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Sens de la prison, sens de la peine. Abolition(s) ?

Le droit d’être abolitionniste

Mise en ligne : 18 mars 2009

texte de Thierry LODE, professeur

Texte de l'article :

Bonnes gens, comment prétendre que les âges médiévaux sont dépassés ? Le monde persiste dans une préhistoire sauvage et continue cette bassesse d’ériger encore et encore de nouvelles geôles. Et puis voilà que l’enfermement décidé par une cour pénale devient soudain insuffisant pour protéger ce vieux monde. La CIA légalise le supplice de la baignoire et l’Etat invente la rétention de sûreté, la prison après la prison. La loi se fait cependant moins sévère pour les possédants en dépénalisant certains délits financiers.

N’en doutez pas : il y a lieu d’avoir honte. Honte d’avoir ainsi raté le tournant de l’abolition. Certes, il y eut des âmes courageuses pour dire combien la surpopulation pénale aggravait encore ce dégradant état de la prison. Il y eut des médecins vaillants qui ont rendu compte de l’ignominie sanitaire de ces lieux clos. Il y eut des chevaliers valeureux pour clamer l’indignité de jugements à l’emporte-pièce, de ces procès qui ont brisé des innocents dans ces cachots. Il y eut des voix radiophoniques, des philosophes, des mères de famille, pour dénoncer l’aberration des conditions carcérales et l’invraisemblance des longues peines. Oui, des braves, il y en eut.

Mais le premier scandale de la prison, c’est d’abord son existence. Pour quelques psychopathes, combien d’emprisonnés sont issus de luttes désespérées, de batailles pour la survie, d’insoumissions à des règles obsolètes, de combats sociaux et bien entendu de désobéissances civiles et de résistances politiques. Presque tous les « clochards » ont connu la prison. Pour quelques assassins, combien de réfractaires à la misère du vieux monde ? Prison, rétention, quelque mot que ce soit, la même abjection s’y déroule. Le délinquant est toujours traité en ennemi Pourquoi faudrait-il punir ?, de Catherine Baker, Tahin Party, 2004..

Loin de constituer une vérité immuable, la loi est par essence changeante, incertaine et évolue avec les hommes. Il n’y a pas de bonne loi. La loi n’est pas seulement douteuse, mal appliquée, elle constitue toujours une violence du vieux monde pour soumettre les humains. L’Etat possède le monopole de la violence, comme le rappellent les activités policières et Max Weber Le Savant et le politique, de Max Weber, Pion, 1959.. La prison comme vengeance sociale, comme punition impersonnelle, s’est peu à peu substituée aux autres tortures, car oublier ses ennemis s’est avéré moins dispendieux et moins visiblement cruel. Et puis on avait brûlé tant de sorcières. Mais la méthode s’est imposée en négatif. Nulle part le code pénal n’a figuré ce remplacement, il a juste compilé, avec les siècles, l’abolition des autres tortures au profit de cette mise à mort en différé.

L’hésitation des règles organisant le châtiment provient simplement de ce que les hommes n’ont pas le même esprit avec le temps et que la répression des sociétés s’avère toujours trop sévère, trop visiblement vengeresse Surveiller et punir, de Michel Foucault, Gallimard, 1983.. C’est le lieu de pensée des tyrannies populistes. Aussi, le plus souvent, il faut réduire l’application, composer avec les représailles et appeler des circonstances pour atténuer la peine. En préconisant un arrangement pénal, en sollicitant un avocat, la loi avoue que le détenu est bien aussi une victime de son histoire de vie. En outre, l’indigence des conditions de détention crée une économie souterraine pour échapper aux matons et favorise de troubles associations. En revendiquant son acte, le détenu peut s’imposer dans ce monde fermé, et aucune place ne peut plus être faite au discernement ou au remords. Même lorsque le crime paraît répréhensible, la prison traite sans vergogne la victime et le coupable en se substituant à leur possible réconciliation.

Car la réconciliation reste bien nécessaire, le détenu doit bien s’amender et sortir, à moins de proposer l’horreur d’une réclusion à perpétuité, l’abjection d’une chirurgie ou de réintroduire l’assassinat légal. Corriger les agissements qui ont parfois conduit à la sauvagerie barbare (mais le plus souvent il ne s’agit que de répliques à la misère) n’est possible que si le délinquant peut reconnaître sa propre brutalité, que si ce qui la justifie n’est ni l’injustice ni le malheur. Lorsqu’il y a vraiment une victime, la réconciliation est un pacte entre le délinquant et sa victime, une transaction de la raison. Cette réconciliation a nécessairement lieu. Actuellement, elle est le produit de l’oubli, qui atténue le ressenti de la victime. Nos prisons sont vraiment des oubliettes.

Mais on peut imaginer une réconciliation initiale, un travail de la raison entre êtres humains en réintroduisant le respect et sans nier la culpabilité. Selon le modèle qui a présidé à la réconciliation Amnistier l’apartheid. Travaux de la Commission vérité et réconciliation, édition établie par Philippe-Joseph Salazar, Seuil, 2004. après les années d’horreur de l’apartheid, de la dictature d’Argentine, du Chili et dans plus de 20 pays, on peut imaginer une réconciliation « Au coeur de la prison, le châtiment », de Christian-Nils Robert, France Culture, 2002. véritable. Une commission de la vérité rétablissant la raison dans le trouble, parfois ignoble, d’agissements coupables. La commission d’Afrique du Sud a longuement interrogé l’atrocité du racisme, écouté comment la haine de la ségrégation a pu s’inscrire durant des années comme malédiction entre les humains et sans rien exiger d’autres des coupables que la simple vérité, la pure vérité sur leurs actes. Et parler, parler encore. Supprimer l’idéologie sécuritaire de la punition et de la surveillance, c’est inventer un morceau de monde nouveau. De toutes les façons, bien des financiers voleurs, bien des tortionnaires, bien des dictateurs ont échappé à toute sanction, ont même parfois été aidés dans cette évasion légale.

Je n’ai guère que ma sensibilité humaine à opposer, mon savoir reste faible. Mais je l’affirme, oui, il est possible d’abolir ce déshonneur de l’intention carcérale, il est même simplement nécessaire de le faire pour sortir ce vieux monde de cette impasse vengeresse médiévale où il se complaît encore. Oui, le progrès n’est que l’accomplissement des utopies, comme le disait Oscar Wilde.

Voilà, pourtant, et alors que le Portugal, l’Espagne, la Norvège et Chypre ont aboli la perpétuité, c’est bien cette réconciliation nécessaire que la loi de sûreté vient d’anéantir. En cela, on est en train d’éteindre le siècle des Lumières... Bonnes gens, l’idéologie punitive, c’est une forme de peste qui s’insinue au fond de nos neurones...
 

Thierry Lodé, professeur