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CEDH-W.D.-73548-13

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Date : 7-09-2016

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Date : 7-09-2016

CEDH, Arrêt W.D. c/ Belgique, 06/09/2016, n°73548/13

Le maintien en détention d’un homme souffrant de problèmes mentaux dans un milieu carcéral sans thérapie adaptée et sans perspective de réinsertion constitue une violation de l’article 3

Publication originale : 6 septembre 2016

Son maintien en aile psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative constitue une épreuve particulièrement pénible, l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Texte de l'article :

 Les faits :

En novembre 2006, alors qu’il était âgé de 19 ans, le requérant fût arrêté pour attentat à la pudeur sur un mineur de moins de 16 ans.

Ayant été considéré comme irresponsable de ses actes car atteint au moment des faits d’un trouble mental, il fut, conformément à la législation belge en vigueur, décidé de son internement. En juillet 2007, il fut donc interné dans l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas, où il réside depuis lors.

Entre 2010 et 2015, S’il bénéficia de permissions de sortie encadrées entre 2010 et 2015, ce droit lui fut retiré en octobre 2015, après qu’il fut découvert qu’il entretenait une correspondance avec un mineur.

Différents rapports psychiatriques relevèrent qu’il était prédisposé à la perversion et à la pédophilie, qu’il présentait un risque de récidive très élevé, qu’il souffrait de troubles du « spectre autistique » et qu’il devait intégrer un établissement de l’Agence flamande pour les personnes handicapées (VAHP). Pourtant, tout au long de sa détention, la commission de défense sociale d’Anvers (CDS) n’eut de cesse de son maintien en prison.

 Procédure devant les juridictions belges :

À partir de 2009, son maintien en détention fut décidé dans l’attente d’un placement dans un établissement relevant de la VAHP.

Le 6 décembre 2012, la Commission supérieure de défense sociale (CSDS) rejeta l’appel introduit par le requérant contre une décision de maintien de la CDS, au motif que l’état de santé mentale de l’intéressé justifiait sa détention.

Son pourvoi en cassation fut rejeté par la Cour de cassation le 30 avril 2013, de même que ses recours devant le juge judiciaire.

 Le raisonnement de la Cour EDH :

Invoquant notamment l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), le requérant se plaignait de sa détention carcérale depuis plus de neuf ans, sans soins appropriés à son état de santé mentale et sans perspective réaliste de réinsertion.

La Cour a relevé que le requérant n’avait pas bénéficié d’un traitement adapté à ses troubles mentaux pendant son internement.

Elle a d’ailleurs appuyé sur le fait que cette insuffisance de prise en charge des personnes délinquantes atteintes de troubles mentaux avait déjà été constatée par plusieurs rapports nationaux dont un de la commission de surveillance de ladite prison, et internationaux, notamment par le Comité contre la torture des Nations Unies.

Cette thèse était corroborée par le fait que les rapports établis par les médecins et le service psychosocial n’étayaient pas la nature de l’encadrement thérapeutique dont bénéficiait le requérant.

De même, le Gouvernement ne démontrait pas qu’un traitement approprié à sa pathologie lui ait été prodigué.

Les seuls éléments concrets dont dispose la Cour sont le suivi d’une pré-thérapie ainsi que le nombre et la fréquence des consultations en psychiatrie qui ont consisté pour la plupart à la prescription de médicaments antidépresseurs et antipsychotiques. Aux yeux de la Cour, il n’est pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi, mais il est primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient mis en oeuvre.

Après quoi, la Cour a indiqué qu’il s’agissait là selon elle d’un problème structurel à la Belgique, où l’encadrement médical dans les prisons n’est pas suffisant mais où un placement ailleurs s’avère souvent impossible, les établissements opposants un refus d’accepter ces délinquants.

La Cour précise que l’obligation découlant de la Convention ne s’arrête pas à celle de protéger la société contre les dangers que peuvent représenter les personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux, mais elle impose également de dispenser à ces personnes une thérapie adaptée visant à les aider à se réinsérer le mieux possible dans la société. Elle estime donc que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé de W.D., lui permettant d’éviter de se trouver dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention.

Son maintien en aile psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative constitue une épreuve particulièrement pénible, l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Quelles que soient les entraves que W.D. ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour juge que celles-ci ne dispensaient pas l’État de ses obligations vis-à-vis de celui-ci. Elle rappelle que la situation d’infériorité et d’impuissance qui caractérise les patients internés dans des hôpitaux psychiatriques exige une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention ; il en est d’autant plus ainsi de personnes souffrant de troubles de la personnalité et placées en milieu carcéral.

La Cour conclut donc à un traitement dégradant en raison du maintien en détention de W.D. Depuis plus de neuf ans dans un environnement carcéral sans thérapie adaptée à son état de santé mentale et sans perspective de réinsertion.

Elle dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.”