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II. B.? Un cadre de gestion à réorganiser.

Mise en ligne : 17 janvier 2003

Texte de l'article :

Une administration opaque, ne sachant pas communiquer, toujours à la remorque des autres administrations de l’Etat et en particulier de celles mettant en _uvre les politiques de sécurité publique... le discours sur l’administration pénitentiaire est souvent stigmatisant voire misérabiliste.
Il s’agit pourtant d’une administration qui a connu des évolutions considérables en quelques années. Celles-ci ne sont pas achevées. Il est vrai que les cloisonnements sont nombreux et la communication difficile à faire entrer dans les murs.

1) L’incapacité à communiquer

« Les personnels pénitentiaires se plaignent à juste titre de la mauvaise diffusion de l’information et de l’insuffisance de la concertation.
En outre, l’opacité de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de l’extérieur est une des causes de la difficulté pour cette institution d’être reconnue à sa juste place par la société. Il ne sert à rien de se plaindre des médias. Tant qu’une institution ne fait que réagir à la demande, le plus souvent à la suite d’incidents, elle ne peut évidemment faire passer aucun message valorisant pour elle-même et ses personnels. Une institution comme l’administration pénitentiaire se doit de produire une communication positive régulière. Ce sera la seule façon de changer progressivement son image. »
Ce constat dressé par M. Gilbert Bonnemaison en 1989 reste largement valide.

a) Les cloisonnements de l’administration

Coexistent, au sein de l’administration pénitentiaire, différentes entités : entité centrale, entités régionales et locales, qui ne marchent pas forcément d’un même pas.
Il en résulte un décalage, très fortement ressenti, entre les politiques définies par l’administration centrale et leur application sur le terrain.
« Ce décalage va croissant. En effet, on constate un fossé de plus en plus large entre les différents niveaux d’administration, aussi bien sur le fond - la philosophie des réformes, le sens que l’on veut donner à la peine et à la prison - que sur la forme - la méthode, la manière technocratique de les présenter - en oubliant d’ailleurs souvent le corps des surveillants, qui constitue pourtant le personnel le plus important parce que le plus nombreux et situé véritablement au c_ur de la détention, ainsi que les moyens humains nécessaires à la mise en _uvre des réformes. L’administration centrale semble éloignée du terrain qu’elle ne connaît pas forcément bien ; les directions régionales sont si grandes qu’elles ne peuvent parvenir à impulser toutes les réformes et souvent se cantonnent à jouer un rôle de « petit télégraphiste » ou de boîte aux lettres pour la transmission des directives vers les établissements ; enfin, les établissements où les équipes de direction, quand elles sont au complet et qu’il existe une notion d’équipe de direction, ce qui est rarissime, doivent, le plus souvent, gérer toutes les réformes, parfois contradictoires, sans que soient donnés véritablement des contrats d’objectifs à atteindre. » (M. Louis Leblay, directeur du centre pénitentiaire de Nantes, CFDT-justice)
Ce constat pose la question de l’organisation administrative et des modes de gestion des établissements (Cf. 2)
Il traduit aussi l’absence de prise en compte du vécu professionnel de ceux qui, à toutes les étapes de la hiérarchie, font, tous les jours, fonctionner les établissements.
« Notre vécu professionnel n’est, à aucun moment, hormis en tant que syndicaliste, pris en compte.
C’est un véritable problème au vu de la comparaison que l’on peut faire avec d’autres institutions ou ministères. Ce vécu professionnel est aussi un vécu de citoyen, au c_ur de la conception qu’on se fait de la vie. En effet, lorsqu’on est confronté au phénomène de l’incarcération, des prisons et des libertés, on est forcément confronté à l’essentiel de ce qui fait la vie. » (M. Pierre Duflot, adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Lille et membre du syndicat CFDT-justice)
L’intérêt qu’il y aurait à mutualiser les multiples expériences développées par les établissements (organisation de l’accueil des détenus, points d’accès au droit, soutien au personnel après le suicide d’un détenu...) est apparu avec constance dans les contacts établis lors des visites d’établissement. Le désir de connaître et de profiter des innovations est réel, la somme des expériences accumulées est considérable.
Ce capital n’est pas exploité comme il le devrait. La non-association des personnels à la conception des nouveaux établissements est à ce titre symptomatique. Pas plus que le personnel médical pour les unités de consultation installées dans les établissements, les surveillants et leur hiérarchie n’ont leur mot à dire, au-delà des consultations des syndicats représentatifs.
Il n’est pas inutile de rappeler que le rapport Bonnemaison préconisait, avant chaque projet de restructuration ou de construction neuve, la mise en place, au niveau local, d’un groupe consultatif ad hoc rassemblant des personnels de tous corps et de tous grades, chargés de donner un avis sur les projets, de suivre l’évolution des chantiers et de remettre un rapport final après l’achèvement des travaux. « Cela évitera peut-être à terme les défauts majeurs que l’on constate encore aujourd’hui dans la réalisation des établissements neufs ou dans les travaux d’adaptation. »
L’administration centrale fonctionne, au contraire, par des procédures très formelles de remontée de l’information, procédures très centrées d’ailleurs sur les problèmes de sécurité ou d’équipement.
Aux demandes d’éléments d’information sur les établissements pénitentiaires formulées par les parlementaires, dans l’objectif de disposer d’un dossier établissement par établissement, des fiches signalétiques par établissement 14 ont été envoyées à la commission.
La directrice de l’administration pénitentiaire a indiqué que, au-delà de ces fiches, « ...pour beaucoup d’établissements, nous disposons d’un dossier technique, il s’agit de dossiers de travail, énormes et non synthétiques. Nous disposons de dossiers synthétiques seulement pour certains établissements. En général, ils se trouvent plutôt dans les directions régionales, qui gèrent les crédits de gros entretien des établissements.
Une base de données est en cours de constitution à la délégation générale pour le programme pluriannuel d’équipement du ministère de la Justice, qui construit à la fois les établissements pénitentiaires neufs et les tribunaux, pour constituer une base de données des établissements neufs. Nous avons une base de données très technique et sophistiquée. Les établissements anciens n’y figurent pas encore. »
La procédure de remontée des informations relatives aux incidents reflète assez bien le fonctionnement fortement hiérarchisé de cette administration, à la fois peu informée et tatillonne.
« La gestion des incidents relève en premier lieu de la responsabilité du chef d’établissement. [...] Pour la remontée des informations, en revanche, la prégnance de la hiérarchie est plus forte :tout incident donne lieu à une remontée d’informations vers la direction régionale qui, elle-même, transmet à la direction centrale. La remontée n’est immédiate vers l’administration centrale que pour les incidents les plus graves. Nous avons fixé par écrit une procédure de remontée de l’information, que je pourrai vous adresser, pour les incidents sur lesquels nous voulons être informés rapidement. Personnellement, j’interviens peu sur les incidents. Je sais que certains de mes prédécesseurs intervenaient davantage sur la gestion directe de l’incident au moment même où il se produisait alors que j’estime que nous sommes loin et donc moins bien placés pour agir. Au surplus, il faut responsabiliser l’échelon de proximité qui a en main l’ensemble des données pour agir. En revanche, j’analyse les incidents importants et lorsque j’estime que l’un d’entre eux traduit un dysfonctionnement, je demande un compte-rendu plus détaillé et, le cas échéant, j’envoie l’inspection de l’administration pénitentiaire. » (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
Le manque d’information est manifeste lorsque l’on parle d’évaluation des actions. La carence la plus critiquable concerne l’absence d’évaluation récente de la récidive par le ministère de la Justice.
La dernière étude sur ce sujet porte sur les sortants de prison de 1982 - il y a donc vingt ans - initialement condamnés à trois ans et plus. Un examen a été effectué ultérieurement, en 1988, sur le casier judiciaire 15.
Comment, dans ces conditions, élaborer des outils d’insertion, fixer des modalités de prise en charge, mobiliser les personnels qui se plaignent tous de l’absence de retour d’information sur les personnes dont ils ont eu la charge, une fois celles-ci libérées ? Ils investissent finalement à fonds perdus, sans savoir ce qu’il advient des actions qu’on leur demande d’entreprendre.
De même, l’analyse du bilan des établissements du programme 13 000 apparaît aussi parcellaire, alors que paradoxalement, des indicateurs ont été élaborés pour suivre les marchés de fonctionnement et que la connaissance qu’a l’administration de ces établissements est plutôt meilleure que celle qu’elle peut avoir du parc classique.
Seules existent deux études réalisées dans la perspective du renouvellement des contrats de fonctionnement : l’une portant sur les aspects immobiliers et de gestion, l’autre sur l’organisation du système de soins.
Dans le cadre de la réorganisation de l’administration centrale à laquelle il vient d’être procédé, un nouveau bureau a été créé au sein de la sous-direction de l’organisation et du fonctionnement des services déconcentrés : chargé du contrôle de gestion et du suivi des politiques afin d’évaluer les dossiers budgétaires de l’année pour chaque direction régionale, il pourra également effectuer des audits sur les établissements ou sur des dossiers transversaux. Cette réorganisation devrait permettre un meilleur suivi.
Au moins sur les deux points évoqués, la récidive et les établissements 13 000, la nécessité d’évaluations poussées et régulières est incontournable.

b) Des relations conflictuelles avec l’extérieur

Il faut, au préalable, souligner que démentant la critique traditionnelle d’opacité de l’administration pénitentiaire, les personnels, les chefs d’établissement, les syndicats ont parfaitement compris et soutenu l’enjeu que constituaient pour leur métier et pour la prison, les travaux de la commission d’enquête. Pas une fois, un député n’a rencontré d’obstacles dans les visites auxquelles il a procédé. Au contraire, elles ont été une occasion précieuse de contact, d’analyse des difficultés et de recueil des propositions.
On peut toutefois s’étonner que l’administration centrale ait jugé bon de faire transiter par son intermédiaire le questionnaire écrit adressé aux chefs d’établissement et parfois, comme cela a été relevé, ici ou là, de demander la rectification de certaines mentions. Sans doute, ne faut-il y voir que le symptôme d’un long passé de repli sur soi et de méfiance ...
L’enjeu d’une relation normalisée avec l’extérieur est clair. L’article 53 de la recommandation du Conseil de l’Europe sur les nouvelles règles pénitentiaires précise que : « L’administration pénitentiaire doit estimer que l’une de ses tâches majeures est de tenir l’opinion publique constamment informée du rôle joué par le système pénitentiaire et du travail accompli par son personnel, de manière à mieux faire comprendre au public l’importance de leur contribution à la société. »
L’administration pénitentiaire française se situe très en retrait de cet objectif, dont la nécessité est par ailleurs affichée. Cet état de fait est manifeste au vu des outils de communication dont elle dispose.
« Nous disposons d’un service de relations extérieures, le service de communication et de relations internationales, qui travaille en liaison étroite avec le service d’information et de communication de l’ensemble du ministère. C’est un tout petit service qui, paradoxalement, compte peu de spécialistes en communication mais essentiellement des personnes performantes sur les supports, c’est-à-dire pour la réalisation de documents, moins sur leur contenu. C’est l’une de mes préoccupations et je suis actuellement en train de modifier le service de la communication. Ce n’est pas la première chose que j’ai faite en arrivant, mais cela me semble absolument nécessaire. Certes, nous disposons de bons documents, mais cela ne suffit pas pour bien communiquer.
Dans les régions, il existe un petit service chargé de la communication, dont l’efficacité est très variable selon les régions.
Au niveau des établissements, personne n’est spécifiquement chargé de la communication. C’est l’un des problèmes de l’organisation des équipes de direction et plus généralement de la gestion des établissements. Il est souhaitable, qu’au sein de chaque établissement, une personne soit spécifiquement chargée de la communication. C’est le cas dans les très gros établissements de la région parisienne, mais pas dans la plupart des établissements. Notre communication repose essentiellement sur les talents individuels des personnes. » (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
L’administration pénitentiaire pèche particulièrement dans ses relations avec les familles de détenus. Dès lors que se produit une crise, la difficulté de communication va être exacerbée.
Le message passe souvent mal, que ce soit l’information relative à l’incarcération elle-même ou bien celle sur l’état de santé du détenu par exemple, et ceci est très mal vécu par les proches déjà confrontés à la séparation, à la perte éventuelle d’un revenu... Les familles ne sont pas toujours informées de la mise en détention. Le même problème existe pour les transferts.
Et quand il y a eu un décès en prison, bien souvent c’est face à un mur, « mur de justice et d’injustice » que les proches ont le sentiment d’être placés.
« J’ai perdu mon petit frère qui était mineur. Il a été placé au mitard pour une peine de vingt jours, ce qui est inadmissible s’agissant d’un gosse de dix-sept ans. Bien que l’essentiel ne soit pas là, ces enfants sont entrés en prison pour des délits mineurs, même s’ils n’en restent pas moins des délits. Ils sont là pour payer, à aucun moment pour se retrouver victimes. Notre famille était déjà victime par le simple fait d’être pour la première fois confrontée à la prison : aucun membre de ma famille ni aucun de mes proches n’a connu le milieu carcéral. En ce sens, nous étions déjà en quelque sorte victimes. En aucun cas, nous n’imaginions avoir à faire face à un décès, d’autant qu’un mineur de dix-sept ans n’a rien à faire dans un quartier disciplinaire. » [...]
En cas de suicide en prison et dès lors que la personne ne décède pas, qu’elle est transportée aux urgences, en réanimation, il y a systématiquement des policiers devant l’entrée - c’est un petit peu le monde à l’envers : ce sont des CRS. Ils prennent sur eux de laisser passer certains membres de la famille, à savoir les frères et s_urs. Parfois, au prétexte qu’ils n’ont pas de permis de visite, ils n’ont pas accès au lit. Alors que les médecins sont catégoriques sur la mort prochaine, l’entrée dans la chambre est soumise au bon vouloir des CRS. Ils nous expliquent bien qu’ils n’ont pas le droit de nous laisser entrer. Que je sache, le directeur a le pouvoir de lever l’écrou ou d’accorder les permis de visite.
Dans mon cas particulier, le directeur de la prison a refusé des permis de visite aux frères et s_urs, ce qui peut engendrer de la paranoïa et quelque virulence dans nos propos, comme vous l’avez constaté. Il conviendrait que les procédures soient respectées avant de chercher à les modifier. » (M. Akim Bouafia, association de familles en lutte contre l’insécurité et les décès en détention - FLIDD)
Il est clair qu’en ce domaine, les silences sont très mal perçus et l’administration pénitentiaire a un important effort à faire pour que le manque de transparence ne génère pas la suspicion.

c) Une concertation hésitante

Le bilan des progrès de la concertation est très contrasté. Au niveau des établissements, en particulier, ses résultats sont très inégaux. Or nombre de revendications nationales résultent en fait de tensions non résolues au plan local.
Des progrès ont été accomplis en termes d’outils de concertation. En 1991, ont été créés les comités techniques paritaires (CTP) déconcentrés au niveau des régions, qui ont d’ailleurs connu des débuts difficiles.
Depuis 1992, des comités d’hygiène et de sécurité spéciaux (par établissement) se mettent progressivement en place.
Les plus gros établissements ont d’abord été concernés (13 établissements de plus de 300 agents). L’extension aux établissements de plus de 50 agents a été décidée par un arrêté de 1998. Celle-ci est en train de s’opérer. A la fin de l’année, 94 établissements d’au moins 50 agents en seront dotés.
Elle suppose toutefois que les mesures d’accompagnement - emplois ACMO (agents chargés de la mise en _uvre), aménagements de locaux, formation du personnel - soient effectives.
Par contre, le devenir des conseils d’établissements - organes de concertation non paritaires et dépourvus de droit de vote - a été remis en cause. Ces conseils avaient été créés dans l’objectif d’instaurer un dialogue social hors des normes institutionnelles classiques, dans le but de prévenir et d’apaiser les conflits sociaux potentiels au plus près du terrain. La prévention des conflits est apparue d’autant plus nécessaire que la cessation collective du travail est prohibée, en application du statut spécial.
Un arrêt du Conseil d’Etat du 20 septembre 1999 a annulé ce dispositif pour défaut de base légale.
Ces instances avaient soulevé des hostilités syndicales et le poids syndical est un élément incontournable de l’administration pénitentiaire. La demande réside dans la mise en place de véritables comités techniques paritaires locaux.
Les conseils d’établissement présentaient, à tout le moins, le mérite de susciter, à période régulière, l’instauration du dialogue dans l’ensemble des établissements, donc de l’améliorer là où celui-ci faisait particulièrement défaut et de le détacher de l’événement ailleurs.
L’objectif demeure pertinent. La concertation doit pouvoir reposer sur un support légal, quelle qu’en soit la forme, pour servir d’outil au dialogue sur l’organisation et le fonctionnement des services, les aménagements des locaux, les conditions de travail, la formation... et parvenir, à terme, à des évolutions réelles en matière d’organisation du travail.

2) Une action entravée

a) Des directions régionales impuissantes

Le territoire métropolitain est divisé en neuf régions pénitentiaires (Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse), à chacune desquelles correspond une direction régionale. Il s’y ajoute une mission de l’Outre-mer dont l’éloignement est vivement ressenti, puisque son siège est implanté à Juvisy.
Malgré l’augmentation de la population pénale, celle des personnels pénitentiaires et la multiplication des partenaires, les directions régionales ne sont toujours qu’au nombre de neuf. Les ressorts des directions régionales n’ont pas changé, chaque région pénitentiaire recouvre plusieurs régions administratives. Elles sont aujourd’hui dans l’incapacité de remplir leur rôle.
« Ce sont par ailleurs les dernières administrations régionales à assurer à la fois la représentation, l’animation, le contrôle, mais également la gestion des structures locales. Je rappelle que les factures d’épicerie des maisons d’arrêt de Montargis, Tours ou Blois sont traitées à la direction régionale !...
A Paris, la direction régionale gère en direct 25 établissements, 14 SPIP 16, et si l’on ajoute la dizaine de cadres travaillant à la direction régionale, cela fait au total une cinquantaine d’interlocuteurs directs. Les partenaires, au surplus, souhaitent toujours rencontrer le directeur régional. Ainsi en 1987, à Lille, je passais dans chaque établissement trois fois par an pour des visites qui duraient la journée. Aujourd’hui, à Paris, je ne passe plus qu’une fois dans chaque établissement. » (M. Jean-Marc Chauvet, directeur régional des services pénitentiaires de Paris)
En effet, les directions régionales gèrent entièrement les crédits des établissements pénitentiaires à budget non autonome (123 établissements sur 186), les projets étant soumis à contrôle et autorisation du directeur régional.
Outre la déresponsabilisation des chefs d’établissements et la lourdeur comptable qui en découle, compte tenu des effectifs réduits des directions régionales, cette tâche s’effectue nécessairement au détriment des autres. Chaque direction régionale dispose de 100 à 120 personnes, environ, y compris les équipes informatique.
Or : « Les directions régionales ont un rôle important dans l’impulsion et la mise en _uvre des réformes... Leur dimension et les insuffisances observées parfois dans les organigrammes font qu’elles ne peuvent pas forcément remplir toutes les missions qui leur sont dévolues. » (M. Louis Leblay, directeur du centre pénitentiaire de Nantes, CFDT-justice)
Outre le fait que la taille des régions pénitentiaires est excessive, leur découpage géographique ne correspond à aucun autre : « Que ce soit l’administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse ou le service judiciaire, chacune de ces directions a un découpage géographique spécifique, ces trois découpages géographiques étant eux-mêmes différents du découpage administratif. Ceci fait que nous avons quatre découpages géographiques qui se superposent. » (Mme Frédérique Barrault, secrétaire générale adjointe du syndicat CFDT-justice)
Un redécoupage et une démultiplication des régions pénitentiaires apparaissent donc comme une étape indispensable. Il ne faudrait pas cependant que cette réforme soit bloquée par le projet de refonte de la carte judiciaire, véritable serpent de mer.
La capacité d’action des directions régionales dépend aussi des pouvoirs que l’on veut bien leur confier. L’administration pénitentiaire a engagé un mouvement de déconcentration qui ne fait que renforcer l’enjeu du découpage régional si l’on veut qu’il soit efficace.

b) Une déconcentration qui marque le pas

Depuis 1990, la direction de l’administration pénitentiaire s’est engagée dans une action de déconcentration progressive en matière budgétaire, puis en matière de gestion (gestion des ressources humaines, de la formation continue et du dialogue social).
Ce mouvement est aujourd’hui interrompu alors que la réorganisation de l’administration centrale opérée en 1998, fait en principe de la direction régionale l’échelon relais sur l’ensemble des questions d’ordre opérationnel et de gestion.
« S’agissant de la déconcentration, l’administration pénitentiaire a opéré une pause en 1999 et la poursuivra en 2000. Il est en effet difficile de mener plusieurs réformes de structures ou d’organisation en même temps, sauf à courir à l’échec. Nous avons réformé l’administration centrale en 1998, créé en 1999 les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Nous aurons, en 2000, à négocier sur les 35 heures et l’organisation du travail. Nous ne pouvons pas, en même temps, engager une nouvelle étape de déconcentration. » (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
En fait, pour les directeurs d’établissements : « On a déconcentré aux directions régionales un certain nombre de problèmes plutôt que de leur donner un véritable pouvoir décentralisé. Les directions régionales sont un intermédiaire obligé, mais n’ont pas les moyens de répondre concrètement à notre attente, notamment en matière de gestion des effectifs. Elles ne peuvent que jouer le rôle de courroie de transmission et de mise en exergue de nos problèmes. » (M. Georges Vin, directeur des Baumettes)
Comme le souligne le syndicat CFDT-justice : « Les directions régionales n’agissent qu’à la marge, en termes financiers et de moyens humains. Il faudrait une véritable vision régionale d’équipe, tant pour les établissements que pour l’administration centrale ou régionale, afin d’impulser un certain nombre de réflexions. Venant de terminer six mois d’intérim, il me semble que c’est une réelle vision de l’organisation de l’ensemble des établissements qu’il faut impulser à ces niveaux hiérarchiques. Sinon, on se heurte à des blocages, individuels ou collectifs, et on n’avance pas sur la mise en place de l’ensemble des politiques. » (M. Pierre Duflot)
La question de la poursuite de la déconcentration, au regard des moyens humains, est clairement posée. La gestion de la région pénitentiaire de Lille qui recouvre deux régions administratives, quatre cours d’appel, quatorze départements et compte 6 200 fonctionnaires et 11 000 détenus, repose sur une dizaine de personnels de catégorie A. Le même problème se pose pour la déconcentration au niveau des établissements.
A ce propos, souligne le rapport de gestion 1998 de l’administration pénitentiaire, « L’imprécision des tableaux relatifs au paiement des indemnités pour les personnels occupés à cette tâche, ne permet pas encore d’identifier le coût en moyens humains de la déconcentration. »
Son fonctionnement concret est en réalité éminemment dépendant des moyens des directions, mais aussi de la conception qu’elles ont de leur mission. Celle-ci est laissée aux appréciations locales. La directrice de l’administration pénitentiaire le reconnaît d’ailleurs : « Nous avons déconcentré aux directeurs régionaux, non seulement des pouvoirs de gestion et d’affectation, mais aussi l’animation des chefs d’établissement. La pratique des directeurs régionaux varie : certains laissent leurs chefs d’établissement très autonomes contrairement à d’autres. Cela ne dépend pas uniquement de la qualité intrinsèque de tel ou tel chef d’établissement, mais surtout du mode de gestion des directeurs régionaux. Certains sont plutôt des gestionnaires et donc interviennent peu sur la détention ; d’autres, au contraire, sont moins administratifs et interviennent très fortement auprès de leurs chefs d’établissement. »
Confier aux directions régionales une véritable mission d’animation, de conseil et de contrôle plutôt que de gestion suppose aussi une évolution des modes de fonctionnement des établissements.

c) Une condition préalable : des établissements autonomes porteurs d’un projet

 ? Le projet d’établissement permet de réunir les volontés et les compétences autours d’objectifs affichés et régulièrement évalués.
La définition d’un tel projet d’établissement, servant de support aux établissements pour asseoir leurs missions, définir leurs objectifs en permettant l’association des personnels fait encore largement défaut.
Le rapport remis par M. Guy Canivet à la garde des sceaux sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires en a souligné la nécessité : « Par ailleurs, les directeurs d’établissement doivent être en mesure d’élaborer et de conduire les politiques sur l’exécution desquelles ils seront contrôlés, de fixer aux personnels les objectifs à atteindre et, à cette fin, de nouer un dialogue social au niveau de l’établissement dans le cadre de projets de service, susceptibles de mobiliser les énergies et porteurs de la plus grande transparence utile au contrôle. »
Actuellement, la remise d’une simple lettre de mission fixant des objectifs lorsqu’un directeur est affecté dans un établissement, n’est même pas effectuée par toutes les directions régionales.
Au lieu de se fonder sur un projet, les critères d’évaluation de l’activité des chefs d’établissement restent essentiellement centrés sur des impératifs de sécurité. Il n’y a pas réellement d’évaluation, par rapport à des objectifs d’insertion, de mise en place d’activités... alors que justement leur organisation suppose « une prise de risque » qui donnera lieu à sanction le cas échéant.
Des progrès sont toutefois mis en avant.
« En ce qui concerne les projets d’établissement, la situation s’est considérablement améliorée. Tous les ans, nous pouvons formuler un certain nombre de demandes par l’intermédiaire des programmes régionaux, mais aussi des budgets complémentaires qui constituent un plus par rapport au budget de fonctionnement. C’est par ce biais que nous pouvons faire porter l’accent sur des actions de prévention de la santé, sur des dispositifs de formation professionnelle ou bien visant à une meilleure hygiène. C’est ainsi que nous pouvons avoir une action personnelle, localisée et individualisée. » (M. Georges Vin, directeur des Baumettes)
Cependant, une nouvelle fois, les situations régionales sont très variables.
« La répartition sur la base du critère des journées de détention n’est pas satisfaisante. Mais il existe, selon l’échelon régional avec lequel on travaille, une possibilité de négociation et de contractualisation sur des projets. Là aussi, le pire et le meilleur se côtoient. Soit la règle mathématique absurde de la « journée de détention » prévaut et empêche toute marge de man_uvre. Soit la possibilité d’une conférence budgétaire régionale est ouverte, qui donne lieu à la présentation d’un projet et à une négociation avec le directeur régional avec explication du projet. C’est une bonne chose. » (M. Jean-Louis Daumas, directeur du centre de détention de Caen)

 ? Monsieur Gilbert Bonnemaison préconisait, en 1989, la création d’établissements autonomes.
« L’importance des tâches d’intendance assumées par les établissements pénitentiaires (alimentation et entretien des détenus, mais aussi maintenance du parc immobilier), la diversité des missions qu’ils assurent en vue, notamment, de l’insertion des personnes incarcérées (liaisons avec le privé pour le travail, action conjuguées avec d’autres administrations de l’Etat et des collectivités locales dans les domaines de l’enseignement, de la santé, de la culture...), les contraintes liées à la gestion des biens et ressources pécuniaires des détenus et l’imbrication de ressources publiques et privées dans les flux de trésorerie, constituent autant d’éléments justifiant une réelle autonomie de gestion. » (Rapport sur la modernisation du service public pénitentiaire)
La loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire a fourni le moyen d’une véritable déconcentration en permettant que les établissements pénitentiaires soient érigés en établissements publics administratifs nationaux. Dotés de la personnalité morale et de l’autonomie comptable, ils seraient dirigés par un conseil d’administration.
Cette possibilité n’a jamais été utilisée. L’administration pénitentiaire considère que la structure d’établissement public serait trop lourde pour la plupart des établissements auxquels elle n’apporterait pas d’amélioration mais entraînerait des charges administratives supplémentaires.
Le choix a été fait de développer des modes de gestion plus autonomes, dans le cadre des structures actuelles. Les établissements dénommés « autonomes » peuvent bénéficier d’une plus grande autonomie comptable et de la possibilité de globaliser les dépenses. Seul aujourd’hui, un tiers des établissements bénéficie de ce statut (63 établissements parmi les plus grands).
Les établissements à budget non autonome, comme le soulignait M. Gilbert Bonnemaison, ne maîtrisent aucun moyen d’action, ni en termes de fonctionnement ni d’équipement. « La lourdeur comptable qui en résulte confine à l’absurde, dans la mesure où elle est largement incomprise de ceux qui l’utilisent et où elle induit des lenteurs dommageables dans la mise en place des crédits. »
Il est vrai que cela suppose que des postes d’agents comptables soient créés et effectivement pourvus ! Mais les chefs d’établissement doivent pouvoir être dotés d’une marge de manouvre assortie des contrôles nécessaires. D’ailleurs, le rapport remis par M. Guy Canivet en souligne la nécessité : « Il est à craindre que le contrôle extérieur ne puisse avoir l’efficacité recherchée, en l’état des moyens budgétaires, de la gestion mise en _uvre et de la faible latitude laissée aux responsables d’établissements. »

 ? Il est, en tout cas, un objectif qu’une simple déconcentration comptable ne saurait remplir, c’est celui de l’indispensable association de ceux qui, extérieurs à la prison, doivent pourtant en tenir compte dans leur action.
L’opacité, éternellement dénoncée, de la prison peut se lire à front renversé. Les difficultés de mobilisation par les établissements pénitentiaires de ceux qui sont leurs partenaires naturels sont quotidiennes, la prison n’étant presque jamais une priorité de l’action de ces derniers.
L’exercice formel de la commission de surveillance, malgré son élargissement à de nouveaux intervenants (gendarmerie, directions départementales de la jeunesse et des sports, de la sécurité publique et le cas échéant de la protection judiciaire de la jeunesse) ne saurait remplir ce rôle.
La mise en place d’établissements publics offrirait la possibilité de réunir dans un conseil d’administration les responsables d’autres administrations de l’Etat, les magistrats, les représentants des personnels, les élus locaux...
Les enjeux sont là : institutionnaliser le dialogue avec les personnels, donner des marges de man_uvre financières, responsabiliser les équipes et faire participer des personnes extérieures à la gestion des établissements.
La question de la transformation des établissements pénitentiaires en établissements publics doit être reposée, en concertation avec les personnels. La définition de véritables projets d’établissement est, en tout état de cause, un préalable indispensable à la remobilisation autour d’objectifs définis en concertation.