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Généalogie de la prison : l’immobilisme actuel

Mise en ligne : 9 juillet 2004

Texte de l'article :

1. Généalogie de la prison : l’immobilisme actuel

a. Prisons contemporaines et avenir proche.

Aujourd’hui, les réponses architecturales les plus intéressantes concernant les programmes de prison se résument le plus souvent à un reflet des tendances liées au design ; l’apport principalement attendu des architectes est de « moderniser » la prison. Mais aucune transformation des principes géométriques et sociaux qui gouvernent les plans de prisons depuis plus de deux siècles n’est véritablement perceptible.

Le design ou le « calque Bouroullec » est actuellement la source principale d’innovation opérée sur la cellule. Les options des architectes des derniers programmes, particulièrement attentifs aux détails, ne sont curieusement pas orientés sur les archétypes de l’habitat. Les cellules d’Architecture Studio évoquent plus l’esthétique hygiéniste sans matière des objets designés par les frères Bouroullec. L’idée plus générale d’un esthétisme en dehors du cadre de la construction s’exprime pour certains sans véritable justification. D’autres parlent de l’importance de la lumière comme gage de liberté ou encore d’acceptation de la détention (voir texte page ci-contre).

Quelle marge a-t-on laissé à l’imaginaire de ces équipes d’architectes ?

Le principe qui fait de tout lieu une prison dans la prison, qu’il s’agisse d’un couloir, d’une cellule ou d’une salle de gym, est immuable. Le fonctionnalisme vise à réduire les marges d’erreurs, la variabilité des déplacements, la différentiation des journées, des heures. Tout converge vers une efficacité industrielle.

Le matraquage médiatique attire l’attention de la société sur des questions de haute surveillance, qui s’avèrent certainement le seul terrain que l’administration contrôle sans difficulté ; les évasions diminuent en moyenne de 50% chaque année depuis 2000, tandis que la médiatisation de ces mêmes évasions devient systématique.

L’ingéniosité, les inventions du concours Lépine sont les principaux outils de conception architecturale recherchés pour les nouvelles prisons : câbles anti-hélicoptères, jets d’eau, etc.

En 1997, la loi Cabanel prévoit le placement sous surveillance électronique des détenus (voir doc ci-contre et p 36 et textes p 38).

Pour pallier l’absence totale de projet social (ou peut-être l’impossibilité ?), de réflexion sur l’évolution de l’identité des personnes détenues, sur leur appartenance à une ou plusieurs collectivités, en somme sur tout ce que l’équilibre social requiert, l’architecte se rabat forcément sur de nouveaux principes d’organisation simplistes.

Si l’on considère la prison comme un lieu d’encadrement social, la privatisation représente forcement une perversion (voir texte p 40). Les prisons à venir font l’objet de grands marchés de projets qui privilégient les modes d’incarcération simples qui flattent avant tout les velléités sécuritaires, et les moindres coûts d’entretien et de gestion : ne pas prendre de risque, proposer une rangée de barbelés supplémentaire (voir textes p 30) , est-ce vraiment l’attitude que l’on doit attendre de l’architecte ?

L’architecte Guy Autran, récompensé par le ministère de la Justice de l’Ordre National du Mérite, déclare pourtant que son travail est humanitaire. « Le détenu et le surveillant acceptent involontairement l’enfermement », pense (involontairement) cet architecte. On imagine facilement comment un cahier des charges trop restrictif enferme l’architecte dans une problématique essentiellement sécuritaire, et comment de petites libertés apportées sont vécues comme des améliorations importantes. Mais l’architecte est-il invité à repenser véritablement l’environnement carcéral, à construire un projet qui rompt définitivement avec les vieux modèles, à être plus conforme à la Constitution française ?

Ce qui caractérise également les projets contemporains de prisons est la capacité à se concevoir pour soi-même comme des modèles génériques faisant abstraction de tout contexte urbain et paysager. La volonté d’excentrer les prisons, loin des villes, de les rendre difficiles d’accès, n’empêche pas en dernier ressort une réflexion sur le rapport du bâtiment à sa population, au sol, au territoire. On assiste désormais de façon systématique à une séparation entre l’idée du bâtiment et celle de l’enclos ; les réalisations matérialisent une enceinte qui marque l’étendue d’un territoire sur lequel sont construites les habitations. Les implantations sont toujours les mêmes.

A propos de l’enfermement en tant que prise en charge de la personne, nous nous sommes très vite aperçu lors de visites, que la cellule, la douche, le lieu de promenade s’inscrivent pleinement dans une problématique d’internat et non pas de lieu de vie pour adultes. Couchés et souvent drogués (voir le texte p 40) à longueur de journée, dans l’impossibilité de se prendre en charge ou d’entreprendre quoi que ce soit, les détenus sont d’abord privés des codes d’habitation de notre société. Comment approcher l’idée d’insertion sociale sans préserver les bases élémentaires qui structurent notre vie ? Les réalisations récentes ne semblent pas résoudre ce phénomène de désocialisation.

Quant aux nouvelles propositions d’alternatives à la détention, comme celle du bracelet électronique, elles rappellent étrangement les stigmates infligés au corps du détenu dans les siècles passés, comme la proposition grossière de Bentham de découper une manche plus courte que l’autre de façon à marquer le bras du prisonnier a vie par le soleil (voir textes p62).

Les prisons contemporaines, exemptes de toute pensée actuelle sur l’idée d’enfermement de la personne, sont des versions modernisées [1] de la prison idéale du 18e siècle.22 Septembre 2000.

b. le cachot

Avec l’invention du cachot, qui succède à celle de la torture du corps et à l’esclavage, vont s’esquisser les prémices de ce que l’on nomme aujourd’hui la torture blanche [2]. La punition trouve pour la première fois une traduction en terme de temps. Au lieu de sévices infligés sur le corps, le cachot sanctionne à coups de privations de liberté de mouvement.

Ce mode d’enfermement est particulier dans la mesure où il n’appartient pas à la société moderne et repose sur les systèmes hiérarchiques féodaux. Tout seigneur pouvait enfermer une personne dans un de ses cachots, de façon totalement arbitraire. De cette façon, le cachot est également le lieu collectif de mise à l’écart de personnes indésirables.

Le cachot est un mode d’enfermement dénué de toute volonté de sanction normative ; son utilité est uniquement la privation de liberté de mouvement. Il ne s’agit pas d’un mode de contrôle sur la personne en plus de son enfermement. En cela, le cachot exprime de façon précise, à la fois la nature violente de l’enfermement et les limites qui sont fixées dans l’intention de punir.

Le modèle du cachot est une architecture vierge et monofonctionnelle : sa seule vocation est l’enfermement physique. Toute architecture dont on boucherait les ouvertures deviendrait potentiellement un cachot. C’est le mur sans baie, dans son état le plus primaire. Il renvoie au mythe du mur chez Kahn dans lequel l’homme ouvre de plus en plus le mur jusqu’à obtenir une colonne, second élément construit qui lui donne le désir de l’architecture.

En somme, le cachot est une non-architecture en ceci que sa construction et sa fonction sont parfaitement liées non pas par une idée culturelle mais par une réalité physique. Cet état en fait un lieu d’enfermement générique. Il peut dès lors, non sans paradoxe, sembler plus évident de s’approprier son espace misérable plutôt que celui de la cellule moderne qui va avec un certain confort standardisé.

En dehors de ce qui relève de l’hygiène élémentaire, le fait d’être « confortablement » allongé sur un lit pendant 22h/jour représente-t-il une évolution significative par rapport aux conditions du cachot ?

Peut on apprécier le niveau de confort quelconque d’un lieu quand on y est constamment enfermé et à partir du moment où son cadre ne s’oppose à aucun autre modèle ? Le confort n’est-il pas après tout un ingrédient essentiel pour blanchir la torture ? Ne fait-il pas que pervertir l’intention violente de punir par l’enfermement ? La notion de confort, au regard de la vie sociale, de l’identité, de l’exercice physique, de la nature, n’est-elle pas secondaire dans la liste des besoins fondamentaux que chacun peut éprouver ?

Un cachot confortable est encore un cachot.

La morale contemporaine rejette dans le modèle du cachot les conditions de confort et d’hygiène. Alors que l’idée du détenu, « mieux lotis » entre les quatre murs de sa cellule, seul avec son âme, confronté à un monde absent, sans aucun regard sur la vie, voilà un principe que la morale ne conteste pas.

Etat originel violent mais sans perversion dans sa définition de l’enfermement, le cachot propre (l’actuelle cellule) perturbe finalement peu la bonne conscience.

Pourtant, comme on a pu s’en apercevoir, la vétusté du cachot ne semble pas être l’origine du principe de la torture blanche. 
 
Le taux de suicide dans l’environnement de la cellule au goût du jour, « designée » et aménagée pour qu’on y reste dans un certain confort, est plus important que dans les cellules de bâtiments anciens !

Le cachot renvoie à l’image d’une condition primitive fabriquée : l’homme nu au fond de d’une grotte (voir doc. ci-contre), c’est l’homme avant le péché.

La cellule d’aujourd’hui tente de se dégager du modèle générique du cachot, trop marquée encore par l’image sadique d’une contrainte corporelle ordonnée par quelque seigneur : l’irruption du confort comme seule innovation de l’enfermement assied l’idée de l’évolution vers une « torture blanche ».

c. le bagne et les travaux forcés

La mise à l’écart du criminel par l’enfermement dans un cachot ne satisfait plus la société du 18e siècle. L’invention du système du bagne organise la transportation des détenus et remplace les galères. Ce mode inaugure un rapport d’enfermement continu entre l’intérieur de la prison et un monde lointain. Exclure l’idée du retour après la peine, c’est accepter l’idée qu’il existe « ailleurs » un lieu pour l’après enfermement, un lieu de mise à l’écart qui se distingue de l’enfermement. L’enfermement territorial vient compléter l’enfermement local. Ce concept évoque celui de la prison dans la prison. L’idée de paliers progressifs d’enfermement peut être une source d’inspiration dans la volonté de réforme de la prison actuelle dans la mesure où elle n’exclue pas l’appartenance à un territoire culturel.

Punir avant d’exclure est la négation la plus stricte par la société de son implication et de sa responsabilité dans le cas d’un crime commis par un citoyen.

Avec le bagne, la société projette des prisons dans des pays géographiquement et culturellement très éloignés. La distance culturelle, la mise à l’écart des fondements de la civilisation occidentale seraient-elles le gage d’une non récidive ?

La question du travail forcé, sa dimension salvatrice, moralisatrice- se place au cœur de ce dispositif de punition. Le travail est à l’origine de la punition normative, mais il est difficile de croire aux velléités de réinsertion du détenu dans le cas du bagne dans la mesure où très peu de bagnards avaient l’occasion de revoir leur terre d’origine.

En 1810, le deuxième code pénal privilégie le châtiment qui s’ajoute à l’incarcération pénale : boulet au pied des forçats et flétrissures au fer rouge. L’accent est mis à nouveau sur le travail obligatoire.

Peut-on établir un rapport entre la nature du travail à Fleury-Mérogis et celle du bagne ? Casser des cailloux ou coller des étiquettes ? Quels en sont les intérêts respectifs pour la collectivité ? [3]

Le bagne sera aboli en 1938.

d. Généralisation de la prison cellulaire

L’apparition de la prison cellulaire coïncide à peu près avec la Révolution Française. En 1791, le code pénal place l’enfermement au centre du dispositif judiciaire, généralise la peine privative de liberté mais conserve la peine de mort et les travaux forcés. La justice criminelle de l’Ancien Régime n’utilisait pas la prison en tant que peine. Celle-ci n’était alors qu’un lieu de sûreté pour les accusés en attente de jugement et pour les condamnés avant l’exécution de leur peine et des châtiments corporels.

En 1875 en France, la loi Béranger généralise l’emprisonnement cellulaire. Elle prévoit un isolement total. Les détenus sont astreints au silence et au port d’une cagoule pendant leur déplacement à l’extérieur de la cellule (voir doc. ci-contre).

Nous verrons que ce nouveau système punitif est emprunt d’une forte dimension religieuse. La morale chrétienne avec l’idée du rachat de la faute par la rédemption contribue à donner à la prison un nouveau rôle, celui de l’amendement du coupable par la peine.

En matière d’enfermement, cette étape de l’histoire s’est avérée très féconde. C’est principalement le droit de punir qui a été saisi par le peuple, ce qui a eu pour conséquence une augmentation très importante des peines prononcées. Michel Foucault explique comment, à partir du 18e siècle, la punition change progressivement de destination : si au Moyen Age on punissait le crime, on punit désormais l’esprit, la sanction s’appuie sur les bases d’une appréciation de ce qui constitue la « Nature Humaine ».

Le passage de l’un à l’autre mode de punition est marqué par la naissance de la prison cellulaire. Auparavant, punir le crime correspondait souvent à le retourner contre son auteur avec une intensité emblématique de la justice dont le prince ou le roi était entièrement dépositaire (mis au cachot par lettre de cachet) : le voleur de pomme était affamé, l’auteur d’un incendie brûlé, etc. L’extrême cruauté des châtiments était accompagnée d’un certain refus d’ingérence sur la personne morale. Le passage à la punition par l’enfermement vise à sanctionner la personne et son parcours, son destin, et surtout ce qu’il serait susceptible de commettre à l’avenir. La prison doit servir d’outil dans la transformation des individus. Elle est désormais vue comme le lieu de la punition et de l’amendement du condamné par le biais du travail, de l‘éducation et de l’assujettissement.

Cette nouvelle méthodologie de la punition a dès ses débuts alarmé les législateurs qui depuis maintenant deux siècles, ne font que constater la dégradation sociale que produit l’incarcération sur la personne. Dès les années 1830, Alexis de Tocqueville dans ses multiples rapports à la chambre des députés s’inquiète déjà de cette évolution et de « l’encouragement au crime » produite par l’incarcération. L’augmentation de la criminalité et de la récidive est attribuée en partie à la prison que l’on considère déjà comme « l’école du crime ». Il s’agit alors de réformer les prisons départementales, de développer une architecture et un mode de fonctionnement plus répressifs et intimidants. L’isolement doit conduire le prisonnier au repentir dans le face-à-face avec sa conscience [4], une vertu qu’on n’avait jamais pensé attribuer au cachot.

A partir de cet objectif commun, deux grands modèles d’incarcération cellulaire venus des Etats-Unis vont provoquer une longue polémique.

Le modèle « Auburnien » (voir picto. p31-32), recherche une socialisation forcée et structurée, seul gage d’une parfaite réinsertion-réintégration dans la société « libre ». Les prisonniers sont contraints de vivre la majeure partie de la journée en commun mais en silence dans les réfectoires, les ateliers, à l’école, à la chapelle (il est formellement interdit de parler aux autres détenus comme aux surveillants), puis passent la nuit dans des cellules individuelles. On perçoit l’évidence de l’inspiration religieuse sur le modèle du monastère. Seulement ce dernier, organisé pour maintenir les moines à l’écart du monde, n’est évidemment pas conçu pour favoriser la réintégration des personnes dans la société dite « libre ».

Clairvaux, centrale construite hors du monde puisque sur l’emplacement de l’ancienne abbaye, a connu récemment et dans le passé des problèmes de sécurité aux conséquences dramatiques : l’isolement et les conditions de vie qu’il implique n’y sont sans doute pas totalement étrangers.

Le modèle « Philadelphie » ou « Pennsylvanien » (voir picto. p31-32), met quant à lui l’emphase sur un isolement total du détenu. Chaque prisonnier est isolé dans une cellule où il vit et travaille. Pour éviter les « vices » d’une collectivité de délinquants, le prisonnier ne doit avoir aucun contact avec ses co-détenus. Les murs de la cellule sont « la punition du crime » selon Tocqueville ; ils doivent mettre le prisonnier en présence de lui-même, forcé « d’entendre sa conscience ». Ce système s’est avéré comme une des formes les plus cruelles de sanction : il additionne la condition primitive du cachot, l’aménagement clinique de la cellule et un isolement acoustique et visuel. La fameuse prison de Sing-Sing construite aux Etats-Unis en 1928 est une illustration presque « parfaite » de ce système.

Hygiéniste, faite de nefs toutes en hauteur, de coursives, de cours de promenades, de couloirs et de bureaux administratifs, la prison cellulaire française devient progressivement un projet architectural identifiable. Les influences architecturales de ces bâtiments sont multiples : le principe de la vision panoptique, la caserne militaire, l’école, l’hôpital et le monastère ont été des sources essentielles qui ont fortement inspiré la prison cellulaire. Beaucoup de ces biens nationaux ont été eux-mêmes reconvertis en prisons dans le cadre de la politique d’extension immobilière du début du 19e siècle (Clairvaux, Fontevrault, Loos, Poissy, Riom et Nîmes).

Les systèmes géométriques généralement primaires qui gouvernent l’organisation des plans de prison sont issus d’un principe d’assemblage : juxtaposer des cachots et créer dans cet assemblage une architecture de circulation simpliste propice à la surveillance. Une certaine évidence, plus empirique que dans le modèle panoptique, reflète un esprit logique sans zèle dans l’imagination au service de la sanction. La géométrie sert la répétition, voilà l’expression du bâtiment.

Aujourd’hui, l’application fonctionnelle, les principes désuets, les constructions dégradées qui ne répondent plus aux nouvelles exigences, comme c’est le cas de la maison d’arrêt de la Santé, révèlent des failles riches : les détenus y obtiennent un degré de liberté supérieur et moins contrôlé que dans la plupart des bâtiments récents.

De plus, l’effet du temps sur ces bâtiments produit, à l’inverse d’un nouveau modèle sécuritaire, l’idée d’une forme d’incarcération connue, déjà vécue et témoignant malgré tout d’un peu plus d’humanité.

Par rapport au donjon ou la Bastille pré-révolutionnaire, le prisonnier n’est plus seulement cantonné à l’obscur lit de paille du cachot, il circule dans l’astreinte vers les ateliers, les lieux de discipline, de repas. Les lieux d’enfermement se multiplient au cœur de la prison. La captivité se complexifie par l’adjonction de nouvelles enceintes, multipliant les effets d’enfermement. Le système sécuritaire se fractalise pour instaurer de multiples prisons dans la prison. Le fait de sortir de la cellule ne représente pas un pas vers la liberté mais vers d’autres géométries d’enfermement.

Du point de vue urbain, il est important de noter qu’une grande majorité de prisons fut implantée au cœur de la cité. Volontairement ou non, ces nouvelles constructions ont en premier lieu permis d’assurer une continuité géographique et territoriale entre établissement pénitentiaire et tissu urbain. L’enceinte et la porte d’entrée sont devenues des éléments en relation avec l’architecture de la ville, exprimant sous le signe de la République son programme sans ambivalence. La situation de ces prisons permet des échanges restreints mais directs entre le monde carcéral et le monde extérieur.

Les nouvelles politiques de construction carcérales, des années soixante à nos jours, ont fortement remis en cause cette proximité qui avait pour mérite de représenter la justice au sein de l’urbanité. Comme l’observe Maître Teitgen, bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris « La prison de la Santé, qui est l’une des rares prisons construites en ville, est une prison depuis laquelle les détenus entendent les bruits de la ville, tels que par exemple les coups de klaxon ; ils ont donc le sentiment d’être dans la ville et non pas à l’écart de tout. Ce n’est pas le cas pour ces prisons construites dans les années 70 - comme Fleury-Mérogis - loin des villes ; les détenus ont là un sentiment d’enfermement dans tous les sens du terme, et d’enfermement dans l’enfermement ».

Par ailleurs, le déracinement urbain de la prison est un obstacle supplémentaire au maintien des relations sociales et familiales des détenus ; les visites des familles et des observateurs sont pour la plupart difficiles et demanderaient une dimension supérieure d’accueil dans l’environnement proche de ces prisons. Nous verrons par la suite qu’au travers du « programme 4000 » (en réalité 4900 cellules lancées en 1962) resurgit l’idéologie de la transportation du détenu. Une méthode implicite et supplémentaire de mise à l’écart du détenu vis-à-vis de sa société. Ce phénomène n’est par ailleurs pas sans rappeler les objectifs originels du bagne au travers de la déportation des fautifs vers des univers lointains. Il conforte également l’opinion publique dans sa volonté de nier l’univers carcéral et de reléguer la prison dans un no man’s land quelque peu réconfortant pour la dite opinion publique.

D’un point de vue programmatique, la prison cellulaire est marquée par des innovations importantes. Les services de santé publique, le service social, le travail volontaire, les activités sportives et culturelles vont progressivement s’infiltrer et l’enrichir. A travers ces nouveaux programmes, la société marque effectivement une volonté de réinsertion des prisonniers par un encadrement social. Malgré tout, ces interventions restent maigres dans la pratique.

D’un point de vue social, la réforme Amor de 1945 place l’amendement et le reclassement social du condamné au centre de la peine privative de liberté.

Le projet d’insertion sociale, apparu au 19e siècle est la dernière réforme de la prison en date, ce qui veut dire que le siècle qui nous sépare de cette époque a été le théâtre d’un immobilisme déconcertant.
 
e. L’idéal panoptique

A travers toute l’Europe, une réflexion « plus laïque » s’est établie dès la fin du 18e siècle, cherchant à réformer le droit et la justice de la société. Alimentée par les philosophes des Lumières mais aussi par les travaux d’idéologues d’une société idéale, le principe du « Panopticon » se veut applicable à l’ensemble des structures de la société aussi bien qu’aux écoles, hôpitaux, casernes,... Ce système, formalisé en 1791 par Jeremy Bentham, le « citoyen du monde », est une traduction architecturale et presque brutale des schémas d’organisation idéalistes de l’époque (l’individualisation de chacun au sein du groupe doit être la forme idéale de classification des êtres). C’est aussi la volonté d’un certain progrès en matière de transparence de la détention : éviter les dérives des surveillants envers le détenu en le situant à la vue de tous. Son dessein implicite est de soumettre le détenu à une structure et une représentation théorique de la société durant la période de son incarcération. Bentham prône l’instauration du travail et de l’éducation religieuse au sein de la prison ; comme il l’explique à l’Assemblée législative, il s’agit de « s’assurer de l’amendement des prisonniers, fixer la santé, la propreté, l’ordre, l’industrie dans ces demeures jusqu’à présent infectées de corruption morale et physique ».

L’idéologie du Panopticon correspond aux prémices de la pensée hygiéniste et hiérarchique de la société. Elle se veut le nouvel archétype de la prison moderne (voir doc ci-contre). On en devine le principe : « à la périphérie, un bâtiment en anneau, au centre une tour. Celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l’anneau. Le bâtiment périphérique est divisé en cellules dont chacune traverse toute l’épaisseur du bâtiment ; elles ont deux fenêtres, l’une vers l’intérieur correspondant aux fenêtres de la tour, l’autre donnant sur l’extérieur permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. », J.Bentham.

Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale à l’arrière d’une « jalousie transparente », et dans chaque cellule « d’enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un écolier ». Par effet du contre-jour, le surveillant peut saisir de la tour, « se découpant exactement sur la lumière », les silhouettes captives dans les cellules de la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible. Le détenu bénéficie par ces ouvertures d’une double orientation (toute relative). En effet, J.Bentham parle d’appartement quand il s’agit de décrire les cellules en alcôve de son plan.

Il s’est largement inspiré de l’évolution hygiéniste des hôpitaux qui prônaient à l’époque des dortoirs dont les doubles ouvertures permettent aux germes et vermines de s’évacuer « par les airs » ; il propose l’usage de ce principe pour écarter, grâce aux courants d’air, les vices et l’oisiveté des malfrats par ces mêmes orifices.

Bien avant la machine à habiter de Le Corbusier, Bentham a tracé les contours d’une machine à incarcérer, la rhétorique de son organisation est un authentique appareil à transformer les individus. Voulait-il convertir le prisonnier en « pionnier » d’une civilisation moderne ? Toujours est-il que la mixité adulte/enfant ou homme/femme voulue par Bentham (essentiellement par nécessité économique) semble caractériser ses vues, telle l’arche de Noé.

De là, l’effet majeur du panoptique : la soumission au regard permanent du surveillant est son atout principal. Induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité assure un fonctionnement automatique et architectural du pouvoir. Le schéma se veut irréprochable et exemplaire, la perfection du principe doit selon Bentham pouvoir permettre à l’unique surveillant de se retirer sans même réduire l’effet de surveillance permanente du détenu, il est en quelque sorte observé par l’architecture : l’idée de la présence est aussi efficace que la présence même. Le centre, souverain de l’autorité, règne physiquement sur la détention. Si nous poursuivons notre regard de la prison cellulaire dont l’objectif est la rédemption du détenu, l’idée panoptique est une transcription architecturale du regard absolu de Dieu sur le monde.

Mis à part le pénitencier de Stateville aux Etats-Unis construit au 19e siècle, aucun des établissements pénitentiaires n’a suivi à la lettre la perfection utopique du plan panoptique.

Cependant, cette nouvelle forme de surveillance où l’architecture est un outil essentiel, va influencer d’une façon ou d’une autre tous les projets de prisons modernes dès le début du 19e siècle. Cette machine à incarcérer préfigure la solution « propre » de la prison comme unique mode de pénitence. Dès lors, l’emprisonnement peut se généraliser et même s’industrialiser à l’image des grands centres de détention, de Fresnes à Fleury-Mérogis.

Nous décrypterons par la suite la prégnance des concepts panoptiques dans la lecture des plans et tracés de Fleury-Mérogis. La négation de l’intimité et la réification des personnes nous semblent faire partie des caractéristiques les plus condamnables qui perdurent dans les prisons actuelles. Notre projet se jouera des emprunts au panoptique en multipliant les attentions, les regards au lieu de cette surveillance répressive d’un « œil unique » centralisateur et directif.

f. Guillaume Gillet à Fleury : obsession géométrique et Mouvement Moderne.

A partir des années 60, les grands programmes de prison se succèdent : les programmes 4000, 13000, puis la reprise du 13000 en 15000 (10000000 ?) (voir docs ci-contre), évoluent notamment en fonction des gouvernements. Dans le premier de ces programmes, l’Etat semble avoir eu une démarche bien déterminée en confiant la majeure partie de ces réalisations (une dizaine de projets en tout) à l’architecte Guillaume Gillet. Fleury-Mérogis fait partie de ce dernier programme et devait à l’origine remplacer les prisons de la Petite Roquette et de la Santé déjà jugées à cette époque des plus vétustes.

Quarante et un mois de chantier ont tout juste permis à Guillaume Gillet d’achever la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis à temps pour une réception au mois de Mai 1968 ! L’ampleur du système de gestion d’un aussi grand ensemble n’a pas permis d’y incarcérer immédiatement les jeunes révoltés, car elle a requis près de deux années de formation à ses administrateurs pour pouvoir tourner à plein régime.

A l’unanimité, ce projet sera très vite qualifié de « monstre ». La construction d’un établissement équivalent prévu pour la périphérie Nord de Paris est immédiatement abandonnée. Mais c’est avant tout le programme qu’il nous semble juste de qualifier de monstre. Les oeuvres précédentes de l’architecte ne sont pas comparables à Fleury-Mérogis.

Même si Guillaume Gillet défend légitimement l’idée d’une « prison sans barreaux, qui ramène la détention à une stricte privation de liberté,[...]conçu avec conscience et humanité » [5], Fleury-Mérogis restera « l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire » [6].

Au problème de la dimension du bâtiment et de sa capacité d’accueil, viennent s’ajouter deux caractéristiques qui selon nous traduisent la violence sous-jacente de ce projet : l’obsession géométrique poussée à son comble pour répondre à un programme d’enfermement, l’usage d’un langage moderne dans une expression des plus abstraites pour répondre à une volonté d’isolement. Et à ce titre, Guillaume Gillet s’inscrit dans la lignée des grands architectes de cette période.

Sur la géométrie et l’architecture

Le projet pour Fleury-Mérogis invoque la généalogie du panoptique mais son application tient davantage du croisement hybride entre le principe panoptique et la répétition obsessionnelle de figures géométriques - parfaites ? - répétées à outrance.

Au regard de l’idéologie panoptique, l’idée du pouvoir central est inchangée, seuls les espoirs de « transparence » des conditions de détention qui animaient J. Bentham sont écartés. Fleury-Mérogis est une prison cellulaire. Son organisation n’est pas ordonnée par l’unique objectif de l’opposition entre regard concentrique et observation panoramique. Seuls le système constructif et l’organisation humaine sont effectivement fondés sur les principes du panoptique. Le cœur du fondement est même inversé : le détenu garde une intimité toute relative derrière la porte de sa cellule, tandis que le poste du surveillant principal est inaccessible, et ouvert à toutes les vues derrière des barreaux (voir doc p60).

La disposition des cellules qu’opère l’architecte rend le principe panoptique mécanisé, voir fractal : de la même façon que la prison est un assemblage de cachots, Fleury-Mérogis est un assemblage de prisons panoptiques (voir doc p64), elles mêmes organisées par un système panoptique fédérateur. 
 
Le règne de l’équerre 30°/60° et du compas est absolu, comme si rien ne pouvait perturber cet ordonnancement et cette implantation Sud/Nord digne de l’ensemble funéraire de Gizeh. La fonctionnalité est fractale, Gillet construit la prison dans la prison, dans la prison, dans la prison... A ce titre, le projet est une oeuvre parfaite.

La répétition qui gouverne cette architecture confère à la prison une dimension industrielle qui tend à réifier les détenus à l’image d’objets que l’on stocke. Cette disposition nous guidera précisement pour la réhabilitation d’une partie du bâtiment en stockage automatisé (de marchandise cette fois).

Le jeu sur la géométrie fait largement participer la notion de perspective comme outil d’observation et d’occultation. Dans les tripales, les circulations sont en forme d’entonnoir (un angle de deux degrés entre les deux façades de porte de cellule intérieures). La perspective est ouverte vers le centre et resserrée vers l’ouverture du pignon. Ce geste donne de l’ampleur à la cabine de surveillance centrale, allonge visuellement ce couloir de 80m et éloigne d’autant plus l’insignifiante ouverture en bout de couloir sur l’extérieur en amplifiant sa perspective.

Tandis que la tripale peut apparaître de l’extérieur comme une forme étendue, aux façades relativement immatérielles, dont les tentacules s’allongent, la perspective intérieure totalement orientée vers le centre et la surveillance produit un effet inverse.

Guillaume Gillet joue avec les échelles : le plan masse de la prison passe du micro au gigantesque avec une aisance surprenante (est-ce l’influence des études sur les formes parfaites de la nature, stimulées par l’imagerie les nouveaux microscopes électroniques de l’époque ?). 
 
L’analogie avec la forme du flocon de neige est quasi parfaite, seule la partie concave de l’hexagone qui marque l’entrée vient perturber la ressemblance. Or, le flocon de neige [7] est une forme naturelle difficilement perceptible à l’œil nu. Reproduite à une échelle gigantesque, la forme en flocon de neige de la prison n’est perceptible que depuis le ciel, c’est-à-dire de l’hélicoptère de la gendarmerie.

L’exercice du « beau plan masse » conforme aux architectes des grands ensembles atteint ici son paroxysme. Il fait allusion aux multiples études sur le plan centré qui animait les architectes de la Renaissance italienne à la recherche de perfection pour les églises, ou les grands projets utopiques du siècle des Lumières. Notons à ce propos que G. Gillet est Grand prix de Rome, membre de l’Académie d’Architecture, et notamment l’auteur du Palais des Congrès de la Porte Maillot dont le plan complexe est lui aussi d’une géométrie dont la symétrie est parfaite.

Enfin, la difficile gestion des flux - détenus /surveillant administration/visiteur - est traitée de façon comparable avec celle de l’aéroport Roissy I, très légèrement contemporain (voir doc p72).

Sur l’Architecture des Modernes et l’expression abstraite

Dans la volonté de l’expressionnisme du Mouvement Moderne, on assiste tout d’abord au travers de ce projet à la disparition des principes architecturaux caractéristiques de la prison cellulaire que nous avons défini.

L’organisation des ailes en nef toute hauteur bordée de coursives par exemple est la plupart du temps abandonnée pour être remplacée par un système beaucoup plus compartimenté. L’ensemble est régi par un système simple et répétitif basé sur les qualités sécuritaires du tunnel. A Fleury-Mérogis, qu’elles que soient les situations, les lieux d’attente, de circulation et même de vie se déroulent dans un tube permanent et continu. La lumière, l’espace et le courant d’air hygiéniste présents dans les prisons de La Santé, Fresnes ou d’Orléans sont ici remplacés par le néon et l’ampoule électrique. Plus de double hauteur, la sensation d’enfermement dans les déplacements se poursuit de façon analogue de la cellule au parloir : selon les deux plans continus du sol et du plafond. Guillaume Gillet dépeint les passerelles extérieures comme de « solides tunnels suspendus ».

Si l’expression ordinaire des ensembles du Mouvement Moderne prend toute son ampleur par son inscription dans le tissu de la ville traditionnelle ou dans la nature, comment l’apprécier dans le contexte de l’isolement ? L’abstraction des formes simples issues de la géométrie euclidienne ne se définit-elle pas pleinement par son opposition aux richesses et hétérogénéités de la ville traditionnelle et de la nature ?

D’un point de vue constructif, le bâtiment ne laisse rien paraître de ses méthodes d’assemblage, d’appareillage, voire même d’un savoir-faire constructif ; le béton court d’un plan à l’autre comme sur une surface continue, poussant l’abstraction jusqu’à la perte du sens de temporalité et de matérialité. Les articles des revues architecturales de l’époque basaient pourtant l’essentiel de leurs commentaires sur les grandes innovations structurelles du système constructif. L’abondance de ces articles « d’ingénieurs » interroge d’ailleurs sur l’existence de réels fondements sociaux. Le cheminement de la grue a, semble t-il, eu plus d’importance que la place de l’homme détenu. Mais la critique de ce projet ne doit pas ignorer le contexte des années soixante, avec toutes les convictions progressistes qui triomphaient sur le logement de masse. Faire une prison propre et bien ordonnée était une forme de progrès reconnu. A ce titre, Guillaume Gillet fera remarquer que son schéma d’implantation "permet tout d’abord à chaque cellule d’avoir une vue dégagée", cela représente en effet une réelle évolution.

D’autres aspects de cette expression moderne ne sont cependant pas dénués d’intérêt dans le contexte carcéral.
Le traitement systématique des façades des cinq tripales recherche l’effet d’abstraction sugérant l’apesanteur. (voir doc. p.52). Cette analyse nous parait interessante et inspirera en partie le système de traitement des enceintes et façades de notre projet. La superposition des trames se joue dans la symbolique du mur. Chaque parement de façade (en gravillon lavé) dont les dimensions coïncident avec le coffrage tunel qu’il est censé recouvrir est en fait décallé d’une demi trame. Sans contact apparent entre eux, ni même avec les éléments porteurs du bâtiment, ces parements confèrent à ces grandes façases de 160 m de long un certain degré d’immatérialité. Cette démarche est empreinte d’une forte charge symbolique pour l’univers carcéral. Guillaume Gillet était-il en définitive un humaniste ?
En scrutant le grand ensemble de Fleury-Mérogis, l’oeil averti décèle ça et là, quelques pastiches oscillants entre historicismes déplacés et mauvais goût étant donné la gravité de l’usage de ces bâtiments. Les acrotères de la maison d’arrêt pour femmes reprennent de manière décorative les créneaux et mâchicoulis d’un chateau fort du moyen âge, tandis que quelques fausses portes de mastaba égyptiennes aux rideaux de jonc du Nil, ornent les enceintes (ces fausses portes permettaient, à la suite d’un sacrifice, de communiquer avec les morts : quelle portée symbolique pour une façade de prison !).

Toujours est-il qu’il faut reconnaître que le niveau de modernité et de mécanisation d’une prison est tristement proportionnel au taux de suicide des détenus (voir textes ci-contre). S’il ne sert à rien de charger les anciens pour ne pas avoir prévu cet effet, on doit en être conscient aujourd’hui.

2. Typologie de prisons

Le type panoptique :

Très peu développé tel quel, il est l’application directe du panoptique de Bentham présenté précédemment. Des prisons comme le Western Penitentiary à Pittsburgh (1826) ou comme celle d’Autun, par Berthier (1847-1856), appliquent assez précisément le programme benthamien.

Le système en anneau :

Evolution du principe monastique, il permet, comme à l’intérieur d’un cloître, un isolement efficace de l’extérieur, et des circulations aisées. Mais s’il est fonctionnel, il ne permet pas une surveillance très éfficace. De plus il n’a que peu de possibilités d’extension. Il fut donc assez peu développé.

Le plan carré ou quadrillé :

Ce principe de bâtiments orthogonaux en tourant des cours intérieures, autour desquelles se répartissent cellules, activités et ateliers, bien que difficile à surveiller, est basé sur la séparation des détenus en catégories et quartiers. Il autorise un traitement isolé de chaque groupe de détenus, mais les bâtiments de ce type qui furent construits étaient la plupart du temps de trop grande taille pour que la politique « adéquate » puisse s’y appliquer. Aux Etats-Unis, on notera la prison d’Attica de 1937 et celle de Leesburg dans le New Jersey ; en France, le centre de détention de Muret de 1966 (une première expérimentation de Gillet avant la construction du monstre) qui comporte 610 places et quatre cours intérieures.

Le type citadelle :

Claude Nicolas Ledoux débuta en 1776 un projet pour la prison d’Aix-en-Provence qui ne fut pas achevé. Le plan en est carré, subdivisé en quatre espaces distincts avec quatre cours de promenade où apparaît déjà une séparation des détenus (hommes, femmes, enfants). L’aspect est massif, proche des citadelles de Vauban (1633-1707) : fenêtres basses, tours de guet et mâchicoulis. La prison construite à Pontivy sous le premier Empire, comme celle de Würzburg, due à Speeth (1809), toutes deux détruites, avaient également l’apparence d’une bastille.

Le plan linéaire :

Adaptée au système auburnien, c’est une prison tout en longueur, dont les conditions sécuritaires sont maximales. Ses coûts de maintenance se veulent très faibles. La circulation et l’entretien sont aussi très commodes . L’absence de vue directe et l’isolement maximum en font un des plans les plus austères, bien qu’il soit l’un des plus faciles à surveiller. Baltard souhaitait quant à lui « des institutions complètes et austères ». On peut citer comme exemple Sing-Sing (1819) aux Etats-Unis, réputée pour son faible nombre d’évasions et son taux élevé de suicides, mais aussi Gradignan, en France (1967), qui s’élève sur six niveaux.

Le type radial :

Le type radial fut très répandu à la fin du 19e siècle, d’abord aux Etats-Unis, puis dans toute l’Europe. Il est dérivé du système pennsylvanien d’isolement de jour et de nuit, associé au principe de surveillance centralisée dérivé du panoptique. On compte un certain nombre d’exemples de ce type : la Santé (1867), Anvers (1840), Rennes (1809), Rouen, ou encore Nice (1887). Il a été appliqué à de plus grandes dimensions dans le cas des tripales de Fleury-Mérogis et de Rebibbia en Italie. C’est encore le plus utilisé actuellement. Le nombre de bâtiments convergents peut être variable. Cette structure permet d’obtenir pour le plus grand nombre de détenus des espaces extérieurs conséquents mais la plupart du temps inutilisé. 
 
Le type radioconcentrique :

Une série de bâtiments en hexagone sont reliés à un bâtiment central par une série de bâtiments intermédiaires ou de passerelles. Cet ensemble en roue de vélo permet, tout comme le type carré, de cloisonner les cours de promenade, et d’éloigner les cellules (sur la périphérie) du réfectoire et des lieux d’activités (au centre). La forme en hexagone permet une surveillance par trois tours de guet et la centralisation de la chapelle et du réfectoire montre une orientation vers le système auburnien. L’exemple français en est la Petite Roquette conçue et érigée par l’architecte Hippolyte Lebas en 1836 (détruite en 1974).

Le type ouvert ou groupement d’unités :

La colonie pénitentiaire de Mettray (Lyon) en 1839, ou plus récemment Mauzac (1986), sont des essais d’architecture éclatée, dans laquelle les bâtiments sont distants les uns des autres, recréant des unités de vie souvent rassemblées autour des bâtiments d’activités. Il n’y a donc pas de forme standard traduisant cette façon assez rare de concevoir la prison, mais elle est souvent semblable à l’image que l’on peut se faire d’un village avec un axe principal et de petites maisons régulières. Ainsi, Mettray comportait en son centre une église, comme tous les villages de sa région.

Le type parallèle ou pôle téléphonique :

Il s’agit d’une suite de bâtiments parallèles reliés par un couloir central, les blocs cellulaires sont disttants et séparés par des cours de promenade. Ce plan permet de séparer les détenus par catégories. Tiré d’un exemple américain, il fut mis en application pour la prison de Fresnes (Poussin, 1898), puis pour celle des Baumettes à Marseille (G.Castel, 1935), ainsi que celle de Châteauroux (1975).

La Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis concentre à elle seule plusieurs figures de cette typologie (voir doc p.64).

Notes:

[1Terme ici sans contenu spécifique

[2terme employé par nombre d’analystes appuyés sur les textes de Michel Foucault

[3BURTON-ROSE dans son texte « Le Goulag américain » n’ésite pas à traiter les prisons américaines de « Taiwan à domicile » ou d’ »usines protégées », Voir bibliographie

[4La cellule de Gillet, avec son système de fenêtre en forme de croix, est encore marquée par cette vision du 19e siècle. (voir doc p56)

[5Libération, 8 mai 1985

[6A. Peyrefitte, Garde des Sceaux

[7voir le flocon trois étoile de l’école de ski française