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Histoires de vie : Que dire de Christine par J-M Carré

Mise en ligne : 8 mars 2003

Dernière modification : 8 mars 2003

Texte de l'article :

Que dire de Christine ?

Que dire de Christine, qui ayant subi un inceste à 9 ans, pris son courage à deux mains pour l’avouer à sa mère, ce qui entraîna le lendemain le suicide de son père dont elle se sentira éternellement responsable ? Dès cet instant, comment une jeune femme aussi intelligente et pleine de vie, pouvait elle encore réaliser la différence entre le bien et le mal, le permis et l’interdit. Elle n’était pas fière d’être la « recordwoman » des récidivistes de Fleury, elle ne faisait que le subir avec dépit. Que penser des juges qui immanquablement la remettaient en prison, à chaque incartade d’une banalité effrayante, celle qui naît uniquement des simples nécessité de survie ? Peut-on blâmer Christine de ne pas avoir envie, dans quelque prétoire que ce soit, de raconter sa blessure secrète à un juge ? Ne vient-il jamais à l’idée d’un magistrat qu’il y a sûrement des raisons dans une vie, qui expliquent un minimum une telle attitude face à la loi ? Comment nier pourtant son immense rage de s’en sortir, comme j’ai pu en être le témoin. Elle refusa une libération conditionnelle pour apprendre le métier de tisserand haute couture dans une prison de province. Peut-on lui reprocher d’y avoir cru, de s’y être donné à corps et âme avec un véritable talent, pour comprendre quelques mois plus tard que son rêve, lorsqu’il s’est agi de le poursuivre une fois libérée, comme c’était prévu, n’était qu’une vaste escroquerie d’une association, et que rien n’existait dehors, excepté de repeindre des locaux insalubres ? L’incurie des pouvoirs pénitenciers, autant que celle de certaines associations, était une fois de plus flagrante. De nouveau, mais peut être une fois de trop, Christine est revenue à Paris désespérée. A l’issu d’un procès, devant l’absurdité de ses incarcérations à répétition, un juge lui a pourtant donné un TIG. Elle s’est retrouvée à faire le ménage dans une mairie, à mi-temps, naturellement gratuitement puisque c’était une peine. Avec quoi manger, s’habiller, se loger ? Des questions sans importances pour une justice qui avait eu la bonté de lui donner du travail plutôt qu’une peine d’emprisonnement.

Pour survivre, Christine était obligée de faire de petits vols pendant son autre mi-temps ! Quel bel exemple aussi pour restructurer un individu intelligent et créatif comme elle que de lui présenter le travail sous la forme la plus inintéressante et surtout sans la moindre rémunération. Cela me rappelait le travail en atelier que j’avais observé en prison. Même si certaines jeunes femmes démunies l’acceptaient à contrecœur, beaucoup de jeunes délinquantes le refusaient sous le prétexte compréhensible qu’on ne leur donnait jamais la possibilité d’en trouver à l’extérieur. En plus d’être scandaleusement mal payé (environ 400 francs par mois pour 6 heures de travail répétitif par jour), il réduit le peu de vie en prison à la navette de l’atelier à la cellule, et de la cellule à l’atelier. A Fleury, comble de la perversité envers les toxicomanes, on leur faisait réaliser des perfusions pour l’Assistance publique.

Encore aujourd’hui, Christine continue à sortir, rentrer, ressortir de prison. Cela continuera-t-il jusqu’à ce que son sida arrête définitivement cette course folle ?

J.-M. C.

 

Jean-Michel Carré a réalisé sept films sur l’univers carcéral et ses conséquences : Femmes de Fleury, Prière de réinsérer, Laurence, Galères de femmes, Vive la liberté, Les enfants des prisons, Les matonnes, Yannick et une série de trois courts métrages sur les problèmes de santé en prison. Ces filmes sont disponibles aux Films Grain de Sable, 206 rue de charenton 75012 (tel 01 43 44 16 72).

Le texte est issu de son article, publié dans Prisons : quelles alternatives ?, Panoramiques, Édition Corlet, n°45, 2000, p 144-157.