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Johnny Agasucci est mort en prison, fin août

Mise en ligne : 30 octobre 2004

Dernière modification : 30 octobre 2004

Texte de l'article :

Johnny Agasucci est mort en prison, fin août, entre indifférence estivale et rentrée scolaire. Il avait vingt six ans. Certains diront que c’est un malheureux incident mais il s’agit en fait d’un crime, des plus barbares, commis dans l’enceinte même d’une prison française.

Les tenants de l’opposition à l’entrée de la Turquie à l’Union Européenne excipent d’une justice arbitraire à la rigueur toute militaire. En filigrane, se superpose le décor sombre et ténébreux des prisons turques qui ont été la toile de fond du film « Midnight Express » d’Alan Parker. Elles concentrent les cris d’offrais de tous ces démocrates cools, europhiles et aux droits de l’homme si bien ajustés.

A titre de comparaison, l’Europe en général, et la France en particulier, sont-elles aussi exemplaires qu’elles veulent bien le prétendre ? Si on juge une démocratie à l’aune de ces prisons, force est de constater que notre pays manque singulièrement de crédibilité pour donner des leçons de vertus humanitaires. Derrière toute la pompe institutionnelle qui entoure le spectacle démocratique se cache la misère des répudiés de la République. Nos prisons sont désormais des oubliettes dans lesquelles tombent tous ceux qui sont mis à l’index par la vox populi : « Enfermez ces délinquants que je ne saurais voir. » Nos prisons révèlent le paradoxe d’une société, en évolution libérale constante, qui pénalise de plus en plus des comportements asociaux.

Midnight express never end

Le récit de la mort de Johnny Agasucci est le révélateur exemplaire d’une justice répressive et systématique et d’un système carcéral défaillant. Cette histoire n’est pas singulière mais est au contraire un signal d’alarme sur l’état délétère de notre Justice. La disparition des droits des détenus n’est pas en effet sans conséquence sur les libertés individuelles et les garanties accordées au justiciable. L’appareil judiciaire est redoutable par ses mécanismes qui sont susceptibles de broyer des individus. Les verrous, qui jusqu’à présent retenaient un exercice arbitraire de la Justice, sautent aujourd’hui, un à un, faisant des détenus soit de nouveaux lépreux, soit au pire des cas des condamnés à mort en sursis.

Johnny Agasucci est mort en prison, fin août, entre indifférence estivale et rentrée scolaire. Il avait vingt six ans. Certains diront que c’est un malheureux incident mais il s’agit en fait d’un crime, des plus barbares, commis dans l’enceinte même d’une prison française. La peine de mort n’existe plus officiellement depuis 1982 mais, dans le secret des portes refermées, on frappe, on viole, on tue. Johnny Agasucci n’aurait pas dû mourir en prison, ni être incarcéré d’ailleurs. La trajectoire de cet enfant a suivi une spirale infernale qui n’a laissé aucune sortie possible à cet engrenage.

Les liens du sang

Johnny Agasucci n’a pas le profil du délinquant. Son comportement ne le prédisposait pas à suivre un parcours judiciaire, et encore moins à connaître le régime carcéral. Il est issu d’une famille modeste dont la valeur cardinale a toujours été le travail. Avec la discrétion des gens de peu, il fut essentiellement, de dix-sept ans à vingt-cinq ans, peintre dans le bâtiment. Pour restituer cet homme dans son intégrité, il faudrait faire part de toutes ces petites choses comme ses espérances dans l’avenir lors de randonnées à vélo, cet amour plein de ferveur à l’égard d’une mère qui l’a élevé seule, cette mélancolie passagère certains samedis soirs dans les cafés de Sarrebourg avec ses amis.

Bien sûr, cette histoire n’est pas spectaculaire, mais celle d’un homme ordinaire, discret comme chacun d’entre nous. Comment ce jeune homme, ni pire, ni meilleur qu’un autre, a pu alors basculer dans cette histoire sordide de trafic de stupéfiants ? Un demi-frère. Johnny l’a toujours considéré comme son frère aîné. Il avait pris son parti contre son père qui frappait, autant par rage que par habitude, cet enfant qui n’était pas le sien. Même s’ils ne l’approuvaient pas, Johnny et sa mère n’eurent jamais la force de condamner ce frère, cet enfant, qui a préféré, à quinze ans, la criminalité à la normalité. Tout en espérant un changement sans beaucoup d’illusion. La dureté de l’existence les a gardés liés cependant les uns aux autres jusqu’au pire. Ils ont accepté des choses qu’ils n’auraient jamais dû faire. Cacher exceptionnellement des doses, en revendre quelques unes. Plus par faiblesse que par intérêt. Cependant la Justice ne s’arrête pas à ce genre de considérations sentimentales.

Quand le réseau de stupéfiants fut démantelé, toute la famille s’est trouvé prise dans les mailles de l’appareil judiciaire. Si la mère est ressortie libre de la garde à vue, Johnny fut mis, en revanche, en détention provisoire à la maison d’arrêt de Metz. Pour autant, la mesure de la détention provisoire était-elle appropriée ? Dans le principe, il s’agit d’une mesure exceptionnelle prise pour des actes particulièrement graves ou pour éviter une pression sur des témoins éventuels de la part des personnes mises en examen. Or, en France, la détention provisoire a été détournée de son objet en devenant un moyen de pression pour extorquer des aveux. En l’espèce, était-il légitime d’enfermer, un individu, sans casier judiciaire, ayant un emploi, pour avoir participé, à titre marginal, à un trafic de stupéfiants ? Un contrôle judiciaire n’était il pas suffisant ? En vérité, la détention de provisoire de Johnny n’avait une seule fin, celle de faire craquer ce grand frère, en le culpabilisant d’avoir été l’origine des poursuites judiciaires de son cadet.

Du bruit et de la fureur

Pour Johnny, qui n’avait jamais quitté le domicile familial, la maison d’arrêt de Nancy fut un milieu inconnu aux moeurs singulières. Dans l’ordre apparent de l’organisation pénitentiaire, la violence des rapports de force se trouve exacerbée par l’enfermement. Même si Johnny était loin d’avoir un physique frêle, son profil de tendre fit de lui une victime toute désignée pour ses co-détenus, Sébastien Simmonet et Sébastien Schwartz. Ce placement, par l’administration pénitentiaire d’un prévenu, en détention provisoire, avec un individu poursuivi pour tortures et actes de barbarisme en milieu carcéral, demeure inexplicable. En effet, Sébastien Simonnet, entre le 24 décembre 1999 et le 14 janvier 2000, a infligé à Cyril Beaune des sévices physiques et sexuels pour lesquels la Cour d’assise de Meurthe-et-Moselle l’a condamné, le 1er octobre 2004, à dix ans d’emprisonnement.
Sébastien Simmonet a trouvé en Johnny Agasucci un nouvel exutoire pour sa violence déchaînée. Moins il opposait de résistance à ses coups, plus la fureur de son bourreau se trouvait accrue jusqu’à lui procurer un sentiment de puissance mêlée d’extase. La soumission de la victime était devenue la justification des sévices infligés. Par une transmission asymptomatique du mal, Sébastien Scharwtz, fasciné par ces scènes d’un sadisme rare, a senti en lui, à son tour, poindre les germes de la violence. A eux deux, ils s’acharnèrent sur cette proie comme une meute à une curée.

Le drame de Johnny Agasucci fut son silence, interprété, par ses tortionnaires comme un consentement tacite. Puisque dans son milieu ni on ne se plaignait ni on ne résistait, il encaissait les coups en présumant sans doute de ses forces. Il tenait dans l’espoir d’une libération anticipée qui ne vint jamais. Ainsi la fierté comme la peur l’ont toujours retenu de parler, même à sa mère qui était pourtant sa plus proche confidente. En effet, dans les lettres adressées à sa mère, faute de droit de visite accordé, Johnny tentait de la rassurer en édulcorant la réalité de ses conditions atroces de détention. Sa mère n’a pris conscience de l’état préoccupant de Johnny qu’au cours de la confrontation générale devant le juge d’instruction : « Je n’ai pas reconnu mon fils. Il était beaucoup amaigri. Un cou complètement enflé contrastait avec son allure efflanquée. Il marchait avec difficulté, entièrement voûté comme une personne âgée. »

Les yeux fermés

Même si une mère est, par nature, plus vigilante à l’égard de ses enfants, la dégradation physique de Johnny Agasucci aurait du attirer l’attention de l’appareil judiciaire qui a une connaissance concrète de ces dérives en milieu carcéral. D’ailleurs, si besoin était, la preuve est rapportée que les gendarmes ont examiné son corps recouvert d’hématomes au cours d’une fouille préalable. A cet égard, son cou proéminant était un symptôme caractéristique d’une simulation de pendaison. Si une constatation a été faite par écrit, celle-ci n’a jamais été prise en compte par le juge d’instruction. Malgré l’interpellation de la mère de Johnny sur son état, le magistrat s’est tenu aux déclarations dilatoires de celui-ci. Or par un examen plus approfondi, il aurait pu prendre toute la mesure du danger que Johnny encourait avec de tels énergumènes. Cette inertie, par omission, fut sans doute déterminante dans la suite tragique des événements.

Une responsabilité écrasante, de défaut de surveillance, repose en revanche sur l’administration pénitentiaire. Comment un individu peut il être battu pendant des semaines sans que les surveillants n’interviennent à aucun moment ? Cette abstention des gardiens s’apparente surtout à une non assistance à personne en danger durant cette journée au cours de laquelle décède Johnny. En effet, celui-ci de sept heures à vingt d’heures a été battu sans interruption par ses co-détenus. Comment les cris de douleur ou la prostration physique de ce dernier ont-ils pu passer inaperçus ?
Les gardiens n’ont donné l’alarme qu’à deux heures du matin. Or Johnny Agasucci était mort depuis trois heures déjà. Il aurait pu être votre fils ou votre frère. Souvenez vous de lui. 

http://www.surlering.com/article.php/id/4737

Jack Olivier Laffay