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José Bové retourne militer dehors (interview dans Libération, 4 août 2003)

Mise en ligne : 26 août 2003

Dernière modification : 24 décembre 2010

Texte de l'article :

José Bové retourne militer dehors
Libéré samedi 2 août, le syndicaliste revient sur 40 jours de détention.

 
Par Catherine BERNARD
lundi 04 août 2003
 
L’individu n’existe pas dans le milieu carcéral. Ce monde est tellement fermé qu’il devient une zone de non-droit." José Bové 
 
(...) Conditions de détention. Le détenu au numéro d’écrou 22377 Y n’a pas encore oublié ses journées de détention. Bien avant le 22 juin, il redoutait ces moments où il serait privé des siens, avec "pour seul lien des lettres dont la distribution est soumise aux caprices de l’administration pénitentiaire", et où, à nouveau, il se retrouverait confronté à "l’immobilité du temps". "C’est ce décalage qui, plus que tout le reste, finit par tuer affectivement et socialement."

Par atavisme, peut-être aussi pour oublier sa propre condition de détenu, il a plongé dans celle des autres. Par messages, trois cas difficiles sont arrivés jusqu’à lui : un détenu de 39 ans malade du sida, avec une hépatite et marchant à l’aide d’une béquille, à qui l’on refuse la libération conditionnelle ; un deuxième, maintenu en détention alors qu’il est aveugle et se déplace en chaise roulante ; un troisième, privé du parloir de sa compagne parce qu’elle est handicapée et que les visites se déroulent au premier étage. "Contrairement aux discours judiciaire et politique, l’individu n’existe pas dans le milieu carcéral. Ce monde est tellement fermé qu’il devient une zone de non-droit." Avec l’aide des parlementaires passés lui rendre visite, 25 au total, tous de gauche­, il a fait remonter "ces cas d’injustice flagrante" à la direction de l’administration pénitentiaire. Le détenu malade a pu passer devant la commission d’application des peines le 29 juillet. Le troisième va de nouveau pouvoir recevoir la visite de sa compagne, l’administration ayant fini par admettre qu’elle était dans l’obligation de prévoir les conditions d’accueil des familles. Comme l’an dernier à la même époque, José Bové a aussi écouté les surveillants. Surtout les jeunes, "en plein désarroi", parce que "ramenés à un rôle de porte-clés".

Elan de solidarité. Prisonnier pas comme les autres, José Bové a bénéficié d’un élan de solidarité rare en prison. Arrivé le dimanche 22 juin en pantalon, tee-shirt et sandales, sans un sou pour améliorer l’ordinaire, il n’est pas resté longtemps démuni. Le midi, le détenu chargé de faire passer le chariot dans les cellules a en même temps fait passer ce message : "Donnez ce que vous pouvez." En début d’après-midi, José Bové avait devant lui trois sacs en plastique avec des fruits, des tomates, du papier, des timbres, du tabac, des enveloppes : "La solidarité des gens qui n’ont rien." Après, il a pu, comme les autres, "cantiner", c’est-à-dire acheter "des fruits", des denrées qui adoucissent le quotidien. "L’alimentation, c’est le seul plaisir des cinq sens qui reste en prison."

Pour échapper aux cris, aux bruits des clés ou de poings qui tambourinent sur les portes toute la nuit, la grâce présidentielle lui ayant été pour partie refusée, il a fini par demander un aménagement de sa peine.
 
Libre, il "n’estime pas avoir la légitimité pour devenir le porte-drapeau de la condition des détenus". "Il y a des associations remarquables qui font ce travail." Mais il est prêt, si on le lui demande, à témoigner. "En prison, il n’y a que deux couleurs, ceux qui sont blancs d’avaler des cachets et de se claquemurer, et ceux qui ont la peau tannée par le soleil à force de sortir en promenade."
De retour chez lui, José Bové est redevenu un militant de la terre.