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Hermès n°11 : Le Verrou

Mise en ligne : 21 février 2004

Texte de l'article :

Le verrou

Notre civilisation actuelle pourrait s’appeler « civilisation du verrou » tellement le sentiment d’insécurité est grand dans la population française. N’est-ce pas étonnant d’en arriver à une telle caractérisation dans un pays qui se dit terre de liberté ? Non, pas vraiment, car si vous réfléchissez bien, vous constaterez que le verrou est présent partout, concernant tous les biens matériels, sous des formes très variées, parfois très sophistiquées. Le verrou est fait pour protéger. Mais protéger qui quand, quoi et comment ?

Il permet, lorsqu’on est chez soi, de se protéger contre toute forme de criminalité : vol, banditisme, barbarie, meurtre, viol… L’expression bien de chez nous « S’enfermer à double tour » pourrait s’énoncer aujourd’hui « Mettre des verrous partout. Mais hélas, l’expérience le prouve, cette précaution ne suffit plus à déjouer le plan des criminels de plus en plus malins et acharnés.

Lorsque vous êtes prisonnier, le verrou, placé uniquement à l’extérieur de la porte de la cellule est là aussi pour vous protéger. De qui, de quoi ? Eh bien des agressions éventuelles d’autres détenus qui vous voudraient du mal. Si d’aventure, il vous arrive d’être agressé par un co-détenu de votre cellule, le fauteur de troubles est immédiatement expédié dans une autre cellule. Vous voyez qu’on pense à votre sécurité en prison…

Lorsque l’on m’a enfermé dans cette maison d’arrêt, j’ai lu sur le journal une expression que je n’ai pas comprise tout de suite, annonçant ni plus ni moins que j’étais mis « sous les verrous ». Dans ma naïveté de détenu primaire, je pris cette expression à la lettre et je me vis déjà condamné à rester cloué au sol, ligoté par des tas de verrous que l’on m’aurait placés un peu partout sur le corps. Mon imaginaire débordant m’amena aussi à penser que je risquais de passer tout mon temps sous les verrous, comme on attend un événement annoncé sous l’épée de Damoclès. Allais-je rester debout indéfiniment, les mains dans le dos, en attendant que la célèbre épée me tranchât la tête ? L’image d’une torture à la fois physique et morale me coupa le souffle. Heureusement, lorsque je vis mes co-détenus dans des positions de totale liberté, et même de grand confort, je fus rassuré, mais tout de même amusé par le côté bizarre e certaines tournures française.

Déjà, lorsqu’un magistrat m’avait dit que j’étais écroué, j’avais réagi avec la même naïveté puérile en essayant de traduire, au niveau de mon corps, l’image de la vis serrée à fond dans son écrou et donc douloureusement prisonnière de ce dernier. Heureusement, une fois arrivé au greffe de la maison d’arrêt, on m’attribua un numéro d’écrou. Et cela me rassura car le nombre, étant une abstraction, ne peut être dangereux.

Depuis que je suis incarcéré, je ne comprends plus l’expression « il es derrière les barreaux » ? Je suis d’accord, il y a effectivement des barreaux, et même solides, qu’ils soient verticaux ou horizontaux dans chaque cellule. Peut-être suis-je égocentrique ou peut-être les journalistes ne savent-ils pas faire preuve d’empathie ? En tous cas, au regard de mes co-détenus et du surveillant qui me regarde depuis la porte, je me trouve bien devant les barreaux et non pas derrière. Heureusement pour moi… Ou malheureusement pour moi…

Remarquez, par le rêve, je peux toujours m’y voir derrière. N’est-ce pas en prison que l’on se sent le plus libre dans sa tête ? En revanche, je me demande si l’opinion publique bien pensante nous donne vraiment ce droit de rêver, elle qui paye des impôts pour nous maintenir vivants…
En conclusion, je dirais que le verrou est une interface d’entrée / sortie. Il est sensé protéger de l’adversité nos biens matériels et humains. Un peu, ça va mais l’abus risque d’être dangereux pour ceux qui grillent facilement les fusibles.

CM