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Pratiques culturelles

"La correspondance en prison" par Pierre Callens

Maitrise SID

Mise en ligne : 8 septembre 2003

Dernière modification : 15 octobre 2004

Texte de l'article :

Sommaire
I. L’importance du courrier en prison
I.1 Le besoin d’écrire pour les détenus
I.2 Le contact avec l’extérieur
I.3 La censure
II. Le courrier constitue un témoignage du vécu en prison
II.1 La prison au quotidien
II.2 Les relations avec autrui à l’intérieur des prisons

Introduction
En littérature jeunesse de nombreux livres traitent de la prison. Pour notre étude nous étudierons un aspect particulier de la prison, à savoir la correspondance entre des détenus vers le monde extérieur. En effet, le courrier est extrêmement important en prison. Il permet d’aborder de nombreux sujets ayant trait à la prison comme par exemple la violence, l’amitié. Nous essayerons donc de voir les thèmes communs aux différents ouvrages.

Nous nous appuierons sur un corpus de cinq documents. Deux romans sont épistolaires (Aurélien Malte et Lettres de l’intérieur) tandis que les trois autres montrent la correspondance d’une autre façon.

Ainsi, quels sont les thèmes abordés par les différentes correspondances ? Le courrier peut-il révéler la réalité carcérale et donner un aperçu de cet univers ? Ne permet-il pas d’aborder l’état d’esprit des détenus ?

Pour tenter de répondre à ces questions nous verrons dans un premier temps l’importance du courrier en prison et dans un second temps son rôle de témoin.

I. L’importance du courrier en prison

I.1 Le besoin d’écrire pour les détenus

Aurélien Malte : " Je dois vous écrire, j’en ai besoin ".

Le courrier permet aux détenus de pallier la solitude vécue en prison. On peut citer par exemple Aurélien Malte qui purge une longue peine pour meurtre. Une amitié se noue entre une visiteuse bénévole et lui ; Aurélien lui écrit régulièrement : " Je vais vous écrire plus longuement. Mieux. Il faut juste que j’organise mes pensées, parce que tout se bouscule, ça fait tellement longtemps que je suis seul ", ou encore : " Il [le codétenu de la cellule d’Aurélien] m’a demandé de lui écrire. Ça, je le ferai et je ne risque pas d’oublier. Il en a pour un bout de temps, six ans encore. (...) Et il est absolument seul. ".

Le courrier est aussi perçu par les détenus comme une activité importante pour lutter contre l’ennui. On peut retrouver ceci dans Lettres de l’intérieur : " Vu que je n’ai trop rien à faire en ce moment, je me suis dit autant t’écrire ".

Le courrier est également très important car il permet aux différents détenus de s’auto-analyser. Les diverses lettres permettent à chacun de se confier, de mieux se comprendre, de réfléchir sur les actes qui ont conduit à l’incarcération. Ainsi dans Une parole peut-elle guérir... le jeune homme, incarcéré pour coups et blessures dans une prison pour mineurs, se confie dans une lettre à son cousin qui ne cesse de lui écrire. " Les premiers mois ici ça allait mal. J’étais trop tourneboulé et ne pouvais que me taire cramponné à mon chagrin. Je n’imaginais pas que la réponse d’un type comme moi t’intéressait... Avant tout je devais écrire à celui que j’ai blessé et à sa famille. (...). Dans une de tes lettres tu m’as demandé si j’étais fâché avec moi-même. Il faut que je te dise, Thomas : je savais que Dieu voyait ma souffrance et ne m’en voulait pas. Devant lui, je ne baissais pas la tête. Mais devant toi ? Toi Thomas qui m’admirait tant. Devant toi, j’avais honte... Que de paroles et de patience, il t’aura fallu pour me persuader que je n’étais pas détestable pour toujours (...) ". Cette lettre permet ainsi à son auteur de se confier et de mettre à plat les choses qu’il avait sur le cœur. Dans Lettres de l’intérieur et Aurélien Malte, les détenus reviennent longuement sur leur passé respectif et sur les actes qui les ont conduit en prison.

De plus, pour beaucoup, il est plus facile de se confier par écrit qu’à l’oral. Dans Aurélien Malte, on lit : " C’est beaucoup plus facile d’écrire. Pendant vos visites, je ne vous aurais pas confié le quart de ce que j’ai posé sur ces cahiers. Un jour je vous dirais tout, tout ce que j’écris là. Peut-être que vous l’écrire, c’est une forme de répétition, comme au théâtre, une mise en place, une manière d’ordonner mes souvenirs, certains que je n’aurais plus agités depuis de nombreuses années .... "

I.2 Le contact avec l’extérieur

Communiquer est essentiel en prison. Le courrier est le moyen le plus utilisé. Il permet d’une part le maintien des liens familiaux en détention et d’autre part de conserver des attaches à l’extérieur de la prison et donc de faciliter la réinsertion dans la société au moment de la libération. Dans bien des cas, le courrier est le seul contact avec le monde extérieur même si le parloir ou les médias peuvent également jouer ce rôle. Par exemple, dans Lettres de l’intérieur : " Pourquoi j’ai mis l’annonce ? Je voulais savoir à quoi ressemblait la vraie vie. Je voulais savoir ce que font les gens normaux. C’est la raison qui faisait que j’aimais tes lettres. C’est la dessus que j’ai envie que tu écrives ". Recevoir du courrier est très important pour les détenus. Ainsi, dans Aurélien Malte : " Je ne m’attendais pas à recevoir du courrier, j’ai embrassé le papier de l’enveloppe, puis je me suis livré à un vrai cérémonial pour l’ouvrir et vous lire. "

I.3 La censure

Le personnel pénitentiaire a le droit de contrôler le courrier, c’est la censure. Ainsi dans Lettres de l’intérieur : " Ils disent vérifier au hasard, un contrôle à l’aveuglette du courrier qui entre et qui sort. On doit leur donner les lettres dans les enveloppes non fermées, et celles qu’on reçoit ont été ouvertes. Mais les matonnes disent qu’elles s’en occupent pas beaucoup, sauf pour chercher de la drogue. Vers Noël elles se sont mises à tout lire et ça a provoqué une vraie émeute. Alors elles craignent un peu de recommencer. "

Il apparaît donc que l’écriture est une nécessité absolue pour les détenus. Le courrier leur permet de lutter contre l’ennui, la solitude, de s’auto-analyser. Il peut jouer un rôle d’ami, de confident, de thérapie. A la différence de l’oral, il permet d’être plus franc, plus direct. La correspondance est une ouverture sur le monde libre. La communication avec l’extérieur est primordiale pour les détenus. Le courrier est bien souvent leur seule attache à la société civile mais il est également soumis à un contrôle. On peut donc dire que cette correspondance révèle la nécessité d’écrire pour les détenus et quelle est met en évidence leur état d’esprit.

II. Le courrier constitue un témoignage du vécu en prison

Comme les personnes de l’extérieur ne peuvent entrer dans le monde clos des prisons, le courrier est l’unique moyen pour eux de connaître une réalité de la prison malgré la censure.

II.1 La prison au quotidien

Une journée de détention est réglée par les différentes activités auxquelles le détenu a accès. Ainsi, le sport comme dans Lettres de l’intérieur ou Tracey (l’héroïne qui est incarcérée) passe du temps à jouer au basket-ball : " Le basket c’est notre grand frisson ici - si tu fais suffisamment de lèche, tu obtiens de jouer une fois par semaine ". Dans Aurélien Malte, le héros pratique intensément la course à pied et la musculation : " Je me suis fait mal à l’épaule en m’entraînant tout à l’heure. (...) Et puis les haltères d’ici sont plutôt branlants. ". Aurélien fréquente également la bibliothèque de la prison : " J’ai trouvé à la bibliothèque un livre de Botticelli... " ou encore, " J’ai pris un livre d’Egon Shiele à la bibliothèque ". Dans Lettres de L’intérieur, Tracey fréquente l’école de la prison : " J’ai pensé une chose quand on m’a envoyé ici : je n’aurais pas de travail scolaire. Et c’est vrai, tu n’es pas obligée d’aller en cours. Mais comme il n’y a rien d’autre à faire, tu y vas. Et une fois que tu y es, tu te retrouves avec plus de boulot que dans une vraie école ". Dans les différents livres de notre corpus, les détenus écrivent tous longuement sur leurs activités quotidiennes comme les promenades, le parloir, les repas, le travail. A ce propos, on peut citer Libre sur paroles : " Je pourrais te raconter la prison, le sommeil qui ne vient pas, le travail à l’atelier, les longues heures d’ennui, l’absence d’intimité, les trois douches hebdomadaires... ".

Dans la correspondance des détenus, nous apprenons donc une multitude de choses sur les activités quotidiennes des prisonniers.

II.2 Les relations avec autrui à l’intérieur des prisons

Nous étudierons d’abord les rapports entre les détenus puis les relations détenus-personnel pénitentiaire.

Les détenus entre eux peuvent se lier d’amitié et entretenir de bons rapports. Les relations se tissent souvent entre personnes qui occupent la même cellule. Par exemple, on peut citer Aurélien Malte : " Au secours ! Le plombier [son nouveau codétenu] parle sans s’arrêter, une véritable diarrhée verbale (...). Qu’est-ce qu’on rigole ! ". On peut également évoquer la relation d’Aurélien et de son ancien codétenu. " Ce gosse n’a rien à faire ici (...). Jusqu’à présent, j’ai réussi à lui éviter des ennuis, mais qui sait ce qui lui arrivera quand je serai sorti d’ici ". Aurélien le protège et veille sans cesse sur lui par amitié. Dans Lettes de l’intérieur l’héroïne se lie d’amitié avec une autre détenue : " Il y a une fille, Sophie, celle avec qui je m’entends le mieux... ".

Mais à l’inverse des rapports d’une extrême violence cohabitent également. Pour ne pas se faire " marcher sur les pieds " il faut être une " terreur ". Des bagarres éclatent fréquemment et il faut pouvoir y faire face sous peine de se faire racketter. Des rapports dominés-dominants s’établissent donc. Ainsi dans Lettes de l’intérieur : " C’est marrant, ça m’est égal d’être la terreur numéro un maintenant, et quand Anita est arrivée toutes griffes dehors, je n’avais pas l’intention de me dresser sur son chemin. Et elle s’est bien débrouillée, elle a marqué quelques points. Mais elle est tellement idiote, elle aurait dû me fiche la paix. L’autre jour elle a essayé de me sortir des douches, et je l’ai étalée d’un revers sur le nez. Vrai, je n’avais jamais tapé si fort sur quelqu’un. Sa tête a cogné dans le mur et elle s’est affalée en braillant, genre baleine échouée, du sang partout. Elle est allée trop loin, c’est tout... ". Dans Aurélien Malte la violence est mise en exergue dans de nombreux passages. On peut citer à ce propos la lettre de la page 30 à 32 : " Ces fils de pute ont voulu me prendre ma montre, le premier soir, ils me sont tombés dessus ensemble. J’ai cassé le bras du violeur, et l’autre, je l’ai à moitié tué en lui écrasant la trachée d’un coup de poing. [...] Puis je me suis fait sauter dessus par quatre types. J’en ai séché un, et les trois autres m’ont allumé, ils m’ont laissé pour mort. J’ai fait un mois d’hôpital pénitentiaire, je suis resté sourd d’une oreille, mais je m’en suis sorti. Encore plus enragé. [...] Ici, on ne peut pas se permettre d’être faible, et il faut avoir les yeux dans le dos. Ou on rampe, ou on se bat... "

Les relations matons-détenus sont dans l’ensemble beaucoup plus calmes même si elles peuvent être conflictuelles. Ainsi dans Lettres de l’intérieur Tracey n’entretient pas de bons rapports avec le personnel pénitentiaire. Mais les relations peuvent également être plus simples, plus normatives et plus respectueuses comme dans Aurélien Malte ou Une parole peut-elle guérir.

Les ouvrages sur la correspondance en prison permettent aux lecteurs de s’imprégner de l’univers carcéral. On peut y voir les activités des détenus et les relations humaines. En outre, ces différents témoignages ne tombent pas dans une vision manichéenne ; les mondes décrits ne sont ni tout blancs, ni tout noirs. La prison apparaît comme un univers extrêmement compliqué et assez proche de la réalité.

Conclusion
Des thèmes communs aux différentes correspondances apparaissent dans les ouvrages. Ainsi, tous les prisonniers ont besoin d’écrire, de communiquer et de décrire leur univers. Le courrier constitue un très bon témoignage de ce qui se passe en prison et permet aux détenus de se confier.

Ces ouvrages d’une manière générale traitent assez bien des prisons. Toutefois, Une parole peut-elle guérir... ? est pro-catholique et très moralisateur mais il a été inclus dans notre étude car sa correspondance est intéressante. Aurélien Malte et Lettres de l’intérieur sont particulièrement remarquables et j’en conseil la lecture à tous.

Cette étude nous a permis d’étudier un aspect particulier de la littérature jeunesse parlant des prisons, à savoir la correspondance. Mais d’autres études plus approfondies sur le thème de la prison dans la littérature jeunesse sont envisageables. Ainsi, il serait par exemple judicieux de repérer les thématiques récurrentes dans ces ouvrages en ne se limitant pas à la correspondance.

Pierre Callens (06/2002)
Publié par l’Université de Lille