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III C. L’exigence d’un contrôle du milieu carcéral.

Mise en ligne : 17 janvier 2003

Texte de l'article :

1) La multiplicité des contrôles

Les pouvoirs confiés à l’administration pénitentiaire constituent le terme ultime de ce qui peut exister en matière de contrainte étatique. Les atteintes graves aux libertés individuelles impliquées par cette contrainte exigent plus qu’ailleurs la mise en place de contrôles vigilants. Sans contrôle, il ne peut y avoir de garantie des droits.
Un rapide descriptif des contrôles mis en place, qu’ils soient confiés à un service d’inspection interne à l’administration ou à un organe extérieur à celle-ci, semble témoigner de la volonté de transparence de l’administration pénitentiaire.

a) les inspections

Les inspections se distinguent des contrôles dans la mesure où elles sont le fait de l’autorité hiérarchique ou d’un organe spécialisé qui lui est soumis.
Le garde des sceaux, la direction de l’administration pénitentiaire, les neuf directions régionales des services pénitentiaires et la mission des services pénitentiaires de l’outre-mer assurent un contrôle hiérarchique sur l’ensemble des établissements pénitentiaires. L’inspection générale des services judiciaires est également compétente, sur demande du garde des sceaux, pour effectuer des inspections d’établissement. Mais c’est surtout à l’Inspection des services pénitentiaires qu’incombe, aux termes de l’article D.229 du code de procédure pénale, la mission d’inspecter les établissements pénitentiaires.
Elle comprend douze personnes dont un chef de service, qui est magistrat, membre de l’Inspection générale des services judiciaires, quatre inspecteurs, quatre fonctionnaires du personnel de surveillance qui constituent la brigade de sécurité pénitentiaire et trois personnels administratifs.
M. Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires, a décrit les missions de l’Inspection des services pénitentiaires en ces termes :
« L’Inspection des services pénitentiaires effectue à peu près, à elle seule, sans compter les missions de la brigade de sécurité pénitentiaire, et tout confondu, une cinquantaine de missions par an. Elles sont de trois ordres. Nous les regroupons, car certaines ne peuvent être classées dans une seule catégorie.
Je distingue d’abord les contrôles de routine que nous effectuons à longueur d’année et qui consistent pour deux inspecteurs à visiter un établissement pénitentiaire en une ou deux journées au maximum, suivant la taille de l’établissement. Je parle de « routine » - le terme est un peu réducteur - parce qu’on ne voit pas nécessairement au cours de ces contrôles tout ce qui peut être détecté. La deuxième catégorie - les missions de contrôle général consistent à « peigner » un établissement du sommet à la base. Ces contrôles nécessitant un investissement en temps et en hommes beaucoup plus important, c’est toute l’inspection - cinq personnes - qui se rend sur place pour quatre ou huit jours ou bien qui y revient à plusieurs reprises.
Le contrôle de routine comme le contrôle général s’opèrent à peu près selon les mêmes techniques : la visite de l’établissement, que tout un chacun peut conduire ; les constatations matérielles que l’on peut opérer grâce à la technicité des inspecteurs pénitentiaires ; ensuite et surtout, le contrôle des conditions de détention - celui qui est le plus difficile - qui est réalisé par des entretiens à la fois avec les membres du personnel, ce qui n’est pas aisé et qui ne va pas de soi lorsqu’une équipe d’inspection arrive dans un établissement pénitentiaire et avec les détenus. Ces contrôles se réalisent de jour comme de nuit, ils sont annoncés ou inopinés selon l’objectif recherché et selon les renseignements dont l’inspection dispose au préalable.
Les missions sur événements constituent la troisième catégorie. Les événements les plus graves pour nous sont l’évasion, la prise d’otage et la mutinerie. En ce qui concerne les évasions, nous avons à nous déplacer en urgence plusieurs fois par an. Les missions sur événements peuvent se décliner en missions de renseignement du directeur de l’administration pénitentiaire et du cabinet du ministre, en une enquête de responsabilité lorsqu’il y a faute, enfin, en une enquête en vue d’un retour d’expérience afin d’analyser les points positifs et ceux où nous avons été mis en échec.
Enfin, quatrième type de mission : les missions disciplinaires. L’inspection des services pénitentiaires reçoit un certain nombre de dénonciations adressées à la direction de l’administration pénitentiaire, qui font état de dysfonctionnements, qu’elles viennent de l’autorité administrative, de l’autorité judiciaire, de syndicats ou de détenus. Des enquêtes sont conduites selon des procédures qui peuvent éventuellement, sur décision du directeur, déboucher sur des procédures disciplinaires.
Enfin, les missions d’expertise peuvent être de tous ordres. Il serait trop long de les énumérer. »
Au cours de l’année 1998, l’inspection des services pénitentiaires a effectué 61 missions ayant entraîné 105 déplacements, y compris ceux de la brigade de sécurité pénitentiaire, dans les différents services déconcentrés.
- 15 missions sur événements et incidents,
- 2 missions de contrôle général,
- 17 visites des services déconcentrés, dont 11 centres de semi-liberté autonomes,
- 13 missions d’observation effectuées par la brigade de sécurité pénitentiaire,
- 2 opérations de fouille générale,
- 11 missions effectuées par le chef de l’inspection qui, assisté d’un inspecteur ou d’un fonctionnaire de la sous-direction des personnes placées sous main de justice, s’est rendu au siège de chaque direction régionale ainsi qu’à la mission des services pénitentiaires de l’outre-mer et à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire pour présenter la circulaire du 1er juillet 1998 sur l’usage de la force et des armes en milieu pénitentiaire,
- 1 mission d’évaluation au centre de détention de Montmédy concernant l’utilisation et la surveillance du terrain de sport situé hors de l’enceinte de l’établissement.
Parallèlement, l’inspection a procédé au contrôle du fonctionnement de six maisons d’arrêt en mettant plus particulièrement l’accent sur celles n’ayant pas fait l’objet de visites de l’administration centrale dans un passé récent.
De même, l’enquête administrative sur la maison d’arrêt de Beauvais a entraîné plusieurs déplacements sur site.
Les centres de semi-liberté autonomes, soit onze établissements au total, ont fait l’objet d’un contrôle approfondi.
Dans le cadre des quinze missions d’enquête sur événements et incidents, l’inspection a bien souvent été conduite, pour traiter ces diverses affaires, à élargir son champ d’investigation au contrôle du fonctionnement général des établissements concernés.
La brigade de sécurité pénitentiaire, quant à elle, a conduit des missions d’observation dans treize établissements pénitentiaires pour lesquels elle a réalisé un audit complet en matière de sécurité.
Cette unité a organisé et conduit deux fouilles générales d’établissements pénitentiaires à la maison centrale de Clairvaux et à la maison d’arrêt de la Seine Saint-Denis.
Il faut ajouter à cette mission d’inspection spécifique les inspections diligentées par d’autres administrations que l’administration pénitentiaire : on peut notamment citer, en application de l’article D.231 du code de procédure pénale, les interventions de l’Inspection du travail, habilitée à contrôler le respect des conditions d’hygiène et de sécurité dans les lieux de travail des détenus, et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), chargée de veiller aux conditions de prise en charge sanitaire des détenus. L’IGAS peut également être saisie de requêtes individuelles adressées directement par les détenus ou par l’intermédiaire de l’administration pénitentiaire. L’IGAS a réalisé en 1998 deux rapports portant sur les points suivants :
- les conditions dans lesquelles s’est produit le décès d’un détenu de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis à l’établissement public de santé national de Fresnes,
- les circonstances qui ont entouré le décès d’un détenu à la maison d’arrêt de Rouen et le fonctionnement du service médico-psychologique régional (SMPR).
Il faut également noter, au titre de ses actions, qu’elle a été saisie d’un nombre croissant de plaintes émanant de détenus et touchant à leur état de santé : au nombre de 323 en 1997, ces réclamations se sont élevées à 386 en 1998.
Il serait incomplet de conclure sans mentionner le contrôle de la Cour des Comptes : le rapport public de 1999 comprend ainsi un bilan complet et pour le moins sévère de la gestion du personnel de l’administration pénitentiaire.

b) les contrôles

Exercés par des autorités extérieures à l’administration proprement dite, ces contrôles sont réalisés par les autorités judiciaires ou relèvent d’une commission spécifique instituée par le code de procédure pénale, la Commission de surveillance.
En application des articles D.176 à D.179 du code de procédure pénale, les autorités judiciaires ont l’obligation de visiter régulièrement les établissements pénitentiaires de leur ressort et d’adresser des observations aux autorités compétentes pour y donner suite :
- pour le juge d’application des peines, visite au moins une fois par mois,
- pour le président de la chambre d’accusation, visite au moins une fois par trimestre des maisons d’arrêt de son ressort,
- pour le juge d’instruction, visite aussi souvent qu’il l’estime utile de la maison d’arrêt de son ressort,
- pour le juge des enfants, visite au moins une fois par mois de la maison d’arrêt pour y vérifier les conditions de détention des mineurs,
- pour le procureur de la république, visite au moins une fois par trimestre des établissements de son ressort,
- pour le procureur général, visite au moins une fois par an des établissements du ressort de la cour d’appel.
Le juge de l’application des peines, le procureur général et le premier président de la cour d’appel ont également l’obligation d’adresser un rapport annuel au ministre de la justice sur le fonctionnement des établissements de leur ressort.
Plus spécifiquement, en dehors de ces obligations de visite, le juge de l’application des peines a un rôle particulier dans le contrôle des conditions de vie en détention ; il participe à la commission de surveillance, a la possibilité d’entendre à tout moment un détenu ou de recevoir les observations des détenus isolés ou punis. Il est informé de tout incident grave relatif à un condamné, de toute mise ou prolongation de l’isolement d’un détenu ou de toute sanction disciplinaire. Il reçoit, dans le cadre de son contrôle, les rapports annuels du service médical et du service socio-éducatif. Enfin, il est consulté sur toutes les décisions d’affectation et sur le règlement intérieur de l’établissement.
La Commission de surveillance est propre à chaque établissement pénitentiaire. Elle comprend, sous la présidence du préfet, jusqu’à vingt-quatre membres qui sont les autorités judiciaires et administratives locales (président du tribunal, procureur de la République, magistrats du tribunal, avocat, maire, représentants d’associations, DDASS...).
La Commission se réunit au moins une fois par an ; elle entend le rapport du chef d’établissement et peut procéder à l’audition de toute personne et visiter l’établissement. Elle reçoit les requêtes des détenus et adresse un rapport au ministre de la justice avec ses critiques et propositions sur les conditions de détention.

2) Les carences du contrôle

La multiplicité des contrôles ne signifie pas nécessairement qu’il y ait efficacité du contrôle. Il faut insister, comme constat préliminaire, sur le fait que les contrôles institués paraissent au contraire trop disséminés, parcellaires, pour constituer une véritable force de contrainte sur l’administration pénitentiaire. En second lieu, il semblerait que la dimension carcérale empêche tout contrôle rigoureux et objectif, tel qu’il pourrait se faire ailleurs ; s’agissant par exemple des contrôles spécifiques émanant d’administrations techniques, le président Guy Canivet a fait observer devant la commission d’enquête que « La démarche est faussée par le présupposé selon lequel en prison la réglementation ne s’applique pas comme ailleurs, donc, sans aucune raison objective, l’application des règlements est considérablement relativisée, réduite, parfois inexistante. Or il faudrait que ces contrôles techniques s’opèrent en prison comme ailleurs. »
Or les visites effectuées dans les établissements pénitentiaires ont toutes permis de montrer combien le personnel, et notamment les directeurs d’établissements, souhaitaient le renforcement des contrôles et inspections. Ce souhait correspond d’abord à un besoin de faire cesser le soupçon qui règne sur le monde carcéral, en ouvrant la prison au monde civil. Les visites des membres de la commission d’enquête, le plus souvent inopinées ont été révélatrices à ce sujet ; la phrase « vous verrez, on n’a rien à cacher, vous pouvez demander à aller où bon vous semble » a ainsi été maintes fois entendue par les parlementaires.
Ce besoin de contrôle correspond également à un besoin de conseil et d’assistance technique ; s’agissant notamment du respect de normes complexes ou d’une législation touchant au droit du travail ou de la santé, les directeurs d’établissement sont très attentifs aux observations faites par les inspecteurs, d’autant plus que leur responsabilité peut être engagée.
« Les directeurs d’établissement ne peuvent, je le répète, qu’être d’accord avec la notion de contrôle, d’autant qu’ils sont de plus en plus mis devant leurs responsabilités pénales. Un directeur régional a été mis en examen au motif qu’un accident s’était produit dans les ateliers de Fresnes. Nous sommes demandeurs de contrôles et de conseils, ce qui nous permettra de réclamer des moyens et de mettre en place la réglementation. » (M. Patrick Wiart, directeur à l’ENAP, membre du Syndicat national pénitentiaire FO de surveillance)
Les propositions qui vont suivre et qui visent à renforcer le contrôle exercé sur les établissements pénitentiaires ne procèdent donc pas d’une logique de soupçon mais bien d’un souci de bonne administration.

a) redéfinir les moyens et les missions des inspections

S’agissant des missions effectuées par l’Inspection des services pénitentiaires, l’efficacité de ce contrôle se heurte, aux yeux de ses contempteurs, à son statut de contrôle interne à l’administration pénitentiaire ; son objectivité, dans un contexte qui peut se révéler tendu, et qui demande une certaine confidentialité, est contestée. Sans nullement adhérer à ce soupçon ou remettre en cause la qualité de son travail, il est vrai que la crédibilité de l’inspection des services pénitentiaires gagnerait à davantage de transparence dans l’exercice de ses missions d’enquête et des conclusions auxquelles elle a abouti.
« M. le Rapporteur :Ne pensez-vous pas qu’un rapport d’inspection ou les futurs rapports de la mission qui pourrait être mise en place à la suite des propositions de M. Canivet auraient un rôle beaucoup plus important s’ils étaient rendus publics ou du moins accessibles à un certain nombre d’autorités ? En effet, si nous avions connaissance de leur contenu, nous chercherions ensemble les réponses à ces questions. L’opacité qui entoure les rapports et les inspections - je ne sais si elle est voulue, recommandée ou si elle résulte des textes réglementaires - ne nous autorise pas à avoir une vision normale de l’administration pénitentiaire et de la vie en prison.
« M. Philippe Maître : Monsieur le Rapporteur, j’en conviens tout à fait. A vrai dire, je m’interroge sur les motifs pour lesquels ces rapports ne pourraient pas connaître une plus grande diffusion. Je crois d’ailleurs que le motif principal ne porte pas sur le contenu et, si je puis dire, j’ouvre mon armoire à qui veut les lire. Il n’y a rien de secret, rien de scandaleux, en dehors de ce que nous avons pu constater et qui peut constituer en soi un scandale, mais il n’y a pas de mystères ou de choses que l’administration pénitentiaire voudrait cacher. Il n’en reste pas moins que la situation est ainsi ; même si nous avons l’impression, nous, membres de l’administration pénitentiaire, d’être transparents, nous ne le sommes point. Selon moi, ce qui s’oppose le plus à la transparence c’est le souci, légitime, de la direction de l’administration pénitentiaire de maintenir avec les personnels ou avec leurs représentants des relations de bonne qualité. Il n’est jamais agréable pour des personnes qui font bien leur travail - certes, le corporatisme, le sentiment de solidarité entrent en ligne de compte - de voir stigmatiser l’un des leurs et donner à penser, surtout au travers de la relation qui peut en être faite dans certains organes de presse, que le dysfonctionnement que l’on souligne est d’ordre général. Cela contribue à ajouter une couche supplémentaire d’opprobre sur des agents, qui, pour l’essentiel, exercent parfaitement bien leur métier et ont des sentiments très éloignés de ceux qu’on leur prête à tort. En disant cela, je suis d’une parfaite sincérité. »
Cependant, davantage que la question des suites données aux missions de l’Inspection des services pénitentiaires, se pose la question de ses moyens. Les chiffres donnés à ce sujet traduisent toute l’ampleur du problème ; pour 295 structures déconcentrées à contrôler (186 établissements pénitentiaires, 100 services pénitentiaires d’insertion et de probation, et de façon théorique, 9 directions régionales), l’Inspection des services pénitentiaires dispose de cinq inspecteurs des services pénitentiaires. Compte tenu de ces effectifs étiques, il est bien évident que le contrôle effectué par l’Inspection des services pénitentiaires n’a qu’une ampleur limitée :
« Je me suis fait communiquer la liste des établissements et la date à laquelle ils avaient reçu, non la dernière inspection, mais la visite d’un membre de l’administration centrale. En effet, à la suite d’une visite dans une grande maison d’arrêt du Nord, j’avais été surpris des remerciements empressés que m’avait adressés le directeur. La raison en était que cela faisait onze ans qu’il n’avait vu personne de l’administration centrale ! Mon exemple est un peu caricatural, n’en doutez point, mais des établissements - de moins en moins parce que nous nous y sommes attachés au cours des dernières années - ont été peu visités. Il s’agit généralement de petits établissements dont on ne parle pas. Si j’étais méchant, je dirais que ceux dont on ne parle pas sont ceux qui sont mal desservis par l’avion ou le train. Quand on procède à une évaluation, le temps étant compté et les horaires de travail limités, on va au plus significatif, au plus connu et on néglige parfois une petite maison d’arrêt qui mériterait tout autant l’attention car il peut s’y produire des faits critiquables. Cela s’inscrit dans la droite ligne de ma demande de renforcement des effectifs. » (Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)
Il est dès lors indispensable, si l’on veut un contrôle interne digne de ce nom et susceptible d’avoir une réelle efficacité, de renforcer les effectifs de l’Inspection des services pénitentiaires. Une telle mesure contribuerait sans nul doute à donner plus de crédit à une politique de transparence revendiquée par l’administration pénitentiaire.
Sans méconnaître les difficultés d’un accroissement des effectifs, M. Philippe Maître faisait l’analyse suivante : « A la question de savoir s’il faut accroître les effectifs de l’inspection des services pénitentiaires, la réponse est oui, dans une proportion raisonnable ; [...]
L’idéal vers lequel il faut tendre, mais qui nécessitera plusieurs années, serait de disposer d’une dizaine d’inspecteurs pénitentiaires afin d’instaurer trois ou quatre équipes qui tourneraient en permanence, ce qui ne serait pas extraordinaire. Beaucoup de choses restent à améliorer en termes de fréquence des inspections. Je pense qu’il faudrait également un magistrat supplémentaire, parce que les pénitentiaires ont une spécificité en matière de recherche des faits. La conduite des procédures, surtout si elles doivent déboucher sur des procédures disciplinaires est en principe, du ressort des magistrats. Il conviendra donc de renforcer la capacité en magistrats et en fonctionnaires pénitentiaires. On peut songer - Mme Viallet m’en a parlé - à s’adjoindre des hauts fonctionnaires d’autres corps comme, par exemple, de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes, afin d’accroître ou de développer une capacité d’inspection dans un domaine qui nous est totalement étranger, celui de la comptabilité, alors que se font jour des dérives hautement condamnables et critiquables. »
Sur la teneur même de la mission effectuée par l’Inspection des services pénitentiaires, la coordination de ses contrôles avec les enquêtes menées par les autorités judiciaires paraît source de difficultés.
« L’un des grands problèmes que rencontre l’inspection réside dans l’articulation de ses missions avec celles des autorités judiciaires, même si ce fait n’est pas spécifique à l’administration pénitentiaire. Un dysfonctionnement qui se produit dans une prison peut être purement pénitentiaire : on a laissé une porte ouverte ou oublié une mesure de sécurité. D’autres dysfonctionnements sont des faits de droit commun qui se sont produits dans une prison : par exemple, un surveillant reçoit un coup de couteau et réplique par un autre coup de couteau. Une instruction est alors ouverte. L’inspection pénitentiaire envoyée sur place est confrontée à une affaire extrêmement compliquée : il y a quatre témoins du personnel de surveillance, il y a du sang de provenance différente dans la cellule et des détenus, depuis la coursive, ont aperçu une partie de la scène. Une information est ouverte. Les inspections administratives se trouvent dans une situation très difficile. D’abord, en raison de l’interférence entre les officiers de police judiciaire présents, missionnés par les magistrats, et l’inspection administrative. J’ai toujours laissé la priorité à la justice pour savoir qui entendra le premier, ce qui revêt d’ailleurs une certaine importance, puisqu’une audition ne se fait qu’une fois. Cela a conduit à un certain nombre de déconvenues. Deux ou trois fois, l’inspection administrative étant passée avant les officiers de police judiciaire, certains magistrats en ont conçu une forte mauvaise humeur au motif que nous aurions déstabilisé l’enquête judiciaire, ce qui, bien évidemment, n’était pas notre intention.
Dans la mesure où elle n’a pas compétence pour ordonner une analyse de sang, pour organiser des confrontations ni pour entendre des personnes à l’extérieur des prisons, alors qu’il arrive que des faits graves aient eu un témoin extérieur et ne peut non plus se déplacer pour l’entendre, très rapidement, l’inspection administrative est bloquée.
Reste enfin - c’est un sujet qui dépasse de très loin notre sujet d’aujourd’hui - la question de l’accès des inspections administratives aux dossiers. On est là dans une situation qui est véritablement difficile à comprendre. Dans certains cas, on me donne la copie de la procédure de police à titre officiel, d’autres fois à titre officieux, avec le droit de m’en servir ou bien sans ce droit. Parfois on me la refuse ou on me la transmet par l’intermédiaire du garde des sceaux. A chaque fois la décision prise s’appuie sur une interprétation de la règle selon laquelle les enquêtes et les instructions sont secrètes. Cette règle n’a pas été respectée très longtemps mais la pratique emporte un risque important pour le magistrat et pour les inspecteurs qui peuvent se voir accuser de recel, de violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, pour avoir voulu faire correctement leur métier et tenter de s’inspirer des procédures judiciaires qui sont, dans bon nombre de cas, bien mieux nourries et plus efficaces que celles dont dispose une inspection administrative pour conduire une enquête. » (Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)
Il convient donc de clarifier les missions de l’Inspection des services pénitentiaires en déterminant précisément les modalités de coopération avec l’autorité judiciaire. Cette coopération doit également être mieux articulée avec les autres inspections techniques : « Le suivi médical des détenus n’incombe plus à l’administration pénitentiaire depuis que le service médical n’est plus de sa responsabilité mais incombe entièrement au ministère de la Santé. Cela pose le problème de l’articulation des inspections, quand des dysfonctionnements se produisent à la limite du service médical et du service pénitentiaire. Un détenu a-t-il été secouru assez rapidement ? A quel moment a-t-il appelé ?
Nous avons compétence pour enquêter sur la partie pénitentiaire, l’IGAS sur la partie médicale. L’articulation des deux inspections, qui, pour l’heure, s’entendent très bien, mériterait peut-être d’être mieux définie ou du moins d’être officiellement prévue. » (Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)

b) mettre fin à l’indifférence des magistrats pour la prison

Les visites des établissements pénitentiaires, comme les auditions menées par la commission d’enquête, ont révélé l’éloignement des magistrats du monde carcéral, alors même que ceux-ci ont une responsabilité directe dans la décision d’incarcérer et dans les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires. Il faut préciser, de manière certes anecdotique, que la création de commissions d’enquête parlementaires semble avoir suscité un nouvel engouement chez les magistrats, beaucoup d’entre eux ayant retrouvé le chemin de la prison juste avant les visites des parlementaires...
L’explication de ce désintérêt manifeste réside en premier lieu dans l’absence d’une mission spécifique de contrôle confiée par les textes aux magistrats, en second lieu dans l’absence de moyens matériels permettant aux magistrats de s’intéresser au monde pénitentiaire.
Les fonctions et les attributions des magistrats concernant les établissements pénitentiaires se limitent, dans les textes, à un pouvoir de visite, assorti éventuellement de l’obligation de rédiger un rapport au garde des sceaux. Aucun pouvoir contraignant ne permet cependant d’assurer un suivi véritable des observations formulées. Même le juge de l’application des peines, qui est le plus impliqué dans la vie quotidienne de l’établissement, n’a pas un rôle clairement défini en matière de contrôle : « Le juge de l’application des peines aurait pu se trouver, selon les souhaits de l’époque, investi d’une fonction générale de contrôle de l’administration pénitentiaire. Or on n’a jamais clairement pris parti et assigné au juge de l’application des peines une mission de contrôle général de la vie pénitentiaire. On ne l’a jamais dit et on ne lui a jamais donné les moyens de le faire. Ces juges s’intéressent à la prison, où ils se rendent pour présider les commissions d’application des peines et où ils sont investis d’une mission d’individualisation de la peine mais les pouvoirs qui leur ont été attribués aux termes de l’article D.176 du code de procédure pénale : vérifier les conditions dans lesquelles les condamnés exécutent leur peine, ne leur permettent pas d’exercer un vrai contrôle sur le fonctionnement de la prison.
S’il est vrai que les magistrats n’ont pas manifesté un intérêt suffisant pour les conditions de détention ou le fonctionnement des prisons - je ne dirai pas le contraire et ne cherche pas à les défendre au nom d’un corporatisme excessif - je souligne qu’il n’y a pas de position claire sur leur mission ni de pouvoirs suffisants pour l’exercice d’un contrôle effectif... On n’a jamais dit à une catégorie de juges qu’ils avaient un pouvoir général de contrôle des établissements pénitentiaires. (Guy Canivet, Premier Président de la cour de cassation)
Les juges d’instruction dont la sensibilisation au monde pénitentiaire paraît essentielle si l’on veut espérer voir un jour le nombre de détentions provisoires diminuer, disposent également, en vertu de l’article D.177 du code de procédure pénale, du droit de visiter la maison d’arrêt et de voir les prévenus aussi souvent qu’ils le souhaitent. Cette disposition permet d’imposer aux magistrats une attention toute particulière aux personnes provisoirement détenues dans le cadre d’une information. Il semble néanmoins se dégager un constat unanime sur l’absence des juges d’instruction en détention Pour justifier leur absence, les juges d’instruction mettent en avant le fait que ce droit de visite prévu par les textes est ambigu et mal défini :
« Vous pourriez me demander pourquoi nous ne leur rendons pas visite, car il est vrai que les juges d’instruction rencontrent très peu souvent, contrairement au juge de l’application des peines, leurs prévenus ? Mais ces visites présentent un caractère ambigu. Dès lors qu’une personne est mise en examen, on ne peut l’interroger qu’en présence de son avocat. Si l’on rend visite au prévenu, non pour évoquer le dossier mais ses conditions de détention, la situation sera très ambiguë, dans la mesure où le prévenu ne fait pas la différence entre les causes de sa détention et la détention elle-même ; il ne fera pas la distinction dans son discours et parlera inéluctablement du dossier, ce qui est pour nous impossible hors la présence de l’avocat, ce que le prévenu ne pourra comprendre. Nous ne rendons donc pas visite au prévenu bien souvent pour cette raison : pour ne pas nous trouver confrontés à des confidences, à des aveux, qui seraient recueillis dans des conditions qui ne seraient pas du tout légales ou bien qui pourraient être exploitées d’une façon peut-être logique, mais également abusive par la défense qui nous reprocherait d’avoir voulu faire pression pour obtenir des renseignements de la part du prévenu en son absence.
Il est par conséquent difficile de rendre visite au prévenu en dehors d’un contexte d’interrogatoire. » (Mme Sophie-Hélène Château, représentant l’Association française des magistrats chargés de l’instruction)
Il conviendrait donc, dans le cadre d’une loi pénitentiaire, de mieux définir les pouvoirs de contrôle des magistrats sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires, en attribuant notamment au juge d’application des peines un véritable pouvoir d’injonction. Il conviendrait également, dans une optique de sensibilisation des autorités judiciaires, d’accroître la formation des magistrats sur le monde pénitentiaire, cette formation se limitant pour l’instant, dans le cadre de l’Ecole nationale de la magistrature, à un stage de quelques semaines en détention.
Toutefois, au-delà de la réformation des textes, il faut être conscient de la lourdeur de la tâche qui incombe aux magistrats, rendant ainsi leur mission de contrôle des établissements pénitentiaires extrêmement difficile à remplir.
Ainsi, les juges de l’application des peines ne disposent ni des effectifs, ni des moyens indispensables à leur mission de contrôle : « 177 postes de juges de l’application des peines sont budgétés. Les juges de l’application des peines ont à la fois la charge du milieu fermé, c’est-à-dire de la détention et des aménagements de peine en détention, et de ce que l’on appelle « le milieu ouvert », c’est-à-dire le suivi des personnes condamnées à des sursis avec mise à l’épreuve ou à des travaux d’intérêt général ainsi que le suivi des alternatives à l’incarcération dans le cadre de la procédure prévue par l’article D.49-1 du code de procédure pénale. Par ailleurs, les juges de l’application des peines interviennent dans le cadre de la politique de la ville au travers des contrats locaux de sécurité et des conseils communaux de prévention de la délinquance. Ils participent en outre aux activités générales du tribunal et siègent en correctionnelle. Ceci permet d’apprécier l’ampleur de la tâche qui leur est confiée. [...]
Les juges de l’application des peines sont en nombre très insuffisant compte tenu des fonctions dont ils ont la charge. Même ceux dont les postes sont budgétés participent à l’activité du tribunal, aux permanences, aux assises.
Au tribunal du Val-de-Marne, nous sommes quatre juges de l’application des peines. Nous sommes en charge des détenus de Fresnes et du milieu ouvert dans un département qui compte quarante-trois communes, donc quarante-trois conseils communaux de prévention de la délinquance, vingt-deux contrats locaux de sécurité et trois mille personnes en milieu ouvert. Je siège à la commission d’indemnisation des victimes une fois par mois. A quatre, nous assurons une participation à six audiences correctionnelles par mois et aux assises une semaine par trimestre. Nous traitons de l’ensemble du milieu ouvert. 640 personnes condamnées à moins d’un an sont à convoquer pour étudier une possible alternative à l’incarcération. Il est évident que l’application des peines est minoritaire dans notre emploi du temps. Je ne dispose pas de secrétariat véritable, en tout cas pas pour le milieu fermé. Je n’ai manifestement pas le temps de répondre aux lettres des détenus, ni même celui d’entendre beaucoup de détenus. Dans notre charge de travail, le milieu fermé n’est jamais pris en compte. Telle est la réalité. » (Mme Marie-Suzanne Pierrard, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines)
Les juges d’instruction sont confrontés à la même charge de travail :
« Je pense, en effet, qu’il faudrait que nous nous rendions plus souvent dans les maisons d’arrêt et dans les maisons centrales. Malheureusement, jusqu’à preuve du contraire, les journées ne font que vingt-quatre heures. Au vu de la somme de travail qui nous est demandée, du nombre de dossiers dont nous sommes chargés, il nous est très difficile de dégager du temps pour nous rendre régulièrement dans les établissements pénitentiaires. Sans doute est-ce la seule explication que nous puissions vous donner, en étant tout à fait d’accord avec vous sur l’utilité de nous déplacer plus souvent pour visiter les maisons d’arrêt ou les centres de détention. Cela nous permettrait tout d’abord de rencontrer les gens, notamment les personnes qui exécutent notre mandat de dépôt. » (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant l’Association française des magistrats chargés de l’instruction)
La question des moyens mis à la disposition de la justice dépasse le cadre de cette commission d’enquête. Il faut néanmoins convenir que de l’adéquation de la réponse budgétaire dépend la solution d’un grand nombre de dysfonctionnements relatifs aux établissements pénitentiaires.

c) redéfinir les missions de la commission de surveillance

La commission de surveillance présidée par le préfet et composée d’autorités administratives et judiciaires locales semble unanimement décriée : « visites de château », « raout mondain », les termes utilisés indiquent effectivement les limites d’une telle réunion. S’il est vrai que les pouvoirs réels de la commission de surveillance peuvent être mis en doute, il semble toutefois hâtif de réclamer sa suppression ; la commission de surveillance permet, à n’en pas douter, l’existence d’un regard extérieur sur les prisons, différent de celui des magistrats ou des intervenants habituels de la prison. En outre, la qualité des rapports rédigés par les directeurs d’établissement dans le cadre de la préparation de la commission de surveillance témoigne d’une volonté certaine de communication et de transparence. Il serait dommage de casser une dynamique qui s’est réellement mise en place. Il faudrait néanmoins redéfinir les missions de cette commission de surveillance ; la commission présidée par M. Guy Canivet a souhaité, dans cette optique, la rendre responsable de la mise en cohérence de l’ensemble des contrôles administratifs et techniques exercés sur l’établissement.

3) Instaurer un contrôle extérieur efficace

La question du contrôle extérieur des prisons a été au centre des discussions de la commission d’enquête ; l’audition de M. Ivan Zakine, membre du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), a permis de réfléchir à ce que devrait être l’autorité impartiale chargée de vérifier les conditions de détention. Organe indépendant international, le CPT procède à des visites inopinées des lieux de contrainte et de détention dans tous les pays du Conseil de l’Europe.
La réflexion sur le contrôle extérieur a également porté sur la responsabilité des politiques et du législateur en matière d’établissements pénitentiaires. Cette réflexion s’est trouvée concrétisée par l’adoption, à l’unanimité, d’un amendement présenté par M. Jean-Luc Warsmann à la loi sur la présomption d’innocence, autorisant les députés et les sénateurs à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires. Il serait souhaitable que cette nouvelle forme de contrôle trouve sa prolongation dans l’instauration d’une mission de suivi permanent au sein de la commission des lois de l’Assemblée nationale.
L’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires était également le thème de réflexion de la commission présidée par M. Guy Canivet, premier président de la cour de cassation.
« S’agissant des modalités du contrôle extérieur, notre groupe de travail en a distingué trois fonctions essentielles. La première est le contrôle strictement compris, c’est-à-dire la vérification ou l’inspection des prisons, sur le modèle pratiqué par le comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe et destiné à s’assurer, par des moyens appropriés et contraignants, que l’administration remplit correctement sa mission à l’égard des détenus et ne pratique à leur égard aucun traitement contraire à la dignité. Cette fonction serait assurée par un service de « contrôle général ». La deuxième est l’apaisement par la médiation, c’est-à-dire le traitement des requêtes individuelles des détenus contre l’administration et le règlement des litiges de la vie pénitentiaire. Il faut, pour décrisper la vie en prison, qu’existe un médiateur pénitentiaire pour traiter des conflits entre le détenu et l’administration et éviter les réactions de soumission ou de révolte. La troisième est une fonction d’observation : dans tous les grands systèmes pénitentiaires, il existe un regard extérieur sur la prison assuré par des personnes, mues par un esprit civique particulier, qui acceptent de participer à la vie pénitentiaire, de rencontrer des détenus en détention pour être, à l’extérieur, les garants du traitement digne et correct de ces détenus.
Pour qu’un tel contrôle extérieur soit effectif, il doit être exercé, dans toutes ses modalités, par des organes indépendants de l’administration dotés de moyens et pouvoirs suffisants.
Il convient, en outre, de mettre en cohérence l’ensemble de ces contrôles administratifs ou judiciaires existants, cohérence que nous proposons d’assurer de deux manières : au niveau national, en donnant au contrôleur général la mission de rassembler tous les contrôles techniques et de les évaluer afin de pousser les administrations à mieux exercer les missions spécifiques dont elles sont chargées en prison, au niveau local, en confrontant annuellement, au sein d’une commission d’établissement, le rapport d’activité du chef d’établissement avec tous les contrôles techniques réalisés localement, c’est-à-dire dresser un bilan et tirer les conséquences de l’action en prison de toutes les administrations extérieures : santé, éducation, travail, hygiène, etc. » (M. Guy Canivet, Premier Président de la cour de cassation)
Le système proposé par la commission Canivet, qui attribue à un contrôleur général des prisons la fonction de vérification, à des médiateurs de prison, la fonction de médiation et à des délégués des médiateurs la fonction d’observation, apparaît quelque peu complexe ; à trop scinder de façon quelque peu artificielle les fonctions de contrôle, on risque d’aboutir à une dissémination qui nuit à une vision globale de l’administration pénitentiaire.
La mise en place d’un contrôle extérieur paraît pour autant indispensable ; il faut absolument que puisse être contrôlé dans quelles conditions s’effectue un acte aussi grave que celui de priver quelqu’un de sa liberté. Cette exigence ne participe pas du tout d’une logique du soupçon qui règne actuellement à l’encontre de l’administration pénitentiaire. Elle doit être au contraire vécue comme le seul moyen de faire cesser le soupçon et de montrer, de façon impartiale et incontestable, que l’administration pénitentiaire remplit convenablement les missions qui lui sont assignées. Elle doit permettre de briser la loi du silence qui régit encore trop souvent les prisons.
L’exemple canadien pourrait dans cette optique constituer un cadre de réflexion intéressant. La création d’un organisme indépendant chargé de traiter les plaintes des détenus remonte à 1973 et répondait à la demande formulée par une commission d’enquête.
La loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, grande loi pénitentiaire entrée en vigueur en novembre 1992, comporte une troisième partie consacrée au contrôle des établissements pénitentiaires et précise le rôle, les pouvoirs et les responsabilités de « l’enquêteur correctionnel », ombudsman des détenus en établissements fédéraux, c’est-à-dire condamnés à une peine supérieure à deux ans. L’enquêteur correctionnel est indépendant du service correctionnel du Canada et est chargé d’étudier les plaintes formulées par les détenus et d’y répondre.
Il peut également prendre lui-même l’initiative d’une enquête ou intervenir à la demande du ministre de tutelle du service correctionnel, le sollicitor general.
L’enquêteur correctionnel est nommé en Conseil des ministres pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Il dispose d’une équipe de fonctionnaires assermentés. Les détenus peuvent saisir l’enquêteur correctionnel par téléphone en cas d’urgence. Est considérée comme une urgence une situation dans laquelle le détenu n’arrive pas à résoudre immédiatement un problème susceptible de lui occasionner des difficultés sérieuses ou une infraction aux droits du détenu. Hors urgence, le détenu doit saisir l’enquêteur par écrit.
Pour mener une enquête, l’enquêteur correctionnel a accès à tous les renseignements et documents que possède le service correctionnel. Il peut entendre sous serment qui bon lui semble.
A l’issue de l’enquête, l’enquêteur émet des recommandations à l’intention de l’administration pénitentiaire, mais n’a pas de pouvoir décisionnel. Il dépose chaque année un rapport au Parlement.
Indépendamment des enquêtes faisant suite à une plainte, les enquêteurs rencontrent régulièrement des comités de détenus et font des visites annoncées dans les établissements à l’occasion desquelles les prisonniers peuvent demander à les rencontrer.
En 1999, le Bureau de l’enquêteur a reçu 4 529 plaintes. Elles concernent tous les aspects de la détention : isolement, placement en cellule double, occupation des cellules, régime alimentaire, services de santé, accès aux visites familiales, accès aux programmes de réinsertion, violences, etc.
Lors de son déplacement au Canada, la commission a été accompagnée, au cours de ses visites d’établissements fédéraux, par un responsable des services de l’enquêteur correctionnel et a pu constater que le personnel pénitentiaire admet parfaitement cette fonction qui bénéficie, il est vrai, d’une expérience de près de trente ans.
La commission d’enquête s’est déclarée favorable à la création d’une seule instance, aux pouvoirs étendus qui pourrait prendre la forme d’une Délégation générale à la liberté individuelle chargée de contrôler tous les lieux d’enfermement.
Dans notre pays, il existe en effet de multiples lieux de rétention, d’enfermement, de privation de liberté. Les plus importants ont pour rôle la sanction, le rappel à la loi, la préparation d’une enquête, une instruction judiciaire. Ces lieux concernent l’ensemble des établissements relevant de l’administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que les locaux de garde à vue dépendant du ministère de l’Intérieur (les commissariats), du ministère de la Défense (les compagnies ou brigades de gendarmerie).
A ces lieux, on peut ajouter les espaces d’hospitalisation ou de soins réservés aux détenus et prévenus dans le système hospitalier.
Ce ne sont pas les seuls lieux d’enfermement. On peut y ajouter les centres de rétention et de regroupement des étrangers susceptibles d’être expulsés, les locaux militaires de mise aux arrêts, les hôpitaux psychiatriques.
La Délégation générale à la liberté individuelle devra assurer la transparence nécessaire dans un état de droit, sur le fonctionnement et les conditions d’utilisation des lieux d’enfermement, afin d’assurer les citoyens de leur juste utilité, d’éviter les abus, de rassurer les personnels et responsables de ces services sur leurs nécessaires missions.
Elle ne pourra se substituer aux missions d’inspection des services dont disposent les différents ministères, tuteurs de ces lieux, ni aux commissions d’enquête parlementaires que pourraient décider le Sénat ou l’Assemblée nationale, ni aux commissions que le pouvoir exécutif mettrait en place pour envisager des propositions et solutions novatrices.
Elle visitera, quand elle le voudra, tout ou partie des lieux d’enfermement, donnera son avis sur leur situation, sur les problèmes qu’ils pourraient engendrer. Elle enquêtera sur les incidents, accidents dont elle aurait connaissance. Pour ce faire, elle entendra qui elle jugera utile et pourra se faire remettre toutes les pièces, dossiers, rapports utiles à la bonne connaissance des faits.
La Délégation générale à la liberté individuelle aura accès aux dossiers personnels des privés de liberté, hors leur dossier médical, mais elle pourra s’entretenir avec les médecins et le personnel médical. Elle pourra connaître des rapports médicaux en cas de maltraitance, de dénonciation de maltraitance, de maltraitance supposée, ainsi que des rapports d’enquêtes après les tentatives de suicides ou les suicides, y compris des rapports d’autopsie.
La Délégation générale à la liberté individuelle pourra recevoir plaintes et dénonciations de tous citoyens ou associations reconnues.
Les courriers adressés par les personnes privées de liberté bénéficieront de la confidentialité.
La Délégation générale à la liberté individuelle fera rapport après chaque intervention ou visite. Elle établira un rapport d’activité qui comportera des propositions de correction des anomalies qu’elle aura constatées dans sa mission. Ce rapport sera adressé au Premier ministre et aux membres des assemblées parlementaires.
La Délégation générale à la liberté individuelle sera rattachée au Premier ministre. Le délégué général, personnalité reconnue, sera nommé en conseil des ministres ainsi que les délégués régionaux, les délégués dans les territoires et départements d’outre-mer. Ceux-ci dépendront hiérarchiquement du délégué général. Ces fonctions seront limitées dans le temps et, en tout état de cause, ne pourront dépasser deux fois quatre ans.