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> Edito

La prison à vie

Mise en ligne : 18 avril 2007

Dernière modification : 17 décembre 2007

Texte de l'article :

 Les déclarations d’intention sur la réintégration des personnes après une peine de prison sont malheureusement quelquefois dénuées de sens car il ne faut pas s’y tromper, l’enfermement laisse parfois la place au bannissement, à vie. L’exemple développé ci-dessous est peut-être un peu technique pour un néophyte, mais il est extrêmement révélateur, à bien des égards.

 Une personne condamnée, avant le 1er mars 1994, à une peine criminelle, perdait ses droits civiques, civils et de famille, à vie. Mais l’article 112-1 du code pénal (CP) rend optimiste puisqu’il stipule que "les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes". Or, les dispositions nouvelles sont moins sévères ; en effet on lit à l’article 131-26 du CP que "l’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime". La personne, condamnée avant le 1er mars 1994, sort de prison et suppose donc qu’elle bénéficie de cette disposition et, aux années passées en prison, privée de ses droits civiques, elle ajoute 10 ans au jour de sa sortie (1995) pour obtenir ainsi la date où lui seront restitués ses droits civiques, soit 2005. Mais personne n’est naïf et se voir confirmer cela par une juridiction est forcément plus sûr d’où une demande faite à une Cour d’appel. Celle-ci, en 2003, expose dans sa motivation de jugement qu’elle ne relève pas l’interdiction des droits civiques de cette personne, précisément au prétexte qu’ils lui seront automatiquement restitués 10 ans après la libération (cette durée lui paraît juste au regard des actes commis). Bref, cette personne, sûre d’avoir retrouvé ses droits en 2005, s’inscrit en 2006 pour les élections de 2007. La commission administrative lui signifie sa radiation des listes électorales, au motif d’une condamnation antérieure au 1er mars 1994 ayant entraîné une interdiction à vie des droits civiques. La personne formule un recours gracieux, qui ne sert à rien car ce n’est pas une simple erreur de paperasserie, puis un recours contentieux devant la Cour d’appel du tribunal d’instance, lequel confirme la radiation. Cette décision est définitive et s’oppose donc à la motivation du jugement rendu en 2003. Les motifs sont simples. D’une part "la condamnation était passée en force de chose jugée" et donc il n’y a aucun bénéfice possible de l’article 112-1 du CP, précité ; d’autre part, "l’autorité de la chose jugée ne s’attache pas aux observations contenues dans leur motivation" et donc, le jugement justifiant le refus de restituer les droits civiques, dans la mesure où ceux-ci le seraient automatiquement, n’a de la valeur que dans sa conclusion (refus de la restitution des droits) mais n’a pas de valeur dans sa motivation (la restitution automatique des droits). Reste le recours en cassation, en cours actuellement, mais avec peu de chances d’aboutir tant les arguments de la Cour d’appel du tribunal d’instance sont techniquement verrouillés.

 Plusieurs réflexions viennent naturellement à l’esprit. D’abord, combien de personnes condamnées à une peine criminelle avant le 1er mars 1994, sont en situation de mener toutes ces démarches, si tant est qu’elles aboutissent (ce qui est fort improbable) ? Ensuite, concrètement, que mettent en lumière ces démarches successives ? Simplement qu’une Cour d’appel peut écrire le contraire d’une autre Cour d’appel, sans que cela ne pose le moindre problème car les motivations des jugements sont sans importance, seules leurs conclusions comptent ! Que penser d’une Justice qui peut ainsi se contredire en toute sérénité et légalité ? Que penser de ces articles du code pénal, rédigés d’une façon telle que le citoyen ordinaire peut presque ne rien y comprendre ? "L’autorité de la force jugée" d’une part et la "condamnation passée en force de chose jugée" d’autre part, qui sont 2 choses complètement différentes, sont au cœur de la décision de la Cour d’appel du tribunal d’instance ! Que penser d’une société qui accepte, sans sourciller, que certaines personnes perdent à vie leur droits civiques ? Que penser d’une société qui entretient la relégation de citoyens, par ailleurs parfaitement intégrés au tissu social, mais qui jamais ne pourront voter ou ne pourront être éligibles dans des élections syndicales, professionnelles ou d’instances représentatives quelconques ?

Que le législateur prenne ses responsabilités ; les discours doivent être accompagnés d’actes. Construire une société solidaire impose d’intégrer, dans tous les actes de la vie citoyenne, celles et ceux qui, un jour, ont commis une infraction, et ont purgé leur peine. Toutes ces interdictions (droits civiques, civils et de famille, droits commerciaux) devraient prendre fin à la sortie de prison, sinon à remplacer l’enfermement par le bannissement. On peut arguer que tout cela est très moralisateur ; peut-être, mais la question n’est pas d’ergoter sur qui sont ces éventuels donneurs de leçons. Elle est d’avoir le courage politique à la hauteur d’ambitions, fondées sur le respect inconditionnel des droits de celles et ceux qui ont "payé leur dette" à la société.

la rédaction
Ban Public
Avril 2007