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La médecine en milieu carcéral : rôle, droit et avis de médecins

La pratique de la médecine en prison par le Pr D.Sicard

Mise en ligne : 24 septembre 2002

Texte de l'article :

La pratique de la médecine en prison
Par le Pr D.Sicard (travaillant à Cochin et à la prison de la Santé).

La pratique de la médecine carcérale et un art difficile et passionnant. Elle a beaucoup évolué ces dernières années, mais reste remplie de contradictions de part le lieu où elle s’exerce.

En 1990, les cas de Sida sont de plus en plus nombreux à la prison de la Santé qui fait alors appel à l’hôpital Cochin pour pouvoir assurer le traitement des détenus atteints. A partir de ce moment, la médecine carcérale devient la responsabilité du Ministère de la santé et non plus de celle de l’établissement pénitencier.
Il y a quelques jours Véronique Vasseur a publié un livre où elle témoigne de son expérience en tant que médecin à la prison de la Santé ; la polémique générée par ce livre montre à quel point la prison est un lieu de contradictions et de tensions extrêmes. La prison est un lieu de violences (physiques et surtout psychiques) où la souffrance des détenus peut être très grande surtout dans les cas de primo-détentions. La vision qu’ont les médecins de ces détenus ne devrait pas tenir compte de leurs crimes quels qu’ils soient, mais uniquement de leurs souffrances et de leurs maux. Evidemment cette approche plus humaine du détenu crée des relations parfois conflictuelles entre les médecins et les surveillants de prison. Dès l’arrivée en prison, il y a, pour le détenu, perte de liberté, perte de droits, perte de dignité…(="sidération psychique"). Le médecin a donc pour mission de rendre tolérable ce qui paraît ne pas pouvoir l’être. C’est cette tension permanente, dans laquelle travaillent les médecins qui explose dans le livre de Véronique Vasseur.

* La prison est un lieu clos que l’on pourrait comparer à un "laboratoire épidémiologique d’infections et de maladies transmissibles" (Hépatites, MST, tuberculose, sida…). La société met en contact des personnes porteuses contagieuses et des personnes saines : on peut alors se demander qu’elle est son rôle dans la prévention à ce niveau. Il ne faut pas oublier que le dépistage du sida n’est pas obligatoire et n’est pas imposé aux nouveaux détenus, que de la drogue circule dans les prisons, que les détenus sont souvent plusieurs dans la même cellule… ! Le médecin de prison est donc un médecin de santé publique. En France, la santé publique est en retard et n’a pas la dimension qu’elle devrait avoir surtout dans les prisons. Ajoutons qu’il y a 75 nationalités différentes à la prison de la Santé, qu’il n’y a pas de traçabilité (on ne sait pas qui était au dépôt au même moment que tel patient contagieux... etc.

* Autre notion importante pour les médecins : la mise en avant de leur corps est, pour les détenus, une expression de leur souffrance. Ex : il n’y a que 2 douches par semaine d’autorisées ; cette réglementation peut être perçue comme une humiliation pour les islamistes chez qui la toilette quotidienne a un aspect rituel. On peut alors observer chez ces personnes le développement de prurits.
Le médecin doit alors prescrire des douches ! Ceci rend compte de l’ambiguïté du rôle du médecin qui est confronté à une demande non médicale.
Un autre grand problème est celui des automutilations et des suicides (surtout chez les primo-détenus convaincus de leur innocence). La capacité de discernement du médecin doit donc être grande pour discerner la plainte fonctionnelle et diagnostiquer le problème effectif.

* Les morts par infarctus du myocarde sont considérées comme "naturelles" en prison. De plus il y a 65 % de toxicomanes en prison et chez ces personnes avec un traitement de substitution la douleur coronarienne peut passer plus ou moins inaperçue. Le médecin doit donc avoir une certaine maturité pour discerner les cas d’urgences. Les médecins travaillant en milieu carcéral ont tous leur thèse, ont plus de 35 voire 40 ans, et on ne prend plus d’internes. Mais il serait important de développer la formation des jeunes médecins souhaitant travailler dans ce milieu.

* En 1994, il y a eu des modifications concernant la prescription et la prise des médicaments :
Avant 1994, les surveillants distribuer les médicaments sous forme liquide dans des fioles.
Depuis 1994, les médicaments sont distribuer chaque jour par une infirmière.
Mais souvent la chronobiologie n’est pas respectée. De plus quelques détenus conservent leurs médicaments (substituts comme le Monscontin, Skenan…) pour les revendre.

* La médecine et la psychiatrie sont totalement séparées en prison : il n’existe aucun dossier commun, ce qui complique parfois le travail des médecins lors d’urgences psychiatriques.

* Les lois de 94 sont incomplètes et ne rassemblent pas le personnel du monde pénitencier et les médecins pour un travail plus en collaboration.
L’éthique du médecin doit passer par un respect des surveillants et un travail en commun pour un même respect des détenus.
La prison est un lieu dont l’ensemble de la société est responsable. Il ne faudrait pas que la prison soit une punition qui ne serve à rien et encore moins qu’elle favorise une mauvaise évolution psychique des détenus.

* Problème éthique posé par la prison de Fresnes : cette prison reçoit uniquement des détenus malades mais elle est sous contrôle du milieu pénitencier(le directeur de "l’hôpital" est un directeur de prison).

Le métier de médecin en milieu carcéral est donc un métier important et difficile ; il requiert un niveau de discernement en plus de compétences de technicité. Le médecin y est face à une humanité en danger et ne doit surtout pas se laisser prendre par une certaine routine. De plus, il doit pouvoir traiter tous les détenus de la même façon sans tenir compte de leurs crimes : le médecin en milieu carcéral n’est pas là pour juger mais pour soigner des maux et des souffrances qui peuvent paraître insupportables.