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> Edito

Le juge délégué aux victimes

Mise en ligne : 29 juillet 2007

Dernière modification : 17 décembre 2007

Texte de l'article :

Le 6 juillet dernier, lors de son intervention à l’occasion de la 7ème rencontre des associations de victimes, Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice, annonçait la création du juge délégué aux victimes, à compter du 1er septembre 2007. A l’occasion de son discours, R. Dati a notamment déclaré : "Je ne veux pas que les délinquants aient plus de droits que les victimes. La victime doit compter plus que le délinquant". Il n’est pas question de sortir une phrase de son contexte et d’en faire une critique aveugle. Il s’agit de s’interroger sur la pertinence d’une mesure et sur ce qui la motive.

 Les dispositions permettant la prise en charge des victimes existent déjà et ont été successivement renforcées, par la loi d’orientation et de programmation pour la Justice, du 9 septembre 2002, par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice eux évolutions de la criminalité, par la loi du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales. La prise en charge, notamment sociale et psychologique, des victimes est de toute évidence nécessaire mais, par exemple, est-il pertinent que l’avocat de la partie civile puisse présenter ses observations devant les juridictions de l’application des peines lors de l’examen d’une demande de libération conditionnelle par la personne condamnée ? Quel sens cela a-t-il ? En quoi la partie civile peut-elle avoir une opinion juste, et non pas émotionnelle, sur la possibilité et l’opportunité d’un aménagement de peine ? Le juge délégué aux victimes aura pour fonction de "remédier à la dispersion des actions et des responsabilités en guidant la victime dans les méandres de l’institution judiciaire" et de "veiller à la qualité de la réponse judiciaire dans tous ses aspects" (protection de la victime après la libération du condamné et indemnisation par le condamné ou par les dispositifs existants). Au lieu de guider la victime dans "les méandres de l’institution judiciaire" et par là même constater la complexité de ce système, pourquoi ne pas simplifier cette institution ? Il existe déjà le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention, le juge d’Instance, le juge de l’application des peines, le juge aux affaires familiales, le juge des enfants, le juge administratif...

 Il n’est, en aucun cas, question de nier la souffrance, parfois incommensurable, des victimes. Comme le souligne R. Dati, "parce que la victime est une personne en souffrance, nous devons en premier lieu, la respecter et lui donner cette considération à laquelle a droit tout être humain" (y compris donc les personnes auteurs d’actes criminels). Personne ne peut nier cela ; la question est simplement de savoir à quelle institution cette mission doit être confiée et dans quel cadre ? La Justice n’est pas faite pour les victimes ; la Justice est faite pour les justiciables. La Justice prononce une peine et s’assure de son exécution ; cette peine reflète le juste équilibre entre la gravité de l’infraction et les circonstances de cette infraction (personnalité de l’auteur et contexte par exemple). La meilleure façon de respecter les victimes est de lutter efficacement contre la récidive ; la lutte contre la récidive passe par de meilleures conditions de détention, respectant par exemple le principe de l’encellulement individuel. Précisément, la mission de réinsertion, dévolue à la prison, est peu remplie faute de moyens. La lutte contre la récidive passe aussi par davantage d’aménagements de peine, par le recours aussi fréquemment que possible aux alternatives à l’incarcération.

 La prise en charge des victimes, la manifestation à leur égard d’une large solidarité, sont essentielles. Mais, une société construite sur des valeurs humaines ne peut entendre que "la victime doit compter plus que le délinquant". Une victime et un délinquant comptent autant ; la reconnaissance de la personne humaine ne peut être fondée sur un principe de comparaison. R. Dati rappelle que "chacun d’entre nous a été ou peut être une victime" ; chacun d’entre nous peut aussi être l’auteur d’un crime ou d’un délit. Ce qui compte est de construire une Justice respectueuse des justiciables, dans laquelle, à aucun moment, il ne peut être sous-entendu que la souffrance des victimes serait atténuée par des peines inhumaines.

La rédaction
Ban Public
Août 2007