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I. B. 2- Des conditions de détention inégalitaires.

Mise en ligne : 17 janvier 2003

Dernière modification : 17 janvier 2003

Texte de l'article :

La première des inégalités dans la vie en détention provient de la différence de traitement selon les types d’établissements : maison d’arrêt ou établissement pour peine. Il s’y ajoute la grande variété des conditions d’accueil dans les établissements.

a) L’hétérogénéité des établissements

Etre incarcéré à Fresnes, à Fleury-Mérogis ou bien dans une petite maison d’arrêt, en centre ville, telle celle de Bourg-en-Bresse (63 détenus), de Gap (27 détenus), de Vesoul (48 détenus) ou de Montbéliard (40 détenus) n’offre, au regard des conditions de détention, de l’organisation des activités, de l’esprit de l’établissement que peu de points communs.
Les métiers du personnel pénitentiaire n’y sont pas non plus les mêmes, comme il n’est pas le même dans les établissements du programme 13 000.

 ? des établissements de taille très variable

71 établissements pénitentiaires ont une capacité inférieure à 100 détenus, alors que les cinq plus grandes maisons d’arrêt accueillent 18,6 % d’entre eux.
Comme cela a déjà été dit, personnels et détenus s’attachent à louer le fonctionnement des établissements, de taille moyenne, situés en centre ville. Cela a pu être constamment vérifié au cours des visites effectuées et il faut y insister.
La qualité des relations qui se nouent dans ces établissements autorise leur bon fonctionnement, même quand ils connaissent des conditions difficiles en termes de confort, de locaux ou d’installation.
On peut tout de même déplorer que l’hébergement en dortoirs soit encore pratiqué : Colmar, Alençon (jusqu’à 15 détenus), Troyes, Belfort, Lure, Nancy (dortoirs de 6 à 16), Basse-Terre, Mont-de-Marsan... et que, bien souvent, la cuisine soit entièrement assurée par les détenus et qu’en l’absence du matériel nécessaire, les plats soient servis froids comme à Chaumont par exemple.
Les petites maisons d’arrêt présentent aussi souvent l’inconvénient d’offrir des activités en nombre très limité. Etant généralement situées en centre ville, elles ne disposent pas toujours de locaux, de cours de promenade ou d’équipements sportifs suffisants.
Par exemple, à Sarreguemines (maison d’arrêt), aucune activité sportive réellement organisée n’est possible : la cour (683 m²) sert en même temps pour le sport et la promenade. La petite salle polyvalente est utilisée pour les activités socio-éducatives, les cultes, les réunions diverses, la musculation et le tennis de table.
Mais, dans un petit établissement, tout le monde se connaît et la résolution des problèmes est immédiate.
La vie en détention et le métier de surveillant sont totalement différents quant, sur un étage de détention, un seul surveillant est en charge de 100 détenus comme c’est le cas dans certains grands établissements. Aux Baumettes, un seul surveillant peut couvrir deux ailes de détention, ce qui représente, sur une longueur de 200 mètres, 130 ou 150 détenus à gérer.
Ils sont aussi différents dans les établissements les plus modernes. Les prisons de Lyon sont certes surpeuplées et extrêmement vétustes. Mais les détenus ne souhaitent pas être transférés à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, occupée à 89 %, pour des raisons liées à son implantation et à son mode de fonctionnement, mais aussi à sa capacité à mieux assurer la surveillance des détenus comme cela a déjà été noté.
Les conditions d’hébergement et l’organisation du travail du personnel ont aussi des répercussions sur la vie matérielle en détention.
Le décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 a prévu l’accès aux douches trois fois par semaine. Dans certains établissements (généralement des établissements pour peine), l’accès aux douches ne fait l’objet d’aucune limitation, dans d’autres, comme à la maison d’arrêt de Rennes, cette règle de trois douches hebdomadaires reste inappliquée, notamment pour des raisons de production d’eau chaude. Selon l’administration pénitentiaire, pour y parvenir, des aménagements de structures sont nécessaires dans 20 % du parc pénitentiaire.

 ? des choix technologiques contestables

Il faut aussi insister sur les choix technologiques en matière de sécurité qui ont été opérés dans le cadre du « programme 13 000 ». En effet, ils ont profondément influé sur le type de relations humaines existant dans ces établissements.
La mise en place d’un contrôle électronique des détenus a sédentarisé les agents dans leur poste de contrôle diminuant ainsi leurs contacts avec la population pénale. Cette évolution n’a pas été vécue de façon positive.
« Bien entendu, un recrutement a eu lieu, notamment dans le cadre du plan 13 000, mais en même temps, le personnel de surveillance posté aux grilles ou aux portes a été remplacé par des moyens électroniques - le contact humain entre les détenus et les surveillants a ainsi été coupé. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le nombre de suicides est moins élevé dans les établissements anciens - notamment à la Santé - où les surveillants aux grilles et aux portes sont encore en poste. Ces établissements sont plus humains, même si leur vétusté est tout à fait déplorable. » (M. Jean-Luc Aubin - Union Fédérale Autonome Pénitentiaire).
A cette organisation du travail, s’ajoute le peu de personnel avec lesquels les établissements récents fonctionnent et les conséquences que cela peut avoir comme l’a souligné Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire :
« Les normes en matière de personnel pour les établissements récents correspondent à l’accomplissement d’un certain nombre de fonctions. Dans la mesure où il s’agit d’établissements conçus avec une grande rationalité, ils sont globalement économes en termes de personnels, mais avec des conséquences, par exemple, pour les surveillances des cours de promenade. Contrairement aux établissements d’autrefois, il s’agit de grandes cours pour lesquelles la surveillance est prévue, soit par une échauguette, soit par un mirador, et de fait, il n’y a pas de surveillants dans la cour de promenade. Lorsque cent personnes sont sur une telle cour, on ne peut y envoyer une seule personne, même si le terrain est surveillé de l’extérieur, car elle serait aussitôt agressée. On serait obligé d’envoyer plusieurs surveillants. Il s’y reproduit des phénomènes de terrains vagues ou de cours d’immeubles de banlieue. Si nous voulons lutter contre de tels phénomènes, qui entraînent de la violence et des phénomènes de caïdat, il faut grossir les effectifs, en nombre significatif, ce que nous n’avons pas fait jusqu’à présent compte tenu de nos difficultés en personnels. »
Cette remarque est à ajouter aux réflexions qui ont été faites précédemment sur le programme de construction.

 ? des règles de vie disparates

Il a été constaté à de multiples reprises que des éléments de la vie quotidienne en détention pouvaient varier considérablement d’un établissement pénitentiaire à l’autre sans être directement induits par le type d’établissement (maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale).
Il en va ainsi du téléphone : conversations écoutées et enregistrées à Clairvaux, écoutes ponctuelles avec contrôle des numéros appelés au centre de détention de Caen, accès libre et non limité au téléphone au centre de détention de Val-de-Reuil. Dans ce dernier établissement, les cartes téléphoniques sont devenues, du fait de cette pratique, une véritable « monnaie » parallèle qui suscitent des vocations de collectionneurs.
Cette disparité se retrouve dans les appareils autorisés qui varient d’un établissement à l’autre. Ceci suscite des conflits et génère un sentiment d’arbitraire lors des transferts de détenus. Par exemple, une chaîne Hi-Fi achetée dans un établissement ne pourra être conservée à l’arrivée dans un autre.
Il en va de même quant aux tarifs applicables aux locations de téléviseurs : règles de gratuité différentes (service général, indigents) et tarifs variables qui peuvent atteindre 250 francs mensuels (Melun), alors qu’à Colmar 185 francs mensuels permettent de louer téléviseur et réfrigérateur. Ceci renvoie d’ailleurs à la question de la transparence de la gestion des associations socio-culturelles et sportives.
Des différences existent aussi dans les tarifs des cantines. Ils ont été dénoncés comme prohibitifs dans certains établissements « 13 000 » par les détenus, mais aussi par les surveillants.
Le rapport de gestion de l’administration pénitentiaire fait plutôt apparaître que le prix du « panier du détenu » (sélection d’articles les plus fréquemment achetés) est pourtant légèrement inférieur dans ces derniers.
Il est vrai que le choix d’un fournisseur de proximité ne permet pas toujours de pratiquer les prix les meilleurs.
Un groupe de travail a été constitué sur le fonctionnement des cantines afin de formuler des propositions sur leur organisation et leur réglementation, en particulier en liaison avec les règles de la comptabilité publique.

b) La fiction des régimes de détention

Le premier paradoxe de la vie en prison tient au fait que le régime de détention le plus strict s’applique aux prévenus, donc aux personnes incarcérées qui sont présumées innocentes.

 ? Le régime applicable aux prévenus

Il existe, en effet, une très forte distorsion entre la situation des condamnés exécutant leur peine dans un centre de détention et celle des prévenus, en maison d’arrêt, à la fois en termes de conditions matérielles et de règles applicables.
Les maisons d’arrêt, comme cela a été dit, offrent des conditions d’accueil bien moins bonnes que les établissements pour peine. Le régime de détention y est en outre plus sévère puisqu’il repose sur le principe de l’encellulement, alors que les circulations sont beaucoup plus libres dans les autres établissements, surtout quand s’y applique le régime « portes ouvertes. »
L’article 716, alinéas 1 et 2, du code de procédure pénale dispose que : « Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail. »
Cet article a pour fondement essentiel la présomption d’innocence qui implique que le détenu provisoire ne se voit pas imposer des contraintes telles que la promiscuité. Il est lié aussi au fait que le magistrat instructeur peut exiger que, pour les nécessités de l’instruction, le détenu soit isolé des autres.
Or cette règle régit le fonctionnement de l’établissement, alors même que sa raison d’être n’est pas respectée puisque les détenus en maison d’arrêt sont rarement seuls en cellule.
En outre, la règle n’est pas respectée partout : ainsi, la maison d’arrêt de Borgo en Corse a connu une période où les cellules étaient ouvertes de 7 heures du matin à 5 heures du soir et les détenus y circulaient librement. Les prisonniers bénéficiaient ainsi, à l’intérieur de la maison d’arrêt, d’une certaine liberté pendant la journée. Un retour au droit commun a eu lieu à la suite d’une évasion. Il suscite des protestations de la population locale ; des organisations comme la ligue des droits de l’homme se sont mobilisées pour obtenir la réouverture des cellules. Ce mouvement conduit à s’interroger sur le bien-fondé des règles qui s’appliquent en maison d’arrêt.
Les détenus provisoires ont le droit de recevoir des visites et peuvent correspondre, par écrit, librement avec toute personne de leur choix. Leur courrier peut être communiqué, sur sa demande, au magistrat instructeur. Certaines correspondances sont couvertes par le secret. Par contre, ils ne peuvent bénéficier de permissions de sortie et ils n’ont pas le droit de téléphoner.
Ces dispositions, qui peuvent parfois mais pas dans tous les cas, être justifiées par les nécessités de l’instruction, deviennent problématiques quand la détention provisoire, compte tenu des délais de jugement, dure plusieurs années.
La plupart des Etats européens autorisent l’accès au téléphone pour les prévenus, certains imposant certaines restrictions (par exemple : il existe un délai impératif de 5 jours d’attente en Belgique, les appels sont limités à des motifs urgents et spéciaux en Finlande, l’autorisation du juge d’instruction en Pologne ou au Luxembourg est requise).
Après sa visite en France, en octobre 1995, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a demandé à la France de reconsidérer l’interdiction généralisée de l’accès au téléphone pour les prévenus.
Le gouvernement avait alors indiqué qu’il n’envisageait pas de réforme sur cette question, liée aux exigences de l’instruction judiciaire et aux causes du placement en détention provisoire.
Cette réforme de l’accès au téléphone doit être sérieusement envisagée, sachant quelle soulève la question préalable des modalités de contrôle par le juge d’instruction et celle de sa faisabilité matérielle.
Le deuxième point qui soulève des difficultés pratiques est celui du régime des autorisations de sortie sous escorte qui permet d’assister à des événements familiaux, heureux ou graves. L’Association française des magistrats chargés de l’instruction préconise son assouplissement :
« Il existe une permission de sortie sous escorte, mais, là encore, c’est une démarche très lourde à organiser et c’est, finalement, très mal perçu de l’extérieur. Il m’est arrivé d’en organiser en cas de décès, pour qu’un détenu puisse assister à des obsèques ou rendre visite à un parent malade, mais la procédure est d’une telle lourdeur que nous ne le faisons pas. Cela peut avoir des répercussions importantes sur le prévenu qui aurait voulu participer encore un peu à sa vie de famille, ce qui est une préoccupation tout à fait normale. Je pense que nous pourrions réfléchir à faciliter ce type de mesures. » (Mme Sophie-Hélène Château)
Plus généralement, une réflexion sur le régime des prévenus est indispensable.

 ? Le cas des condamnés exécutant leur peine en maison d’arrêt

Les condamnés à de courtes incarcérations (de moins d’un an) exécutent leur peine en maison d’arrêt. Cela est aussi le cas des condamnés à des peines plus longues qui, pour les raisons diverses déjà évoquées (nombre de places limité en établissement pour peine, longueur des procédures d’affectation), sont maintenus dans ces établissements. Pour des raisons tout à fait contingentes, ils vont y exécuter une partie, parfois plusieurs années, de leur condamnation.
Ces condamnés sont soumis au régime de l’établissement, donc au régime maison d’arrêt.
L’inégalité, sans fondement, dans l’exécution de la peine qui en résulte est une injustice criante qui est très mal ressentie.
Ils bénéficieraient, dans l’établissement où ils devraient être affectés, d’un régime plus souple et de structures plus développées en matière d’actions socio-éducatives et d’insertion.
Pour en revenir au seul usage du téléphone, aucune mesure n’est prévue pour son usage par les condamnés en maison d’arrêt. Il est vrai qu’une évolution en ce domaine est freinée par l’éternel problème des maisons d’arrêt, celui de leur surencombrement qui conduit à ce que prévenus et condamnés ne soient pas incarcérés séparément. Dès lors, l’administration pénitentiaire invoque le fait que cet accès pourrait créer des tensions.
Une réflexion globale sur cette question est donc indispensable.
Cette contrainte ne saurait, en tout cas, être soulevée en ce qui concerne les permissions de sortie.
Les condamnés, exécutant leur peine en maison d’arrêt, ne bénéficient pas des dispositions de l’article D 146 du code de procédure pénale. Cet article permet aux condamnés n’ayant plus que trois ans de peine à exécuter, de bénéficier, de permissions de sortie pour événement familial grave dès l’exécution du tiers de leur peine (au lieu de la moitié). Cette possibilité n’est ouverte qu’en centre de détention et ne s’applique pas en maison d’arrêt sans que l’on voie très bien quel obstacle pourrait s’y opposer, le juge d’application des peines restant de toute façon maître de la décision.
A tout le moins, il devrait être permis aux condamnés exécutant leur peine en maison d’arrêt, de bénéficier des permissions de sortie dans les mêmes conditions que s’ils étaient en centre de détention.

 ? Le régime de détention atypique de Casabianda

Situé au bord de la mer sur la côte orientale de la Corse, le centre de détention de Casabianda qui accueillait, au 1er janvier 2000, 210 détenus, tous condamnés pour délinquance sexuelle, dont certains à de longues peines, ne ressemble absolument pas, aux dires des membres de la commission qui l’ont visité, à l’idée que l’on se fait d’une prison : pas d’enceinte, cellules ouvertes, pavillon pour accueillir les couples dans la journée. Les détenus y travaillent à des travaux agricoles et sont correctement rémunérés. Il n’y a que peu d’incidents, pas de violence, pas de caïdat, pas d’évasion ; la menace d’être transféré dans un autre centre de détention semble très dissuasive ce qui illustre bien le caractère inégalitaire de la détention, selon l’établissement où l’on se trouve incarcéré.