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II 2) Des surveillants en quête de reconnaissance

Mise en ligne : 17 janvier 2003

Dernière modification : 17 janvier 2003

Texte de l'article :

a) Un métier qui a subi de profondes évolutions

Les visites des établissements pénitentiaires ont permis d’apprécier le dévouement et la qualité du personnel surveillant ; il ne s’agit pas, en disant cela, d’une vaine formule de circonstance destinée à rassurer une profession en proie au doute. Les qualités professionnelles des surveillants ont été unanimement saluées et reconnues par les membres de la commission d’enquête. Les visites des établissements ont permis de constater leurs conditions de travail difficiles. Il faut rappeler en effet que les conditions de détention décrites dans la première partie de ce rapport constituent également le cadre de vie du personnel pénitentiaire et plus particulièrement des surveillants qui subissent eux aussi la vétusté, la dégradation des locaux, les tensions liées à la surpopulation. La conviction profonde du rapporteur est que l’administration pénitentiaire dispose d’un personnel de qualité, qui a envie que les choses changent et est ouvert au dialogue.
L’accueil des parlementaires dans les établissements pénitentiaires témoigne de l’attente des personnels : les rencontres avec les sections syndicales ou les surveillants sur leur poste de travail ont certes permis l’expression de revendications catégorielles, portant d’ailleurs essentiellement et légitimement sur des questions de sous-effectif. Mais elles ont surtout été l’occasion d’exprimer, avec beaucoup d’expérience, une véritable réflexion sur le service public, le rôle de l’enfermement et la condition du détenu.
Il y a là, au niveau local, une réelle force de propositions, qui ne se répercute pas si facilement dans le dialogue social, à l’échelon central.
Les entretiens avec les surveillants ont permis de constater que le moral des fonctionnaires pénitentiaires est très bas. Ils vivent mal les campagnes de presse en cours sur les prisons, non pas parce qu’ils cautionnent les dysfonctionnements qui peuvent exister dans l’institution pénitentiaire, mais parce qu’ils dénoncent ces dysfonctionnements depuis longtemps sans avoir l’impression d’avoir été écoutés.
L’ouvrage de Mme Véronique Vasseur a ainsi été mal perçu par une profession qui a désormais le sentiment que la parole d’un médecin, aussi approximative soit-elle, vaut davantage que celle d’un surveillant. Ce malaise renvoie également au devoir de réserve imposé par le statut spécial, qui est de plus en plus mal vécu et contesté.
La campagne médiatique a également été vécue comme une profonde injustice par l’immense majorité des surveillants qui fait bien son travail, avec humanité et conscience professionnelle : les surveillants souffrent de l’opprobre jeté sur l’ensemble d’une profession du fait de comportements délictueux condamnables de quelques individus. Ils réclament d’ailleurs une totale transparence afin de faire cesser définitivement le soupçon. Il convient à ce sujet de relativiser les chiffres : en 1999, 268 agents ont été sanctionnés, ce qui, ramené aux 25 000 agents de l’administration pénitentiaire, paraît fort peu.
Un grand sentiment de découragement se fait jour, comme le confirme le témoignage de M. Philippe Maître, magistrat, chef de l’Inspection des services pénitentiaires :
« J’ai été étonné de voir des personnels qui, habituellement, ont une vision très mesurée des choses, arbitrant bien entre le reproche fondé et l’injustice, basculer dans le camp des découragés et dire qu’ils sont des parias. »
Ce sentiment d’injustice est d’autant plus profondément ressenti que le personnel surveillant a connu ces dernières années une évolution très importante de ses conditions de travail, évolution qui s’est faite sans trop de heurts grâce, justement, au professionnalisme des surveillants.
En un peu plus de vingt ans, les conditions de vie en détention ont été complètement bouleversées : la suppression des séparations dans les parloirs, l’introduction de la télévision, la fin de l’obligation au travail sont autant de réformes qui ont changé profondément le travail du personnel surveillant. Le surencombrement des maisons d’arrêt, sur lequel nous ne reviendrons pas, ainsi que l’évolution de la population pénale, avec l’accroissement de détenus toxicomanes, de jeunes dépourvus de repères, de personnalités ayant un profil psychiatrique, ont également demandé des efforts d’adaptation considérables.
Il serait hâtif et erroné de présenter dès lors le surveillant comme un nostalgique des conditions de détention telles qu’elles pouvaient exister dans les années 70, proches d’un régime militaire avec obligation de porter le costume pénitentiaire et la punition au pain sec et à l’eau. Il est nécessaire d’être conscient de la réelle capacité d’adaptation dont a fait preuve le personnel pénitentiaire, d’autant que, le plus souvent, les moyens budgétaires n’ont pas suivi. De plus, la formation des personnels n’a pas pris réellement en compte l’évolution considérable des missions.
« Les surveillants ont l’impression qu’on ne les crédite pas des efforts extraordinaires qu’ils ont consentis depuis une vingtaine d’années. Celles et ceux qui connaissaient les détentions il y a une vingtaine d’années me comprennent. Il suffit de visiter une prison, ne serait-ce que quelques heures, même les pires, pour s’apercevoir que l’on a rattrapé des dizaines d’années de retard accumulé. Je n’appartiens pas à cette administration et je vais prochainement la quitter ; cela me permet de dire que peu d’administrations se sont autant réformées avec autant d’efforts demandés au personnel de l’administration pénitentiaire. » (M. Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)
L’évolution de ces missions imparties à l’administration pénitentiaire a coïncidé avec une évolution du recrutement :
« Il convient encore de considérer la forte évolution du profil des élèves recrutés dans tous les corps. Les personnels de surveillance sont recrutés au niveau du brevet des collèges. Actuellement, ceux que nous recevons ont, en moyenne, un niveau bac + 1 ; 85 % ont le bac et 35 % ont un niveau supérieur au DEUG. » (M. Patrick Mounaud, directeur de l’ENAP)
Cette évolution du recrutement a changé le métier pénitentiaire : les surveillants nouvellement recrutés insistent davantage sur les facultés d’écoute qu’ils doivent développer avec les détenus ; ils paraissent davantage sensibilisés à la mission d’insertion :
« En maison d’arrêt, le temps de parole est largement insuffisant ; nous sommes confrontés à une surpopulation chronique, et le surveillant, qui est là pour exécuter un certain nombre de tâches matérielles, n’a pas le temps d’engager un réel dialogue avec les détenus. Dialogue qui, d’ailleurs, a longtemps été interdit par l’administration pénitentiaire. Certains gradés suspectaient les surveillants qui passaient trop de temps à discuter avec les détenus de compromission.
Heureusement, la nouvelle génération change. Mais je siège au conseil de discipline des personnels, et je peux vous citer l’exemple d’un surveillant qui a été sanctionné pour avoir joué aux échecs avec un détenu. Or il me semble que répondre aux questions des détenus - qui sont des personnes humaines - fait partie de notre fonction.
Pendant de longues années, il nous était interdit de discuter avec les détenus. Le détenu était considéré comme un mauvais sujet qui devait être écarté de la société et que l’on devait se contenter de garder. La maison d’arrêt de Fresnes reflète encore cette mentalité : les détenus sortent en promenade en rang, les mains dans le dos, et n’ont pas le droit de discuter. » (M. Jean-Luc Aubin, secrétaire général de l’UFAP)
Le surveillant est en effet l’interlocuteur direct, permanent du détenu, alors même que, compte tenu notamment de la politique de décloisonnement, la majorité des décisions qui concernent le détenu lui échappe ; le retard dans la distribution des courriers, les plats qui arrivent froids, le rendez-vous chez le médecin qui se fait attendre, les résultats d’analyses qui ne sont pas communiqués, la permission de sortie refusée par le juge de l’application des peines... Autant de récriminations et de revendications pour lesquelles le surveillant est en première ligne, sans rien pouvoir faire d’autre généralement que de répercuter les demandes et les réitérer si besoin est, à l’échelon hiérarchique supérieur.
En détention, le décalage est évident entre le surveillant et le détenu, qui n’appréhende pas le temps de la même manière ; le détenu est constamment en attente et dans une situation de demandeur. Il semble que cette gestion de la frustration par les détenus soit plus difficile qu’auparavant et qu’elle suscite d’avantage de tension ; cette situation semble être le résultat d’une conception différente des relations entre surveillants et détenus, davantage axée sur le dialogue que sur la discipline :
« Cela apparaît au travers des réactions aux violences dont sont victimes les surveillants. D’aucuns « s’amusent » de voir qu’un surveillant qui reçoit une gifle prend un arrêt maladie et est traumatisé psychologiquement, peut-être pas tant d’ailleurs d’une gifle que d’un crachat. Dernièrement, dans une émission sur les policiers en difficulté, on évoquait l’impact psychologique de se faire cracher dessus. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, les surveillants résistaient psychologiquement mieux, peut-être parce que la façon de réprimer ce type d’agissements était plus directe. Aujourd’hui, en raison de l’idée qu’ils se font de leur mission, ils ne supportent plus ce genre de contraintes et ont beaucoup de mal à être confrontés au risque. L’évolution du nombre des déments en détention augmente très sensiblement le niveau de risque. Il n’y a plus de règles en prison, du moins, celles que les détenus et le personnel de surveillance respectaient de façon générale il y a quelques années. » (M. Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)
Il en résulte pour les surveillants et, à titre principal, les jeunes surveillants, une grande frustration dans la façon d’appréhender leur métier ; refusant de n’être que de simples porte-clés, ils préfèrent gérer la détention par l’instauration du dialogue et de rapports établis sur la responsabilité de chacun. Ce souhait se heurte cependant rapidement aux conditions matérielles de la détention, à l’attitude de plus en plus agressive des détenus et à l’incompréhension de certains collègues plus anciens.
Le manque de soutien hiérarchique ainsi que l’absence d’un cadre de travail pertinent ne font qu’accroître la démotivation.

b) Un isolement de plus en plus mal vécu

L’isolement des surveillants dans l’accomplissement de leurs missions est un véritable leitmotiv. Il s’agit d’abord véritablement d’un isolement géographique qui frappe lors des visites d’établissements pénitentiaires. La solitude du surveillant, enfermé dans un mirador, fait partie du quotidien de la vie pénitentiaire depuis de longues années. Mais il s’agit aussi d’une solitude vécue dans les ateliers, où le surveillant est seul pour garder parfois plus de cinq ateliers, dans les coursives ou les cours de promenade. Il y a, pour expliquer cette solitude, bien évidemment une question de sous-effectif ; mais tout visiteur peu habitué à la prison s’étonne à juste titre que le calme, dans un bâtiment de détention, repose en définitive sur la présence et la compétence d’un seul agent.
Cet isolement a eu, de plus, tendance à s’accroître avec la construction des établissements récents, dans lesquels, pour des raisons de sécurité et de coût, le facteur humain a été en partie remplacé par le facteur technique (Cf. supra).

 ? Cette solitude est aussi vécue comme une solitude hiérarchique, avec, au plus haut niveau, le sentiment de ne pas être suffisamment compris et défendu par leur ministre.
« Le personnel pénitentiaire souffre énormément des attaques, dont la presse se fait l’écho, émanant d’organisations professionnelles quelles qu’elles soient. Par exemple, on a entendu sur une chaîne de télévision, il y a peu de temps, des avocats traiter les surveillants d’assassins. Je trouve déplorable que notre ministère de tutelle ne réagisse pas devant de tels propos.
C’est au ministre de tutelle qu’il revient de défendre les fonctionnaires de son ministère quand ils sont mis en cause, surtout de cette manière. Ce sont des attaques sans fondement, diffamatoires et, parce qu’émanant d’un avocat qui rentre dans la prison, extrêmement graves. Le personnel pénitentiaire vit très mal le fait de ne pas être défendu par sa propre hiérarchie.
Il est évident dans ce contexte, que lorsque le ministre demande au personnel pénitentiaire d’appliquer les mesures qu’il vient de décider, le terrain d’exécution de la mesure n’est pas du tout fertile. Le personnel n’est pas prêt à faire des efforts lorsqu’ils sont demandés par une hiérarchie qui devrait le défendre, mais ne le fait pas. Ce comportement est très mal perçu par le personnel et crée une ambiance détestable. » (M. Yannick Gaillard, membre de l’Union syndicale pénitentiaire).

 ? Cette solitude est également une solitude ressentie vis-à-vis de l’encadrement : on l’a vu, le surveillant est en constant face-à-face avec le détenu, alors que le directeur passe, au mieux, une fois par jour dans les quartiers de détention. C’est au surveillant de gérer le quotidien des tensions, des agressions, sans que la pénibilité de cette tâche ne soit réellement reconnue :
« Les détenus ne veulent subir aucune contrainte en détention, sinon ils vont à l’affrontement. Dès lors qu’il y a affrontement et pour apaiser la détention, la direction préfère changer un agent de poste, voire le mettre dans un mirador, ou encore carrément le mettre dans un poste protégé. » (M. Norbert Claude, secrétaire général de l’Union syndicale pénitentiaire)
Sans même évoquer ces incidents, il semble évident que les compétences des surveillants, dans leur travail d’écoute et d’observation, ne sont pas suffisamment utilisées ou mises en valeur :
« Si les surveillants restent trop attachés actuellement à des questions d’horaires ou d’emplois du temps, cela est lié au fait qu’ils sont complètement instrumentalisés et qu’ils ne peuvent prendre aucune initiative. Or ces initiatives et ce travail seraient complémentaires de celui des conseillers d’insertion et de probation dans la mesure où ils pourraient s’intéresser à la situation des détenus et participer à la résolution d’un grand nombre de problèmes posés par l’incarcération. » (M. Michel Pouponnot, membre de l’Union générale des syndicats pénitentiaires CGT)
Ainsi, rares sont les établissements où les carnets d’observation, sur lesquels les surveillants inscrivent tout ce qui a trait à la vie en détention, continuent d’être tenus :
« Dans beaucoup d’établissements, les surveillants tiennent des carnets d’observation, que les procureurs ont le droit de consulter. Certains se les font systématiquement communiquer, les lisent, alors que d’autres ne les réclament pas. Dans certains établissements, les carnets d’observation sont tombés en désuétude parce que si le chef d’établissement ou sa hiérarchie intermédiaire ne les exploite pas et si, par ailleurs, les procureurs ne les demandent pas, le personnel ne ressent plus la nécessité de les tenir. Quand l’inspection des services pénitentiaires se rend en établissement, elle se fait automatiquement communiquer les carnets d’observations des surveillants et les suites qui ont pu être données aux observations, mais leur tenue est très inégale selon les établissements. » (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
C’est pourtant là, dans cette capacité d’observation, que se situent les conditions d’une revalorisation du métier pénitentiaire, en même temps qu’un facteur d’apaisement de la détention. Le projet d’exécution des peines, qui permet de réfléchir sur la durée de détention propre à chaque détenu, est un début de réponse qui permet également de mieux impliquer le surveillant.
La mise en ouvre d’un véritable travail en équipe doit également être considérée comme une nécessité. Cette question sera abordée ultérieurement.

 ? L’isolement professionnel est également un isolement psychologique, alors même que les conditions de travail sont pénibles et génératrices d’angoisse :
« En tant que psychiatre, j’évoquerai ensuite, au risque de vous surprendre, l’absence de travail de la part de tous ceux qui vivent en milieu pénitentiaire, notamment les directeurs, les gradés, les personnels de surveillance, sur la culpabilité ressentie par un adulte à enfermer quelqu’un. J’enseigne à l’école nationale de l’administration pénitentiaire depuis onze ans, je sais que ce travail n’est pas fait. Certes, il y a la caution de la décision d’un magistrat ; l’arrestation par les policiers est un acte ponctuel, les magistrats interviennent dans le procès pénal en bonne et due forme, mais après il y a des gens qui pendant cinq ans, dix ans, six mois sont chargés d’enfermer leur prochain. Or ce travail-là me semble totalement évacué. Il n’y a pas de formation à l’école et par la suite, il n’y a jamais de débat sur ce que représente pour un homme le fait d’enfermer un autre homme ou pour une femme d’enfermer une autre femme. Cela me semble être à l’origine de toute la difficulté des métiers des personnels de surveillance.
De plus, se pose la question de l’absence de la parole dans la culture pénitentiaire. Quand il se passe quelque chose de difficile dans un service hospitalier, on en parle. Comme dans beaucoup d’institutions, on organise une réunion de services, un briefing. Dans l’administration pénitentiaire, cela n’a pas lieu. Par exemple, après une pendaison, un surveillant dépend le détenu, rédige un rapport sur les circonstances et c’est tout. Ensuite, on n’en parle pas. Cela n’est pas prévu. Ce travail sur la culpabilité d’enfermer les autres est très important et concerne les personnels de direction comme ceux de la base. » (Docteur Betty Brahmy, chef du SMPR de Fleury-Mérogis)
La carence de l’accompagnement psychologique a souvent été dénoncée ; il n’y a effectivement qu’un psychologue par direction régionale ce qui apparaît nettement insuffisant.
La création de lieux d’écoute, hors hiérarchie, permettant aux personnels témoins ou victimes d’événements graves, tels qu’agression ou suicide, de s’exprimer, serait souhaitable.

 ? Il ne faut pas s’étonner, face à cet isolement profondément ressenti par l’ensemble des surveillants, que la question des passerelles vers d’autres professions ait été maintes fois évoquée.
Les perspectives de carrière des surveillants apparaissent effectivement peu motivantes :
« Notre carrière est effectivement rapidement bouchée : j’ai 35 ans, je suis premier surveillant, au mois d’août je serai en fin de carrière. Il y a de quoi être découragé ! Nous recrutons des jeunes diplômés - qui possèdent parfois un bac + 2, + 3, voire + 4 ou + 5 - qui ont envie de faire carrière dans l’administration pénitentiaire pour accompagner les détenus et être utiles à la société. Or le système administratif les décourage ; ils sont broyés dans la masse, par des notes, des appréciations données par des anciens qui ne comprennent pas la nouvelle génération de surveillants - qui a beaucoup plus de contacts avec les détenus. » (M. Jean-Luc Aubin, secrétaire général de l’UFAP)
L’ensemble de la profession réclame donc davantage de perméabilité entre les fonctions, et notamment entre le milieu fermé et le milieu ouvert.
« Il faut également réfléchir à décloisonner l’administration pénitentiaire vers le milieu ouvert, vers les SPIP - services pénitentiaires d’insertion et de probation - car le personnel pénitentiaire pourrait se charger du contrôle extérieur, sans pour autant investir le corps des socio-éducatifs. Il suffit de regarder le nombre de personnels pénitentiaires qui quittent la profession pour se rendre compte qu’il y a un malaise. » (M. Jean-Luc Aubin, secrétaire général de l’UFAP)
« Les centres pour peines aménagées permettraient aux personnels pénitentiaires de jouer un rôle de tuteur pour guider le détenu vers l’extérieur. Nous proposons, en effet, que nos missions aillent au-delà du milieu fermé car nous connaissons parfaitement les détenus et parce que cela permettrait de porter remède à la frustration des personnels pénitentiaires.
Les travailleurs sociaux ne peuvent, ni ne souhaitent, être les seuls à faire respecter le contrat en dehors de la prison. Ils ne souhaitent pas non plus s’occuper du bracelet électronique. Ils sont d’accord pour exercer un accompagnement social mais ne souhaitent pas aller au-delà. La réinsertion et la sécurité vont de pair. On refuse au personnel pénitentiaire une participation à ces missions. Il en résulte des frustrations. » (M. Serge Alberny, secrétaire général du syndicat national FO des personnels de surveillance).
Le décloisonnement mérite d’être étudié avec attention : il permettrait, en premier lieu, très certainement de crédibiliser aux yeux des magistrats, les solutions en milieu ouvert, alternatives à la détention. Il serait de plus le préalable à une mise en place d’un régime progressif, permettant de procéder à la libération du détenu par paliers successifs, avec des régimes de détention de plus en plus souples à l’instar de ce qui se pratique au Canada. Enfin, il responsabiliserait davantage le surveillant dans le processus d’insertion :
« Ces derniers, qui doivent garder les détenus, doivent aussi participer à leur réinsertion et devraient pouvoir connaître la situation du détenu une fois qu’il a recouvré la liberté. Notre travail est intéressant, nous sommes chargés d’établir des relations humaines avec les personnes incarcérées, mais nous ne sommes pas tenus informés des suites une fois ces personnes libérées. Dès lors, nous avons l’impression de travailler non pas avec des hommes mais sur un produit. » (M. Serge Alberny, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire FO des personnels de surveillance)
Plus généralement, il est important de réfléchir à la mise en place de passerelles entre l’administration pénitentiaire et les autres administrations : l’expérience professionnelle qui caractérise les surveillants, avec la connaissance qu’ils ont de la délinquance, de la pratique et de la gestion de la détention, devrait être valorisée et mieux utilisée.

c) L’absence d’un cadre normatif adéquat

Le désarroi des surveillants est d’autant plus grand qu’ils ne disposent pas d’un cadre normatif incontestable pouvant servir de référence quotidienne à leur exercice professionnel.
Ils se trouvent dès lors constamment contraints de gérer le conflit entre l’application des normes et les réalités quotidiennes de la détention :
« Nous craignons qu’il y ait un décalage entre la norme et la réalité. Toutes les lois ne peuvent pas s’appliquer à la Santé, du fait de l’insalubrité de l’établissement ; la loi Evin sur le tabac, par exemple, ne peut pas être appliquée dans les établissements pénitentiaires - qui sont pourtant des établissements publics -, et les détenus non-fumeurs côtoient donc les fumeurs. Or un détenu qui aura connaissance de cette loi - et donc de ses droits - pourra exiger son application ; l’administration pénitentiaire sera sanctionnée et par conséquent le surveillant concerné également.
Un grand nombre de nos collègues sont déjà poursuivis pour non-application de règlements suite à des plaintes de détenus. Or nous ne les supportons plus. Nous souhaitons que soit établie une présomption d’innocence ; il faut que l’on reconnaisse que le personnel pénitentiaire ne peut pas appliquer la législation du fait de la vétusté des établissements. Ce manque de moyens ne permet pas à la norme de s’appliquer.
Quand un détenu arrive à la Santé, le surveillant, qui est le seul à prendre des décisions puisqu’il y a un manque de gradés important dans les établissements, affecte le détenu où il peut, en essayant de tenir compte de ses affinités, de son origine raciale, etc. » (M. Jean-Luc Aubin, secrétaire général de l’UFAP)
Les surveillants se trouvent ainsi démunis de repères face à des pratiques essentielles de leur métier ; la frontière entre ce qui relève de leurs obligations professionnelles et ce qui paraît être, aux yeux de l’opinion publique, un abus de position dominante est souvent ténue :
« La réalité des règles est une des questions importantes. Certaines règles ne sont en réalité pas applicables ou alors dans des conditions extrêmement difficiles. Cela pose un problème quotidien aux personnels pénitentiaires : soit, ils appliquent la règle et il y a des incidents ; soit, ils ne l’appliquent pas, et ils ont ou auraient affaire à l’inspection. Le type même de cette règle est la fouille intégrale. Telle qu’elle est enseignée et pratiquée, elle est, sur un plan strictement moral, évidemment dégradante. Elle consiste à être nu, à s’agenouiller, à tousser, à subir des inspections extrêmement minutieuses, ce qui, vous l’imaginez, n’est absolument pas agréable. Les détenus protestent, créent des incidents et les surveillants, plus ou moins démunis, reculent progressivement. Je ne suis pas sûr - disant cela, vous me comprendrez à demi-mot - que ces fouilles soient systématiquement réalisées comme elles le devraient. Faut-il un jour prendre le risque de les supprimer au prix de la sécurité des surveillants ou faut-il les valider, les encadrer très strictement et les faire subir aux détenus ? C’est un point de vue qui dépasse très largement le personnel pénitentiaire, c’est presque un point de vue de société :continue-t-on à tolérer de telles pratiques ou y oblige-t-on ? Il en va de cette règle comme d’un grand nombre de règles de sécurité. » (M. Philippe Maître, chef de l’Inspection des services pénitentiaires)
Les personnels pénitentiaires réclament donc un cadre référentiel pratique qui permettrait de mieux gérer leurs droits et devoirs ; le statut spécial mis en place par l’ordonnance du 6 avril 1958, précisé par le décret du 21 novembre 1966, n’apparaît pas être un cadre pertinent à cet effet ; ce statut qui, en contrepartie d’obligations et sujétions spécifiques, accorde des droits et avantages, paraît beaucoup trop général pour l’exercice d’une pratique quotidienne. Il est de plus fortement contesté, notamment en raison de l’interdiction du droit de grève et du renforcement du devoir de réserve qu’il instaure.
Consciente de la nécessité de mieux encadrer le personnel surveillant dans ses missions quotidiennes, l’administration pénitentiaire a procédé à une véritable réflexion sur la carrière de surveillant ; elle s’est d’abord dotée d’un référentiel des métiers et de la formation qui va permettre une clarification des missions de chaque agent.
Ce référentiel permet en théorie de mieux décrire les emplois et leurs contributions aux missions de service public et de mettre en place la gestion prévisionnelle qualitative et quantitative des ressources humaines. La mise en pratique de ce référentiel paraît cependant beaucoup plus incertaine : fourni aux établissements sans méthodologie pour son usage, cet outil reste pour l’instant encore totalement sous-utilisé.
Avec plus de succès, l’administration a rédigé ou procédé à la mise à jour d’un mémento sur les droits et obligations des personnels pénitentiaires ainsi qu’un mémento du surveillant. Le premier reprend, sous forme de rubriques thématiques, la réglementation générale applicable à tous les fonctionnaires et celle, spécifique, qui découle du statut spécial. Le second rappelle les bases fondamentales de la réglementation pénitentiaire et vise à aider le surveillant à mieux remplir ses fonctions de sécurité et d’observation. Il lui permet ainsi de répondre aux questions les plus courantes des détenus.
Parallèlement à ces aspects pratiques, l’administration s’est également livrée, en concertation avec les syndicats, à une réflexion sur la déontologie du métier de fonctionnaire pénitentiaire.
Un projet de code de déontologie pénitentiaire est actuellement à l’étude ; déjà présenté à la commission consultative des droits de l’homme, il sera bientôt soumis pour examen au Conseil d’Etat. Ce projet semble toutefois contesté, non pas tant sur le fond des principes qu’il énonce, mais sur son caractère directement applicable en détention ; trop général, il se résumerait davantage à une succession de bonnes résolutions qu’à un manuel pratique.
Enfin, il faut se féliciter que la loi portant création d’une commission nationale de déontologie de la sécurité ait finalement inclus, dans son champ de compétences, le personnel pénitentiaire ; la commission est une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie dans les services et organismes, aussi bien publics que privés, exerçant des activités de sécurité en France. Le personnel pénitentiaire était, dans le projet du gouvernement, exclu du contrôle de cette commission ; les syndicats rencontrés se sont tous félicités que, finalement, les agents pénitentiaires aient été reconnus, à parité avec les forces de police, comme exerçant une fonction de sécurité.
La réflexion sur le métier de surveillant doit être poursuivie en impliquant l’ensemble des intervenants de l’administration pénitentiaire. Surtout, leur action doit pouvoir s’appuyer sur une définition précise de ce que doivent être les missions de l’administration pénitentiaire et s’accompagner également, de façon plus large, d’une réflexion sur le sens de la peine. Cette réflexion a également été un thème de travail de la commission d’enquête : nous aurons l’occasion d’y revenir.
Face à l’enjeu que constitue la transformation des métiers, de véritables plans de formation et d’accompagnement des personnels doivent être mis en place. Ils sont la condition d’une bonne compréhension et de la bonne mise en ouvre des réformes.