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> Edito

La prison : thème de campagne ?

Mise en ligne : 4 décembre 2006

Dernière modification : 17 décembre 2007

Texte de l'article :

14 novembre : date de la restitution publique des états généraux de la condition pénitentiaire. 11 décembre : date des 3èmes rencontres parlementaires sur les prisons avec pour thème : "Les prisons en France : un grand chantier présidentiel". Autant dire que les opérations plus ou moins médiatiques sont là pour tenter de retenir l’attention du monde politique. Mais tant d’efforts laissent penser que, spontanément, la question n’intéresserait personne...

Pourtant, les indicateurs sont tous alarmants et nul ne peut arguer qu’il les ignore.
Un taux de suicide 7 fois plus élevé que dans le milieu libre. Et ce chiffre vertigineux n’est pas exclusivement dû au fait que les personnes qui entrent en prison sont parfois fragiles, précarisées, à leur arrivée.
Un taux de récidive plus élevé quand les personnes n’ont pas bénéficié d’un aménagement de peine, c’est-à-dire quand la prison est restée, jusqu’au bout de la peine, le seul "outil" en vue de la réintégration dans la communauté.
Entre un tiers et la moitié des personnes incarcérées qui sont atteintes de troubles mentaux ; ce qui confère à la prison un statut de "prison asile".
Un taux de chômage voisin de 100% dans certains établissements ; ce qui plonge dans l’oisiveté la majorité de la population incarcérée.
Un mode de gestion des fautes disciplinaires complètement archaïque, avec le recours à la mise en cellule disciplinaire quasi systématique. Ce placement, possible à titre préventif, bafoue un des droits les plus élémentaires, l’équité s’effaçant l’arbitraire.
Un système qui ne fait toujours pas l’objet d’un contrôle extérieur par un organe permanent, indépendant et compétent : cette absence de contrôle est révélatrice d’une zone de non droit. Aucun autre service public ne fonctionne sans contrôle.
...

La liste est longue, trop longue pour arriver à comprendre que tant de dysfonctionnements ne fassent pas de la prison un sujet prioritaire. Alors pourquoi une telle réticence à aborder de front cette question ? On peut se perdre en conjectures de nature politique, économique, historique, sociologique ; mais le mot clef ne serait-il pas démagogie ? Flatter les tendances populaires pour mieux les exploiter, par exemple en vue d’une élection. Quel candidat à une élection serait à ce point insensé pour faire de la réforme du système carcéral un des mots d’ordre de sa campagne ? Ce thème ne lui rapporterait pas la moindre voix ; ou plutôt lui en rapporterait-il 1, qu’il en perdrait 1 000 du même coup ! La relégation, sans garantie de droits, de celles et de ceux qui ont commis une infraction est encore aujourd’hui considérée comme le meilleur remède. Alors la cause est-elle perdue d’avance ? Non, mais il faut être lucide sur les raisons profondes qui conduisent à éloigner systématiquement ce thème des grands débats. Enfermer les auteurs d’infractions, n’est-ce pas une façon de ne plus voir l’autre car son passage à l’acte interroge sur ses propres certitudes ? Repousser l’autre, ou plutôt son infraction, revient à repousser sa propre part d’ombre. Et pourtant nul ne peut s’enorgueillir que jamais il ne commettra la moindre infraction. Ceci est d’autant plus vrai que la précarité, qui guette tout un chacun, entraîne de plus en plus souvent des formes de souffrance aliénante liées au processus de dégradation sociale, susceptibles de conduire à la commission d’une infraction. Il faut comprendre et admettre que tout le monde est potentiellement concerné par la prison pour en faire enfin un vrai sujet de débat et non pas un objet médiatique en soi.

La rédaction

Ban Public

(Décembre 2006)