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L’incarcération des mineurs

Mise en ligne : 23 janvier 2002

par la L.D.H., Commission prison.

Texte de l'article :

1 - Un état des lieux qui pointe insuffisances et dérives...
Quant aux conditions d’incarcération :
Les exemples sont nombreux et connus, nous en citerons quelques uns qui concernent le non respect des textes existants : pas de continuité des liens familiaux (nombreux transferts qui ne tiennent pas compte de la domiciliation des proches), l’isolement la nuit des mineurs n’est pas toujours appliqué, (prévu dans l’ordonnance de 45), faits de discrimination raciale à l’encontre de jeunes étrangers, maintien de "zones de non droit" (les douches, la cour, les salles d’attente, les parloirs) où la violence n’est pas contrôlable, ni contrôlée : les blessures sont parfois sérieuses, en tous les cas fréquentes et répétées ce qui conduit ces jeunes à refuser de quitter leur cellule, que ce soit pour aller en promenade, pour un suivi scolaire ou pour s’inscrire à des ateliers (source C.J.D)

Quant au contenu à donner à cette peine :
On constate un réel problème d’oisiveté, avec toutes les implications psychologiques désastreuses liées à l’enfermement, à la passivité (les possibilités de pratiquer une activité sportive sont inégales selon les établissements). L’emploi du temps pour la journée n’est pas structurant, le mineur incarcéré ne peut comprendre à travers le comportement de l’institution et les heures qui passent quel contenu on a voulu donner à cette peine.

Quant au suivi nécessaire :
Au sein même de la prison, la relation entre le surveillant et le détenu est à reconsidérer : non signalement de traces de coups et de blessures, des détenus sont trouvés parfois inanimés dans leur cellule, pas de fiches d’observation systématiques ; la violence peut se dérouler sans intervention du personnel pénitentiaire, la proportion de suicides pointe une absence de vigilance en amont .

Pas de suivi des activités à l’intérieur de la prison, scolarité, atelier, rencontre avec personnel socio-éducatif, ni relation entre elles.

Quant aux solutions alternatives pour éviter l’enfermement :
Des comparutions immédiates qui ont pour effet d’aller vite sans interrogation réelle et constructive sur les rôles actifs ou passifs, "positifs" ou "négatifs" des parents. Seule une réponse rapide semble privilégiée pour que l’infraction ne demeure pas impunie.

Un manque évident de centres et de lieux de placement.

Depuis l’ordonnance de 45, l’incarcération en tant que telle ne devrait être prononcée qu’en dernier recours, lorsque toutes les solutions ont été essayées, (elles sont relativement nombreuses) or, on peut constater que les chiffres de l’incarcération ont augmenté (de 500 en 1996 à 800 en 1999), que l’enfermement lui-même est plutôt destructeur, que les textes ne sont pas toujours appliqués : violence, frustration et récidive, l’état des lieux est alarmant. La peine n’assume pas sa fonction réparatrice et la réinsertion tant souhaitée est impossible ; l’exclusion fonctionne de façon cumulative (famille, société, école) enfermant ces jeunes dans une quadrature du cercle où ils ne peuvent que reproduire la violence.

Un dysfonctionnement global et structurel en est la cause, auquel il est désormais urgent de réfléchir autour de deux axes ; pourquoi y-a-t-il une telle distance entre les textes nombreux (qui existent) et la réalité de l’incarcération et quels objectifs ces textes poursuivent-ils vraiment ?


2 - Repères historiques

De 1791 à aujourd’hui, le législateur s’est préoccupé à maintes reprises de la situation des mineurs

Progressivement on est passé d’un dispositif coércitif pur à l’émergence d’un droit pénal spécial, spécifique et adapté aux mineurs, le texte le plus important étant celui de l’ordonnance de 1945 qui marque un tournant et donne la primauté de l’éducatif sur le répressif. La philosophie des concepteurs de ce texte est très empreinte du contexte d’après guerre, comme si après cette expérience destructrice, limite et douloureuse, la société n’avait pu voir dans sa jeunesse qu’une force d’avenir et donc se donner les moyens de la laisser grandir. L’ensemble des lois et des réformes adoptées souligne de façon récurrente une oscillation entre la peine répressive et la mesure éducative, de sorte que l’on se trouve actuellement dans une situation où le personnel socio-éducatif est davantage en demeure de contenir une violence au lieu de donner toute la mesure qu’il conviendrait à la mission éducative.


3 - Interrogations

1. Quelle distance y a t il entre les intentions énoncées dans les textes concernant l’incarcération et la réalitéde l’incarcération ?

Un océan, un fossé ! Cette disproportion entre les objectifs énoncés et leur application relève de plusieurs hypothèses (exclusives ou cumulatives) :

a) les textes parlent mais ne disent rien : ils manient des concepts non explicites, font des impasses sur leur vocabulaire, sur le sens même de ce qu’ils véhiculent. Leur finalité idéologique, leur substance, leur essence ne permet aucune visibilité, ils sont comme muets (cf. plus loin),

b) l’application des textes rencontre des inerties : soit parce que les personnels ne les assimilent pas, ne sont pas formés à leur compréhension, soit parce qu’ils y résistent : en matière de répression ou de réparation sociale, on évolue sur des terrains à forts enjeux idéologiques, politiques et partisans (la grande latitude individuelle des établissements ajoutée à une non transparence peuvent abriter des foyers de résistance passive),

c) les textes ne sont pas applicables, et c’est tout le travail des opérateurs et acteurs sur le terrain de faire remonter vers les instances institutionnelles les difficultés majeures qu’ils rencontrent à gérer des objectifs avec des murs, des qualités ou quantités de personnels, des moyens financiersqui ne sont pas adaptés (nous savons déjà que cette explication sera celle qui sera avancée la première, avant toutes les autres !),

d) les textes ne font pas le poids physique face à la réalité : celle-ci aurait des impératifs qui sont supérieurs à sa raison d’être. Prise dans une logique et une urgence, celle de gérer l’immédiat, les contraintes objectives, le temps, les luttes interpersonnelles, la hiérarchie, les accidents, l’administratif, l’intendance, chaque prison (et tout le monde l’imite, se fond en elle) se referme comme un oursin devant le danger, pratique l’autarcie et en oublie de s’ouvrir. Plus de politique, plus de philosophie, plus de programme : de la gestion.


3. Pourquoi n’accumuler que de la malveillance ?
Une énorme partie des problèmes est de nature globalement culturelle : créer les conditions d’une distanciation, c’est les aider à résister à l’auto enfermement, à l’auto mutilation et à la culpabilité (on ne peut pas survivre en reproduisant éternellement contre soi les modèles de violence qui vous entourent), mettre en oeuvre partout des terrains d’explicitation, c’est faire en sorte que les enfants renonçent à se suffire à eux-mêmes (il n’est pas supportable d’être sans cesse confronté à son ignorance - ou à celle qu’on vous renvoie), créer les conditions d’un combat de la part des enfants, c’est leur permettre de se constituer en auteurs (et plus seulement en acteurs), de s’opposer à la soumission (on ne peut pas passer toute son enfance à subir !).
Un enfant entre en prison, on lui explique le règlement, le fonctionnement, les possibilités dont il dispose et on associe dans son esprit ses droits et ses devoirs : ce n’est pas admissible, les droits sont irrévocables, non négociables, sans contrepartie. Ce point est important car aucun enfant n’a la preuve nulle part (ni dans les mots ni dans les actes - et a fortiori en prison où la douleur qu’on lui inflige n’est pas partageable) qu’il est l’égal de tous ! De même, chaque offre qui lui est faite n’est pas égalitaire, mais négociée contre son comportement : de fait, les enfants détenus ont des relations de dépendance avec les auteurs de ces offres, ceux-ci font partie de l’institution ou sont associés à ses yeux au fonctionnement pénitentiaire.
Les actions qui lui sont proposées ne sont pas gratuites mais presque exclusivement instrumentalisées (cela va du psychodrame théâtral à la musicothérapie au loisir ou au sport occupationnels aux formations coupées d’une activité professionnelle véritables, etc.) : en face d’eux, où est l’Art ? où sont les professionnels de tous les métiers (sans qu’il y ait relation d’éducation) ? où sont les intellectuels ?
Beaucoup de directeurs d’établissement résistent à l’introduction dans les prisons de la société ordinaire, banale : arrêter le spectacle et faire des créations, arrêter de jouer au ballon et se lancer dans une discipline sportive, arrêter les débats et organiser des séances de travail, des séminaires où l’on travaille la pensée, arrêter de cloisonner l’éducation, la formation, le travail, la création, arrêter d’aborder toujours l’enfant comme s’il avait un problème, des difficultés : d’une part faire de lui un être attendu, d’autre part quelqu’un à qui l’on s’adresse comme à chacun.


4. Mineurs, majeurs ?
Dans ce contexte, les mineurs incarcérés sont à la même enseigne que les adultes : il faut se méfier des "traitements" que l’on voudrait naturellement leur offrir, le risque de stigmatisation est grand, la société émue se penchant sur eux avec une culpabilité relative ("les populations touchées ne sont pas innocentes") mais effective : la bonté a toujours un mauvais arrière goût. Le combat spécifique que l’on peut ouvrir de façon conjoncturelle, grâce aux enfants, à leur puissance de réaction, leur goût de vivre, leur rage d’exister, leur sens aiguisé du suicide, doit être celui de tous les efforts contre la prison française d’aujourd’hui. Ils sont des révélateurs parce qu’ils débordent de force (et non pas de fragilité comme on veut nous le faire croire), ils sont des signes : leur violence est la nôtre, leurs cris, leurs doutes et leurs gestes sont le miroir enfin lucide et vivant de notre propre expression ; méfions-nous de trop tarder à les voir et à les entendre. Ce que nous ne devons pas oublier de discerner dans ces repères, au-delà des signaux de détresse "singuliers" qu’ils trahissent, ce sont aussi des avertissements publics, les lumières de nos excès, de nos excès d’impuissance : elles doivent nous éclairer.
Si l’incarcération des mineurs pose des problèmes spécifiques, auxquels des réponses fortement adaptées doivent être apportées, elle recèle aussi des indicateurs plus "universels", d’une part sur la barbarie de l’incarcération en l’état, d’autre part sur l’incapacité de lutte (et non de défense ou d’adaptation) des individus, face à l’exclusion sociale que les choix économiques et culturels erronés de leur société génèrent.
L’incarcération des mineurs nous interpelle sur l’incarcération en général : attention aux séparations éphémères, tous les combats y ont toujours perdu.

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