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La présomption d’innocence

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CEDH-Lutz-9912-82

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Date : 20-07-2016

CEDH, Arrêt Lutz c/ Allemagne du 25 août 1987, requête n°9912/82

La différence entre l’état de suspicion et le constat de culpabilité dans le remboursement des frais de procédure

Publication originale : 25 août 1987

Une décision refusant à un accusé après l’arrêt de poursuites, le remboursement de ses frais et dépens, peut soulever un problème sous l’angle de l’article 6 §2 si des motifs indissociables du dispositif équivalent en substance à un constat de culpabilité sans établissement légal préalable de celle-ci.

Texte de l'article :

Cette affaire a été rapprochée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) des affaires Englert (n°10282/83) et Nölkenbockhoff (n°10300/83), rendues le même jour et pour lesquelles la motivation est la même.

En l’espèce, le 10 octobre 1980, alors qu’il circulait à motocyclette, le requérant fut impliqué dans un accident de la circulation n’occasionnant que des dommages matériels mais pour lequel il se vit infliger une amende. Le requérant forma alors un recours contre cette décision. « Le 27 juillet 1981, le tribunal avisa le requérant qu’il entendait clore la procédure pour cause de prescription en imputant les frais au Trésor tandis que l’intéressé devait supporter lui-même ses frais et dépens » Celui-ci refusait une telle prise en charge arguant de sa présomption d’innocence. Il porta donc l’affaire devant les tribunaux.

Le Tribunal régional rejeta son recours pour défaut de fondement expliquant que « l’article 6 ne protégeait l’individu que contre les dangers pouvant le menacer dans un procès civil ou pénal » alors que selon le droit interne allemand, le cas se situait en matière de contraventions administratives. En somme pour le gouvernement, il y avait là une inapplicabilité de l’article 6 de la Convention.

La Commission EDH, estimant l’article applicable, a elle jugé qu’il y avait eu violation de l’article 6 §2 à 7 voix contre 5.

Une des premières questions était pour la Cour EDH de savoir si la qualification de « contraventions administratives » la liait. Pour répondre, elle reprit les critères qu’elle avait exposés dans l’arrêt Engel du 08 juin 1976 et s’attacha à regarder si l’infraction en cause était de nature pénale au regard de la Convention ou si l’intéressé avait été soumis à une sanction qui, de par sa nature ou son degré de gravité ressortait de la matière pénale. Expliquant dans ce cas précis qu’elle comprenait « Eu égard à la multiplicité des infractions […] dans le domaine de la circulation routière, […] qu’un Etat contractant [puisse] avoir de bonnes raisons d’introduire un système qui décharge [les] juridictions [pénales] du soin de traiter la grande majorité d’entre elles », la Cour EDH précisa que « Confier cette tâche […] à des autorités administratives ne se heurte pas à la Convention pour autant que l’intéressé puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6. » En conséquence, la Cour en vint à la conclusion que l’article 6 §2 était bien applicable.

Toutefois, de même qu’elle a dit dans les arrêts Englert et Nölkenbockhoff précités que la Convention ne donnait aucun droit à indemnité de détention provisoire en cas de clôture des poursuites, la Cour étendit son raisonnement, précisant qu’il n’existe pas de « droit » au remboursement de ses frais et dépens en cas de clôture des poursuites. Expliquant que les juridictions allemandes, malgré l’ambiguïté de leur vocabulaire, n’avait fait que « mentionner l’existence de "raisons plausibles de soupçonner" l’intéressé d’avoir "commis une infraction" », la Cour a estimé qu’il n’y avait pas eu d’atteinte portée à la présomption d’innocence et donc pas violation de l’article 6 §2 (décision prise par 16 voix contre 1).

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