouni, Matonne, Ramsay, Paris, 2002, p.61-62.
26
Ainsi de moins en moins d’agents participent aux élections paritaires ou déclarent ne
pas se sentir proches d’une organisation.
Le syndicat FO, majoritaire depuis des décennies, s’est progressivement effrité. Aux
élections paritaires de 1970, il apparaissait dans l’administration pénitentiaire comme la
principale organisation, mais en 1988 son hégémonie a été remise en cause. Un vaste
mouvement de transformation du paysage syndical s’est en effet opéré aux débuts des années
1980, entraînant les fusions de plusieurs organisations. Le syndicat s’est progressivement
effondré, tandis que l’UFAP est devenue majoritaire dans le collège des surveillants aux
élections de 1991 et dans celui des gradés en 1997.
Cette perte de puissance est expliquée par J-C. Froment44 : après les mouvements de
1988 et 1989, FO a appelé à cesser le mouvement afin d’éviter les sanctions. Mais cela a été
perçu comme une trahison par certains surveillants qui étaient persuadés que si le mouvement
avait continué, l’ensemble des revendications aurait été satisfait. De plus la nouvelle
génération de directeurs se démarque des plus anciens qui n’ont « ni la même instruction, ni la
même conception de leur métier ». Les premiers se dirigent alors vers des syndicats comme la
CFTC puis la CFDT dont les discours se musclent.
L’UFAP semble en effet plus attentive à défendre les intérêts particuliers de ses
membres. Avec l’arrivée d’une nouvelle génération de surveillants, très individualiste, les
exigences envers les syndicats changent de nature : à défaut de se préoccuper de l’intérêt
général, les attentes deviennent purement corporatistes : on ne s’intéresse qu’aux dispositions
statutaires, mais aucune réforme de fond n’est envisagée. Pire, à la maison d’arrêt de Loos par
exemple, les demandes des syndicats sont purement matérielles : installation de lecteurs DVD
dans la salle de repos...
« On se syndicalise parce qu’en entrant dans le pénitentiaire, l’administration vous
donne des droits et obligations mais l’institution oublie bien souvent les droits. Le but de
notre syndicat est de préserver les droits des agents et les faire respecter parce que
l’administration ne le fait pas elle-même ». Tels sont les premiers mots que j’ai pu entendre de
la part du représentant de l’UFAP.
A titre d’exemple, les agents ont droit à des jours à l’occasion de leur mariage.
44 J-C. Froment, op. cit. , p. 402.
27
Auparavant l’administration se dispensait de les leur accorder. Il y a fallu
l’intervention des syndicats pour remédier à ce déni. « Pour résumer, nous sommes rattachés
au Ministère de la Justice mais en réalité, nous sommes dans le ministère de l’injustice... »
Défendre une telle cause est louable, certes, mais montre la limite du discours actuel
des syndicats dans les prisons. La réflexion se limite au strict minimum : seule l’UFAP se
préoccupe de la construction de prisons en ville, pour parvenir à une vraie reconnaissance, une
meilleure intégration des détenus dans la société, et pour faciliter les visites des familles,
(contrairement à la prison de Bapaume, située en périphérie). Mais rien sur le sens de la peine
par exemple.
Le discours de type corporatiste se comprend ; il est même nécessaire pour avoir une
véritable identité. J-C. Froment explique cela : « la notion de sécurité, si souvent défendue par
les organisations syndicales, rejoint la préoccupation de la justification idéologique de leur
institution et celle de service public. La légitimité de l’institution pénitentiaire réside dans
l’idée d’un certain ordre social, les impératifs de sécurité qui fondent sa mission participent de
la définition de l’identité de ses membres. Le procédé consiste à faire croire aux surveillants
que toute amélioration du sort des détenus est évidemment une critique indirecte de la manière
dont ils exercent leurs fonctions ou encore à les persuader qu’une amélioration compromet la
sacro-sainte sécurité et affaiblit leurs positions vis-à-vis de leurs pensionnaires45. Sécurité et
mission de service public se rejoignent alors pour organiser une grille de légitimité de
l’administration pénitentiaire. La défense de l’institution et de ses ressorts sociaux apparaît
comme une défense de l’identité de ses membres qui la constituent [...]. Dans le secteur
pénitentiaire, défendre la prison et sa justification sécuritaire, c’est défendre le personnel qui
la compose. Le processus identitaire qui en découle renforce encore le phénomène
corporatiste ».
Seulement, au-delà du corporatisme, c’est l’individualisme qui prime. Chaque syndicat
affirme que les autres privilégient leurs intérêts propres et qu’il est le seul à parler des
problèmes collectifs et à défendre la cause générale. Les rapports entre les syndicats de
l’administration pénitentiaires restent très tendus ; ils l’avouent eux-mêmes. Les visions
divergent radicalement.
45 Le Monde, 22 mai 1973.
28
Mais c’est surtout une rivalité inter syndicale qui se dégage de tous ces discours et qui
ne fait guère avancer les choses. FO accepte encore mal d’avoir perdu sa prédominance. Elle
soutient que les autonomes jalousent la confédération et qu’ils ne sont « forts que pour
manipuler au moyen de tracts et faire croire certaines choses aux gens ». Notre interlocuteur a
préféré s’en tenir là et notre étude ne poursuivra guère plus avant sur le terrain de la
polémique...
Pourtant, on dit encore que les syndicats se disputent la préséance, par exemple les
places en tête de cortège lors de manifestations, et acceptent mal que leurs concurrents leur
aient « volé » la première place lors du dernier défilé. Le peu de tentatives de conciliation avec
les autres syndicats cache une volonté permanente de prendre le pas sur l’autre. La « guerre
syndicale » prend de fortes proportions, notamment lors d’attaques verbales. Bien plus, les
syndicats ont tenté de s’entendre lors des mouvements de fin 2001 et chacun s’était engagé à
ne rien entériner seul. Seulement FO-personnel administratif a signé l’accord sur les 35 heures
pour le personnel administratif. Cela a été perçu par les autres syndicats comme une trahison.
Cette succession de mésententes est en partie à l’origine de la désaffection des
adhérents envers les syndicats, notamment les plus importants. Il y a un réel manque de
confiance.
M. Clément nous confie en outre qu’il n’y a pas de dialogue social au sein de
l’administration pénitentiaire. Cela s’est illustré lors du conflit sur l’aménagement de la
réduction du temps de travail.
Dans un tel climat conflictuel, on voit mal comment les organisations syndicales
pénitentiaires arriveraient à concilier les voeux particuliers des surveillants et la notion
d’intérêt général et avoir un discours commun lorsqu’il s’agit de représenter le corps dans son
ensemble. L’administration se dispense alors de toute « cogestion46 » qui prévalait alors à une
époque où les syndicats jouaient leur rôle d’encadrement des membres de la profession.
En effet, pendant longtemps, du fait de l’interdiction du droit de grève et des limites
apportées à l’exercice de l’action des syndicats, ceux-ci participaient activement aux prises de
décisions, toujours négociées avec l’administration, qui désamorçait ainsi toute contestation.
Des rencontres fréquentes étaient prévues lors des CTP47, avec le Garde des Sceaux, le
46 J-C. Froment, op. cit., p.406.
47 Comités techniques paritaires.
29
directeur de l’administration pénitentiaire ou encore des représentants du Ministère des
finances. L’action revendicative des syndicats était fixée à l’intérieur d’un cadre
réglementaire : en sortir signifiait la perte de toute légitimité.
Dès le début des années 1980, l’administration a pris deux décisions majeures sans
consultation préalable des syndicats : par exemple pour la nomination d’un nouveau directeur
à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire, ou encore pour l’atténuation par le
ministre lui-même de la sanction disciplinaire infligée à un surveillant. Cette attitude a
entraîné une vive protestation de la part des syndicats majoritaires qui ont refusé de siéger lors
du conseil suivant. Mais elle montre bien l’évolution progressive des rapports entre
l’administration et les organisations syndicales : la première se rend compte de la difficulté,
dans ce contexte individualiste, de dialoguer avec les secondes.
Tous les interlocuteurs de la vie pénitentiaire s’accordent pour dire que la co-gestion
existait dans les débuts (1980-1988), mais qu’on ne peut plus en parler aujourd’hui.
Pour les syndicats, le réalisme l’emporte : l’administration fera nécessairement passer
son idée car en cas d’égalité des voix en CAP, celle du directeur régional (qui fait office de
président) est prépondérante.
Seul FO continue à affirmer que la co-gestion existe toujours avec les syndicats
autonomes qui, selon elle, « font croire qu’ils se battent pour le personnel ». Une nouvelle
attaque envers son concurrent ? Il semble que oui... Pour FO, les choses ont changé. FOdirection
a été écartée parce que ses revendications étaient différentes. On reprochait aussi à
ce syndicat de travailler avec l’administration. Mais il n’en va pas de soi pour les autres
membres de FO : pour eux, il ne faut pas améliorer le mode de concertation entre
l’administration et les syndicats ; c’est à la première d’écouter et de prendre en considération
toutes les revendications de l’ensemble des syndicats.
Dans le même temps, aucune évolution fondamentale, mise à part la réforme de 1995
qui a unifié les professions en trois groupes et entraîné un remodelage du « paysage
syndical », ne s’est réellement produite dans la police. Au sein du corps des ACMA, le
syndicat SGP a perdu des voix car en fusionnant avec FO à la suite de la réforme, les policiers
n’ont pas reconnu leur syndicat.
30
A la différence de l’administration pénitentiaire, les forces syndicales se sont bien
réparties au sein de chaque corps (l’enjeu est à ce premier niveau moins crucial, il ne s’agit
que d’en représenter les membres, sans s’immiscer dans les réclamations propres aux autres
corps). C’est en cela que réside toute l’efficacité du syndicalisme policier qui tient compte de
la particularité de chaque métier. Il est bien conscient des spécificités et de l’impossibilité
d’établir une politique globale et cohérente pour tous les fonctionnaires de police. En effet, un
gardien de la paix n’aura pas toujours les mêmes revendications qu’un commissaire de police.
Toutefois lorsque les intérêts de tous ces corps sont en jeu, ils sont capables d’assurer
des actions communes : cela a été visible notamment lors des mouvements de novembre 2001.
De plus, les policiers tentent d’avoir une réflexion de fond : étant confrontés
quotidiennement aux problèmes d’insécurité, tant pour la population que pour eux-mêmes, ils
procèdent à une critique constructive et réfléchissent à des innovations du système actuel,
pour parvenir à les éviter à l’avenir.
On constate d’ailleurs que les relations entre les syndicats de police sont bien
meilleures que celles régnant entre ceux de l’administration pénitentiaire.
Malgré les différences, notamment les rapprochements avec certains partis ou
mouvances politiques, le président de l’UNSA-police a pris contact avec le syndicat Alliance
pour aller manifester de concert. De même, après les mouvements revendicatifs de 2001, les
policiers lançaient les Etats généraux de la sécurité. Différents syndicats ont été rassemblés :
le SCHFPN, Synergie-Officiers, mais aussi l’Union syndicale des magistrats, SOS Racisme,
le syndicat des cadres de la pénitentiaire, etc... Sachant dépasser le cadre matérialiste des
revendications, les policiers sont conscients que « personne ne réglera le problème de
l’insécurité [...] par quelques euros d’indemnités 48 ».
De petites tensions peuvent malgré tout persister, car même dans le cas ci-dessus, le
président de l’UNSA-Police a écarté le SNPT qui pourtant appartient de l’UNSA-Police. Une
certaine concurrence peut parfois transparaître dans des discours : « celle-ci démontre la
déliquescence des syndicats de police, tout du moins de nos concurrents.[...] Cet état de fait ne
serait que regrettable, voire déplorable, si nos concurrents étaient en capacité de décrire la
48 Police nationale n°.235, p.4.
31
réalité de la situation, de faire des propositions cohérentes qui dépasseraient le cadre
corporatiste et qui soient novatrices49 ».
Les dissensions restent cependant moins flagrantes que dans les prisons. En dépit du
contexte individualiste, on s’y évertue à maintenir les différentes fonctions au sein d’une
même confédération ou d’un même syndicat. Il en résulte l’impossibilité de mener une
politique transcendant les divergences entre catégories de personnel et il devient difficile de
s’accorder même pour défendre des intérêts communs.
Ces corps de fonctionnaires, avec toutes leurs différences, se rejoignent dans l’exercice
du droit syndical. Toutefois, leur statut spécial leur impose des limites. En échange de
nombreux avantages tenant à leurs conditions de travail, ils doivent se cantonner à un strict
devoir de réserve. Pendant longtemps, il a fait l’objet d’une grande vigilance. Aujourd’hui les
récents mouvements qui ont agité ces fonctionnaires d’Etat nous amènent à considérer
différemment ce point.
49 Police nationale n°.234, p.2.
32
2 ème partie : L’exercice du droit syndical
33
Les revendications actuelles, qui ne sont souvent que la réitération de plus anciennes
encore insatisfaites, empruntent désormais de nouvelles formes d’action. Ces dernières
marquent une évolution en profondeur du phénomène syndical dans les forces de l’ordre et
d’enfermement (A). Des fonctionnaires de ces corps s’interrogent alors sur la pertinence du
maintien du statut spécial (B).
A - DES REVENDICATIONS ANCIENNES, DES FORMES D’ACTION
NOUVELLES
Les récriminations exprimées au cours des mouvements de novembre et décembre
2001 ne sont pas fondamentalement différentes de ce que les policiers et les gardiens
demandaient depuis longtemps. Néanmoins, face à l’échec des modes traditionnels de
négociation et à des outils revendicatifs limités, les syndicats ont choisi de recourir à des
méthodes plus spectaculaires et censées avoir ainsi plus d’impact sur la conscience collective,
nécessairement mieux prise en compte en période électorale.
1 - A la recherche de reconnaissance et de conditions de travail
améliorées
Avant de se pencher sur le contenu des négociations, il peut être intéressant de rappeler
le but du syndicalisme et le fonctionnement des modes traditionnels de négociation au sein de
la fonction publique.
a) Les buts du syndicalisme
Selon l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983, « le droit syndical est garanti aux
fonctionnaires ». Ce principe est renforcé par le préambule de la Constitution de 1946, la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Convention Européenne des
Droits de l’Homme de 1950.
34
L’exercice du droit syndical s’opère dans le respect de trois principes :
- le principe de légalité : le syndicat doit se tenir dans les limites de la légalité et de son
statut. Le syndicalisme n’autorise pas à participer à un acte collectif d’indiscipline. Nous
verrons infra que ce principe n’est pas toujours respecté, notamment par l’administration
pénitentiaire.
- le principe de responsabilité disciplinaire : un syndicaliste ne peut être sanctionné s’il
a outrepassé les limites et commis une faute établie : après les manifestations de policiers de
1983, un chef syndical qui avait appelé à la dislocation de la manifestation et tenté de contenir
les débordements n’a finalement pas été révoqué50.
- le principe de pluralité : la représentation syndicale n’admet aucun monopole ; il
revient au contraire à l’administration de veiller au respect de la pluralité syndicale.
L’objet exclusif des syndicats est la défense d’intérêts professionnels ; un responsable
syndical ne peut mener une action politique sous couvert d’une activité syndicale. En 1998, la
Cour de Cassation a ainsi interdit un syndicat d’extrême droite : « le Front National de la
Police n’est que l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa création et dont il
sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race,
la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique51 ».
Comme nous l’avons déjà vu auparavant, les syndicats sont corporatistes et leur rôle se
résume bien souvent à défendre, auprès de leurs administrations respectives, les intérêts
individuels de leurs adhérents.
Ils s’expriment au sein des Commissions administratives paritaires (CAP). Des
représentants de l’administration y côtoient des syndicalistes qui disposent d’un nombre de
sièges proportionnel aux résultats obtenus lors des élections professionnelles. Les membres de
la commission s’expriment sur la situation individuelle des fonctionnaires, leur titularisation,
50 CE, 26 juillet 1985, Ministre de l’Intérieur contre Gandossi.
51 Cass. Mixte, 10 avril 1998, Front National de la Police.
35
leur promotion, leur mutation. Elles existent au niveau régional et départemental52. Certains
syndicats s’interrogent sur l’installation de CAP locales.
Le débat qui a lieu dans ces commissions est très important pour le déroulement de la
carrière des fonctionnaires. Les syndicats sont jugés sur les résultats obtenus lors de ces
négociations. Ils ont tout intérêt à se battre pour mettre en avant leurs membres. Chacun y
trouve son avantage : le syndicat augmente d’autant plus le nombre de ses adhérents qu’il sait
se montrer efficace et les fonctionnaires, en se syndiquant, font défendre activement leurs
intérêts professionnels, voire personnels. On peut remarquer qu’actuellement, spécialement
dans l’administration pénitentiaire, c’est bien souvent l’unique raison de leur adhésion.
Les comités techniques paritaires (CTP) agissent sur le même modèle en ce qui
concerne l’organisation des services, les projets de loi et les réformes statutaires. Un
représentant syndical de la police nous a indiqué qu’un CTP départemental a eu lieu le 12
mars 2002 regroupant des préfets de région, des chefs de service et en face dix représentants
de l’administration et dix représentants du personnel (dont cinq de l’UNSA-Police, deux
d’Alliance, un du SNOP et deux du SNIPA). Ce comité émet un avis puis la question est
tranchée au niveau central.
En ce qui concerne la Police, les syndicats adressent leurs revendications à la Direction
départementale de la Police urbaine, au Préfet délégué à la sécurité ou à la défense, puis au
Préfet de région. Lorsque le problème dépasse le niveau départemental ou régional, il faut
constituer un dossier et l’adresser au bureau national qui interpellera l’administration centrale
ou directement le ministre.
Ces instances de négociation sont les moyens traditionnels de dialogue au niveau
interne, dans toute l’administration. Elles se sont révélées toutefois insuffisantes lorsqu’il s’est
agi de débattre des enjeux fondamentaux ou des questions générales telles que le décret relatif
à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat, d’août 2000, ou la loi
sur la « présomption d’innocence » du 15 juin 2000.
52 Les régions pénitentiaires ne correspondent pas aux régions administratives. Elles sont au nombre de 9. Celle
du Nord regroupe la Haute Normandie, la Picardie, le Nord-Pas de Calais. Elle compte 21 établissements
pénitentiaires répartis sur 7 départements.
36
Ces textes modifient profondément la situation des agents : elles ont des répercussions
tant sur l’organisation du travail que sur les conditions matérielles et financières, et se
rajoutent aux revendications déjà existantes.
b) Les revendications syndicales
Depuis longtemps, au sein de la police, l’irrespect et les agressions dont les policiers
font l’objet en permanence les amènent à réclamer un grand débat national sur la sécurité.
Outre les Etats généraux sur la sécurité évoqués précédemment, le syndicat Alliance a
organisé, dans son magazine du premier trimestre 200253, un face à face entre les représentants
de Jacques Chirac et Lionel Jospin réputés alors être les deux principaux candidats à l’élection
présidentielle.
Ce syndicat a également interrogé certains autres sur leurs sentiments, leurs projets et
leurs propositions quant à l’insécurité. Divers problèmes ont ainsi été abordés. D’abord des
questions de fond sur l’avenir de la Police nationale : la sécurité des personnes et des biens
restera-t-elle une mission régalienne de l’Etat ? Que penser de la création d’un Ministère de la
Sécurité intérieure ? Les structures actuelles de la Police nationale sont-elles adaptées à
l’évolution sociale et à la dimension prise par la délinquance ? Comment envisager la sécurité
dans notre pays ?
La réponse de Jacques Chirac sur ce dernier point mérite particulièrement que l’on s’y
attarde : « il faut adapter nos processus de décision et assurer une meilleure coordination entre
les principaux acteurs de la sécurité. Aussi je propose, outre la mise en place, sous l’autorité
du Président de la République, d’un conseil de la sécurité intérieure, un Ministère de la
Sécurité Intérieure permettant d’assurer la cohérence des actions de la Police nationale, de la
gendarmerie, dans le respect du statut de ces deux forces, civile et militaire, mais aussi des
polices municipales et des sociétés privées spécialisées dans ce secteur [...]. Deux grandes lois
de programmation, l’une en faveur des forces de l’ordre- police et gendarmerie- et l’autre de
la justice, permettront de veiller très rapidement à cet impératif. Il s’agira d’un effort
supplémentaire total de 6 milliards d’euros, soit près de 40 milliards de francs sur 5 ans ».
Les conditions de travail ont bien entendu été aussi abordées : quelles sont les
propositions concourant à la revalorisation des métiers en terme de reconnaissance sociale
53 Police nationale n°.235, 1er trimestre 2002, p.2-8.
37
budgétaire ? Quels doivent être les aménagements aptes à mettre en adéquation les problèmes
d’effectifs et d’organisation spécifique du temps de travail ? Ou encore comment envisager
l’évolution du régime de retraite dans la Police nationale ? Etc.
La sécurité des citoyens ne pourra être convenablement assurée que lorsque les
policiers auront obtenu des embauches de personnel administratif, libérant alors de ces tâches
des hommes normalement affectés au terrain, et une revalorisation de leurs statut et salaire.
Tous ces efforts n’ont pas été vains puisqu’ils ont abouti à l’élaboration du projet de
loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, adopté tel quel par le
Parlement en juillet 2002. Cette loi prévoit notamment un crédit de 5,6 milliards d’euros sur
cinq ans et la création de 13 500 emplois dans la police nationale et la gendarmerie nationale.
Des groupements d’intervention régionaux (GIR) ont également récemment été mis en
place54.
En plus de ces questions de fond et de celles de « forme » qu’elles engendrent, les
policiers réfléchissent à des sujets plus vastes comme l’utilisation des forces mobiles, la
simplification du formalisme du Code de procédure pénale ou la réforme de l’ordonnance de
1945 sur les mineurs. S’intéresser et donner des avis sur de tels sujets leur vaut d’être écoutés.
Les revendications de l’administration pénitentiaire portent elles aussi essentiellement
sur l’application des trente-cinq heures, sur l’embauche supplémentaire de surveillants et sur
la reconnaissance de leur statut, dévalorisé à l’occasion des discussions sur l’avant-projet de
loi pénitentiaire. En effet, certains parlementaires55 ont voulu, selon eux, promouvoir
uniquement les droits des détenus au détriment de leurs devoirs à l’égard des surveillants et de
l’administration pénitentiaire, et ceci pour faire soi-disant face à une situation d’urgence.
Les syndicats ont donc pesé de tout leur poids pour que ces dispositions ne soient pas
reprises dans l’avant-projet de loi pénitentiaire qui n’a malheureusement pas abouti.
54 « La lutte contre l’économie souterraine et les différentes formes de délinquance organisée qui l’accompagne,
sources d’insécurité et de déstabilisation sociale dans de nombreux secteurs sensibles, nécessite la mise en oeuvre
en profondeur d’une action pluridisciplinaire engageant non seulement la police et la gendarmerie nationales,
mais également les services fiscaux, des douanes, de la concurrence de la consommation et de la répression des
fraudes, du travail et de l’emploi. La mise en place de GIR réunissant toutes les administrations et services
concernés répond à cet objectif [...] ». Instructions du Ministère de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des
libertés locales, 22 mai 2002, NOR : INTC0200129C.
55 Rapports des commissions d’enquête sur les prisons du Sénat et de l’Assemblée Nationale de février 2000 et
proposition de loi du Sénat du 26 avril 2000.
38
Devant l’impossibilité de parvenir à un accord, les divers syndicats ont employé des
moyens d’expression plus « spectaculaires ».
2 - Des formes d’action toujours plus spectaculaires
L’action revendicative des policiers et des membres de l’administration pénitentiaire
est limitée juridiquement : le statut spécial n’entend pas interdire l’action syndicale mais
prohibe formellement le droit de grève. Ainsi privés de cet outil essentiel, d’autres modes de
concertation ont été prévus. Mais devant le malaise régnant depuis quelques années et
l’impossibilité de trouver une solution, les syndicats ont décidé de se « montrer » pour
sensibiliser l’opinion publique.
a) La cause : une limitation des outils traditionnels de
revendication
Le fonctionnaire est soumis à une « obligation de réserve » et à l’interdiction du droit
de grève.
Cette première notion n’est pas mentionnée dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits
et obligations des fonctionnaires. Elle précise seulement « la liberté d’opinion garantie aux
fonctionnaires » dans la tradition de l’arrêt Barel du Conseil d’Etat du 28 mai 195456.
En contre partie de cette liberté et de la protection que lui doit l’administration, le
fonctionnaire a le devoir de respecter le politique et de ne pas importuner l’usager par la
proclamation de ses propres opinions en service ou même dans certains cas en dehors du
service. Cette obligation a pour but d’assurer le bon fonctionnement du service, compte tenu
de la nature de celui-ci. En particulier, ne pas porter atteinte à la considération du service ou
des autorités de l’Etat : un policier est par exemple révoqué s’il offense le Président de la
République dans un journal.
Dans des secteurs professionnels où le taux de syndicalisation est assez élevé, il ne
semble donc pas aisé de concilier l’exercice de ce droit syndical avec le respect de l’obligation
de réserve.
C’est pour cela qu’on tempère cette dernière par des circonstances de lieu et de temps
ou le respect des fonctions électives qui protègent tout agent et le syndicalisme. Le droit
56 CE, Ass., Barel, Rec. 308.
39
syndical implique en effet l’expression syndicale. C’est ainsi qu’un abaissement de notation
est illégal s’il a sanctionné des prises de position publiques diffusées par la presse alors
qu’elles n’avaient pour objet que de commenter une motion du syndicat dont l’intéressé était
le délégué57.
Le droit de grève est quant à lui reconnu depuis 1946 par le préambule de la
Constitution et plus particulièrement aux fonctionnaires depuis la loi du 13 juillet 1983
(article 10) : « les fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le
réglementent ».
Cependant, le pouvoir de limiter le droit de grève reconnu au législateur par la
Constitution peut aller jusqu’à sa négation58 . En effet, on a interdit la grève à certains
personnels, notamment aux Compagnies Républicaines de Sécurité par la loi du 27 décembre
194759. L’article 2 de celle du 28 septembre 194860 indique aux personnels de police que
« Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée pourra
être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires ». L’article 3 de l’Ordonnance du 6 avril
1958 précise quant à lui à l’administration pénitentiaire que « toute cessation concertée du
service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des services de l’administration
pénitentiaire est interdit. Ces faits, lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre
public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires ».
Cette carence du droit de faire grève est certes compensée par des avantages
pécuniaires variés (départ en retraite anticipé et bonification d’un cinquième61, régime
dérogatoire pour les mutations et les avancements) mais elle est sanctionnée par l’absence de
garanties disciplinaires en cas de manquement. C’est ce qu’on appelle le statut spécial. Il est
désormais défini par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la
sécurité62 qui, conservant de la loi de 1948 l’article relatif au droit syndical et à la grève, a
repris les autres aspects du statut spécial.
Cette infirmation du droit de grève a d’abord pour justification le maintien de l’ordre
public et la sauvegarde de l’autorité de l’Etat dans les deux institutions. En ce qui concerne la
57 CE Ass., 31 janvier 1975.
58 Conseil Constitutionnel, n° 87-230, 28 juillet 1987, DC Rec. 48.
59 Loi n° 47.2384, JO du 28 décembre 1947, p.12494.
60 Loi n° 48.1504, JO du 29 septembre 1948, p. 9532.
61 Tous les cinq ans, les policiers bénéficient d’une année de retraite supplémentaire. Au final, ils peuvent partir
en retraite à 55 ans, mais avec la bonification, ils peuvent partir à 50 ans.
62 JO du 24 janvier 1995, p. 1249.
40
police, on peut se référer aux travaux de J.J. Gleizal63 : « le syndicalisme policier n’est pas un
syndicalisme comme les autres : il peut revendiquer mais dans certaines limites. L’absence de
droit de grève dans la police a un sens. Elle montre que la dimension de contre-pouvoir du
syndicalisme policier est tout à fait relative. L’interdiction du droit de grève est tout à fait
symbolique. Elle signifie que les syndicats de police ne peuvent pas remettre en cause
l’essentiel de l’institution qui est ce rapport au pouvoir fondé sur une épaisseur sociétale ».
En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, pour J.C. Froment, « l’interdiction
du droit de grève rejoint les préoccupations relatives à la sécurité publique et à la question de
la relation sociétale du corps des surveillants de prison. Ces éléments forgent la spécificité du
syndicalisme pénitentiaire 64 ».
D’autres moyens ont été aménagés pour que ces syndicats puissent s’exprimer : il s’agit
notamment des CAP et des CTP, comme nous avons pu le voir précédemment. Une place leur
a été offerte dans ces instances de négociation avec l’administration.
Mais devant l’ampleur du débat, l’exaspération de ces fonctionnaires qui manquent de
moyens depuis plusieurs années, et l’incompréhension de certains syndicalistes (ou plus
précisément leur impuissance de négocier), les syndicats ont décidé de recourir à des moyens
d’action plus spectaculaires afin de bousculer leur hiérarchie dans un premier temps, et
l’opinion publique dans un second temps.
63 J.J. Gleizal, « Syndicalisme et corporatisme policier » in l’Etat et les corporatismes, PUF, Questions, 1988,
p.173.
64 J.C. Froment, op. Cit., p. 186.
41
b) Les médias : porte-parole des messages des syndicats.
Les policiers et les membres de l’administration pénitentiaire sont privés, par rapport à
d’autres professions, de l’outil « classique » de revendication : la grève. Ils doivent donc
trouver d’autres moyens d’expression.
Les journaux diffusés auprès des adhérents sont les vecteurs privilégiés de la
mobilisation et de la formulation des revendications sous forme des phrases « chocs », des
couleurs vives et d’attaques tant personnelles, visant d’autres membres de syndicats, que
générales, adressées à leurs administrations respectives ou au gouvernement.
Outre ces moyens, les policiers et les surveillants décident parfois de quitter ou
boycotter les instances de négociation, jusqu’à ce que des propositions plus sérieuses et
concrètes soient émises.
Ils sont plus ostensibles encore lorsqu’ils descendent exceptionnellement dans la rue et
convoquent les médias.
Ces manifestations sont légales tant qu’elles se déroulent en civil et en dehors des
heures de service. Les fonctionnaires le savent bien et beaucoup de policiers et de surveillants
n’hésitent pas à sacrifier de leur temps libre au détriment de leur vie de famille pour participer
à ces mouvements. Mais on rentre dans l’illégalité quand, par exemple, des agents de
l’administration pénitentiaire, brûlent des pneus devant des établissements pendant leurs
heures de service. Certains encore optent au contraire pour un moyen d’expression pseudo
légal propre à leur profession le boycott des parloirs. Ne faut-il cependant pas y voir un mépris
des règles déontologiques ?
Seulement ce sont pour eux les seuls moyens de se faire vraiment entendre. Pendant
des années, on leur a demandé de rester « dans les murs » : les revendications et les signes de
mécontentement devaient se cantonner à l’intérieur. Il fallait que les surveillants se dispensent
d’attirer l’attention des médias et donner ainsi une mauvaise image de la profession. Les
moyens d’expression (les premiers) se limitent à des journées « prisons mortes » : un peu
comme cela se fait au Japon, les surveillants portent un brassard, font silence total pendant
une minute ou deux, mais continuent le travail.
Seulement les résultats sont dérisoires. Gilles Sicard, alors secrétaire général de
l’UFAP, décide d’attirer la presse pour que les changements tant attendus arrivent. En effet,
42
les journalistes ne se déplaçaient pas lors des journées « prisons mortes » car il n’y avait rien
de sensationnel. Les premiers mouvements devant les portes des prisons ont alors lieu.
Certains représentants syndicaux de l’administration pénitentiaire sont conscients de
l’illégalité de ces mouvements : un de nos interlocuteurs a même été mis à pied six jours.
Même, les manifestations pendant les jours de congés contreviennent au devoir de réserve.
Mais tous ne s’arrêtent pas à cette réalité : il faut montrer quelque chose de
spectaculaire pour que la presse se déplace. Brûler des pneus ou faire des « sit-in » devant les
établissements est un bon procédé (selon eux). Ainsi, c’est en voyant une question stigmatisée
dans un reportage télévisé ou un article de journal, même petit, que l’administration doit
reconnaître que quelque chose ne va pas.
Certains représentants ont apparemment une notion toute personnelle de la « grève » :
celle-ci est ordinairement définie comme la « cessation collective et concertée du travail
décidée par les salariés 65 ». Cependant, un syndicaliste que nous avons rencontré soutient qu’il
a déjà protesté en uniforme pendant des heures de service, mais que « cette forme de
manifestation était différente de la grève ».
L’aspect humain prend ici toute sa dimension. Le syndicalisme pénitentiaire est en
effet dans une impasse lorsque ses représentants ont des discours si limités. Ils avancent des
propos frisant la diffamation, accusant leurs adversaires d’agressivité, de manipulation et de
manque d’honnêteté envers leurs adhérents, alors qu’ils sont ne prouvent que rarement et ne
se remettent qu’exceptionnellement en cause.
Loin d’en faire une généralité concernant l’ensemble des acteurs syndicaux et des
membres de l’administration pénitentiaire, ceux que nous avons rencontrés ont la critique
acerbe surtout à l’égard de l’administration. Comment discuter et arriver à des compromis
dans de telles conditions ?
Les policiers sont quant à eux plus réticents, par respect de la déontologie. Ils se disent
républicains et répugnent à se mettre hors la loi. Ils représentent l’ordre avant tout. Les
manifestations ont lieu en dehors des heures de service et en civil. Si sur le fond ils ne sont
pas en désaccord avec le personnel pénitentiaire, ils ne cautionnent pas la forme qu’ils
donnent à leurs mouvements. C’est une question de respect de l’éthique et de l’uniforme. Les
surveillants présentent l’attitude des policiers comme une absence de courage face aux
65 Petit Larousse Illustré, éditions Larousse, Paris, 1989.
43
sanctions disciplinaires. Ils manqueraient, selon ces derniers, d’honnêteté envers leurs
adhérents et accepteraient n’importe quoi afin de satisfaire leurs intérêts personnels...!
D’autres moyens d’action sont cependant à l’étude : les syndicats pénitentiaires
essayent de sensibiliser l’opinion publique par des opérations locales ou régionales : 50
personnes ont par exemple manifesté à Douai, distribué des tracts dans la rue, sont allées à la
sous-préfecture. L’UFAP se montre désormais plus favorable pour alerter directement la
population, plutôt que l’administration et les médias, sur les conditions de vie des détenus
(pour montrer selon eux à quoi servent les impôts...) A Maubeuge, des tracts ont également
été distribués en ville ; l’opération a selon eux été un succès : les citoyens ont ainsi appris ce
qui se passe à l’intérieur des prisons.
Ce syndicat réfléchit même à des actions impliquant les familles de détenus. Ce serait
délicat dans le sens où, d’une part, elles ne sont extérieures à la fonction publique et, d’autre
part, elles ne sont qu’indirectement concernées par les conditions de travail des surveillants.
De plus, pour FO, ces familles nourrissent une haine à l’égard des « matons », contrairement à
la police que l’on respecte en général.
FO est plutôt favorable à de nouvelles formes de revendications qui fassent, selon ses
propres termes, moins « boucherie » afin d’éviter les sanctions disciplinaires : ils envisagent
donc bloquer le pont de Tancarville (Seine-Maritime) ou les autoroutes. Je ne pense pas que
gêner les usagers les inclinera à soutenir la cause des surveillants.
L’attitude de ces derniers peut sembler paradoxale : ils sont soucieux de leur image de
marque et certains représentants (malheureusement pas tous) savent bien qu’ils se discréditent
quelque peu en brûlant des pneus et des palettes. La plupart le fait à contrecoeur mais ils vont
« jusqu’au bout » et assument, car c’est un véritable cri de détresse. Corinne Héron-Mimouni,
soulève également ce problème dont certains surveillants souffrent : « Pendant l’année 2000,
les médias ont beaucoup parlé de nous. La profession, quoique reconnue difficile, est encore
montrée du doigt : ce serait le refuge de personnes au niveau culturel et intellectuel très limité.
Des rustres... 66 ».
En agissant de la sorte, les membres de l’administration pénitentiaire sont rentrés dans
une spirale : à force de répéter de tels mouvements, ils ne sont plus pris au sérieux.
66 Corinne Héron-Mimouni, op.cit., p.62.
44
L’administration ne méconnaît pas ces problèmes mais l’habitude a été prise de voir
manifester devant les établissements sans qu’une négociation ne soit indispensable.
Contrairement à la police qui par ses thèmes de réflexion, ses actions occasionnelles
et organisées a su devenir un interlocuteur écouté et respecté.
Chacun se prévaut de sa déontologie ou de son courage mais les personnels
pénitentiaires utilisent des moyens à la limite de la légalité au regard de leur statut spécial.
En effet, certains acteurs syndicaux vont ainsi à l’encontre du devoir de réserve que
leur impose ce statut.
Une réflexion s’est donc engagée depuis peu sur la pertinence du maintien de ce statut
elle préfigure peut-être une refonte totale.
B - VERS UNE REMISE EN CAUSE DU STATUT SPECIAL ?
Le statut spécial revêt une grande importance pour la reconnaissance d’une profession
soumise à des obligations souvent plus strictes que les autres membres de la fonction
publique. Néanmoins, devant les diverses tentatives de contournement, on s’interroge sur sa
modification ou son éventuel abandon. La question s’est surtout posée lorsque des gendarmes
mécontents sont descendus à leur tour dans la rue.
1 - Réflexion sur une modification du statut spécial
C’est dans l’administration pénitentiaire que l’on en discute le plus et chaque syndicat
a son opinion. On parle même de la suppression du statut spécial.
La CGT souhaite le perdre parce que le personnel y gagnerait une situation plus claire.
Elle est donc prête à y renoncer en faveur du droit de grève.
FO, quant à elle, tient un discours ambigu : elle ne veut pas la suppression d’un statut
spécial dont elle cherche à en tirer profit. En effet, c’est ce qui sauve et garantit leur fonction.
En l’abandonnant, les membres de l’administration pénitentiaire ne seraient plus des
fonctionnaires d’Etat mais des fonctionnaires de région et risqueraient donc d’avoir un salaire
45
moindre pour un travail identique. Paradoxalement, elle déroge à ce statut en encourageant les
mouvements spectaculaires pendant les heures de service.
L’UFAP a une position mitigée : elle est certes pour le maintien du statut spécial car
c’est ce qui lui permet au personnel d’être « sur-indicié ». Par contre, elle est favorable à
l’instauration, parallèlement, d’un statut social ou plus précisément, d’un droit de
manifestation. Pour elle ce n’est pas trop, car la manifestation est distincte de la grève et
pourrait s’accommoder de l’instauration d’un service minimum.
Elle rejoint sur ce point la CFDT qui est favorable à cette troisième voix. Cela
permettrait de « bien positionner les gens. Dans le système actuel, on ne sait pas qui est en
repos, qui est en mouvement ou qui est en service actif », selon M. Duflot67. Ce service
minimum se substituerait au statut spécial mais il reste cependant à le définir, ce qui se révèle
délicat. Il s’agit de savoir l’étendue de son contenu et de choisir quels éléments à y inclure : la
nourriture, les soins, la promenade, le parloir, la visite des avocats et des familles... Mais
quelles sont celles à privilégier ?. Tant les syndicats que la direction se heurtent à cette
difficulté.
FO rejette cette évolution car cela reviendrait à faire le travail entièrement. Ce débat reste
donc plus théorique que pratique et ne semble pas devoir aboutir dans un avenir proche.
L’absence d’un réel dialogue ne doit pas pour autant entraîner ipso facto un abandon
du statut spécial. Ce n’est pas la meilleure solution. Il faudrait avant tout rétablir la
concertation à chaque niveau hiérarchique, surtout au niveau local, et redéfinir le cadre des
relations, en instaurant des CAP ou CTP locaux. Ils n’existent pour l’instant qu’au niveau
départemental ou régional. Nous rejoignons sur ce point les opinions de M. Duflot et de M.
Clément. De même, les conseils d’établissement ont été supprimés car ils n’avaient aucune
existence juridique et le projet de loi pénitentiaire évoquait plutôt les CTP locaux. M. Clément
les a rétablis de manière informelle, avec des représentants syndicaux et de l’administration...
Il a alors réussi à restaurer une concertation.
Elle a ainsi lieu à un premier niveau et permet d’« enrayer » tout de suite les
problèmes.
67 M. Duflot est directeur régional adjoint de l’administration pénitentiaire dans le Nord et membre de la CFDT,
dont il est d’ailleurs l’un des fondateurs.
46
Les policiers quant à eux ne souhaitent pas débattre de l’abandon du statut spécial. Ils
y sont en effet attachés car celui-ci leur garantit des avantages pécuniaires très intéressants. Il
leur permet, nous l’avons vu, de bénéficier d’un départ en retraite anticipé et d’un régime
dérogatoire pour les mutations et les avancements. Ils recherchent le statu quo et demeurent
vigilants quant aux obligations que ce statut spécial engendre.
Tout cela ne pouvait laisser indifférent le gendarme, militaire certes, mais qui exerce
lui aussi, entièrement plongé dans une société en mutation constante, des missions de police.
Pour M. Dubois, gendarme à la retraite, c’est la loi sur les 35 heures qui a été le
catalyseur de nouvelles revendications dans une profession où la moyenne est plus proche de
60 heures.
2 - L’influence sur le statut militaire des gendarmes
Le statut militaire du gendarme ne lui permet pas de se syndiquer ni de manifester.
L’article 10 de la loi du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, modifiée
par la loi du 30 octobre 1975 dispose que : « l’existence de groupements professionnels
militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des
groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».
Néanmoins, le gendarme est confronté aux mêmes problèmes que les policiers : il
subit les mêmes marques d’irrespect et est obligé de travailler dans des conditions
comparables. Il semble légitime qu’il cherche lui aussi à défendre ses intérêts.
Les gendarmes réclament une parité avec la police : plus d’effectifs, des améliorations
financières et de meilleurs outils de travail (matériel informatique, gilets de protection...)
Ils ont, depuis longtemps, trouvé des moyens détournés d’expression.
Les retraités, réunis au sein de l’UNPRG68, dans leur journal : « l’Essor », font valoir
les intérêts de toute la profession face à l’évolution de la société. Ce périodique, qui s’appelait
auparavant « la voix de la gendarmerie », est créé en 1935 par Jean Cousteix, adjudant-chef en
retraite. C’est lui qui, le premier, a l’idée de soutenir activement ses collègues gendarmes
dépourvus d’organisation syndicale. Le but des publications est de « sensibiliser le
gouvernement, la hiérarchie et l’opinion publique sur les difficultés que cette institution, ou
68 Union nationale des personnels en retraite de la gendarmerie.
47
les militaires qui la composent, peuvent rencontrer dans tous les domaines 69 » aussi divers que
les difficultés budgétaires de la gendarmerie, le système policier français, les bilans sur les
accidents de la route...
A plusieurs occasions, celui-ci a montré qu’il pouvait faire passer à la hiérarchie le
message exprimé dans la profession : avant les mouvements de 198970 et ceux de 2001,
favorisés par la mise en application des 35 heures, il avait clairement alerté les autorités
concernées de la « grogne » qui montait. Mais les conditions d’adhésion à ce journal et à cette
association sont particulièrement strictes, et l’UNPRG ne peut absolument pas s’identifier à
un syndicat.
Plus récemment, des associations ont été créées par les femmes et les familles de
gendarmes. Leur but est de faire connaître à l’opinion publique et aux institutions les
problèmes rencontrés par les gendarmes dans l’exercice de leur profession et qui nuisent à la
qualité de vie des familles. Certains de leurs membres se sont d’ailleurs joints aux
manifestations de policiers.
Le MFG71 (avril 2000) est un mouvement qui se présente lui-même comme « né du
besoin de prendre la défense de la qualité de vie des familles des personnels de la gendarmerie
qui, privés par leur statut de toute représentation syndicale, n’arrivent pas à exposer en toute
indépendance les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés dans l’exercice d’une
profession particulièrement contraignante72 ».
Son premier objectif est l’aide aux familles désemparées qui vivent dans l’univers
particulier des casernes. Ensuite, il veut apporter une réflexion constructive aux grands
problèmes du moment : la mobilité (il aimerait la faire annuler), les 35 heures (obtenir des
compensations financières en contre partie de leur non application), l’affectation des couples
mariés.
Ce mouvement agit par l’intermédiaire d’un journal, « l’Echo du képi » (créé à
l’initiative et grâce au soutien financier de l’UNPRG). Il agit à un niveau départemental par
des missions de représentations (participation aux manifestations...), de promotion, et à un
niveau central par des articles ou des conférences de presse.
69 Site internet de l’Essor : www.lessor.org
70 A l’occasion de ces mouvements, des gendarmes en activité avaient envoyé des lettres anonymes dans
différents journaux afin d’exprimer le malaise régnant à l’époque.
71 Mouvement des femmes de gendarmes.
72 Site internet du MFG : www.assolemfg.com
48
L’ANFG73 a été créée en 2001 à l’initiative d’une ancienne membre du MFG. Son
combat et ses réflexions sont similaires au mouvement précédent.
Une autre association a été créée en avril 2001 : l’ADEFDROMIL74. Elle est à la limite
de la légalité car Michel Bavoil, Capitaine de l’infanterie de marine qui en est à l’origine, a
fait enregistrer son association à la sous-préfecture de Senlis alors qu’il était encore en
activité. Ce n’est que le 7 mai suivant qu’il fait valoir ses droits à la retraite. Selon un article
de presse75, le but de cette association est de lutter contre l’injustice, l’arbitraire et les
brimades au sein de l’armée, défendre les droits statutaires, tels qu’ils sont définis par la loi en
matière de solde, d’avancement, de décoration, de pension, etc... Les militaires ne disposant
pas de moyens d’information et d’expression, c’est à eux de « prendre leur affaire en main,
c’est leur droit le plus strict », selon M. Bavoil. Pour lui, les associations de retraités militaires
ne sont pas écoutées et les mouvements comme le MFG ne sont pas suffisants.
Il s’agit d’un véritable « syndicalisme par procuration » : même si certains gendarmes
contestent ce terme. En effet, lors de nos investigations, nous avons pu découvrir que derrière
l’identité de leurs épouses qui adhèrent à ce genre de mouvements, ce sont les gendarmes euxmêmes
qui gèrent les associations.
Cependant, elles ne sont pas reconnues par tous les membres du corps qui estiment que
ce n’est pas aux femmes de régler les problèmes de leurs époux ou compagnons, ou
inversement pour les époux et compagnons de femmes de gendarmes.
Très médiatisé lors de sa création, ce mouvement des familles de gendarmes semble
donc s’essouffler. Ce « syndicalisme par procuration » n’a peut-être pour effet que d’attirer
encore davantage l’attention de la hiérarchie pour quelques mois, sur le malaise des
gendarmes. Ces associations, surtout le MFG, semblent trop liées à l’UNPRG pour être
considérées comme de véritables interlocuteurs.
Pour les gendarmes, les moyens de concertation internes paraissent suffire encore.
C’est tout du moins l’avis des « anciens » de ce corps, mais certains « jeunes » ne sont pas de
cet avis. Tout se passe par voie hiérarchique : au niveau du canton, de l’arrondissement (une
compagnie), du département (un groupement de gendarmerie), de la région (une légion de
73 Association nationale des familles de gendarmes.
74 Association de défense des droits des militaires.
75 Le Courrier picard, 28 mai 2001.
49
gendarmerie), puis le Ministère de la défense. Les représentants des gendarmes dans ces
conseils expriment sans déformer la parole issue de la base. Il n’y a pas de démagogie et les
gendarmes sont généralement écoutés (cela s’est vu lorsqu’ils ont eu besoin de gilets pareballes)
car les supérieurs sont aussi des hommes de terrain. Tous les sujets y sont abordés : les
crédits, les statuts d’avancement... Et tout est étudié. La seule contrainte est d’ordre
budgétaire.
Devant l’inapplication des 35 heures et le manque de moyens matériels, les gendarmes
sont malgré tout descendus dans la rue. Ils ont trouvé un moyen de contourner l’interdiction
du droit de grève : le 4 décembre 2001, ils manifestent pour la première fois en uniforme, à
Marseille (350) et Montpellier (300). Le ministre de la défense dénonce des « initiatives
locales incompatibles avec le sens du service dont les gendarmes sont fiers ». Le mouvement
s’amplifie alors les 5, 6 et 7 décembre. Plusieurs milliers de gendarmes, de Paris à Bastia,
remettent à leur hiérarchie des lettres de motion. Ils défilent à Paris le 7 décembre76.
En manifestant de la sorte, les gendarmes ont négligé leur devoir de réserve. Sur le
fond, ils sont soutenus par les policiers mais pas sur la forme. Cependant ces militaires
refusent à qualifier leur action de « grève ». Le contexte social de cette période était enclin aux
mouvements de policiers et de surveillants, ce qui a sûrement influencé et poussé les
gendarmes à en faire autant, mais de manière digne. Pour eux, ce n’était pas une manifestation
à proprement parler : ils se sont rendus en délégation devant leurs supérieurs hiérarchiques
afin de leur signifier leurs revendications. Certains diraient que c’est « jouer sur les mots »...
A chacun son interprétation. Cette marche en délégation était apparemment autorisée par la
hiérarchie. La seule « gêne » est que certains gendarmes se soient exprimés au micro, ce qui
constitue à nouveau une atteinte au devoir de réserve.
Selon les gendarmes avec qui nous avons pu discuter, ces mouvements sont
exceptionnels. Dans leur esprit, les moyens de concertation internes sont suffisants ; si chacun
respecte ces outils, il n’y a pas besoin de syndicats. De plus, les représentants des
commissions sont élus. A l’heure actuelle, le problème soulevé n’est pas totalement résolu
mais il n’y a plus de malaise.
76 Le Figaro, 8 et 9 décembre 2001, « L’irrésistible déferlante des gendarmes », A.-C. de Langhe (avec P.
Migault).
50
Nous sommes bien loin de l’ambiance régnant dans les relations entre les syndicats de
l’administration pénitentiaire. Pour toutes les raisons que nous avons pu énoncer, les
négociations se passent bien dans la gendarmerie. Ses membres savent respecter la hiérarchie
et les décisions qu’elle prend, et celle-ci sait les écouter car les supérieurs sont eux-mêmes des
hommes dans l’action.
Le statut militaire n’a donc pas été réellement bafoué. Lorsqu’il a été question, pendant
de la campagne présidentielle, d’unifier le statut de la gendarmerie avec celui de la police au
sein d’un grand Ministère de la sécurité intérieure, les gendarmes désapprouvaient. En effet,
leur statut leur permet de bénéficier d’un système de retraite favorable (de plus, les épouses
touchent immédiatement la pension de réversion), d’un logement de fonction -très important
pour leur esprit de corps comme pour le service- et d’une formation militaire.
C’est aussi une question d’éthique. Les gendarmes sont des militaires et entendent le
rester. Il n’y a de toute façon pas de véritable raison de modifier leur statut dans la mesure où
ce système fonctionne.
La question s’est posée de manière naturelle pour l’administration pénitentiaire qui,
elle, supporte mal le statut spécial mais les difficultés ne sont pas aussi importantes et
contraignantes chez les surveillants que chez les gendarmes.
Quoi qu’il en soit, le nouveau ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a rassuré la
gendarmerie dont le statut est maintenu.
51
Conclusion
Dans un corps dont la mission principale est le maintien de la sécurité et de l’ordre
public, le syndicalisme est tout en nuances. Alors que de nombreux syndicats existent dans les
corps de police et de l’administration pénitentiaire, qu’ils sont soumis à un statut spécial leur
interdisant la grève, que leurs corps sont hiérarchisés sur le même modèle, les résultats
obtenus ne sont pas comparables.
Croisée des chemins ?
Dans leurs début, le besoin d’être reconnus et défendus a fait qu’aux mêmes moments
ces deux institutions ont eu besoin de s’exprimer à travers des amicales puis des syndicats.
Mais ces deux corps ont pris des routes différentes, et ce phénomène s’est accru récemment.
Alors que les syndicats de police ont su se répartir au sein des différents corps de métiers et
rester, pour les syndicats majoritaires, détachés des grandes confédérations afin d’être mieux à
même de défendre leurs intérêts, tout en sachant mener des actions communes à l’ensemble de
la profession lorsque cela était nécessaire, les syndicats de l’administration pénitentiaire sont
restés dans une situation « stagnante ». En effet, après la réforme de 1995, les syndicats de
police se sont restructurés mais le syndicalisme pénitentiaire a peu changé par rapport à la
société extérieure et à la mission même des surveillants qui s’est pourtant doublée d’une tâche
de réinsertion.
Alors impasse ?
Sûrement pas pour les syndicats de police qui savent mener non seulement des
réflexions sur des sujets étendus, mais encore des actions communes, cohérentes et
exceptionnelles, ce qui leur vaut d’être écoutés par l’administration.
La réponse est différente pour ceux de l’administration pénitentiaire qui y demeureront
si les choses ne progressent pas rapidement. Le milieu fermé dans lequel ils évoluent est
certes une épreuve quotidienne77. Mais l’esprit individualiste qui cherche à tout obtenir sans
faire la moindre concession, la haine et la désorganisation ont pris le dessus. Ils ne
77 « L’angoisse inhérente à ce métier, peurs, faiblesse, lassitude, discrédit [...] Depuis qu’un détenu a tué un
surveillant avec une barre de sondage arrachée des mains de sa victime », Corinne Héron-Mimouni, op. cit., p.91-
92.
52
parviennent pas à mener une politique syndicale cohérente. Tant que ce stade ne sera pas
dépassé, on ne pourra pas envisager autre chose. Leur administration est peut-être moins
attentive à leurs revendications que dans les autres professions, mais c’est aussi parce que les
syndicats se sont décrédibilisés auprès d’elle. Pour sortir de ce « cercle vicieux », il faudrait
développer les moyens de concertations (conseils d’établissement, CAP et CTP) à un niveau
local. Car dans un milieu qui a du mal à communiquer, il faut commencer par instaurer un
débat au plus petit échelon avant de débattre au niveau national.
Quoiqu’il en soit, le vent des revendications soufflant sur les professions
touchant l’ordre et la sécurité, les gendarmes n’ont pu s’isoler. De même, les pompiers, puis
les gardes forestiers ont manifesté et les douaniers n’ont pas hésité à s’exprimer
spectaculairement à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de mai 2002.
L’Europe ne semble pas totalement étrangère à la propagation de ce mouvement. En
effet, une résolution adoptée le 30 juin 1988 par la Commission permanente de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe précise en effet que : « tous les Etats membres du
Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait, sont invités à accorder, dans des
circonstances normales, aux membres professionnels des corps armés de tout grade, le droit de
créer des associations spécifiques formées pour protéger leurs intérêts professionnels dans le
cadre des institutions démocratiques, d’y adhérer et d’y jouer un rôle actif ».
La France n’a pas encore appliqué cette directive et le nouveau gouvernement ne
semble pas prêt à modifier la situation. Pourquoi dérégler un mécanisme qui fonctionne ?
Mais une procédure auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, à
Luxembourg, suffirait à faire condamner la France à ce sujet.
La Belgique, en application de cette directive, a d’ores et déjà supprimé l’impossibilité
légale de s’exprimer pour les gendarmes (qui il est vrai ne sont plus militaires désormais),
hors de leurs instances internes de négociation.
En effet, si dans l’immédiat, aucun changement n’est en vue dans la législation
française, cela n’empêche pas une réflexion de s’engager au niveau de l’Europe, en particulier
pour ce qui concerne les policiers. La création d’Europol, coordonnant l’action des diverses
polices d’Europe pour certains crimes et délits permet aux polices des différents états de voir
comment les autres sont organisées. D’une part une ONG78 à caractère consultatif a été créée
en 1988. Il s’agit d’un Conseil de l’Europe des syndicats de police regroupant 250 000
78 Organisation non gouvernementale.
53
policiers de 16 pays d’Europe réfléchissant sur la participation des syndicats à la régulation
des administrations policières d’Europe, afin de lutter pour la sécurité, la liberté, principes
pour lesquels « les gardiens des droits de l’Homme que sont les policiers d’Europe »
travaillent activement79.
Quoi qu’il en soit, cette étude m’a permis de rencontrer des hommes dévoués,
passionnés et motivés, tant pour exercer leur profession que pour défendre ses intérêts et ceux
de ses membres. Dans un climat social et des conditions de travail extrêmement difficiles, ils
n’hésitent pas à aller de l’avant, ce qui vaut qu’on puisse leur rendre hommage.
79 Olivier Cindric, Le syndicalisme policier, mémoire de DEA Droit social.
54
Bibliographie
Ouvrages généraux et spéciaux
J. Jeanneney, Les associations et syndicats de fonctionnaires, Paris, 1908
Georges Carrot, Histoire de la police française, Tallandier, 1992
Arlette Lebigre, La police, une histoire sous influence, Découverte Gallimard histoire,
1993
Eric Allary, L’histoire de la gendarmerie : de la Renaissance au IIIè millénaire,
Calmann-Lévy, 2000*
Isabelle Gaspéri, La gendarmerie, son histoire et ses missions, Sélection du Reader’s
Digest, 1997
Dominique Monjardet, Ce que fait la Police, la Découverte, 1996
Jean-Marc Berlière, Le monde des polices, édition complexe, 1996
Michel Bergès, Le syndicalisme policier en France, l’Harmattan, Paris, 1995*
André Decocq, Jean Montreuil, Jacques Buisson, Le droit de la police, Litec, 1998*
J.J. Gleizal, La police en France, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1998
Eric Péchillon, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, LGDJ, Paris, 1998*
Jean-Charles Froment, La république des surveillants de prison, ambiguïtés d’une
politique pénitentiaire en France (1958-1998), LGDJ, Paris, 1998*
Hubert Haenel et Richard Lizurey, La gendarmerie, Que sais-je ?, PUF, 3è édition,
1999
François Dieu, Gendarmerie et modernité : étude de la spécificité gendarmique
aujourd’hui, Montchrestien, Paris, 1993*
Christian Vigouroux, Déontologie des fonctionnaires publics, Dalloz, 1995
55
Thèses et mémoires :
E. Verdier, Le syndicalisme des policiers : le cas du SGP, thèse Paris X, Nanterre,
1998
Olivier Cindric, Le syndicalisme policier, mémoire de DEA, Droit social, Lille II*
Revues :
Louis et del Bayle, L’Etat du syndicalisme policier, RFAP, n° 91, juillet-septembre
1999, p. 435.
Ouvrages d’actulité :
Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, le cherche-midi éditeur,
2000*
Corinne Héron-Mimouni, Matonne, Ramsay, 2002*
Journaux syndicaux* :
Police : Police nationale (revue trimestrielle du syndicat Alliance)
CRS aujourd’hui (revue trimestrielle SNIP/ UNSA Police)
Police ! (mensuel d’information SNPT/ UNSA)
Police nouvelle (mensuel d’information SNOP FGAF/ UNSA)
Administration pénitentiaire : Le réveil (revue trimestrielle de l’UFAP)
Dedans Dehors (revue mensuelle de l’OIP)
Gendarmerie : l’Essor (revue mensuelle de l’UNPRG)
Actualités SNAAG
Sites internet* :
56
Syndicat FO : www.snp-fo.net
Fédération des syndicats généraux de la police : http://perso.wanadoo.fr/fsgpfo/
historique.htm
SCHFPN : www.schfpn.fr
Alliance police nationale : www.alliance.pn
SNPT : www.snpt.fr
SNOP : www.snop-snapc.fr
SNIP : www.snip-crs.com
FPIP : www.fpip-police.com
Essor : www.lessor.org
ANFG : www.anfgweb.free.fr
MFG : www.associationlemfg.multimania.com
Association de défense des droits des militaires : www.adefdromil.com
UFAP : www.freeflights.net/ufap/accueil.htm
Entretiens* :
M. Ebstein, Commissaire à Roubaix, membre du SCHFPN
M. Van Elslander, secrétaire régional (Nord) du syndicat Alliance
M. Moraisin, secrétaire régional adjoint (Nord) du SNOP
M. Ricq, secrétaire général adjoint (Nord) du département du SNPT
M. Duflot, directeur régional adjoint de l’administration pénitentiaire (deux entretiens)
M. Clément, directeur de la Maison d’arrêt de Loos
M. Canivet, délégué régional adjoint (Nord) de l’UFAP
M. Le délégué régional (Nord) du syndicat FO
M. Dubois, gendarme à la retraite
* : documents ayant plus particulièrement servi à l’appui de cette étude.
Annexes
57
1 - Extraits des statuts du syndicat de police Alliance
2 - Couverture du magazine Police Nationale n° 234
3 - Couverture du magazine Police Nouvelle n°270
4 - Extraits de résultats d’élections en CAP
5 - Article : « Des gardiens de la paix aux commissaires, les syndicats ont émis des
revendications spécifiques » de Pascal Ceaux, le Monde, 30 novembre 2001
6 - Article : « Les syndicats majoritaires dans la police signent un accord avec Daniel
Vaillant » de Pascal Ceaux, le Monde, 30 novembre 2001
7 - Article : « Les moyens de la police sont renforcés, le ministre de l’Intérieur sort affaibli »
d’Elie Barth, Pascal Ceaux et Michel Noblecourt, le Monde, 30 novembre 2001
8 - Article : « Les bleus à l’âme de l’adjudant Raoux » de Claude Belmont, le Figaro, 8-9
décembre 2001
9 - Article : « L’irrésistible déferlante des gendarmes » d’ A-C. de Langhe, le Figaro, 8-9
décembre 2001
10 - Article : « Des femmes de gendarmes ont manifesté à Grenoble » de Nicole Cabret, le
Monde, 27 novembre 2001
11 - Article : « Les politiques dans l’embarras », le Figaro, 8-9 décembre 2001
12 - Couverture du magazine le Réveil n° 47
13 - Extrait du magazine le Réveil n°47 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail
14 - Article : « Les surveillants en colère bloquent leurs établissements » de Françoise
Lemoine, le Figaro, 5 décembre 2001