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(2005) Les bibliothèques des établissements pénitentiaires

IV Recommandations

Mise en ligne : 26 juin 2005

Texte de l'article :

III. UNE NOUVELLE DYNAMIQUE DE DÉVELOPPEMENT DE LA LECTURE ET DES ACTIVITÉS CULTURELLES EN PRISON APPELLE UNE VÉRITABLE STRUCTURATION PROFESSIONNELLE : RECOMMANDATIONS

1. Pour des bibliothèques de proximité modernisées et actives

Les bibliothèques des établissements pénitentiaires doivent connaître une nouvelle étape dans leur développement.

- les locaux
Même de surface restreinte, la bibliothèque doit inclure une zone de consultation et de lecture sur place, capable de recevoir à l’occasion une petite animation. Elle ne se réduit pas à une salle claire et panoptique, ou à un simple stockage de livres ouvert au public. Mais elle devra préserver les qualités de convivialité qui font son prix et sa spécificité. Il faut répéter avec force que la sérénité d’un espace accueillant peut apaiser les tensions et atténuer la pression, au même titre que l’exercice dans une salle de sport.
On sera attentif à l’aménagement. Le mobilier doit venir à l’appui de l’agrément du lieu, appartenir aux gammes professionnelles, et pour ce qui est des nouveaux établissements pénitentiaires, être commandé de préférence chez des fournisseurs spécialisés.
On veillera à assurer la sécurité des intervenants.

- les collections
Les collections seront actualisées par des achats réguliers et un désherbage fréquent, les dons triés impitoyablement. On s’efforcera de mettre en place une politique d’acquisition adaptée aux demandes spécifiques de la population carcérale, sans manquer de prendre en compte le faible niveau scolaire d’une partie du public potentiel. Enfin, l’introduction de supports multimédia doit être envisagée, dans le respect des contraintes liées à la sécurité, mais avec détermination. Pour toutes ces opérations, un budget d’acquisition régulier est nécessaire, pour lequel on recourra aux subventions du CNL.
A cet effet, on favorisera notamment l’achat et la mise à disposition :
- de périodiques (journaux locaux, magazines),
- d’ouvrages techniques et documentaires (en particulier dictionnaires, codes, ouvrages de religion, de philosophie, psychologie, médecine..).
- de textes de poésie et d’ouvrages étrangers selon les nationalités représentées.

- l’informatique
L’informatisation est à poursuivre, en excluant les produits "maison", et en adoptant de préférence le logiciel de la bibliothèque publique partenaire, ou à défaut un logiciel du commerce permettant de communiquer avec cette dernière. Il convient de vaincre les réticences infondées qui entourent la mise en place de réseaux informatiques documentaires. Le travail en réseau constituerait une solution réaliste aux problèmes causés par la segmentation des bibliothèques.

- l’accessibilité
On améliorera l’accessibilité, actuellement subordonnée à la disponibilité et à la bonne volonté du personnel de surveillance. Lorsque la sécurité n’est pas en danger, passer de l’accès direct à l’accès libre et autonome - c’est-à-dire donner la possibilité aux détenus de fréquenter la bibliothèque pendant toute l’étendue de ses heures d’ouverture - constituerait un changement très positif.

- le fonctionnement, la gestion, les collaborations
On passera à un mode de gestion beaucoup plus rapide, actif, moderne, fondé sur une évaluation précise de la collection, des acquisitions et de l’activité. La production de données statistiques et d’indicateurs élémentaires est indispensable. Sans minimiser l’importance du fonds de loisir, la bibliothèque de prison aurait intérêt à se rapprocher du fonctionnement d’un centre de documentation, à valoriser ses ressources documentaires, à accueillir des services du type point d’information "emploi" et "santé", ou permanence de l’écrivain public.
On parie là sur les chances supplémentaires d’améliorer une collaboration actuellement bien trop inégale avec les services médicaux et les enseignants. A l’évidence, l’objectif de réinsertion des détenus doit mobiliser toutes les énergies.

- le personnel
Aucune force susceptible d’aider la bibliothèque à fonctionner ne doit être négligée. On préconisera donc :
 ?? la revalorisation, par l’administration pénitentiaire, de la fonction de détenus-bibliothécaires.
Déjà bien ancrée, elle s’assortirait avec profit d’une meilleure considération : amélioration du classement et prise en compte de la formation.

 ?? la présence d’un bénévolat bien encadré par des professionnels, dont il serait dommage de se priver, alors que ce mode d’intervention a largement fait la preuve de ses capacités.

2. Le partenariat entre l’administration pénitentiaire et les professionnels de
la culture doit s’appuyer sur des ressources humaines solides

Le partenariat établi entre les administrations de la justice et de la culture peut être considéré comme un modèle du genre tant pour les modalités de sa mise en oeuvre que pour les effets concrets qu’il a produit. Ce volontarisme masque parfois une autre réalité : l’addition de moyens chichement comptés et la nécessité de coordonner à tous les niveaux des ressources humaines peu professionnalisées.

La clé de voûte de ce partenariat est constituée par le conventionnement formalisé entre les directions régionales des services pénitentiaires et les directions régionales des affaires culturelles qui est effectif sur l’ensemble du territoire métropolitain. A cette réalité administrative s’est agrégée une réalité fonctionnelle par l’embauche dans plusieurs régions de chargés de mission co-financés par les deux administrations et rattachés le plus souvent aux associations régionales de développement du livre et de la lecture (Cf. Annexe). L’animation du réseau ainsi constitué a été confiée à la fédération française de coordination des bibliothèques. (FFCB)

Ces chargés de mission se sentent aujourd’hui menacés, enclins à penser que la suppression de leur mission serait à l’ordre du jour. Ce projet, pour autant qu’il soit avéré, constituerait aujourd’hui un contresens et une faute lourde.
Car ces chargés de mission sont évidemment à l’origine du formidable développement des activités artistiques et culturelles observé depuis une dizaine d’années dans les prisons, y compris pour ce qui concerne les activités de lecture. Et ils sont surtout les pilotes indispensables d’une politique régionale dévoreuse de temps et qui nécessite encore une opiniâtreté remarquable afin de mettre dans une relation fructueuse l’univers de la prison et celui de la culture. Se priver prématurément de leur travail reviendrait à supprimer l’intelligence centrale d’une politique qui n’a pas encore réussi à autonomiser et professionnaliser les acteurs locaux.

Dans les faits, ces chargés de mission coordonnent aujourd’hui l’ensemble des activités artistiques et culturelles en milieu pénitentiaire même si le développement de la lecture doit demeurer la base de leurs interventions. L’extension de leur domaine d’intervention s’appuyait sur une réalité : la bibliothèque et les activités de lecture sont presque toujours les bases concrètes du déploiement des autres propositions culturelles. Les velléités de remise en cause de cette extension de leurs missions méconnaissent par conséquent la réalité de l’action culturelle en prison. En revanche, ces chargés de mission ne doivent pas perdre de vue le développement des activités de lecture qui demeurent la raison première de leur existence. La mission préconise de recentrer conjoncturellement leurs fonctions sur le développement des activités de lecture à la faveur d’un plan de relance qui pourrait être décidé conjointement par les deux ministères.

En revanche, l’existence de ces chargés de mission régionaux, comme les réussites artistiques et culturelles fréquemment médiatiséees pour illustrer cette politique, ne doivent pas masquer la pauvreté et la faiblesse de l’ensemble du dispositif. Autrement dit, s’il est indispensable qu’un pilotage soit exercé au niveau régional, encore faut-il que le pilote puisse disposer d’une mécanique performante jusque dans ses moindres rouages et plus précisément dans les établissements pénitentiaires eux-mêmes. Or, de ce point de vue, on peut affirmer que la précarité et la fragilité des moyens observés dans les établissements pénitentiaires n’offrent aujourd’hui aucune garantie sur l’avenir de cette politique.

La nécessité quasi vitale de coordonner, de mettre en relation, d’organiser les échanges et de multiplier les médiateurs en matière culturelle est sans doute une donnée objective liée à la spécificité de l’espace carcéral, mais il semble aussi que cette nécessité soit induite par le manque de professionnalisation des échelons intermédiaires, de la prison jusqu’au chargé de mission régional.

3. La disparition des agents de justice, « assistants d’activités socioéducatives et culturelles », pourrait constituer un recul historique

La fonction occupée par les agents de justice, « assistants d’activités socio-éducatives et culturelles » rattachés aux SPIP, n’est pas une fonction théorique. Ces jeunes femmes et ces jeunes hommes réalisent ou ont réalisé un travail exceptionnel, indispensable et concret.

D’une part, ils ont heureusement suppléé les conseillers d’insertion et de probation, référents et coordinateurs des activités culturelles au sein des SPIP, progressivement absorbés par l’amplification de leurs tâches de suivi individualisé des détenus. L’application de loi dite « Perben 2 » accentue cette évolution administrative de leurs missions.

D’autre part, ils ont imprimé, grâce à leur implication personnelle et pour certains en raison de leur formation initiale (la médiation culturelle), une nouvelle approche professionnelle des activités culturelles en prison en approfondissant le lien avec les structures culturelles locales et en tissant au quotidien des relations étroites de travail avec l’ensemble du personnel des établissements pénitentiaires.

De manière plus prosaïque, ils ont prouvé que leur fonction était évidente. Du surveillant au chef d’établissement, la remarque est unanime : "nous ne savons pas comment faire sans eux". Or l’ensemble de ces agents justice aura disparu à la fin de l’année 2005.

L’allocation de crédits aux fins de payer des activités ou des services culturels « clés en main » ne peut être considérée comme une alternative crédible. Cette solution ne résout aucune des difficultés que les agents de justice avaient réussi à banaliser : inscrire les activités culturelles dans le quotidien de la prison, assurer concrètement la permanence de ces activités, construire le lien entre les intervenants extérieurs et le personnel pénitentiaire. Bref, incarner la fonction irremplaçable de médiateur culturel entre la prison et la cité. Ce qu’un chef d’établissement résume en une simple phrase : « les crédits pour payer des services ne remplacent pas une ressource humaine. »

Le fonctionnement des bibliothèques souffrira aussi irrémédiablement de leur disparition. Les agents de justice ont accompli un énorme travail pour assurer la continuité de ce service, prenant parfois en charge des tâches incombant aux bibliothécaires professionnelles qui faisaient défaut. (animation ou mise en place d’ateliers, accueil des écrivains, ouverture des prisons sur les événements de la cité)

Les rapporteurs ne peuvent que relayer avec force ce que tous les agents de l’administration pénitentiaire, rencontrés au cours de leur mission, leur ont concrètement démontré : l’absorption des CIP par leurs nouvelles missions et la disparition simultanée des emplois jeunes menacent l’existence des activités culturelles en prison, et contribueront à déstabiliser le fonctionnement déjà fragile des bibliothèques.

La mission invite en conséquence l’administration pénitentiaire à reconsidérer d’urgence ce problème et à envisager toutes les dispositions par lesquelles elle pourrait parer à cette situation, par exemple en favorisant la création de postes de contractuels.

4. Les bibliothèques de prison ne fonctionneront de manière satisfaisante qu’à la condition d’une véritable structuration professionnelle

Le fonctionnement des bibliothèques souffre d’abord de deux maux : l’absence d’une intervention mieux structurée et plus régulière de professionnels, l’absence d’une véritable implication des surveillants.

 ?? l’intervention des bibliothécaires professionnels

Les rapporteurs préconisent le maintien du système actuel qui implique les bibliothèques municipales et /ou les bibliothèques centrales de prêt dans le fonctionnement des bibliothèques de prison. Ce lien indissociable avec la cité et ses institutions locales doit être impérativement conforté.

Outre qu’il inscrit les détenus dans la reconnaissance concrète d’une citoyenneté locale, ce lien avec les institutions de lecture publique résout aussi nombre de problèmes matériels et offre des opportunités : dépôts de livres, ouverture des prisons sur les activités et les animations culturelles locales.
Afin de structurer et banaliser l’intervention des professionnels de la lecture, il faut sortir définitivement des consentements d’usage et des engagements volontaires. En clair, l’intervention des bibliothèques publiques (BM, BDP) doit être définitivement réglementée et/ou le financement systématique de ces interventions doit faire l’objet d’une politique nationale encadrée et coordonnée.
L’agrégat national des moyens requis pour une telle intervention systématique ne s’élève pas de manière vertigineuse et donne la mesure du modeste effort déjà accompli pour partie.
Si l’on considère que pour les 180 établissements pénitentiaires, ces interventions nécessitent la présence d’une ou d’un professionnel, une journée par semaine et par prison, le calcul théorique est simple : 4 jours x 12 mois = 48 jours / an x 180 établissements = 8640 jours / an x 7 heures = 60 480 heures, c’est à dire l’équivalent de 38 emplois à temps plein pour l’ensemble de la France.
La difficulté réside dans l’individualisation concrète au profit de chaque site d’une politique qui serait pilotée au niveau national. Autrement dit, il faudrait résoudre conjointement la question du financement global d’une telle politique mais aussi de ses circuits jusqu’au destinataire final : la
bibliothèque de prison.
Par conséquent, ce sont toutes les formes de contractualisation avec les collectivités locales, éventuellement assorties de subventions ou de mises à disposition de personnel qui doivent être mobilisées. On pense en particulier aux missions qui pourraient être dévolues aux bibliothèques municipales à vocation régionale dans le cadre d’un nouveau partenariat avec l’Etat.
Il faut aussi convaincre les bibliothèques publiques de l’importance de leurs missions sociales, aujourd’hui parfois reléguées au second plan, par manque de moyens, de motivation ou par effet de mode.
Sans compter que l’imbrication des interventions croisées des personnels des BM et des BDP en fonction des réalités locales compliquent un peu plus les circuits de financement. Il faut ajouter à cette complexité, le phénomène d’implantation des nouveaux établissements à la périphérie des grandes agglomérations, et singulièrement hors des grandes villes, ce qui devrait avoir pour conséquence la remise en cause de conventions conclues de longue date avec ces villes centres.
Ici encore, les bonnes volontés trouveront leurs limites objectives ou subjectives.
L’établissement de règles générales organisant l’implication, selon les cas, des municipalités, des regroupements communaux ou des départements, devient nécessaire.
La mission invite donc la direction du livre et de la lecture à relancer ou à conforter la politique partenariale avec les collectivités locales concernant les bibliothèques de prison en fonction des réalités du terrain. Concrètement, cette politique devrait conduire les DRAC à inscrire systématiquement dans tous les contrats ou les conventions conclus avec les collectivités locales, les moyens pratiques et financiers de l’intervention des bibliothèques publiques en prison.
Plus largement, la mission invite le ministère de la culture à engager un programme spécifique en faveur des bibliothèques de prison en s’inspirant du modèle des bibliothèques de proximité. Ce programme devrait être assorti de crédits d’intervention pour accompagner, le cas échéant, l’effort des collectivités locales dans ce domaine.

 ?? Les surveillants

Les rapporteurs ont observé avec intérêt le fonctionnement des activités d’enseignements et des activités sportives dans les prisons.
Pour ce qui concerne l’enseignement, le ministère de l’éducation nationale fait son affaire de l’organisation de l’offre scolaire et des emplois qui lui sont liés. Ce modèle n’est évidemment pas transposable, le ministère de la culture ne gérant pas directement des emplois de professionnels.
Pour ce qui concerne les activités de sport, l’administration pénitentiaire a su spécialiser le travail de certains surveillants qui assurent un monitorat de sport. Cette voie pourrait être également intéressante pour les activités socio-éducatives au sens large, englobant les activités culturelles.

Car l’implication des surveillants dans l’ensemble des activités culturelles est fondamentale. Au quotidien, l’accès direct des détenus à la bibliothèque mobilise le travail des surveillants. Plus globalement, les activités culturelles sollicitent également leur emploi du temps.
L’accès direct à la bibliothèque, inscrit dans le code de procédure pénale, peut vite devenir un parcours d’obstacles, s’il se heurte aux limites objectives et parfois subjectives de l’emploi du temps des surveillants ou à leurs réticences concernant l’activité elle même. L’attractivité de la bibliothèque est pourtant liée à tout ce processus d’accompagnement.
Les rapporteurs suggèrent que l’administration pénitentiaire engage une réflexion sur l’implication croissante des surveillants à cet égard. L’institution déjà réalisée dans certains établissements d’un surveillant « référent » pourrait être approfondie dans le sens d’une professionnalisation de cette fonction.
L’expérimentation d’une forme de spécialisation des surveillants volontaires en qualité de « moniteurs des activités socio-éducatives » (englobant les activités culturelles), à l’instar des activités sportives, aurait l’avantage d’inscrire ces activités dans les structures de travail des surveillants. Plus profondément, l’introduction des activités culturelles dans le contenu des missions d’un certain nombre de surveillants contribuerait sans doute à les légitimer auprès de l’ensemble de leurs collègues.
De manière plus générale, la mission a pu constater qu’aucun des personnels de l’administration pénitentiaire rencontrés n’avait reçu une sensibilisation aux activités culturelles, pas même une simple évocation de ces activités, lors de leur passage à l’ENAP. La mission insiste sur l’aspect fondamental qui s’attache à l’introduction d’une telle sensibilisation, pour tous les personnels, dans les modules de formation dispensés par
cette école.