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Interview de Habib S. Kaaniche : L’Islam dans les prisons

Mise en ligne : 20 février 2006

Texte de l'article :

Habib S. Kaaniche est né en 1947 à Sfax en Tunisie. Il est diplômé en Arabe, Philosophie, Histoire, Gestion et Sciences Politiques. Il est également diplômé de l’I.H.E.S.I. (Institut des Hautes Études de Sécurité Intérieure), ancien auditeur de l’I.H.E.D.N. (Institut des
Hautes Études de Défense Nationale). Il est aumônier régional musulman, aumônier régional des prison, aumônier régional hospitalier et interlocuteur des Armées pour le culte musulman.
Il est cofondateur du Collectif Provençal pour la Défense des Valeurs démocratiques et républicaines.
Il a été promu en 2001 au grade de Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

JÉRICHO : Quelle est la place de la religion musulmane dans les prisons françaises ?

HABIB KAANICHE : Le ministère de la Justice ne nous permet pas de mettre en place une aumônerie musulmane au niveau national, qui pourra prendre en charge la formation de candidats qui deviendront aumôniers dans les prisons. Est-ce faute de moyens ? Je ne le pense pas. Une telle organisation à mettre en place est hors d’atteinte pour la République. Son coût est moins élevé que la non existence d’aumônerie musulmane !
Je pense que la raison est un manque de volonté politique, sinon manque de compétence dans l’entourage des « premiers responsables » au niveau
gouvernemental.

JÉRICHO  : Combien d’aumôniers musulmans officient dans les prisons françaises ?

HK : Trop peu pour dire qu’ils existent.

JÉRICHO : Quels sont vos rapports avec l’administration pénitentiaire ?

HK : Ici, à Marseille, mes relations avec la direction régionale des services pénitentiaires sont bonnes. Particulièrement avec l’entourage du directeur régional. Je ne rencontre que sympathie et encouragements. Mais les budgets sont fixés au niveau national. Les moyens sont inexistants par rapport au nombre de musulmans dans les prisons dans la région du sud-est.

JÉRICHO  : Quelles sont les difficultés rencontrées par les personnes détenues musulmanes ?

HK : Les mêmes difficultés que les autres personnes détenues en plus du nombre d’aumôniers insuffisants, empêchant de pratiquer normalement leur culte.

JÉRICHO : L’intégrisme islamique est-il présent dans les prisons françaises et quels sont les moyens de lutte contre cette tendance ?

HK : L’intégrisme musulman, s’il existe dans la société française, ne peut qu’exister dans les prisons. La lutte contre l’intégrisme nécessite la compréhension du pourquoi l’intégrisme existe et il faut essayer de résoudre les problèmes en mettant en avant les raisons de l’intégrisme.

JÉRICHO : L’islam est la religion majoritaire dans les prisons françaises (50 à 80 % de la population carcérale), comment expliquez-vous cette forte proportion ?

HK : Je n’ai pas de statistiques à ce sujet et je pense que personne, en France, n’a de statistiques à ce sujet. On n’a pas le droit, en France, de ficher les personnes selon leur religion. Mais, à supposer que ces pourcentages sont justes, il faut donc permettre, conformément à la loi, la mise en place d’aumôneries musulmanes dans les prisons !

JÉRICHO : La situation des musulmans en prison n’est-elle pas la conséquence de l’échec de la politique d’intégration de l’État français ?

HK : Est-ce qu’il y a une politique d’intégration conçue ou mise en place par l’État français ? Je ne l’ai pas rencontrée. Faudrait-il une politique d’intégration ?

JÉRICHO  : L’islam est-elle une religion favorisant la réinsertion et évitant la récidive ?

HK : L’islam est une religion monothéiste. Et, comme les deux autres religions monothéistes qui l’ont précédée, elle est structurante. Mais dans quel sens ? Je pense qu’elle est structurante selon l’interprétation que l’on en fait, ce qui veut dire que l’islam est ce qu’on veut bien en faire. Il y a une différence entre un musulman sénégalais ou tunisien ou encore malais !

JÉRICHO : Quels sont les principaux courants idéologiques de l’islam en France ?

HK : Aujourd’hui, il y a tous les courants religieux musulmans en France. Mais les principaux sont dans la grande majorité des Melikites (Sunnites) et des Wahhabites (activistes prosaoudiens).

JÉRICHO : Quel message est susceptible de pousser certains musulmans à devenir visiteur de prison ?

HK : La solidarité humanitaire et sociale avec un brin d’identitaire et une volonté de justice et d’équité.

JÉRICHO  : La politique française vis-àvis de l’islam et de sa pratique en prison n’est-elle pas due à l’incompréhension et à la peur ?

HK : Je pense que la bonne réponse est dans votre question...

JÉRICHO  : Pensez-vous que la prison est un terreau favorable pour les tendances islamiques les plus extrêmes ? (Salafistes...)

HK : La prison peut l’être, si on ne fait pas attention.

Propos recueillis par Nicolas Loeb
Source Jéricho 190, Février 2005, ANVP